B/ La reconnaissance parcimonieuse des droits sociaux
aux demandeurs d'asile
La Cour européenne s'en tient au strict minimum
concernant les droits sociaux des demandeurs d'asile. Elle leur accorde ces
droits avec parcimonie en s'occupant spécifiquement de l'accueil (1) et
de l'accès aux soins (2) des requérants.
1) L'accueil des demandeurs d'asile
C'est avec l'arrêt MSS contre Belgique et
Grèce que la Cour a entamé une jurisprudence nouvelle
concernant les droits sociaux des demandeurs d'asile, en soulignant
l'exceptionnelle gravité des conditions d'accueil
réservées à ceux-ci en Grèce. Cela ne l'a pas
empêché de rappeler sa jurisprudence classique à savoir les
arrêts Chapman185 et Muslim186.
Selon ces arrêts, << l'article 3 ne saurait être
interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes
à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur
juridiction [et] il ne saurait non plus être tiré de l'article 3
un devoir général de fournir aux réfugiés une
assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain
niveau de vie 187 >>.
Cependant, la particularité ici, était encore
une fois l'enchevêtrement de fondements protégeant les droits
sociaux puisque des obligations découlaient du droit national, lequel
appliquait le droit de l'Union européenne. La Cour a ainsi relevé
que << l'obligation de fournir un logement et des conditions
matérielles décentes aux demandeurs d'asile démunis fait
à ce jour partie du droit positif et pèse sur les
autorités grecques en vertu des termes mêmes de la
législation nationale qui transpose le droit communautaire, à
savoir la directive 2003/9 du 27 janvier 2003 relative à des normes
minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres. 188
>> Le reproche qui était fait aux autorités grecques
était précisément l'impossibilité pour le
requérant de par leur action ou leurs omissions
délibérées, de jouir en pratique des droits afin de
pourvoir à ses besoins essentiels.
185 Cour EDH, G.C. 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume
Uni, Req. n° 27238/95, § 99.
186 Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie, no
53566/99, § 85.
187 Cour EDH, 21 Janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et
Grèce, Req. no 30696/09, §249.
188 Ibid. §250
Or, c'est précisément l'impossibilité de
jouir des droits contenus dans cette directive communautaire dite <<
directive Accueil » qui faisait la différence 189 avec
d'autres cas notamment l'affaire Müslim190.
L'autre originalité de la situation tenait à la
qualité de demandeur d'asile, appartenant à un << groupe de
la population particulièrement défavorisé et
vulnérable191 », car la protection qui lui revient est
alors << spéciale192 ». Pour se justifier la Cour
européenne n'hésite pas à se référer
à la Convention de Genève et à la directive <<
Accueil » de l'Union européenne. Cependant, cela soulève une
évidence. La Cour européenne n'est pas précurseur en ce
domaine. Le consensus193 dont elle fait état s'est construit
à ses dépens alors même qu'elle fait figure de grande
protectrice des droits humains en Europe. Cette référence
à d'autres instruments internationaux n'est donc pas seulement la preuve
de l'extension de son champ d'action, mais également l'aveu d'une lacune
en ce qui concerne le droit d'asile.
Enfin, les juges ont fait appel à des tiers
(Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, H.C.R.,
organisations non gouvernementales) afin d'avoir une expertise complète
sur les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Grèce. L'affaire
dépassait donc le cadre des seules allégations du
requérant. Il était ainsi démontré que << la
situation décrite par le requérant est un phénomène
à grande échelle et correspond à la réalité
pour un grand nombre de demandeurs d'asile présentant le même
profil que le requérant. 194»
Les juges restent ainsi réservés et les Etats
libérés de toute contrainte mais dans la limite de l'acceptable.
Toutefois il ne faut pas sous estimer cette jurisprudence, car c'est l'article
3 de la CEDH que la Cour a choisi. Et l'on sait que cet article est au centre
du système conventionnel de par son intangibilité, ce qui donne
de l'importance à la protection esquissée.
La proportionnalité est donc de mise pour ces garanties
en construction. En revanche, concernant les soins des demandeurs d'asile la
proportionnalité est tellement stricte qu'il parait presque impossible
pour les requérants de s'en prévaloir.
189 Ibid.
190 Cour EDH, 26 avril 2005, Müslim c. Turquie,
Req. n° 53566/99.
191 Arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce
précité, §251.
192 Ibid.
193 Ibid.
194 Ibid §255
2) Les soins des demandeurs d'asile
Le droit aux soins fait partie intégrante des droits
sociaux. Ils semblent même permis de penser qu'il s'agit d'un
élément fondamental de ce domaine tant l'accès aux soins
peut être vital. Or, c'est précisément ceci qui fait
l'objet d'une restriction explicite par la Cour européenne en ce qui
concerne les demandeurs d'asile.
