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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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A/ L'IDENTIFICATION GÉNÉTIQUE

Sur le plan juridique, l'identification génétique est limitée par deux principes : l'intégrité du corps humain et la dignité de la personne, puisque celle-là présuppose un prélèvement et donc une atteinte au corps, et, corrélativement, le principe de consentement, prévu par la directive 95/46/CE et des dispositions nationales44°. Celui-ci ne souffre, en droit, pas d'exception en matière civile, tandis qu'il peut être limité en matière judiciaire et pénale (art. 16-ii du Code civil, introduit par la loi de bioéthique de 1994).

Cela a été validé par le Conseil constitutionnel lors de l'examen de la « loi sur la sécurité intérieure » de 2003, et notamment de son art. 30, insérant l'art. 55-1 dans le Code de procédure pénale, qui autorise, dans le cadre des enquêtes de flagrance, les « opérations de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d'examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l'enquête. » Selon le cons. 55 de la décision n° 2003-467 DC :

« l'expression " prélèvement externe " fait référence à un prélèvement n'impliquant aucune intervention corporelle interne ; qu'il ne comportera donc aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des intéressés ; que manque dès lors en fait le moyen tiré de l'atteinte à l'inviolabilité du corps humain »

440 Art. 16-ii du Code civil; art. 56 de la loi Informatique et libertés de 1978 (modifiée en 2004). Voir aussi directive 95/46/CE, qui définit la notion de consentement comme « toute manifestation de volonté, libre, spécifique et informée par laquelle la personne concernée accepte que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement. » (art. 3). Cf. aussi art. 7,8 et 26, ainsi que les cons. 3o et 33:

« considérant que, pour être licite, un traitement de données à caractère personnel doit en outre être fondé sur le consentement de la personne concernée ou être nécessaire à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat liant la personne concernée, ou au respect d'une obligation légale, ou à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique, ou encore à la réalisation d'un intérêt légitime d'une personne à condition que ne prévalent pas l'intérêt ou les droits et libertés de la personne concernée (...)

(33) considérant que les données qui sont susceptibles par leur nature de porter atteinte aux libertés fondamentales ou à la vie privée ne devraient pas faire l'objet d'un traitement, sauf consentement explicite de la personne concernée; que, cependant, des dérogations à cette interdiction doivent être expressément prévues pour répondre à des besoins spécifiques, en particulier lorsque le traitement de ces données est mis en oeuvre à certaines fins relatives à la santé par des personnes soumises à une obligation de secret professionnel ou pour la réalisation d'activités légitimes par certaines associations ou fondations dont l'objet est de permettre l'exercice de libertés fondamentales; »

Chapitre N:L'intégrité du corps humain p. 168

En d'autres termes, le Conseil constitutionnel considère qu'il y a violation du corps lorsque les frontières physiques du corps sont franchies, et que la dignité n'est pas mise à mal dès lors que le procédé est indolore, non intrusif, ni « attentatoire ». La notion de « prélèvements externes » n'est cependant pas définie plus précisément. Néanmoins, selon les observations du gouvernement, cela s'opposait aux « investigations corporelles internes » visées à l'art. 63-5 du CPP, et incluait les prélèvements de salive ou d'empreintes digitales, ainsi que la prise de photographies441. Pour le gouvernement, il s'agit là d'une notion plus large que les prélèvements d'empreintes digitales et la prise de photographie effectués dans le cadre de l'art. 78-3 du CPP. Auparavant régulés par une simple circulaire, ces prélèvements sont donc légalisés. Quelques mois plus tard, la Cour de cassation considère que la prise de photographies et le prélèvement d'empreintes digitales est conforme au droit à la vie privée dès lors qu'ils sont effectués dans une finalité d'enquête judiciaire442. La « loi Perben » du 9 mars 2004 (art. 109) modifie l'art. 55-1 du Code de procédure pénale, en affirmant explicitement la possibilité d'effectuer des relevés d'empreintes digitales ou palmaires ainsi que de prendre des photographies « nécessaires à l'alimentation et à la consultation des fichiers ».

La possibilité de l'examen ADN sans le consentement de la personne n'était en rien acquise. En effet, en 2000, la CNIL déduisait de l'art. 16-11 du Code civil « qu'un prélèvement qui suppose un acte « invasif » sur le corps humain, tel qu'une prise de sang, un prélèvement capillaire ou un prélèvement buccal ne peut être effectué de force sur une personne. »443 Lors de la préparation de la loi de bioéthique de 1994, un amendement prévoyant la dispense de consentement de la personne dans le cadre des procédures pénales avait d'ailleurs été adopté par l'Assemblée, avant d'être retiré par le Sénat. La majorité de la doctrine considérait alors que le principe de consentement était de valeur générale, et s'appliquait aussi à la procédure pénale444. La CNIL précisait cependant que ni le principe d'inviolabilité du corps humain, ni celui du consentement, n'interdisait le prélèvement, « sur le lieu d'un crime ou d'un délit du « matériel biologique » (...) qui se serait naturellement détaché du corps

441 Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi pour la sécurité intérieure, JORF n°66 du 19 mars 2003 page 4827

442 Cour cass., 2e civ., 18 décembre 2003, pourvoi n°02610237

443 CNIL (2000), 20e rapport d'activité (année 1999), p.31.

444 Ibid.

Chapitre N:L'intégrité du corps humain

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humain. »445 Ce dernier point a été autorisé par l'art. 49 de la loi de 2004 (art. 706-56 du CPP).

Conformément aux avis de la CNIL, la loi de 1998 instituant le FNAEG avait ainsi limité son étendue aux empreintes génétiques des personnes condamnées pour crime ou délit sexuel, ainsi qu'aux traces des matériels biologiques retrouvés sur des scènes de crime, c'est-à-dire « l'empreinte d'auteurs inconnus d'infraction » selon la CNIL446; il s'agit là d'un raccourci trompeur, puisqu'une telle trace, constituant un « ADN indicial », ne prouve que la présence de l'individu x sur les lieux à un moment indéterminé, et en aucun cas sa responsabilité à l'égard de l'infraction447. Le « donneur de la trace » n'est pas nécessairement « l'auteur de l'acte criminel ».

La loi de 2003 autorise aussi les OPJ (officiers de police judiciaire) à procéder, dans le cadre des enquêtes judiciaires ou sous commission rogatoire, à des comparaisons d'empreintes génétiques, au sujet de « toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis un crime ou un délit [énuméré à l'art. 706-55], avec les données incluses au [FNAEG], sans toutefois que cette empreinte puisse y être conservée. » (art. 706-54). De plus, ils sont autorisés à ordonner des examens médicaux et des prélèvements sanguins en cas

445 Ibid. Ce point est particulièrement problématique aux Etats-Unis, dans la mesure où, si le principe du consentement est aussi exigé lors des prélèvements, la jurisprudence a assimilé les traces d'empreintes génétiques aux formes de propriété abandonnée par l'individu, voire à des déchets organiques. Dès lors, le 4e amendement de la Constitution protégeant les citoyens contre les fouilles arbitraires ne s'applique pas aux prélèvements faits à l'insu de la population (par ex. en interrogeant une personne puis en recueillant de façon subreptice sa cigarette aux fins d'analyser la salive). Selon Elizabeth Joh (2006), cela pourrait aboutir à la constitution progressive d'une base de données nationale d'empreintes génétiques recueillies sans le consentement de la population, ni même sans qu'elle en soit informée (Joh, Elizabeth (2006) « Reclaming « abandoned » DNA : The Fourth Amendment and Genetic Privacy », Northwestern University Law Review, vol. 100, n°2). Une telle alimentation du FNAEG serait illégale (art. 706-54 du CPP). Voir cependant Cour de cass., Crim., 30 avril 1998, n°98-80741, inédit: l'analyse ADN d'un mégot saisi lors de l'audition d'un témoin est permise.

446 CNIL (2000), 20e rapport d'activité, ibid. Cf. aussi:

- délib. n° 99-052 du 28 octobre 1999 (projet de décret ; fichier national automatisé des empreintes génétiques ; service central de préservation des prélèvements biologiques);

- décret n°2002-697 du 3o avril 2002 modif. le code de procédure pénale (...) et relatif au FNAEG

447 L' « ADN indicial » se distingue de l'« ADN de contact », prélevé sur le corps de la victime ou du suspect : « L'ADN indicial est celui, par exemple, extrait d'une trace spermatique présente sur du feuillage en un lieu précis, lieu confirmé au moyen d'une reconstitution in situ, de droit en matière criminelle. Une telle trace indicative n'a, scientifiquement, pas de caractère inférent, en ce qu'elle ne permet pas de rattacher le « donneur de la trace » à « l'auteur de l'acte criminel ». Cette trace ADN indique que le « porteur » de l'ADN (ADN extrait à partir de cette trace spermatique), était présent en ce lieu, à une heure que la science ne peut aucunement, en l'état actuel des connaissances scientifiques, déterminer. (...) Par conséquent, la preuve par l'ADN ne peut emporter la conviction des juges et/ou des jurés, a fortiori par une trace spermatique, recueillie en un lieu imprécis. En ce cas en effet, la trace ne peut être qualifiée d'indice au sens des textes et devient sujette à controverses. » (Valincourt, 2009, op.cit., p.72)

Chapitre N:L'intégrité du corps humain

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de viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle, ce que le Conseil constitutionnel avait jugé conforme (cons. 49).

Si la police judiciaire est autorisée à effectuer ces prélèvements sous certaines conditions, le refus de se soumettre à un prélèvement ADN est en revanche, depuis la loi du 15 novembre 2001, un délit passible de prison (art. 706-56)44, y compris, depuis la loi de 2003, pour les témoins ou les suspects. L'art. 706-56 prévoit, le cas échéant, l'identification « à partir de matériel biologique qui se serait naturellement détaché du corps de l'intéressé » ou un prélèvement forcé sur « réquisitions écrites du procureur de la République » lorsque la peine encourue est de plus de 10 ans.

Par ailleurs, les échantillons biologiques prélevés sont conservés par le Service central de préservation des prélèvements biologiques de la gendarmerie nationale, pour une durée équivalente à celle des profils génétiques du FNAEG, soit 4o ans (art. R53-14 et R53-20 du CPP). Le service central est autorisé à mettre en oeuvre un traitement automatisé de ces échantillons, qui peut « comporter un numéro d'ordre commun » avec le FNAEG (art. R53-2o).

L'étendue du FNAEG a été progressivement élargie à d'autres infractions449, notamment aux « crimes et délits de vols, d'extorsions, d'escroqueries, de destructions, de dégradations, de détériorations et de menaces d'atteintes aux biens »; le CCNE a critiqué cette extension de la finalité du fichier, interrogeant par exemple la légitimité de soumettre les faucheurs d'OGM à de tels prélèvements obligatoires45°. Le FNAEG a aussi été étendu à d'autres catégories de personnes, notamment aux « personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 » (art. 706-54 du CPP).

Il résulte de ces réformes successives que le droit français a désormais intégré de façon très claire la possibilité d'effectuer des « prélèvements externes », incluant non seulement le prélevé des empreintes digitales et un relevé photographique, mais le prélèvement d'échantillons ADN par voie buccale, dans le cadre pénal et judiciaire. Le Conseil constitutionnel ne considère pas que ces prélevés puissent aller à l'encontre

448 Art. 56 de la loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001

449 Loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne (art. 56); loi « Sarkozy » du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure (art. 29); loi « Perben » du 9 mars 2004 (art. 47); loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales (art. 18); loi sur les violences conjugales du 4 avril 2006 (art. 17); loi relative à la prévention de la délinquance du 5 mars 2007 (art. 42).

45° CCNE (2007), avis n°98, op.cit., p.10

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de la dignité humaine, ou constituer une violation de l'intégrité du corps humain, en particulier parce qu'il ne s'agit pas d'examens « internes ». Qu'en est-il dans le domaine civil, en l'espèce, du droit du travail?

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius