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Etude des relations russo- estoniennes depuis Tallinn

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par Jean- Francois Vasseur
Institut d'études des relations internationales Paris - Licence 2009
  

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II. Sujet d'étude : L'intégration croissante de l'Estonie dans l'Union Européenne va t-elle transformer la nature des relations russo-estoniennes, et si oui, de quelle manière ?

A. -Complexité des relations russo-estoniennes :

1. Les causes :

« sur le plan émotionnel, le pouvoir russe n'a pas accepté l'indépendance des Baltes » (...) « il ne veut pas de voisins stables et démocratiques, mais des satellites. » Déclaration du ministre des affaires étrangères estonien, Mr Urmas Paët, le Figaro, 15 août 2007.

La nature des relations russo-estoniennes doit tout d'abord être étudiée à la lumière de phénomènes psychologiques collectifs. On repérera ici trois éléments principaux constitutifs de ce malaise. Le principal facteur de tensions et d'animosité est lié au travail de mémoire, à l'interprétation de l'histoire et à un conflit identitaire latent. Le second est une conséquence de la volonté affichée par le pouvoir russe de montrer à la face du monde que la « grande Russie » est de retour sur la scène internationale, ce qu'on pourrait qualifier de « doctrine Poutine », et qu'elle entend être considérée comme une puissance majeure. Le dernier élément facteur de crispation est factuel : les évènements matérialisant la doctrine sur la scène internationale, notamment européenne, et la peur que cela suscite, qu'il s'agisse du conflit géorgien, de la crise ukrainienne, ou des évènements du Soldat de bronze.

a. En premier lieu, le conflit autour de la présentation de faits historiques est crucial. Le principal problème est le refus de la Russie de considérer l'incorporation de l'Estonie à l'Union Soviétique en 1944 comme une annexion, ainsi que de reconnaître l'illégalité de cette annexion au regard du droit international. Au moment de sa seconde indépendance, l'Etat estonien opte pour la continuité juridique de la République estonienne (renversée de facto lors de l'annexion soviétique définitive de 1944), n'admettant pas le terme d' « incorporation » à l'URSS sur la base de la demande du peuple estonien (comme l'affirme la Russie). Durant la première période d'indépendance estonienne (1920-1940), l'Estonie a conclu deux principaux traités, qui furent signés et ratifiés, avec l'URSS. Le premier est le traité de Tartu (2 février 1920) qui consacre l'indépendance de l'Estonie et l'inviolabilité de son territoire, fixant également les frontières du nouvel Etat. En mars 1932, l'Estonie signe également un pacte de non-agression avec l'URSS. Un certain nombre de pays, dont la France, n'ont ainsi jamais reconnue juridiquement l'annexion de l'Estonie par l'armée rouge. L'Estonie, après l'exil de son gouvernement en Suède, a appelée la communauté internationale à reconnaître la continuité de l'Etat estonien.

De même, le pouvoir russe aime répéter que l'Estonie se montre « très ingrate », puisque l'armée rouge l'a « libérée » de l'occupation allemande. il y a ici une contradiction supplémentaire avec la réalité historique. Il faut savoir que le 17 Septembre 1944, l'intégralité des troupes allemandes quitta l'Estonie pour aller se battre sur le front letton où l'armée rouge était sur le point de prendre Riga, l'armée soviétique était, elle, en Finlande pour une partie, et en Lettonie pour le reste. Durant 5 jours l'Estonie avait retrouvée sa souveraineté, mais le 22 septembre, les blindés russes font demi-tour. Ils quittent la Lettonie et réoccupent l'Estonie par le sud, tandis que la division de Finlande revient du nord pour faire la jonction.

Par cette interprétation différenciée de l'histoire s'ensuivent quelques problèmes pratiques, s'ajoutant aux tensions politiques existantes, c'est par exemple le cas pour la frontière estonienne (lors de l'annexion, Staline modifia les frontières de la nouvelle république socialiste soviétique d'Estonie (crée le 21 juillet 1940), ainsi lors du recouvrement de l'indépendance, l'Estonie se retrouva amputée de 5% de son territoire.1(*)

S'ajoutent des tensions aux causes plus diffuses, mais liées à l'histoire.

Après 1940, les Soviétiques déportent plusieurs dizaines de milliers d'Estoniens tandis qu'ils font venir en Estonie un grand nombre de Russes. Le phénomène se répétera et s'amplifiera au moment de la seconde annexion en 1944. Le but évident de cette manoeuvre était de « russifier » le pays tout en éliminant les opposants au nouveau régime. De surcroît, la population russe du pays était privilégiée par le régime. Il est important de prendre en compte les actions du pouvoir soviétique visant à détruire non seulement le sentiment national estonien, mais également la culture estonienne2(*). Ainsi, lors de la chute de l'Union Soviétique et de la restauration de la souveraineté estonienne, les esprits étaient encore marqués par les nombreuses souffrances infligées au peuple par le régime soviétique.

Le problème d'identité est également palpable. Les Estoniens s'étant longtemps vu discriminés, ils mettent désormais un point d'honneur à s'affirmer comme la « nation estonienne » longtemps opprimée (les dernières troupes russes ont quitté l'Estonie en 1994), et ceci en opposition évidente à la minorité russe considérée encore aujourd'hui comme les descendants des « occupants ».

Schématiquement, on pourrait dire que le pouvoir russe maintient qu'il fut un libérateur, lorsque les Estoniens affirment que les Russes les ont annexés et ont instauré une dictature. Le problème lié aux deux versions d'une même histoire continue de peser sur les relations russo-estoniennes.

b. On constate aussi la méfiance suscitée par la politique de Moscou depuis 2004, caractérisée par un regain de nationalisme, une dérive autoritaire du pouvoir, ainsi qu'un désir de puissance teinté d'un brin de nostalgie pour le régime soviétique.

« L'effondrement de l'URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ».

Discours de V.Poutine devant la Douma le 26 avril 2005

Egalement, de nombreux discours empreints de références à la Russie impériale, n'arrangent pas les choses. En effet, il semblerait que Vladimir Poutine, qui centralise de plus en plus de pouvoir en Russie (même en temps que premier ministre), veut redonner sa dimension de puissance majeure à la Russie, par la remise au goût du jour d'une doctrine géopolitique séculaire. Cette volonté peut sembler sans implications, mais les moyens utilisés et les buts visés ne sont pas anodins. Un petit pays comme l'Estonie ayant une histoire commune avec la Russie réellement tragique ne peut être qu'effrayé par le désir de puissance de la Russie contemporaine3(*).

Les pays baltes sont passés sous domination russe en 1721, après que la Suède ait perdue la grande guerre du nord contre la Russie et signé le traité de Nystad. Néanmoins, l'Estonie était une région particulière au sein de l'empire russe, elle était cosmopolite car les populations russes et estoniennes cohabitaient, en ville notamment. En 1721, le tsar Pierre le Grand maintient les privilèges des nobles « germano-baltes » seigneurs féodaux qui lui ont juré allégeance. L'Estonie conservait une certaine autonomie au niveau des tribunaux, de l'enseignement, de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. Cette « autonomie » cessera en 1880 avec le lancement du programme de « russification ». L'Estonie restera russe jusqu'en 1918. Déjà, à l'époque de la Russie impériale, les pays baltes étaient d'un intérêt vital, offrant une ouverture sur la mer baltique, permettant au tsar de développer la « flotte du nord » et de profiter de lucratives routes commerciales4(*). Lors de l'annexion soviétique, l'intérêt pour ces territoires était naturellement militaire. La façade balte Est et Sud étant entièrement contrôlée par l'URSS, il était aisé d'y mettre en place d'important systèmes de défenses et de surveillance dirigés vers l'Europe occidentale. Ces pays avaient pour l'URSS un intérêt essentiellement stratégique. Ainsi, Moscou a très mal vécu la perte de ces territoires.

En 1991, la Russie espérait que les pays baltes choisiraient la neutralité ou l'appartenance à la CEI. Lorsque l'Estonie a rejoint l'OTAN en 2004, la Russie a tenté de la remettre dans son giron par le biais de l'interdépendance économique. Ce fut sans succès, car au même moment, l'Estonie adhérait à l'Union Européenne, et au marché européen, entérinant définitivement son divorce avec le voisin russe et concrétisant pour de bon son « passage à l'Ouest ». Le pouvoir russe a pu à un moment penser que l'adhésion estonienne à l'Otan et à l'UE supprimerait la méfiance dans ce pays à l'égard des Russes en raison de l'apparition d'un sentiment de sécurité et d'indépendance renforcé. Il n'en fut rien. Les relations des deux voisins se sont dégradées et la Russie a même, dans un premier temps, refusé l'extension automatique des accords APC aux dix nouveaux membres de l'UE (dont l'Estonie), cela car l'élargissement de l'UE aux pays de l'ancien bloc communiste et leur entrée dans le marché commun pénalisait économiquement la Russie (entre 150 et 300 millions d'euros de pertes économiques et commerciales). Pour le pouvoir russe actuel, la restauration de la « grande Russie » semble devoir passer aussi par la satellisation des petits voisins, (par des moyens économiques, une proximité politique ou une présence militaire) notamment des Etats baltes. Moscou voit donc d'un très mauvais oeil le fait que ces derniers aient rejoint l'Otan et l'UE, car cela signifie que la capacité d'influence de la Russie dans la zone est désormais limitée.

L'élargissement de l'UE et de l'OTAN est intervenu « au détriment » de la Russie car il s'est fait dans la traditionnelle « sphère d'influence russe ».5(*) Il faut savoir que la vision géopolitique de la Russie à travers les siècles est constante. La Russie se considère enclavée et encerclée, ce qui provoque un sentiment d'insécurité et de vulnérabilité. Ainsi, pour se soustraire à ce sentiment, la Russie souhaite se constituer un « glacis » d'Etats « amis » le long de ses frontières, afin notamment de pouvoir y projeter rapidement sa puissance militaire en cas de tensions sur le pourtour de sa zone d'influence (l'annexion de l'Europe centrale et orientale en 1945 constitue la réalisation ultime de cet objectif). Les pays baltes sont en quelque sorte la clé de voûte de ce schéma car ils permettraient de « verrouiller » la façade maritime Ouest de la Russie tout en constituant une interface d'échange idéale avec l'Europe, et de désenclaver le pays.6(*)

c. Les aspects factuels du néo-impérialisme russe de nature à faire frémir les Estoniens sont aisément repérables, de par le retentissement des actions au niveau international, ainsi que par leur multiplication sur une période relativement courte.

Le premier évènement que l'on peut citer est celui de la « révolution orange » ukrainienne. Lors du scrutin présidentiel de 2004, on a pu observer une ingérence importante de la part de Moscou. La Russie soutenant le candidat pro-russe (financièrement, logistiquement et politiquement), et les Etats-Unis et la fondation Soros soutenant de manière à peine plus dissimulée le parti pro-occidental de Victor Iouchtchenko. On peut ici constater que la lutte d'influence en Ukraine fait rage, ce pays est traditionnellement la « chasse gardée » de Moscou et les implications dans les relations Est-Ouest du résultat de la Révolution orange (victoire de Iouchtchenko après un « troisième tour ») ne sont pas négligeables. Même si la guerre froide fait partie du passé, cette région d'Europe continue d'être le théâtre du conflit indirect entre les Etats-Unis et la Russie. Ces évènements ont mis en lumière l'attachement de la Russie à garder le contrôle sur son « étranger proche », la Russie a d'autant plus tenté d'influer sur les résultats de ces élections que quelques mois plus tôt l'UE s'était agrandie de dix nouveaux pays issus du bloc soviétique (idem pour l'OTAN). l'Ukraine ne devait pas « passer à l'Ouest ». Les Estoniens craignent profondément cette ingérence russe (la Russie a félicité le candidat pro-russe avant même que les résultats finaux des élections ne soient proclamés) et ont pris conscience que le désir de satellisation des voisins était encore vivace à Moscou.

Un autre évènement qui, cette fois-ci, concerne l'Estonie, a dégradé bien plus encore les relations russo-estoniennes. Le 27 avril 2007, le gouvernement estonien décide de déplacer un monument (le soldat de bronze) érigé en 1945 à la gloire de l'armée rouge, du centre ville jusqu'à un cimetière militaire. Des émeutes éclatent, très rapidement des milliers de jeunes russophones sèment le chaos dans Tallinn (pillages, vandalisme, violences physiques) durant deux nuits. Ces manifestations ont permis à des groupes russophones nationalistes de se faire entendre. Un groupe pro-russe rassemblant principalement des jeunes et agissant sur le territoire estonien (Nochnoi Dozor ou « veille de nuit »), et entretenu par le Kremlin, aurait contribué à provoquer des débordements (les responsables du groupe ont été acquittés, faute de preuves). On peut cependant supposer que la politique assez radicale du gouvernement estonien sur les questions nationales, identitaires et historiques, a ravivé aussi des sentiments nationalistes russes qui semblaient atténués, notamment par la réussite économique estonienne. L'UE condamne alors l'attitude de Moscou.

Extrait de la résolution du parlement Européen du 24 Mai 2007 :

« rappelle aux autorités russes que la rhétorique hostile, développée ouvertement et sans nuances, par les autorités russes contre l'Estonie est absolument contraire aux principes des relations internationales et affectera les relations entre l'Union européenne et la Russie en général ».7(*)

Peu après le début des émeutes, une série de puissantes cyber-attaques furent perpétrées sur les serveurs Internet des administrations estoniennes, allant même jusqu'à publier un message en russe sur la première page du site du Premier ministre, déclarant que celui-ci présentait ses excuses au peuple russe et s'engageait à démissionner. Les sites des administrations furent ainsi truffés de messages similaires et de déclarations fantaisistes avant de devenir complètement inutilisables. Les experts de la cyber défense estonienne affirment que les attaques émanaient d'adresses IP russes, et que certaines de ces adresses seraient celles du Kremlin.

Les jours suivants, l'Ambassade et le consulat d'Estonie à Moscou furent assiégée par des groupes de jeunes militants nationalistes (certains de ces groupes étant directement liés au parti Russie Unie de Vladimir Poutine), des pierres furent lancées dans les fenêtres de l'Ambassade, les manifestants ont également arraché les drapeaux estoniens qui se trouvaient sur la voiture de l'Ambassadrice et sur le bâtiment, le personnel diplomatique n'eut d'autre choix que de rester cloîtré dans l'ambassade. La communauté internationale a reproché à la Russie de n'avoir quasiment rien fait pour endiguer les violences et souligne que cela constitue une entorse à la convention de Vienne :

La Présidence allemande du Conseil européen publie le 2 mai 2007 la déclaration suivante :

« L'UE somme expressément la Fédération de Russie de respecter ses engagements internationaux découlant de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques en protégeant le personnel et le site de la représentation diplomatique estonienne et en assurant un accès sans entrave à celle-ci »

Un autre moyen employé par la Russie pour conforter sa politique d'influence est la distribution de passeports russes aux populations russophones vivants à l'étranger. C'est le cas en Crimée pour l'Ukraine, en Transnistrie (région sécessionniste de Moldavie), mais aussi en Abkhazie et en Ossétie du sud (Géorgie), ainsi que, dans une moindre mesure, dans la province estonienne d'Ida Virumaa (nord-est).8(*)

« Lorsqu'une agression militaire est justifiée par la nécessité de protéger les intérêts des citoyens russes en Géorgie, cela pose de sérieux problèmes aux pays qui ont des résidents possédant la citoyenneté russe ». Urmas Paët, entretien avec Liina Altvee du 7 janvier 2009.

Récemment, le parlement russe a déposé un projet d'amendement à la loi établissant que la Russie pourrait recourir à la force armée pour protéger ses ressortissants à l'étranger en cas de besoin.

Cette nouvelle loi serait, du point de vue des Estoniens, le moyen de légitimer l'intervention russe en Géorgie de l'été dernier. Cette intervention militaire contre un Etat souverain, ainsi que l'atteinte manifeste à son intégrité territoriale par le rattachement de facto des républiques d'Abkhazie et d'Ossétie du sud à la fédération de Russie a également suscité l'indignation des élites politiques estoniennes. L'Estonie fut, parmi les premiers pays, à dénoncer l'intervention militaire russe et à appeler à la mobilisation de la communauté internationale en vue de soutenir l'Etat géorgien menacé9(*) et de rappeler le pouvoir russe à ses obligations, dans le cadre notamment des engagements pris par ce dernier en droit international par le simple fait de faire parti de l'ONU et de l'OSCE.

Les estoniens étaient d'autant plus choqués par cette intervention militaire qu'un certain nombre de résidents sur le sol estonien sont dotés de passeports russes (notamment dans la région d'Ida Virumaa, ou 80% de la population est russophone). Les manifestations d'ingérence russes ayant pour prétexte la sécurité des ressortissants russes à l'étranger et la cause des inquiétudes estoniennes. L'intervention russe en Géorgie aurait pu être susceptible de raviver les tensions entre les deux communautés

Cependant, malgré des relations bilatérales russo-estoniennes parfois difficile, un certain pragmatisme commence à voir le jour, dans le cadre des relations Union-Européenne Russie.

* 1 Voir annexe n° 1

* 2 Interdiction de l'hymne, du drapeau, des manifestations culturelles, et dévalorisation de la langue estonienne.

* 3 Se manifeste à travers des ingérences dans l' « étranger proche » (Ukraine, Estonie, Géorgie)

* 4 Voir annexe n°2

* 5 Voir annexe n°3

* 6 Théories géopolitiques: la Russie est une puissance continentale.

* 7 Manifestation du principe de « solidarité européenne »

* 8 Annexe n°4

* 9 La Géorgie est une priorité de la politique étrangère estonienne

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci