B/ Le dépassement de la limite affectant le
fondement
L'article 13 « ne s'applique qu'en présence
d'allégations de violations de la Convention constituant des griefs
défendables au sens de sa jurisprudence >> 119 . Cette
règle limite considérablement l'application de l'article 13 qui
consacre pourtant un droit important pour les demandeurs d'asile, celui d'un
recours effectif. La Cour EDH a donc permis une extension de cette
dépendance obligatoire à un autre grief. La
nécessité d'être combiné avec un grief
défendable ne facilite pas la pleine effectivité de l'article 13
de la Convention.
117 Cour EDH, 5e Sect., 30 juin 2011, De Souza
Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07, § 43.
118 Ibid. § 42
119 V. par exemple Cour EDH, 1e Sect. 5 avril 2011,
Rahimi c. Grèce, Req. n° 8687/08.
Quel est le degré de dépendance du grief
tiré de l'article 13 par rapport à celui tiré de l'autre
article ? Telle est la difficulté car il n'est pas impossible que le
grief tiré de l'article invoqué en combinaison de l'article 13 ne
soit pas recevable ou n'emporte pas violation. Si la règle était
strictement appliquée, il s'ensuivrait un déni automatique du
grief tiré de l'article 13 en ces cas là. Mais la Cour
européenne a dégagé des solutions qui permettent de
conserver une certaine effectivité dans l'application de l'article 13 de
la Convention.
Elle a rappelé maintes fois que l'article 13 de la
Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se
prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils y
sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence
d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un «
grief défendable » fondé sur la Convention et à
offrir le redressement approprié. Ainsi, l'article 13 ne peut être
invoqué seul. Il doit impérativement être combiné
avec un autre article.
Or, il semble que l'exigence d'un recours effectif contre une
mesure d'éloignement ou d'expulsion qui en découle n'est
consacrée que pour les cas où il est concomitamment
allégué que l'exécution de cette mesure exposerait le
requérant à des traitements contraires à l'art 2 ou
3120. Les principes généraux relatifs à
l'effectivité des recours et des garanties fournies par les Etats
contractants en cas d'expulsion d'un demandeur d'asile en vertu des articles 13
et 3 combinés de la Convention sont résumés dans
l'arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce121. En
effet, comme l'article 3 est le fondement principal de la protection du droit
d'asile, c'est lui qui est naturellement combiné avec l'article 13 de la
Convention.
Cependant d'autres combinaisons sont également
retenues. Il est particulièrement intéressant de souligner la
jurisprudence récente qui a admis la combinaison de l'article 13 avec
l'article 8 qui consacre le droit à une vie privée et familiale
normale.
Cette jurisprudence unique est celle de l'arrêt De
Souza Ribeiro contre France de 2011122. Une des
originalités de cet arrêt se trouvait dans le seul examen de la
recevabilité, concernant justement l'obligation pour l'article 13
d'être invoqué en combinaison d'un grief défendable. La
question était de savoir si l'article 13 peut être invoqué
en combinaison d'un grief jugé irrecevable. La Cour a fait le choix
d'accepter la recevabilité du grief tenant à l'article 13
combiné avec l'article 8 alors même que le grief tenant à
l'article 8 pris isolément n'était plus recevable du fait de la
réparation anticipée de la violation par les autorités. Le
requérant ne pouvait plus être considéré comme
victime au sens de l'article 34 de la Convention à partir du
120 Arrêt Gebremedhin [Gaberamadhien]
précité ; Cour EDH, 18 Novembre 2010, Boutagni c.
France, Req. no 42360/08 ; Cour EDH, 1ère Sect. 7 juin
2011, R.U. c. Grèce, Req. n° 2237/08.
121 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce,
précité.
122 Cour EDH, 5e Sect. 30 juin 2011, De Souza
Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07.
moment où son expulsion avait été
empêchée par la délivrance d'une carte de séjour
portant la mention << vie privée et familiale123
». Il s'ensuit que son grief tiré de l'article 13 aurait du, selon
la jurisprudence de la Cour à propos de cet article, être
rejeté sur le même fondement, à savoir la perte de la
qualité de victime. Toutefois, la Cour en a décidé
autrement. Pour cela, elle s'est appuyée sur des considérations
temporelles. Selon la Cour strasbourgeoise, il fallait se placer << au
moment où le requérant a été reconduit à
destination du Brésil124 », c'est-à-dire au
moment de l'expulsion. Or, il y avait bien un problème qui se posait
à ce stade sur le terrain de l'article 8. Le grief de violation de
l'article 8 était toujours invocable. La Cour en conclut qu'il est tout
à fait possible de << poursuivre l'examen au fond du grief
tiré de l'article 13 de la Convention combiné avec l'article 8
125 ». Ainsi, la Cour ouvre la voie à des condamnations
sur le terrain de l'article 13 lorsqu'il a été violé
à un moment où la violation d'un autre article était bien
démontrée, peu importe le fait que le grief tiré du seul
article en question n'ai pas été jugé recevable par
ailleurs126.
Une autre solution qui permet d'améliorer
l'effectivité de l'article 13 a été envisagée par
la Cour européenne.
En effet, dans l'arrêt I.M. contre France, la
Cour a permis au requérant d'invoquer l'article 13 qui consacre le droit
à un recours effectif, alors même que la procédure en
question avait été dépassée et que la violation
avait été consommée. Il s'agissait de la question des
recours en cas de placement en procédure prioritaire. Cette
procédure française particulièrement désavantageuse
permet un examen accélérée des demandes d'asile. Le
requérant avait obtenu le statut de réfugié bien
après la dernière décision rendue par les autorités
internes à la suite du recours qu'il a exercé et dont il
dénonce l'ineffectivité devant la Cour. La violation
alléguée de l'article 3 de la Convention avait donc
déjà été réparée puisque
l'éloignement ne pouvait plus avoir lieu. Cependant, la Cour souligne
que seule l'application de l'article 39 de son règlement a pu suspendre
l'éloignement du requérant, pour lequel un laissez-passer avait
déjà été émis par les autorités
soudanaises après la présentation du requérant devant
celles-ci. Cet article 39 permet à la Cour de prendre des mesures
provisoires. Or c'est uniquement grâce au maintien du requérant
sur le territoire français, en vertu d'une telle mesure, que la CNDA a
pu poursuivre l'examen de la demande du requérant127. En
effet
123 Ibid. § 24
124 Ibid § 32
125 Ibid § 33
126 Voir Nicolas Hervieu, << Conventionalité de
l'absence de recours suspensif contre une mesure d'expulsion
<< seulement » susceptible d'affecter la vie
privée et familiale » in Lettre « Actualités
Droits-Libertés » du CREDOF, 1er juillet 2011.
127Arrêt I.M. c. France,
précité, § 33.
le recours devant cette CNDA n'avait pas de caractère
suspensif dés lors que le requérant avait été
placé en procédure prioritaire. De ce fait, le requérant
ne pouvait plus se prétendre victime d'une violation au regard de
l'article 3 de la Convention mais la question de la violation au regard de
l'article 13 restait actuelle.
En effet, le risque de traitement contraire à l'article
3 présentait << un degré suffisant de
crédibilité >> au moment où la procédure
interne litigieuse s'est déroulée128. Dès lors,
la Cour a effectivement jugé que l'intéressé n'avait pas
perdu sa qualité de << victime >> de la violation
alléguée de l'article 13 combiné avec l'article 3. Selon
la jurisprudence de la Cour, pour qu'une décision ou une mesure
favorable au requérant suffise à lui retirer la qualité de
victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu,
explicitement ou en substance, puis réparé la violation
alléguée de la Convention. Or ces conditions n'étaient pas
remplies s'agissant du grief tiré des articles 13 et 3
combinés.
Du point de vue de l'article 13, la violation avait eu lieue
sans qu'il soit possible de revenir dessus, alors qu'une violation
alléguée de l'article 3 peut évoluer, le risque de
traitements inhumains ou dégradants pouvant apparaitre puis disparaitre.
Lorsque le risque de renvoi vers le Soudan a été levé, et
qu'ainsi le requérant a perdu la qualité de victime, le
défaut d'effectivité des voies de recours disponibles en cas de
placement en procédure prioritaire existait. La Cour a ainsi
déjoué une fois de plus le fait que le grief tiré de
l'article 3 isolé n'était plus défendable en raison de la
disparition de la violation grâce à une appréciation du
grief tiré de l'article 3 au moment où le recours aurait du
être effectif en vertu de l'article 13.
Le fait que la violation ait disparue en raison du seul fait
de la mesure provisoire prononcée par la Cour a en outre
encouragé celle-ci à dégager une solution pour que la
violation alléguée de l'article 13 soit examinée. Les
mesures provisoires apparaissent trop souvent comme un substitut à la
mise en place de recours suspensifs par les Etats. Il fallait donc trancher la
question de la violation du droit à un recours effectif afin que la
France prenne ses responsabilités.
Ce même raisonnement concernant
l'indissociabilité de l'article 13 aux autres articles de la Convention
avait été retenu par la Cour EDH dans l'arrêt
Gebremedhin. La Cour a jugé qu'elle n'était pas d'accord
avec la thèse selon laquelle << l'article 13 étant
indissociable des articles de la Convention auxquels il se combine, le
requérant ne peut plus se dire victime d'une violation de l'article 13
combiné avec l'article 3 dès lors qu'il n'est plus victime de la
violation alléguée de cette dernière disposition
129>>.
128 Ibid. §100.
129 Arrêt Gebremedhin, précité,
§ 56.
Elle avait aussi considéré que la violation
alléguée sur le terrain de l'article 13 était «
consommée » c'est-à-dire qu'elle avait eu lieue et qu'elle
était irréversible au moment où le risque de renvoi vers
l'Erythrée avait disparu.
Ainsi le requérant n'avait pas perdu la qualité de
victime en vertu de l'article 13 même s'il l'avait perdu en ce qui
concernait le grief tiré de l'article 3 pris isolément.
Cette jurisprudence qui atténue la dépendance de
l'article 13 aux autres articles de la Convention renforce
considérablement son efficacité, tout comme la définition
que la Cour a donné de l'effectivité du recours, se rapprochant
sensiblement de la protection offerte sur le terrain de l'article 6 et offrant
même l'assurance d'un caractère suspensif.
Ces droits procéduraux ainsi découverts en
faveur des demandeurs d'asile grâce à l'article 13 de la
Convention sont d'une importance capitale pour que le droit d'asile existe
lui-même, c'est également ce constat qu'il est possible de dresser
concernant les droits issus de l'article 5 de la Convention.
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