C'est dans l'arrêt N. c. Royaume Uni de 2008
que la Cour traite du droit d'être soigné. Or il s'agit d'un
renversement d'une jurisprudence de 1997 qui avait établi un lien entre
absence d'accès aux traitements médicaux et exposition à
un traitement inhumain et dégradant195. C'est donc
également à l'inverse du raisonnement qui avait permis, dans
l'arrêt M.S.S., de reconnaitre que des conditions d'accueil
globalement déplorables violent l'article 3 de la Convention que la Cour
a refusé en 2008 de reconnaitre cette violation alors que la
requérante ougandaise souffrait du sida. Elle a décidé que
<< les non nationaux qui sont sous le coup d'un arrêté
d'expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le
territoire d'un Etat contractant afin de continuer à
bénéficier de l'assistance et des services médicaux,
sociaux ou autres fournis par l'Etat qui l'expulsent196 ».
En 2008, la Cour n'a finalement pas totalement renversé
la jurisprudence antérieure, mais a plutôt renforcé les
conditions pour qu'il y ait violation. Selon elle, << l'article 3 ne fait
pas obligation à l'Etat contractant de pallier [les] disparités
en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à
tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son
territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde pour les
Etats contractants197 ». La marge nationale
d'appréciation est ici clairement inscrite. L'article 3 de la CEDH ne
pourrait ainsi jouer que << dans des cas très
exceptionnels198 ». Le caractère << très
exceptionnel » ne doit pas manquer d'étonner au regard de la
gravité de l'état de la requérante en l'espèce.
Pour la Cour, << le fait qu'en cas d'expulsion de l'Etat
contractant le requérant connaitrait une dégradation importante
de sa situation, et notamment une réduction significative de son
espérance de vie, n'est pas en soi suffisant pour emporter violation de
l'article 3199 ». De même ce n'est que dans des cas
très exceptionnels que << la décision d'expulser un
étranger atteint d'une maladie physique ou mentale grave vers un pays
où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à
ceux disponibles dans l'Etat contractant est susceptible de soulever
195 Cour EDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume Uni, Req.
n° 30240/96.
196 Cour EDH, G.C., 27 mai 2008, N. c. Royaume Uni, Req.
n° 26565/05, § 42.
197 Ibid.
198 Ibid § 40.
199 Ibid.
une question sous l'angle de l'article 3200 ».
Quelles sont alors ces circonstances « très exceptionnelles »
? Les juges répondent qu'il s'agit des cas où « les
considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont
impérieuses201 ».
Dans l'affaire D. contre Royaume Uni de 1997 les
juges avaient pris en compte la circonstance que le requérant n'avait
dans son pays d'origine aucun parent désireux ou en mesure de s'occuper
de lui ou de lui fournir ne fût-ce qu'un toit ou un minimum de nourriture
ou de soutien social202. La reconnaissance du droit d'être
soigné dans le pays d'accueil est ainsi très aléatoire,
nul ne peut ici prétendre connaitre la réponse que les juges
pourraient donner à un nouveau cas d'espèce en la
matière.
La seule opinion engagée pour la reconnaissance de ce
droit envers les étrangers et en particulier les demandeurs d'asile a
été donnée à l'occasion de l'affaire B.B. c.
Royaume Uni de 1998203. C'est dans une opinion
séparée jointe au rapport de la Commission que le juge Cabral
Barreto a fait savoir qu'il était anormal qu'un étranger sans
titre de séjour ne soit pas assujetti au régime de
sécurité sociale. L'affaire en question concernait un demandeur
d'asile atteint d'une maladie grave qui l'obligeait à se déplacer
régulièrement à l'hôpital. Le juge
considérait alors qu' « un étranger gravement malade, qui
réside dans un pays dans une sorte de clandestinité sans pouvoir
bénéficier pleinement du régime de la protection sociale,
se trouve dans une situation qui n'est pas conforme aux exigences de l'article
3 de la Convention ».
On ne peut pas dire que la protection des droits sociaux des
demandeurs d'asile est inexistante, cependant la Convention est encore muette
à ce sujet et la Cour ne semble pas prête à montrer un
engagement franc en ce sens. Le constat qui s'impose est bien celui d'une
protection imparfaite mais pas impossible de ces droits sociaux en faveur des
demandeurs d'asile.
200 Ibid
201 Ibid
202 Arrêt D. c. Royaume Uni précité,
§52.
203 Cour EDH, 7 septembre 1998, B.B. c. Royaume Uni.,
Req. n° 30930/96.
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