Paragraphe 2. La protection du droit au respect de la
liberté
La Cour fait une utilisation récurrente de l'article 5
§ 1 de la CEDH pour venir encadrer les conditions de détention des
demandeurs d'asile. Selon cet article : « Toute personne a droit à
la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être
privé de sa liberté [...] ». L'article 5 § 1 de la CEDH
pose comme principe la liberté physique de la personne, de sorte que nul
n'en soit privé de manière arbitraire. Mais cette règle
générale peut souffrir d'exceptions qui sont prévues aux
alinéas a) à f) de l'article 5 § 1. L'exception posée
à l'alinéa f) permet aux Etats de restreindre la liberté
des étrangers dans le cadre du contrôle de
l'immigration130. Ainsi, les Etats ont la faculté de placer
en détention des candidats à l'immigration ayant sollicité
- par le biais d'une demande d'asile ou non - l'autorisation d'entrer dans le
pays. Cependant, des conditions entourent cette dérogation au principe
du droit à la liberté et à la sûreté.
L'enfermement doit effectivement être à la fois approprié
(A) et proportionné (B).
130 Arrêt Saadi , § 64.
A/ Un enfermement régulier
La privation de liberté doit être «
régulière » selon la Cour européenne. Cela implique
nécessairement qu'il existe une base légale à la
détention (1), mais la Cour va plus loin en exigeant que cette base
légale soit de qualité (2).
1) L'existence d'une base légale
L'enfermement des étrangers est autorisé par les
juges européens. En effet les Etats jouissent du « droit
indéniable de contrôler souverainement l'entrée et le
séjour des étrangers sur leur territoire 131 » et ont la
faculté de placer en détention des étrangers, notamment
demandeurs d'asile. Toutefois, la Cour pose comme évidence que ce droit
doit s'exercer en conformité avec les dispositions de la
Convention132. Cette règle a été
rappelée dans l'affaire Baranowski contre Pologne du 28 mars
2000. Ainsi la Cour s'en tient à son rôle qui est de
contrôler le respect de la Convention EDH. Mais en ce qui concerne
l'article 5§1 de celle-ci, le contrôle de la
régularité de la mesure ne se fait pas seulement au regard de la
Convention mais également du droit interne.
En effet, toute arrestation ou détention doit avoir une
base légale en droit interne133, c'està-dire qu'elle
doit se faire « selon les voies légales134 ». A
l'alinéa f) de l'article 5§1, il est précisé que
l'arrestation ou la détention doit être «
régulière », comme le rappelle la Cour européenne
dans sa jurisprudence. La question qui se pose est de savoir quelles sont les
voies légales auxquelles la détention doit être conforme.
La Cour exige d'abord que l'enfermement ait une base légale dans le
droit national, c'est-à-dire le droit de l'Etat où la mesure
d'enfermement a été prise.
Ce principe a été réaffirmé dans
l'arrêt du 6 mars 2001, Peers et Dougoz contre Grèce. Le
requérant se plaignait de l'illégalité et de la
durée de sa détention. La Cour rappelle qu'en exigeant que toute
privation de liberté soit effectuée « selon les voies
légales », l'article 5 § 1 impose, en premier lieu, que toute
arrestation ou détention ait une base légale en droit interne. La
Cour pose effectivement l'obligation d'observer les normes de fond comme de
procédure du droit national. Mais cette obligation varie selon
l'existence ou non d'un lien direct avec la Convention EDH. En effet, les
autorités nationales doivent interpréter et appliquer le droit
131 Cour EDH, 25 juin 1996, Amuur c. France, Req.
n° 19776/92, § 41.
132 Ibid.
133 Ibid, § 50.
134 Article 5§1 de la Convention EDH.
interne, mais dans les matières où la Convention
renvoie directement à ce droit c'est la Cour EDH qui contrôle le
respect du droit interne. C'est l'existence d'une correspondance entre le droit
interne et la Convention qui justifie ce contrôle. En ce cas là,
<< la méconnaissance du droit interne entraine [directement] celle
de la Convention de sorte que la Cour peut et doit exercer un certain
contrôle >>135. Le contrôle du droit interne se
juxtapose ainsi en quelque sorte au contrôle classique de la
Convention.
Cette exigence de régularité de l'enfermement au
regard de la loi nationale est consolidée par la Cour qui insiste
également sur la qualité de la base légale.
2) La qualité de la base légale
La cour a affirmé que pour rechercher si une privation
de liberté a respecté le principe de légalité
interne, il lui incombe d'apprécier non seulement la législation
en vigueur dans le domaine considéré, mais aussi la
qualité des normes juridiques applicables aux intéressés.
Cette exigence de qualité renvoie à un principe classique en
matière de droit international. Il s'agit du principe de
sécurité juridique. La Cour parle de <<
prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble
des articles de la Convention136 >> pour expliquer cette
exigence particulière.
En effet, la qualité à laquelle fait
référence la Cour européenne implique qu'une loi nationale
autorisant une privation de liberté soit suffisamment accessible et
précise afin d'éviter tout danger d'arbitraire137.
Ceci s'applique aux mesures d'enfermement des étrangers mais tout
particulièrement à celles qui s'adressent aux demandeurs d'asile.
En effet, dans l'arrêt Amuur contre France la Cour a
relevé l'importance du respect de la sécurité juridique en
ce qui concerne des demandeurs d'asile << compte tenu notamment de la
nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et
les impératifs de la politique de l'immigration des Etats138
>>.
A l'occasion de cette affaire, la Cour a conclu que le
système juridique français en vigueur à l'époque et
tel qu'il a été appliqué dans cette affaire n'avait pas
garanti de manière suffisante le droit des requérants à
leur liberté. En l'espèce, des somaliens étaient maintenus
dans la zone internationale de l'aéroport de Paris-Orly. La cour a
estimé qu'au moment des faits, aucun texte ne permettait au juge
judiciaire de contrôler les conditions de séjour des
étrangers ni, au
135 Parmi d'autres, Cour EDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c.
Pays-Bas, Req. n° 6301/73, § 46, § 68.
136 Arrêt Amuur c. France, précité,
§ 50 ; Cour EDH, Dougoz c. Grèce, Req. n° 40907/98,
§ 55.
137 Ibid.
138 Ibid.
besoin, d'imposer à l'administration une limite
à la durée du maintien litigieux et ne prévoyait un
accompagnement juridique, humanitaire et social ni ne fixait les
modalités et les délais d'accès à une telle
assistance afin que soient assurées les démarches des demandeurs
d'asile, tels que les requérants. Il y avait donc une détention
arbitraire.
Dans l'arrêt Baranowski contre Pologne du 28
mars 2000139 la Cour confirme que lorsqu'il s'agit d'une privation
de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au
principe général de la sécurité juridique. Il est
essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du
droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même
soit prévisible dans son application, de façon à remplir
le critère de << légalité » fixé par la
Convention. Toute loi doit donc être suffisamment précise pour
permettre au citoyen de prévoir, à un degré raisonnable
dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à
dériver d'un acte déterminé.
L'importance de la qualité de la base légale
exigée a encore été soulignée à l'occasion
de l'arrêt Riad et Idiab contre Belgique de 2008 140.
Dans cette affaire, deux libanais, demandeurs d'asile politique au Royaume-Uni
furent placés au << Centre 127 ». Ils formèrent une
demande d'asile qui fut rejetée. Les requérants
dénonçaient les conditions de leur détention dans la zone
de transit de l'aéroport de Bruxelles-National, à la suite de
leur entrée irrégulière sur le territoire belge. Le fait
de << détenir » un individu dans cette zone durant une
période indéterminée et imprévisible, sans que
cette détention se fonde sur une disposition légale
concrète ou sur une décision judiciaire valable et avec des
possibilités de contrôle judiciaire limitées vu les
difficultés de contact permettant un accompagnement juridique concret, a
été jugé contraire au principe de sécurité
juridique.
Les juges vérifient ainsi si une base légale
à la détention existe en droit interne et si celle-ci est de
qualité afin de déterminer si l'enfermement est régulier.
Mais en plus d'être régulier, l'enfermement doit aussi être
proportionné.
139 Cour EDH, 28 mars 2000, Baranowski c. Pologne, Req.
n° 28358/95.
140 Cour EDH, 24 janvier 2008, Riad et Idiab c.
Belgique, Req. n° 29787/03 et 29810/03.
|