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La réception des actes intrinsèquement mauvais d'après Bernard HàĪring

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par Daniel KIMBMBA KAHYA
Université catholique du Congo - Licence 2012
  

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I.2.5. La mise en cause de la moralité intrinsèque par Ockham et le nominalisme

1) Présentation

Guillaume d'Ockham ou Guillaume d'Occam92(*) (v.1285 - 1347), dit le Docteur invincible et le Vénérable initiateur (Venerabilis inceptor), était un philosophe, logicien et théologien anglais, membre de l'ordre franciscain, considéré comme le plus éminent représentant de l'école scolastique nominaliste (ou terministe, selon la terminologie ockhamienne), principale concurrente des écoles thomiste et scotiste.93(*)

Le terme nominalisme94(*) n'est apparu qu'à la fin du XVe siècle. Ockham, philosophe et logicien, quant à lui, se considère comme un terministe, c'est-à-dire pratiquant la logique qui analyse le sens des termes. Cependant on peut le considérer comme initiateur du nominalisme en ce qu'il a refusé toute objectivité ou réalité aux Universaux, c'est-à-dire aux idées générales qui regroupent sous un nom collectif, des entités individuelles ayant quelque ressemblance entre elles, comme par exemple, humanité, animal, beauté blancheur etc...

Pour lui, c'est l'esprit humain qui par commodité génère des noms, un langage qui est utile pour l'organisation du savoir, mais ne correspond pas à des êtres existants, individus, êtres particuliers, et qui n'apporte aucune nouvelle connaissance. Les nominalistes n'accordent aucune universalité à ces êtres virtuels, en dehors de leur utilité pour l'esprit qui les observe. En bref, seul l'être singulier est réel, tandis que l'universel n'a d'existence que dans l'esprit du locuteur. Bien entendu, les théologiens vont s'émouvoir d'une philosophie qui n'accorderait aucune existence réelle aux concepts de Bien, d'Ame, d'Immortalité, qui pourtant leur semblent indispensables pour parler de Dieu ou de l'homme-créature spirituelle. Cependant Ockham ne va pas jusqu'à considérer les universaux comme de simples mots, puisqu'ils correspondent à des idées. C'est pourquoi on le considère plutôt comme un conceptualiste.

On voit ainsi dans la philosophie d'Ockham les prémices de la science moderne, de l'empirisme anglais ainsi que de la philosophie analytique contemporaine, car elle insiste surtout sur les faits et sur le type de raisonnement utilisé dans le discours rationnel, au détriment d'une spéculation métaphysique sur les essences.95(*)

2) Analyse

La crise nominaliste avec Ockham va apporter une révolution dans la théologie morale en général et à la question de la moralité en particulier. Cette période a creusé un fossé profond entre l'âge des pères ou des grands scolastiques et les moralistes modernes.96(*)

Ockham va inaugurer une nouvelle conception de la morale qui donne aux mots et aux éléments de l'acte morale une signification et un rôle nouveau dans une structure et une organisation nouvelles.97(*)

Ainsi, le problème de la moralité va recevoir de nouvelles bases qui s'imposent au point de devenir classiques et indiscutables comme des évidences. Cependant, les idées d'Ockham sur la morale sont en opposition directe à Thomas d'Aquin : nous trouvons chez les deux penseurs, deux conceptions de la liberté qui affecte leur doctrine morale.

Pour Ockham, la volonté divine est absolument libre ; elle domine la loi morale elle-même et toutes les lois de la création. Ce que Dieu veut est nécessairement juste et bon, précisément parce qu'il le veut. De cette volonté procède la loi et toute valeur ou qualification morale. N'étant déterminée dans la fixation du bien et du mal par rien d'autre qu'elle-même, la volonté divine peut modifier à chaque instant ce que nous considérons actuellement comme permis et comme défendu selon les commandements du Décalogue notamment. Dieu peut changer même le premier commandement et, par exemple, en poussant les choses à l'extrême, ordonner à un homme de le haïr, de sorte que cet acte devienne bon. 98(*) La conséquence d'une telle théologie est la suivante : « La liberté est essentiellement pour Ockham le pouvoir de choisir entre des contraires, indépendamment de toute cause autre que la liberté ou la volonté même. La liberté se tient toute dans une indétermination foncière entre les contraires, entre le oui et le non, dans une indifférence originelle de la volonté qui lui permet de ne se déterminer dans le choix qu'à partir d'elle-même. D'où ce nom de liberté d'indifférence. »99(*)

C'est là une approche bien différente de celle de Thomas d'Aquin. Ici, on quitte le fait que la liberté se réfère à celui qui l'a donnée pour se rapprocher du Créateur au profit d'une liberté en soi, liée à une source indifférente. Or se tenir à égale distance du bien et du mal, c'est par définition se tenir hors du bien.100(*)

En effet, plusieurs divergences existent entre les deux auteurs, mais nous ne retenons ici que trois : primo, concernant la question morale première et principale, pour Thomas d'Aquin, c'est la béatitude véritable comprise comme une fin ultime ordonnant à elle tous les actes moraux et unifiant par cette visée l'agir dans son ensemble. Pour Ockham, la notion première et fondamentale de la morale devient l'idée de l'obligation imposée par la loi, laquelle exprime la volonté toute puissante de Dieu qui vient limiter la liberté de l'homme.101(*)

Secundo, la morale de Thomas d'Aquin est une morale de l'attrait intérieur développé par les vertus ; mais avec Ockham apparait la première morale de l'obligation proprement dite. Cela ne veut pas dire que le rôle de l'obligation en morale était méconnu et négligé avant Ockham, mais jamais encore l'obligation n'avait été placée au centre de l'univers moral.102(*)

Tertio, la conception de la notion de liberté est très différente chez les deux penseurs : pour Thomas d'Aquin, la raison et la volonté engendrent le libre-arbitre et son acte, le choix. La source de la liberté réside dans les inclinations naturelles à la vérité et au bien ou au bonheur, qui constituent la nature spirituelle et lui confèrent une ouverture à l'infini sur la vérité et le bien, le rendant libre à l'égard de tout bien limité. 103(*)

Pour Ockham, tout au contraire, le libre-arbitre précède la raison et la volonté, car il peut commander leurs actes, choisir de les faire ou de ne pas les faire. La liberté se définit, en effet, comme « le pouvoir radical et absolu que possède un homme de choisir entre des contraires uniquement à partir de sa volonté. »104(*) La liberté se caractérisera alors par son indifférence à l'égard des contraires soumis au choix. Le seul fondement de la morale, pour Ockham sera donc la loi, comme expression de la volonté divine s'imposant à l'homme avec la force de l'obligation, issue de la toute-puissance divine à l'égard de sa créature.105(*)

Quant à la question des actes intrinsèquement mauvais, Thomas soutenait que certains actes peuvent être bons ou mauvais par eux-mêmes, et il fondait cette qualité sur la loi naturelle, issue des inclinations naturelles et base de l'édifice de la théologie morale que viendra parfaire la loi évangélique. La qualité des actions morales provient donc premièrement de leur nature, et c'est ensuite que peut advenir une qualité supplémentaire par l'intervention positive d'une loi.106(*)

Ockham va changer complètement les choses en donnant une position nouvelle à la question des actes intrinsèquement mauvais : pour lui, « tous les actes sont de soi indifférent, comme la liberté dont ils sont issus. Cette indifférence affecte non seulement les actes extérieurs, mais elle s'étend en fait jusqu'aux actes intérieurs, à l'amour et au désir du bonheur. »107(*) Les actes sortent de leur indifférence et deviennent bons ou mauvais uniquement par l'intervention de la loi.

Ainsi, Ockham soutient que les actes humains n'ont de moralité que par la loi qui les commande ou les défend, et il radicalise cette position en faisant de la loi naturelle elle-même une loi positive, une pure position de la volonté toute-puissante de Dieu. Par conséquent donc, pour Ockham, il n y a et il ne peut y avoir d'actions mauvaises de soi ou par nature, car c'est la position seule de la loi, toujours dépendante de la liberté divine qui peut rendre une action moralement telle.108(*)

Par ailleurs, il faut souligner que c'est à partir du nominalisme que la question du caractère intrinsèque de la moralité va prendre de l'ampleur et engager de fait toute la conception de la moralité.

En fait, à partir du XIVème siècle, le nominalisme va connaître un succès extraordinaire en Occident. Sur la question de la moralité des actes, le nominalisme soutient plusieurs thèses controversées notamment, l'atomisation de l'agir qui fait de chaque acte humain l'oeuvre d'une liberté qui peut à chaque instant choisir le contraire ; ensuite, la moralité devient l'acte libre avec la loi qui fixe l'obligation. Beaucoup de moralistes réagiront contre le nominalisme et le combattront même surtout en ce qui est de la question d'actions mauvaises par elles-mêmes. Cependant, les théologiens n'arriveront pas à éviter l'influence nominaliste sur les points essentiels comme la conception de la liberté d'indifférence.

* 92 Ockham est le nom de sa ville d'origine au sud-ouest de Londres, parfois francisée Occam. Les deux écritures sont donc correctes, la forme Ockham étant toutefois préférée.

* 93 B. JOËl, Guillaume d'Ockham et la théologie, Paris, Cerf, 1999, p. 120.

* 94 Le nominalisme est une doctrine logique, philosophique et théologique qui a vu le jour au sein de la scolastique médiévale. Son fondateur est Roscelin. On utilise aussi le mot occamisme pour désigner le nominalisme de Guillaume d'Occam, principal représentant de cette école dans la scolastique tardive. Le nominalisme est une des réponses possibles au problème des universaux qui trouve sa source antique dans les Catégories d'Aristote. Le mot de nominalisme, d'abord réservé à la désignation des doctrines du Moyen âge qui résolvaient d'une manière négative le problème de l'existence séparée des idées générales, s'applique maintenant à des systèmes aussi différents que ceux d'Aristote, de Guillaume d'Occam, de Spinoza et de Stuart Mill, Quine. Lire, J. VERGER, « Nominalisme » in Dictionnaire encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997 p. 1081. Alain DE LIBERA, La querelle des universaux. Paris, Seuil, 1998. P. VIGNAUX, Nominalisme au XIVe siècle. Paris, Vrin, 2004.

* 95 Cfr. Ibidem.

* 96 Cfr. J. VERGER, « Nominalisme » in Dictionnaire encyclopédique du Moyen âge. Paris, Cerf, 1997, p. 1081.

* 97 Cfr. Ibidem.

* 98 Cfr. S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 256.

* 99 Ibidem.

* 100 A propos de cette question de la liberté, le professeur Sébastien MUYENGO donne une approche intéressante où il fait intervenir la notion de responsabilité : « La véritable liberté implique la responsabilité, c'est-à-dire, la capacité de répondre de ses actes dans la mesure où ils sont volontaires. Il y a ainsi des facteurs qui diminuent l'imputabilité et la responsabilité d'une action : l'ignorance, l'inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et tant d'autres facteurs philosophiques et sociaux. Il convient de souligner fortement le rapport entre volonté et responsabilité : tout acte directement voulu est imputable à son auteur. Exemples : le meurtre d'Abel par son frère Caïn et d'Urie par David... Lire S. MUYENGO, Morale fondamentale. Inédit, p. 36-39.

* 101 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 42.

* 102 Cfr. Ibidem.

* 103 Cfr. S. PINCKAERS, Les sources de la morale chrétienne. Op. cit., p. 257.

* 104 Cfr. S. PINCKAERS, Ce qu'on ne peut jamais faire. Op. cit., p. 45.

* 105 Cfr. Ibidem.

* 106 Cfr. Ibidem.

* 107 Ibidem, p. 47.

* 108 Cfr. Ibidem.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry