Les Principales Tendances dans l'Élaboration de
Solutions Durables pour les Réfugiés dans le Monde.
§1- Le Retour des Réfugiés : La Solution
Durable Préférée.
En dépit de sa classification par le HCR comme
étant l'une des trois « solutions durables ", le retour des
réfugiés n'a pas toujours été une priorité
au niveau international. En effet, entre l'achèvement de la Seconde
Guerre Mondiale et la fin des années 1980, les principaux partisans du
régime international des réfugiés ont rarement
considéré comme important le retour des
réfugiés168. Le rapatriement169
était incompatible avec les objectifs de la politique
étrangère et les réfugiés ont souvent
été des pions dans les guerres par procuration des
superpuissances, comme le cas des réfugiés afghans
utilisés par les États-Unis contre l'ex-Union
Soviétique.
L'accent mis sur le droit de quitter son pays plutôt que
sur le droit d'y retourner était dü en partie à la nature de
la guerre froide : lorsque les réfugiés, la plupart d'entre eux
provenant de pays communistes, étaient pratiquement incapables de
revenir à leur pays.
168 B.S. Chimni, «From Resettlement to Involuntary
Repatriation: Towards a Critical History of Durable Solutions to Refugee
Problems, New Issues in Refugee Research», Working Paper No. 2, UNHCR,
Geneva, (1999).
169 Dans cette étude, quant on parle de «
rapatriement " et de « retour » c'est pour les considérer
comme étant un seul corpus de solutions durables.
Il est nécessaire de préciser que le «
rapatriement " est considéré comme le retour dans son pays, alors
que « le retour" est généralement conçu comme le
retour dans son foyer.
Les pays d'accueil ont souvent considéré la
présence de ces réfugiés comme un signe de l'échec
des Etats communistes, un signe qu'ils étaient heureux d'encourager et
de soutenir. Dans ce contexte, les intérêts idéologiques de
l'Occident étaient que l'intégration locale dans les pays
d'accueil en Europe, ou la réinstallation dans l'Amérique du
Nord, sont généralement des options plus attrayantes ; les
pénuries de la main d'oeuvre a aussi influencé les attitudes des
pays d'accueil170, avec comme résultat, la tendance des
politiques publiques à se concentrer sur l'intégration ou
l'assimilation plutôt que sur la promotion du retour.
Jusqu'en 1989, la réinstallation était
communément prise pour la seule solution durable acceptable. Dans la
pratique, la promesse virtuelle de la réinstallation encourage de
nouveaux exodes.
Quand la guerre froide a pris fin, la situation a radicalement
changé avec les changements géopolitiques des années 1990,
le rapatriement des réfugiés fut considéré comme
à la fois nécessaire et compatible avec d'autres efforts
internationaux visant à promouvoir la paix postconflictuelle, la
réconciliation et le développement. En outre, pour de grands
groupes de réfugiés qui avaient passé une décennie
ou plus dans des camps et avaient peu d'espoir d'obtenir des droits de la
citoyenneté ailleurs, le rapatriement vers le pays d'origine est devenu
la seule solution viable. Le Haut Commissaire Sadako Ogata171 a
réitéré le message à plusieurs reprises, comme par
exemple à l'Université de Notre Dame, le 14 Septembre 1991:
« Pour le HCR le rapatriement volontaire des
réfugiés n'est pas seulement la solution la plus réaliste,
mais aussi la plus souhaitable. Dans un monde où la plupart des
réfugiés sont confinés dans des camps de fortune
surpeuplés, dans des conditions aussi lamentables (ci ce n'est plus) que
la situation qu'ils ont fuie, le droit de revenir dans son pays est aussi
important que le droit de chercher asile à l'étranger ».
La fin de la guerre froide a également
créé un « dividende de la paix », qui a ouvert de
nouvelles possibilités pour le retour. De 1989 à 1992, l'ONU a
lancé des opérations de maintien de la paix beaucoup plus que
dans ses précédents 43 ans172.
Le HCR, ainsi que la communauté internationale ont
considéré les années 1990, comme la décennie du
rapatriement volontaire. Des opérations complexes de grandes envergure
ont eu lieu partout dans le monde dans des pays comme le Cambodge, le
Mozambique, le Rwanda, la Bosnie-Herzégovine, le Guatemala et autres.
Dans les quelques années entre le retour des
réfugiés en Namibie en 1989 et le retour en Mozambique en
1993-94, le rôle du HCR dans les opérations de rapatriement a
profondément changé. Au cours des décennies
précédentes, l'engagement du HCR dans les opérations de
retour a été généralement de courte durée et
à petite échelle et l'organisation se concentrait
170 Ibid.
171 Sadako Ogata a servi comme Haut Commissaire du HCR de 1991
à 2000.
172 R. Black- S. Gent, «Working Paper, Defining, Measuring
and Influencing Sustainable Return: The Case of the Balkans», Sussex
Centre for Migration Research, (December 2004), p.5.
principalement à assurer le retour sain et sauf des
réfugiés. Les opérations de rapatriement en
Amérique centrale, au Cambodge et au Mozambique ont impliqué une
approche nouvelle et plus large. Dans chaque cas, le HCR a joué un
rôle majeur dans les opérations de consolidation de la paix des
Nations Unies. Le rapatriement humanitaire et la consolidation de la paix se
sont intégrés dans un large cadre stratégique et politique
visant à assurer la réconciliation, la réinsertion et la
reconstruction173. Cela a conduit le Haut Commissaire pour les
réfugiés, Sadako Ogata, de prévoir que, dès 1992 il
aurait une « décennie de rapatriement ».
Le retour n'était pas seulement considéré
comme une solution pour les réfugiés individuels, mais comme un
pilier central de processus de paix tel qu'ils ont évolué pendant
cette période. La majorité de ces mouvements de retour ont
été effectués en Afrique.
Pendant la majeure partie des années 1980, le HCR n'a
consacré que 2 pour cent de son budget aux activités de
rapatriement. Entre 1990 et 1997174, cependant, le HCR a
canalisé environ 14 pour cent de son budget aux activités
liées aux retours.
Les dépenses pour les activités de
réintégration ont presque doublé entre 1994 et 1996. En
général, pour la communauté internationale, les avantages
tirés des programmes de retour de haut niveau sont que ces derniers
permettent de valider les régimes post-conflictuels, qui de plus en plus
ont été portés au pouvoir par une coalition internationale
ou des acteurs internationaux. Ainsi, le retour vise à inspirer
confiance au public et aux donateurs dans le programme de reconstruction et de
consolidation de la paix175. En revanche, la persistance d'un nombre
important de réfugiés représente un obstacle à la
légitimité des Etats post-conflictuels176.
L'hypothèse que le « droit au retour » des
réfugiés soit un principe établi et universellement
reconnu du droit international, et qu'il soit lié aux foyers et aux
biens177, a servi de base pour une grande partie du discours des
Etats-Unis, de l'OTAN, et de l'ONU pendant le conflit du Kosovo en 1999. En
effet, ce conflit semble avoir été une réaffirmation
massive du « droit au retour » comme principe général
du droit international, et même un casus belli178
valable pour l'``intervention humanitaire» dans les affaires
intérieures d'Etats souverains, tout en étant lié
particulièrement a des droits de propriété.
173 UNHCR, «The state of the world's refugees: Fifty years
of humanitarian action», Oxford: Oxford University Press,
(2000).
174 J. Crisp, «Mind the gap: Humanitarian assistance, the
development process and UNHCR», International Migration Review,
Vol. 35, (2001), p.8.
«While the available statistics are not totally reliable,
it would appear that the proportion of UNHCR funding spent on
repatriation-related activities increased from an average of just two per cent
of the organization's total budget prior to 1984 to some 14 per cent in the
period 1990-1997. In 1996, UNHCR allocated some $214 million to reintegration
programs, almost twice as much as its expenditure in 1994».
175 UNHCR, «The State of the World's Refugees», Geneva:
UNHCR, (1997), p.162.
176 R. Black - K. Koser, «The End of the Refugee Cycle?
Refugee Repatriation and Reconstruction», Oxford: Berghahn, (1999),
p.5.
177 Non seulement à un pays ou territoire.
178 Casus belli est une locution latine signifiant
littéralement « Cas de guerre ». Des évènements
violents, fortuits ou provoqués ont souvent été
utilisés par les nations, pour justifier, par la voie d'une propagande,
leur initiative d'un conflit armé ouvert, présentée comme
une riposte globale nécessaire, et ce, à l'encontre d'un pays
tiers ou d'un adversaire politique intérieur, rendu responsable et
coupable de casus belli.
Au cours de la crise du Kosovo, le 6 avril 1999, l'ancien
président américain Bill Clinton a déclaré «
Nous ne pouvons pas dire : nous allons prendre tous ces gens et oublier leurs
droits à rentrer à leurs foyers. Les réfugiés
appartiennent à leur propre domicile situé sur leur propre terre.
Notre objectif immédiat est de fournir des secours. Notre objectif
à long terme est de leur donner leur droit au retour ».
Des sentiments similaires ont été
exprimés par le Premier ministre britannique Tony Blair le 19 mai 1999,
qui a dit:« Ces gens ont été chassés de leurs foyers
et leur patrie. Notre mission est très simple et très claire :
celle de nous assurer qu'ils retournent chez eux et qu'ils soient capables de
vivre dans la paix et la sécurité comme devrait être le
droit de tout être humain civilisé ».
Le porte-parole de l'OTAN, Jamie Shea, a déclaré
aux journalistes lors d'une réunion le 24 avril 1999, « ce qui est
absolument clair sont nos conditions préalables, essentielles, que nous
n'allons pas négocier, et qui sont le droit au retour des
réfugiés, l'accès aux organisations humanitaires, le
retrait des forces serbes, le déploiement d'une force internationale
très robuste, et un processus politique ». Le 5 avril 1999, Shea a
déclaré à la presse : « La chose la plus importante
est qu'à la fin de la journée ces gens devront être en
mesure d'exercer leur droit au retour ».
Les fonctionnaires humanitaires des Nations Unies ont convenu
avec les dirigeants politiques et militaires que le « droit au retour
» est un aspect fondamental du droit international des droits de l'homme
comme en témoigne la crise au Kosovo. Le 19 avril 1999, Dennis McNamara
(directeur de la protection au HCR) a dit du conflit du Kosovo, « Les
droits de l'homme ont été au coeur de l'exode, le droit d'asile a
été crucial pour sauver des milliers de vies, et le droit au
retour devrait être honoré pour toute solution durable qui serait
atteinte ».
Ainsi, une fameuse transformation de perspectives s'est
accomplie, puisque on est passé d'une riposte essentiellement
humanitaire au problème du retour volontaire, à une approche qui
met l'accent sur les droits qui sont en jeu pendant et après le retour.
Cette démarche est de plus en plus associée au principe de la
justice réparatrice, elle perçoit la restitution comme un moyen
de recours qui favorise le choix d'une solution durable par les
réfugiés.
Ce changement a profondément modifié la
dynamique du retour et du rapatriement librement consenti, ainsi que la
façon dont la communauté internationale et les acteurs locaux
s'impliquent dans ces processus. « Ce ne sont pas uniquement des
changements de nature politique ou humanitaire, et c'est là un point
important : cette évolution s'est progressivement traduite dans les lois
et les autres instruments nationaux, régionaux et internationaux qui
reconnaissent la restitution des logements et des biens comme un droit
fondamental, autonome, interdépendant avec un ensemble d'autres droits
qui y sont reliés (...) A propos de la restitution, les principes
fondamentaux disposent que «La restitution devrait, dans la mesure du
possible, rétablir la victime dans la situation originale qui existait
avant que les violations flagrantes du droit international des droits de
l'homme, ou les violations graves du droit international humanitaire ne se
fussent produites. La restitution comprend, selon qu'il convient, la
restauration de la
liberté, la jouissance des droits de l'homme, de
l'identité, de la vie de famille et de la citoyenneté, le retour
sur le lieu de résidence et la restitution de l'emploi et des
biens» »179.
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