CONCLUSION
Au bout de cette étude, les novices auront, je
l'espère, compris que la Zinneke Parade dépasse de loin la simple
journée de défilé dans le centre de Bruxelles.
Fruit du mariage de trois idées socio-artistiques
originales, elle est extraordinaire de par son expansion et ses ambitions
sociétales. Profondément bruxelloise, elle s'inscrit dans le
caractère multiculturel de la capitale et dans le renouveau festif que
connaît cette dernière depuis quelques années.
Si c'est une impulsion internationale qui a permis son
développement à travers Bruxelles 2000, la Zinneke Parade est
parvenue à prendre une certaine autonomie et à s'engager dans la
continuité et le long terme. Pour ce faire, une organisation solide
s'est mise en place et évolue toujours actuellement. Les associations de
terrain sont regroupées sous la coordination des cinq zinnopôles,
organismes centralisateurs des initiatives locales zinnekes. Chaque
zinnopôle est théoriquement porté par deux associations,
une néerlandophone et une francophone, qui assurent des travaux de
coordination et de production en tant que co-producteur avec l'asbl Zinneke.
Cette dernière coordonne les cinq zinnopôles et s'occupe des
relations extérieures (police, ministères, associations
étrangères, médias). Cette structure, qui se veut en
réseau car basée sur une concertation sans subordination,
cherche, non sans difficultés, un équilibre entre la pulsion
centralisatrice qui permet une meilleure cohérence et plus
d'efficacité et la pulsion centrifuge qui veut responsabiliser un
maximum les partenaires et tendre vers une structure de réseau
horizontal. Certaines personnes de terrain croient encore en l'utopie de ce
réseau totalement horizontal fonctionnant sur l'implication et la
volonté de chacun sans aucun organisme centralisateur. Chacun suivrait
spontanément des règles émises de concerts, maintiendrait
le projet en partageant les tâches administratives et les
responsabilités. Une telle structure serait une preuve d'entente sociale
assez extraordinaire et idéale. Certains participants parlent même
d'une zinneke spontanément organisée par la population se
rassemblant en groupes et engageant artistes et animateurs. Cela serait la
preuve d'une cohésion sociale qui ne semble pas encore présente.
Actuellement, cela parait impossible, et d'autant plus à une telle
échelle. La structure de la Zinneke est nécessaire et son
organisation actuelle relève de son origine et de son parcours.
Les objectifs que se fixe l'asbl Zinneke sont fondamentalement
sociaux. Ils visent le développement d'une société
remplaçant l'individualisme grandissant par une cohésion sociale
nouvelle où chacun atteindrait une autonomie lui permettant de se
réaliser dans le groupe. Un bien beau projet... mais de nombreuses
difficultés viennent entraver sa réalisation. Si beaucoup de gens
inspirent à ce monde idéal, tous ne parviennent pas à
mettre de côté des soucis plus matériels, d'orgueil et
d'ego qui minent la réalisation du projet. Les relations
interpersonnelles, bien qu'enrichissantes, donnent d'ailleurs lieu à de
nombreuses tensions qui se terminent parfois par la rupture, comme dans toute
situation de la vie en société. Ces tensions et ruptures
créent de fortes remises en questions et font évoluer
l'organisation tant par le renouvellement concret de partenaires que dans sa
façon de travailler et de concevoir la Zinneke Parade.
Les objectifs des autres niveaux de la parade se rapprochent
de ceux-ci mais dans une optique plus concrète. Il semble, en effet, que
plus on se rapproche de la base, plus ces objectifs sont à court terme.
Du point de vue des participants, et la Zinneke Parade est là avant tout
pour eux, c'est une occasion extraordinaire de faire partie d'un grand
événement collectif bruxellois dont la période de
préparation sera pour eux tant d'occasions de rencontres avec d'autres
gens et des artistes. Elle sera aussi une possibilité d'apprentissage
d'une ou plusieurs techniques et de découverte de l'étonnant
pouvoir du travail en commun. Au sein du groupe, ils sont stimulés
à dépasser leurs propres limites et prennent conscience de leurs
capacités, premier pas crucial vers l'émancipation et l'autonomie
dans un contexte de cohésion sociale. Il arrive certes qu'ils fassent
des rencontres qui les suivront pendant une longue période mais ce n'est
que rarement le but de la participation. De même, l'apprentissage d'une
technique conduit rarement à une pratique constante visant un niveau
professionnel. C'est souvent avant tout un divertissement constructif et
intéressant qui est recherché.
Pour les associations, le schéma est similaire,
même si certaines implications ont des conséquences à plus
long terme. La Zinneke Parade est un bon moteur pour la collaboration et
l'ouverture aux nouveaux horizons que cachent les autres associations. Elle est
aussi une occasion de montrer ce que l'on sait faire et de se dépasser,
boosté par la collaboration et l'ampleur de l'événement
dont il faut être à
la hauteur. Ces collaborations mènent à la
création d'un réseau plus permanent qui renforce le milieu
associatif face aux difficultés surtout financières qu'il
rencontre. Pour les organisateurs, la Zinneke Parade est aussi un moyen de
parvenir à des objectifs socioculturels à grandes échelles
telles que la revitalisation des quartiers, la mise en place d'un réseau
de collaboration permanent, la reprise de pouvoir des citoyens sur la ville
mécanisée et déshumanisée, l'interaction entre
artistes, animateurs et amateurs. Objectifs que partagent d'ailleurs souvent
les associations socioculturelles.
Les moyens mis en place sont multiples et variés : le
réseau, d'abord, alimenté par de nombreuses réunions qui
permettent une connaissance plus large des différents
développements du projet ainsi qu'une collaboration et une entraide. Un
soutien de coordination a été mis en place via l'engagement d'ACS
chargés du réseau associatif et de la production dans les
zinnopôles, et via les quinze artistes engagés par l'asbl Zinneke
pour aider les associations dans la conception et réalisation
artistique.
Les moyens financiers, absolument nécessaires dans ce
projet et provenant uniquement de subventions font partiellement défaut.
Ils ne suffisent actuellement pas à réaliser les objectifs dans
des conditions évitant l'abus d'heures bénévoles et la
fabrication avec des bouts de ficelle. En effet, malgré la tentative de
payer honnêtement les coordinateurs artistiques, nombre d'entre eux n'ont
pas reçu, proportionnellement aux nombres d'heures prestées, un
salaire par heure atteignant la limite minimum légale. Les autres
artistes travaillent souvent dans des conditions encore plus difficiles comme
d'ailleurs certains animateurs de petites associations. La baisse des
financements entraîne également une réduction de l'ampleur
des projets133 et une réalisation avec les moyens du bords,
utilisant souvent la débrouille et la récup' comme principaux
outils avec le risque que le résultat ait un aspect de bricolage plus
que de création artistique.
Ce manque de ressources est lié à la diminution
des investissements dans le secteur culturel et artistique de la part des
pouvoirs subsidiants associée aux tentatives vaines d'accord avec le
mécénat privé.
133 Il y a notamment eu beaucoup moins de chars cette
année que lors des deux autres parades.
Les difficultés que rencontre la Zinneke Parade sont
donc d'ordre financiers, structurels et interpersonnels, mais également
liés à des lacunes en communication et dans la collaboration
artistique et associative. En effet, un manque de systématisme dans la
communication crée des mauvais échanges et des pertes
d'informations. L'absence de réponses à des emails, la demande
d'informations injustement répétée plusieurs fois,
quelques manques de tact ainsi que l'aspect non officiel de certaines
réunions et le non respect des normes administratives (PV, ordre du
jour) peuvent énerver les partenaires à la longue.
De plus, tous les partenaires ne s'impliquent pas avec la
même intensité dans la préparation de la parade : certains
attendent longtemps avant de commencer le processus, d'autres attendent qu'on
les pousse et les soutienne constamment, d'autres encore ont du mal à
collaborer avec d'autres partenaires tant ils veulent garder leur
indépendance... La plus grosse difficultés est sans doute le
manque d'implication réel de certaines associations qui laissent,
parfois même avec une certaine réticence, une ou deux personnes
gérer le projet sans aucun soutien. Il faut espérer que ces
associations finissent par réaliser l'intérêt de la Zinneke
Parade suite au bon déroulement du projet mené par leur animateur
et s'impliquent alors réellement dans la collaboration suivante.
La coordination artistique n'a pas toujours atteint les
résultats escomptés. Les nombreuses qualités
nécessaires rendent difficile le choix d'artistes adéquats
d'autant plus qu'ils n'ont pas toujours envie de s'engager pendant un an sur un
même projet. Plusieurs coordinateurs se sont révélés
mal choisis ou ont mal compris le rôle qu'ils devaient assumer.
L'idée de la directrice artistique de renforcer encore cette
équipe de coordination artistique en engageant cinq artistes par
zinnopôle plutôt que trois ne sera pas facilement efficace. En
effet, si le choix de quinze artistes a déjà été
difficile qu'en sera-t-il de vingt-cinq, d'autant plus que plusieurs artistes
quittent l'organisation suite à la dernière parade. L'idée
de donner à chaque zinnopôle une enveloppe à consacrer
à l'artistique à la place des coordinateurs
désignés n'est peut-être pas une mauvaise solution,
d'autant plus qu'elle permettrait de rendre aux zinnopôles un peu plus de
responsabilité, rééquilibrant l'organisation face ainsi la
tendance centralisatrice.
Jusqu'ici, l'organisation est parvenue à surmonter ses
difficultés. L'inscription dans la continuité se fait
particulièrement sentir suite à cette troisième
édition. On ne peut
en effet que difficilement considérer cette
dernière comme uniquement dans la lancée de Bruxelles 2000, comme
a parfois été perçue la parade de 2002134.
Les difficultés rencontrées actuellement sont
importantes notamment face au déficit qui doit être comblé
d'ici fin 2004 ou aux problèmes de collaborations avec, notamment, le
Magic Land Théâtre. Mais personne ne perd confiance et les
coordinateurs de l'asbl et des zinnopôles travaillent déjà
dans l'optique de la parade 2006. De nombreux partenaires de terrain se sont
d'ailleurs déjà promis d'en faire partie.
L'engouement associatif face à la parade montre bien
son intérêt particulier malgré les difficultés
rencontrées. Un projet aussi grand a l'immense avantage de sortir de la
pénombre les nombreuses tentatives socioculturelles et de crier à
tous les volontés de renouveau et de refus du monde individualiste et
déshumanisé qu'on nous propose avec tant
d'assistance.135 Et même si ces volontés ne sont pas
expliquées clairement auprès des 200.000 spectateurs
présents, l'émotion qui les prend face à cette
collaboration de tant d'individus différents prouve que le message
passe. N'est ce pas un des principes artistiques que de faire passer de
l'émotion sans l'usage des mots ?
134 Interview de Marcel de Munnynck du 22/07/04
135 Et la Zinneke Parade fait cela sans prendre la teinte
subversive qu'ont les regroupements altermondialistes dont plusieurs
idéaux, tels que le refus du primat de l'échange marchand,
s'approchent de ceux de la parade.
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