2- Le « Droit au Retour » dans le Droit
International Humanitaire.
Le « droit de retour » est également
enraciné dans le droit international humanitaire ; ce dernier
étant l'organisme du droit réglementant ce que les Etats sont
autorisés à faire pendant la guerre. Les règlements de La
Haye annexés à la Convention de 1907 de La Haye (IV) concernant
les lois et coutumes de la guerre sur terre 81 (qui sont
universellement reconnus, y compris par Israël, d'avoir obtenu le statut
coutumier en 1939) 82 et la 4eme Convention de
Genève83 (à laquelle Israël est signataire),
prévoient tous les deux le droit de retour des personnes
déplacées dans leurs foyers après la cessation des
hostilités. Ainsi, le droit de retour existe comme une norme
contraignante du droit humanitaire, et Israël est dans l'obligation de
s'assurer de sa mise en oeuvre.
Le droit international humanitaire a défini de
manière certaine l'interdiction du transfert des populations (2.1), la
protection des personnes déplacées (2.2), le droit au retour
(2.3) et le respect des biens appartenant aux réfugiés (2.4).
2.1 - Interdiction du transfert des populations.
L'interdiction de l'expulsion forcée a son fondement
dans l'article 46 (1) du Règlement de La Haye84. Pierre
Mounier -un procureur adjoint pour les Alliés dans la poursuite
pénale des dirigeants nazis devant le Tribunal Militaire International
(TMI) de Nuremberg-, a déclaré dans ses arguments d'ouverture le
20 Novembre 1945 que la déportation a violé l'article 46 du
Règlement de La Haye, ainsi que le droit international coutumier en
général85. Pour cette raison, la Charte du Tribunal
militaire international (TMI)86 a inclus l'exportation dans la
définition des crimes de guerre87 et des crimes contre
l'humanité88. L'interdiction du retour des personnes
81 Voir, Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la
guerre sur terre et son Annexe: Règlement concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre. La Haye, (18 Octobre 1907).
82 La Haute Cour israélienne a statué
régulièrement, à commencer par la fameuse affaire Eichmann
1962, que le Règlement de La Haye constitue un droit international
coutumier et lie Israël. Voir, Attorney-General of the Government of
Israel v. Adolf Eichmann, 36 International Law Reports p. 293, (29 May 1962).
Cette décision a été depuis confirmée de
façon constant; voir, Hilu v. The Government of Israel, HC 302/72, HC
306/72, 27 Piskei Din [2] 169; Ayyoub v. Minister of Defence, HC 606/78,
610/78, 33 Piskei Din [2] 113; A Teacher's Housing Cooperative Society v. The
Military Commander of the Judea and Samaria Region, HC 393/82, 37 Piskei Din
[4] 785, 793.
83Voir, La Convention de Genève relative
à la protection des personnes civiles en temps de guerre, actuellement
en vigueur, fut signée le12 août 1949. Elle est aussi
appelée la « quatrième Convention de Genève
».
84 Convention de la Haye (IV) Article 46 :L'honneur et les
droits de la famille, la vie des individus et la propriété
privée, ainsi que les convictions religieuses et l'exercice des cultes,
doivent être respectés. La propriété privée
ne peut pas être confisquée ».
85Trial of the major war criminals before the
International Military Tribunal, Nuremberg 1945-46, at 49 (42 vols. 1947-49),
statement of Pierre Mounier, assistant prosecutor for the French Republic, in
opening remarks on 20 November 1945: «These deportations were contrary to
the international conventions, in particular to Article 46 of the Hague
Regulations, 1907, the laws and customs of war, the general principles of
criminal law as derived from the criminal laws of all civilized nations, the
internal penal laws of the countries in which such crimes were committed, and
to Article 6(b) of the Charter of the International Military Tribunal at
Nuremberg».
86 Charter of the International Military Tribunal, Annexed to
the London Agreement for the Prosecution and Punishment of the Major War
Criminals of the European Axis, 1945, reproduced in D. Schindler & J. Toman
(eds.), the laws of armed, 3d edition, (1988).
87 Dans l'article 6 (b) de la Charte de la TMI.
88 Dans l'article 6 (c) Ibid.
expulsées de force a été de même
condamnée pour son caractère illégal89. Par
conséquent, les Règlements de La Haye ont été
définitivement interprétés par les procureurs du TMI pour
inclure le «droit au retour» en cas d'expulsion par la force dans le
droit humanitaire coutumier. L'interdiction, pour un Etat, de déporter
ou de transférer une partie de sa population civile dans un territoire
qu'il occupe apparaît dans trois articles de la 4eme Convention de
Genève.
L'article 4590 limite strictement les circonstances
dans lesquelles des personnes protégées pourront être
transférées provisoirement (par exemple, seulement pour les soins
d'un autre Etat signataire de la quatrième Convention de Genève)
et exige catégoriquement le rapatriement des personnes
protégées à leur résidence après la
cessation des hostilités.
L'article 49, alinéa 6 de la 4eme Convention de
Genève91, définit cette pratique comme étant
une violation grave du droit international humanitaire et par le Protocole
additionnel I92 et le Statut de la Cour Pénale
Internationale,93 sanctionne comme crime de guerre « le
transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d'une partie de sa
population civile, dans le territoire qu'elle occupe ». L'ONU, de
manière régulière, a rappelé au respect de ces
regles.
L'article 147 de la Quatrième Convention de
Genève définit les infractions graves à la Convention
comme des violations soumises à des sanctions pénales par tous
les autres Etats qui ont signé cette Convention. En effet, les
déportations et les transferts forcés de populations sont
classés comme des infractions graves94. Également, en
vertu de la théorie développée par les procureurs au TMI
de Nuremberg, bloquer délibérément le droit de retour des
personnes expulsées de force s'inscrit dans le cadre d'une violation
grave de la Quatrième Convention de Genève.
Les tentatives de modifier la composition démographique
d'un territoire occupé ont notamment été condamnées
par le Conseil de sécurité de l'ONU à propos de
l'ex-Yougoslavie ; notamment, par la résolution 752 du 15 mai 1992.
D'ailleurs, le Conseil de sécurité a appelé toutes les
parties à renoncer aux expulsions forcées du lieu où
vivent les personnes et a condamné toute action visant à changer
la composition ethnique de la population. Pour le rapporteur spécial
des
89 Trial of the major war criminals before the International
Military Tribunal, Nuremberg, 1945-46, at 596 (42 vols. 1947-49) (Captain S.
Harris, assistant prosecutor for the United States, introduced evidence on 14
December 1945 on the illegality of preventing the return of forcibly expelled
persons: «The first expulsion action was carried out in Alsace in the
period from July to December 1940; in the course of it, 105,000 persons were
either expelled or prevented from returning»).
90 Article 45 : « Les personnes protégées
ne pourront être transférées à une Puissance non
partie à la Convention. Cette disposition ne saurait faire obstacle au
rapatriement des personnes protégées ou à leur retour au
pays de leur domicile après la fin des hostilités ».
91Article 49 al. 6 : « La Puissance occupante
ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d'une
partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle
».
92 Protocole additionnel a la 4eme Convention de Genève,
(Protocole I), 8 juin 1977.
Art. 85 Part.4 : « Outre les infractions graves
définies aux paragraphes précédents et dans les
Conventions, les actes suivants sont considérés comme des
infractions graves au Protocole lorsqu'ils sont commis intentionnellement et en
violation des Conventions ou du présent Protocole :
a) le transfert par la Puissance occupante d'une partie de sa
population civile dans le territoire qu'elle occupe, ou la déportation
ou le transfert à l'intérieur ou hors du territoire occupé
de la totalité ou d'une partie de la population de ce territoire, en
violation de l'article 49 de la IVe Convention ;
b) tout retard injustifié dans le rapatriement des
prisonniers de guerre ou des civils »
93 Voir, Statut de Rome de la cour pénale internationale,
Art. 8, par. 2.
94 4eme convention de Genève, art. 147:« Les
infractions graves (...) sont celles qui comportent l'un ou l'autre des actes
suivants, s'ils sont commis contre des personnes ou des biens
protégés par la Convention : (...) la déportation ou le
transfert illégaux »
Nations Unies sur les transferts de populations, «
l'implantation de colons » est un acte illicite qui met en jeu la
responsabilité de l'État et la responsabilité
pénale des individus95.
La 24eme Conférence Internationale de la Croix-Rouge a
affirmé que « les colonies de peuplement installées dans les
territoires occupés sont incompatibles avec les articles 27 et 49 de la
4eme Convention de Genève »96.
En 1946, le Tribunal Militaire International de Nuremberg a
conclu à la culpabilité de deux des accusés pour tentative
de « germanisation » des territoires occupés97.
2.2 -- Protection des personnes déplacées.
Selon l'article 49 alinéa 3 de la 4eme Convention de
Genève, une autorité occupante qui opère une
évacuation pour garantir la sécurité de la population
civile ou pour de pressantes raisons militaires « devra faire en sorte,
dans toute la mesure du possible, que les personnes protégées
soient accueillies dans des installations convenables, que les
déplacements soient effectués dans des conditions satisfaisantes
de salubrité, d'hygiène, de sécurité et
d'alimentation et que les membres d'une même famille ne soient pas
séparés les uns des autres ».
Aux termes du Protocole additionnel II98, si des
déplacements de la population civile sont ordonnés pour assurer
la sécurité des personnes civiles ou pour des raisons militaires
impératives, « toutes les mesures possibles seront prises pour que
la population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes (...)
». Sur un autre plan, le Protocole additionnel II99 exige que
« toutes les mesures appropriées soient prises pour faciliter le
regroupement des familles momentanément
séparées»100 et le Conseil de
sécurité a appelé au respect de cette règle dans
tous les conflits armés101.
La Convention relative aux droits de l'enfant102
ajoute que « les États parties veillent à ce que l'enfant ne
soit pas séparé de ses parents contre leur gré
»103.
95 Sous-commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités (de la Commission des
Nations Unies pour les droits de l'homme), Rapporteur spécial sur les
transferts de population, y compris l'implantation de colons et de colonies,
considérés sous l'angle des droits de l'homme, rapport final, UN
Doc. E/CN.4/Sub.2/1997/23, (27 Juin 1997), par.16, 64-65.
96 Voir, 4eme Conférence internationale de la Croix-Rouge,
Manille 7-14 Novembre 1981, Res. III, par. 5.
97 Voir, TIM de Nuremberg, jugement du 1 Octobre 1946, p. 238,
261, 295 et 335.
98 Voir, Art. 17, par. 1
99 Art. 4, par. 3, all. b.
100 La règle qui exige que des mesures soient prises pour
protéger la population civile en cas de déplacement se retrouve
dans des accords conclus entre les parties aux conflits armés en
Bosnie-Herzégovine, au Mozambique et au Soudan.
101 Conseil de sécurité, Résolution 361, 30
aout 1974, par. 4 ; Résolution 752, 15 Mai 1992, par. 7;
Résolution 1040, 29 Janvier 1996, préambule.
102 Voir, Art. 9, par. 1
103 Voir à ce sujet, G. Devers, « Les
réfugiés palestiniens et le droit au retour », Centre de
recherche sur la mondialisation, (8 septembre 2010).
2.3 -- Droit au retour.
L'article 49 de la 4eme Convention de Genève, stipule
dans son alinéa 2, que « la population ainsi évacuée
sera ramenée dans ses foyers aussitôt que les hostilités
dans ce secteur auront pris fin ». Le Conseil de Sécurité de
l'ONU, l'AGNU et le Conseil des Droits de l'Homme ont rappelé à
diverses reprises le droit des réfugiés et des personnes
déplacées de retourner à leur foyer librement et dans la
sécurité.
Les refugiés devraient être capables de retourner
dans la sécurité et sans discrimination. L'ensemble des principes
du droit international humanitaire qui protègent les personnes civiles
doivent s'appliquer aux réfugiés qui vont retourner dans leurs
foyers d'origine104.
2.4 -- Le respect des biens appartenant aux
réfugiés.
Le droit de propriété des refugiés doit
être respecté. La propriété et les biens soustraits
aux refugiés en 1948 doivent être préservés de la
destruction, pareil aux confiscations, acquisitions ou utilisations injustes et
illégales.
En plus des lois et procédures spécifiques
réservées aux refugiés, la législation de
l'intégralité des pays du monde garantit une forme de protection
contre la saisie arbitraire ou illégale des biens, qui est
assurément un principe général de droit.
« La question des droits de propriété des
personnes déplacées a suscité une attention toute
particulière dans les conflits récents, avant tout dans le
contexte des conflits dans l'exYougoslavie, mais aussi en Afghanistan, à
Chypre, en Colombie, en Géorgie et au Mozambique105. Dans le
contexte des conflits de l'ex-Yougoslavie, des traités et d'autres
instruments ont affirmé que les déclarations et les engagements
relatifs aux droits de propriété faits sous la contrainte sont
nuls et non avenus106.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a notamment
adopté en 1995 une résolution dans laquelle il demandait à
la Croatie «d'abroger toute disposition fixant un délai avant
l'expiration duquel les réfugiés devraient rentrer en Croatie
afin de récupérer leurs biens''107.
On retrouve des dispositions de ce type dans l'accord
général de Paix signé pour le Mozambique en 1992, avec
l'article IV (e) 108 : « Les personnes réfugiées ou
déplacées sont garanties d'obtenir la restitution de leurs biens
encore existants ou du droit d'agir en justice pour obtenir la restitution de
leur propriété'' » 109.
104 Comité exécutif du HCR, conclusion n° 18
(XXXI) : rapatriement librement consenti, (16 Octobre 1980), partie f.
105 Accord quadripartite sur le rapatriement librement
consenti des réfugiés et des personnes déplacées de
Géorgie (1994), partie 3, all. 1 g) ; Accord sur les
réfugiés et les personnes déplacées, annexe 7 de
l'accord cadre général pour la paix en BosnieHerzégovine,
(1995), art. premier, partie 1 ; Agreement on the Normalisation of Relations
between Croatia and the FRY, art. 7.
106 Voir, p. ex., Accord sur les réfugiés et les
personnes déplacées, annexe 7 de l'accord cadre
général pour la paix en BosnieHerzégovine (1995), art.
XII, partie 3 ; Recommandations sur la situation des civils en Bosnie et en
Herzégovine, (1992), partie 4(c) ; Déclaration commune des
Présidents de la République fédérative de
Yougoslavie et de la République de Croatie, septembre (1992), partie
6.
107 Conseil de sécurité, Résolution 1019, (9
Novembre 1995), Par.7.
108 Accord général de paix pour le Mozambique,
(1992), Protocole III, Section IV, par. e.
109 G. Devers, « Les réfugiés palestiniens et
le droit au retour », Centre de recherche sur la mondialisation, (8
septembre 2010).
|