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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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Chapitre III:La CNIL, texte réglementaire et doctrine p. 101

2. La conservation des données à des fins d'établissement de statistiques : la biométrie, outil du pouvoir biopolitique?

Par ailleurs, concernant la conservation des données administratives, ou de ce que la CNIL qualifie d' « archives définitives »237, les articles 5 et 9 de la loi du 12 avril 2000 « relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations »238 ont modifié la loi de 1978 ainsi que la loi de 1979 sur les archives239 afin de permettre la conservation et l'archivage de données recueillies par l'administration à des « fins historiques, statistiques ou scientifiques ». En effet, alors que les données ne pouvaient auparavant être conservées au-delà de la durée prévue lors de la déclaration ou de la demande d'avis, sauf autorisation expresse de la CNIL, l'art. 28 de la loi de 1978 disposait depuis 2000 que les « documents » procédant « de l'activité de l'Etat, des collectivités locales, des établissements et entreprises publics » ou de celle « des organismes de droit privé chargés de la gestion des services publics ou d'une mission de service public »2cents0 pouvaient être conservés au-delà de la durée prévue, y compris sous forme nominative, si cette conservation poursuivait des « fins historiques, statistiques ou scientifiques »241. Ce faisant, la loi de 2000 avait innové de

217 La délib. n°2005-213 du ii octobre 2005, portant adoption d'une recommandation concernant les modalités d'archivage électronique, dans le secteur privé, de données à caractère personnel, distingue en effet trois catégories d'archives: les « archives courantes » et « archives intermédiaires » (catégories déjà introduites dans la délib. n°88-52 du 10 mai 1988 concernant la compatibilité de la loi de 1978 et de la loi de 1979 sur les archives), ainsi que les « archives définitives » c'est-à-dire « les données présentant un intérêt historique, scientifique ou statistique justifiant qu'elles ne fassent l'objet d'aucune destruction. »

238 Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

239 Loi n°79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. La loi n°2131313-321 introduit l'art. 4-1 qui dispose (nous soulignons) : « Lorsque les documents visés à l'article 3 comportent des informations nominatives collectées dans le cadre de traitements automatisés régis par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (...), ces informations font l'objet, à l'expiration de la durée prévue à l'article 28 de ladite loi, d'un tri pour déterminer les informations destinées à être conservées et celles, dépourvues d'intérêt scientifique, statistique ou historique, destinées à être détruites (...). » En vertu de l'art. 3, ces documents incluaient donc ceux qui « procèdent de l'activité de l'Etat, des collectivités locales, des établissements et entreprises publics » et qui « procèdent de l'activité des organismes de droit privé chargés de la gestion des services publics ou d'une mission de service public ».

'1° L'art. 28 de la loi de 1978 renvoie à l'art. 4-1 de la loi de 1979 sur les archives, qui lui-même renvoie à l'art. 3 de cette même loi, lequel définit ainsi les « documents » en question.

241 Art. 28 de la loi de 1978, tel que modifié par la loi de 2000 :

« I. - Au-delà de la durée nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, les informations ne peuvent être conservées sous une forme nominative qu'en vue de leur traitement à des fins historiques, statistiques ou scientifiques. Le choix des informations qui seront ainsi conservées est opéré dans les conditions prévues à l'article 4-1 de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979

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façon importante, en permettant le ré-investissement de traitements de données pour d'autres finalités, à savoir de recherche scientifique mais aussi d'établissement de statistiques. La réforme de 2004 conserve cette innovation majeure au regard des « sciences administratives » ou « sciences de l'Etat » (la statistique étant, étymologiquement, la « science de l'Etat »242), tout en imposant certaines restrictions concernant leur caractère nominatif, ce qu'on a pu désigner en tant que « droit à l'oubli »243. En effet, l'art. 6 de la loi modifiée de 1978 dispose qu'un « traitement ultérieur des données à des fins statistiques ou à des fins de recherche scientifique ou historique est considéré comme compatible avec les finalités initiales de la collecte des données (...) s'il n'est pas utilisé pour prendre des décisions à l'égard des personnes concernées » (L. 1978, 6-2) mais précise que les données « sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées » (L. 1978, 6-5).

Pour ce qui concerne le secteur privé, la CNIL a restreint l'accès aux « archives intermédiaires », c'est-à-dire celles qui conservent un « intérêt administratif » pour le service concerné, « à un service spécifique (par exemple un service du contentieux) » tandis que les « archives définitives », conservées à des fins de recherche ou de statistique, doivent être « conservées sur un support indépendant, non accessible par les systèmes de production, n'autorisant qu'un accès distinct, ponctuel et précisément motivé auprès d'un service spécifique seul habilité à consulter ce type d'archives (par exemple la direction des archives de l'entreprise). »244

sur les archives.

II. - Les informations ainsi conservées, autres que celles visées à l'article 31 [c'est-à-dire les données sensibles: « origines raciales », « opinions politiques », etc.], ne peuvent faire l'objet d'un traitement à d'autres fins qu'à des fins historiques, statistiques ou scientifiques, à moins que ce traitement n'ait reçu l'accord exprès des intéressés ou ne soit autorisé par la commission dans l'intérêt des personnes concernées.

Lorsque ces informations comportent des données mentionnées à l'article 31, un tel traitement ne peut être mis en oeuvre, à moins qu'il n'ait reçu l'accord exprès des intéressés, ou qu'il n'ait été autorisé, pour des motifs d'intérêt public et dans l'intérêt des personnes concernées, par décret en Conseil d'Etat sur proposition ou avis conforme de la commission. »

242 Sur la liaison entre les sciences et le gouvernement, voir par. ex. Ihl, Olivier et Kaluszynski, Martine (2002) « Pour une sociologie historique des sciences de gouvernement », Revue française d'administration publique, 2002/2, n°102, p.229-243, qui évoquent entre autres l'importance de « l'identification des personnes et des groupes ».

243 La CNIL utilise cette expression dès 1988: délib. n°88-52 du 10 mai 1988, portant adoption d'une recommandation sur la compatibilité entre les lois n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives

244 Délib. n°2005-213 du 11 octobre 2005, portant adoption d'une recommandation concernant les modalités d'archivage électronique, dans le secteur privé, de données à caractère personnel

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Nombre d'autorisations délivrées par la suite par la CNIL, y compris concernant les dispositifs biométriques, préciseront explicitement l'usage à des fins statistiques des données recueillies. On pourrait croire que cette finalité administrative ne concerne en rien les systèmes biométriques en eux-mêmes: le projet GAMIN, tel qu'autorisé par la CNIL en 1981, démontrait déjà l'importance de ces données pour l'administration245, de même que le Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), utilisé à des fins économiques et médicales246. Ce serait là cependant ignorer un aspect important de ces techniques, qui, en permettant d'une part une traçabilité247 précise des personnes, et qui fournissent d'autre part une « clé primaire » pour les bases de données, fabriquent un ensemble de données nominatives, qui peuvent être réinvesties à des finalités non prévues à l'origine, par exemple de calcul, de gestion et de gouvernementalité248. Or, cette technique de gouvernementalité, qui procède notamment par l'établissement de statistiques, de tableaux, etc., se passe très bien du caractère nominatif des données: ce dont elle a besoin, ce n'est pas nécessairement de savoir « qui fait quoi », mais plutôt que « x a fait y » ou « x est passé par le lieu y au temps t, ». Ainsi détachées des individus réels, ces données permettent la constitution de « populations », artefacts qui permettent

245 Le projet GAMIN visait, par un « traitement automatisé des certificats de santé dans les services de la protection maternelle et infantile » (PMI), non seulement à opérer la « pré-sélection par des moyens automatisés d'enfants qui (...) seront ou non l'objet d'une assistance médicale et sociale », finalité interdite par la CNIL, mais aussi à « donner au département et à l'Etat par l'établissement de statistiques anonymes sur l'état de santé des jeunes enfants le moyen d'adapter le système de P.M.I. aux besoins de la population » ainsi que de « contribuer à la réalisation de recherches médicales afin notamment de préciser l'étiologie des handicaps et des inadaptations et de mettre en oeuvre une prévention efficace », finalité admise par la CNIL, qui a ainsi donné « un avis favorable à la mise en oeuvre du traitement dans ses applications statistiques et anonymes. » (délib. n°81-74 du 16 juin 1981)

246 Le PMSI est un « système statistique d'évaluation de l'activité hospitalière utilisé en particulier pour le calcul des budgets hospitaliers » (délib. n°99-061). Il est à l'origine, notamment, des classements d'hôpitaux effectués par la presse (cf. délib. n°99-061 pour le classement de la revue « Sciences et avenir », et délib. n°99-062 pour celui du « Figaro magazine »). Voir les explications données par la CNIL dans son 20e rapport d'activité (année 1999), chap. VI.

24' Cf. Pedrot, Philippe (dir.), Traçabilité et responsabilité, Economica, 2003, 323 p.

248 Voir, au sujet de ce rapport entre les systèmes de management de bases de données, dotées d'un niveau local, où les données sont nominatives, et d'un niveau général, où les données sont anonymisées, et la constitution de « populations » à des fins biopolitiques, l'excellente analyse de Craig Willse. S'il ne traite pas de la biométrie en tant que tel, il met en effet l'accent sur l'usage des données anonymisées dans la gestion des « populations » : « « Universal Data Elements, » or the Biopolitical Life of Homeless Populations », Surveillance & Society, 5 (3), 2008, p.227-251.

Cf. aussi l'avertissement du CEPD au sujet de la tendance à la constitution de « systèmes

décentralisés », illustrée par le traité de Prüm ou la future base de données européennes pour les permis de conduire, utilisant les données biométriques comme « clés primaires », ce qui pourrait augmenter le « risque de « détournement d'usage ». » (CEPD, 2006, « Observations relatives à la communication de la Commission sur l'interopérabilité des bases de données européennes », 10 mars 2006.)

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en retour la définition de politiques déterminées qui influencent ensuite les vies singulières des individus. Les traces biométriques ne servent pas ici, à révéler la personnalité de tel ou tel individu, mais plutôt à établir un « profil » général, valant pour une catégorie d'individus, c'est-à-dire une « population »; l'individu, en retour, sera évalué en fonction des grilles établies, de ces profils résultant du traitement informatisé de toutes sortes de données. Il ne s'agit plus, à ce niveau statistique, d'une « traçabilité des personnes »249, mais d'une « traçabilité des populations », de la fabrication en tant qu'objet de savoir et de pouvoir de catégories de populations et de profils distincts d'individus. Le « droit à l'oubli » ne concerne que l'individu, pas les données elles-mêmes, qui, une fois produites une première fois, sont transformées, anonymisées, reconfigurées, mises en relation avec d'autres données, produisant ainsi des « méta-données ». Il est même possible, comme le montre l'exemple islandais, d'aboutir à une identification des personnes en entre-croisant plusieurs bases de données anonymisées25°. La biométrie devient ainsi un nouvel outil de pouvoir dans la gestion administrative, tout en répondant aux normes régulant le droit à la vie privée. Le caractère disciplinaire et individualisant de son action est ici réinvesti par une biopolitique gérant des populations certes anonymes, mais tracées dans leurs moindres gestes.

249 Cf. Hermitte, Marie-Angèle (2003), « La traçabilité des personnes et des choses. Précaution, pouvoirs et maîtrises », in Pedrot, Philippe (dir.), Traçabilité et responsabilité, Economica, 2003, 323

p.

~5O Cf. CCNE (2007), avis n°98, art. cit., p.15 : « L'exemple de l'Islande illustre le risque d'identification à partir du croisement de bases de données anonymisées. Il existe pour toute la population islandaise trois bases de données toutes anonymisées. Celle des données médicales inclut les individus postmortem; celle des données généalogiques comporte l'indication de la profession et du lieu de résidence; la troisième concerne les données génétiques. Leur croisement permet d'aboutir à une identification qui pose potentiellement des problèmes de filiation. C'est une des raisons pour laquelle la Cour Suprême d'Islande a déclaré en 2003 son inconstitutionnalité, avec des implications internationales pour les grandes collections prévues en Europe. »

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