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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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2.Le contrôle d'accès biométrique met-il en jeu l'intégrité du corps ou la dignité ?

Au pôle opposé, on a la critique de D. Touchent464, qui souligne une autre ambiguïté alléguée du jugement : tout en admettant que l'utilisation biométrique de l'empreinte digitale « met en cause le corps humain et porte ainsi atteinte aux libertés individuelles », le TGI admet cette remise en cause lorsqu'il s'agit d'une « finalité sécuritaire ou protectrice de l'activité exercée dans des locaux identifiés. » Or, selon

D. Touchent, « l'intégrité du corps humain et la manière dont il est utilisé par la biométrie constitue un aspect de la dignité humaine. » Dès lors, « la mise en place du badgeage par empreintes digitales ou tout autre système basé sur des éléments mettant en cause le corps humain doit être interdit. Si on autorise ce genre de procédé, rien ne permet de dire que, dans les années à venir, l'employeur ne pourra pas invoquer l'usage d'une puce sous-cutanée pour des impératifs de sécurité et de compétitivité de l'entreprise », ce qui ne relève pas, comme le remarquait la CNCDH, de la science-fiction465. « Les seules atteintes possibles [à la dignité humaine], poursuit-il, sont celles opérées par l'autorité administrative ou judiciaire et qui sont justifiées par la protection de l'ordre public ou de la sécurité des personnes. »466 Si ce dernier point concorde avec la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel, il n'en va probablement pas de même du prélèvement des empreintes digitales: on peut présumer que celui-ci ne serait pas considéré comme douloureux, invasif ou

« attentatoire » à la dignité, et telle semble être la position adoptée par la jurisprudence.

463 Barbry, E. (2005) « La biométrie dans l'entreprise: quand l'innovation se heurte à la culture de l'interdit », Gazette du Palais, 20-21 juillet 2005, p.7

464 Dahmène Touchent, « La mise en oeuvre d'un système de badgeage par empreintes digitales dans l'entreprise », La Semaine juridique, Entreprise et Affaires, n°37, 15 septembre 2005,1337.

465 CNCDH, avis du ler juin 2006 précité.

466 Ibid.

Chapitre N:L'intégrité du corps humain

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On voit que la position de Touchent s'oppose frontalement à celle des soutiens de l'usage de la biométrie utilisant les empreintes digitales dans le cadre de l'entreprise. D'une « mise en cause du corps humain » admise par le TGI, Touchent dérive une « atteinte à la dignité humaine », laquelle est constitutionnellement protégée. La dignité du travailleur est en outre spécifiquement protégée par la Charte des droits fondamentaux proclamée lors du sommet de Nice (art. 31), laquelle, certes, ne possède pas de statut contraignant en droit (ni communautaire, ni français)467 Toutefois, la Cour de cassation a reconnu au salarié le droit à la dignité sur le fondement de l'art. L12o-2 du Code du travai1468

Précisons que la « mise en cause du corps humain » ne correspond, à strictement parler, à aucun texte juridique explicite, contrairement à l' « atteinte à l'intégrité du corps humain » (art. 16-3 du Code civil). La Cour se serait ainsi montrée prudente. On considère d'ordinaire qu'il y a violation de l'intégrité physique du corps quand on outre-passe ses frontières (s'il y a « intrusion » ou « intervention corporelle interne », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel). Toutefois, certains dispositifs biométriques, en opérant à distance pour sonder l'intimité des personnes (on pense surtout à des applications futures de celles-ci, mêlant vidéosurveillance, reconnaissance faciale et contrôle des paramètres physiologiques de la personne, ou encore au « scanner corporel »469), pourraient conduire à interroger cette notion de « frontières du corps ». En effet, il devient de plus en plus envisageable de traverser celles-ci à distance, sans contact physique: de fait, sinon en droit, l'atteinte à l'intégrité du corps ne se réduit pas à une « intervention corporelle interne ». On peut invoquer un certain nombre de textes à l'appui de la position de Touchent, qui ne vise pas seulement à qualifier le dispositif biométrique en question

d' « atteinte à l'intégrité du corps humain », mais de violation de la dignité de la personne. Ainsi, le rapport du Conseil de l'Europe relatif à la Convention 108 sur la protection des données personnelles souligne que certaines personnes « éprouveront une résistance psychologique à l'idée que le corps humain soit utilisé comme une

467 *La Charte européenne des droits fondamentaux est entrée en vigueur conjointement avec le traité de Lisbonne, le 167' décembre 2009 (art. 6 du Traité sur l'UE). Elle concerne le droit communautaire (y compris lorsque des Etats membres de l'UE applique celui-ci).

468 Cass. Soc., 25 février 2003, pourvoi n°oo-42301: Juris-Data n°2003-017934; JCP E2003, 612, cité par D. Touchent, art. cit.

469 Utilisé dans les aéroports, celui-ci « déshabille » la personne, équivalant, selon le Parlement européen, à une « fouille au corps corporelle ». Cf. Résolution du Parlement européen du 23 octobre 2008 sur l'impact des mesures de sûreté de l'aviation et des scanners corporels sur les droits de l'homme, la vie privée, la dignité personnelle et la protection des données

Chapitre N:L'intégrité du corps humain

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source d'information. D'autres encore n'accepteront pas qu'une partie de leur corps, ne serait-ce qu'un doigt, soit « analysée » par une machine. D'autres, peuvent exprimer leur inquiétude face à la banalisation sans considération du corps

humain. La résistance peut dépendre de facteurs socioculturels, religieux ou propres à chaque individu. » Quoiqu'un tel constat puisse aisément être estimé véridique, un tel rapport n'a cependant pas de statut juridiquement contraignant. De plus, par le caractère subjectif de l'appréhension, on peut supposer que cela n'induirait qu'une obligation de recueillir le consentement de la personne concernée, ce qui est déjà le cas actuellement , bien que la nature des relations de travail puisse faire douter de l'entière liberté de ce consentement. La CNIL, tout comme le G2947° et l'Autorité grecque de protection des données 471, ont d'ailleurs souligné le caractère de dépendance propre aux relations de travail. L'Autorité grecque a indiqué à plusieurs reprises que le consentement n'était pas un critère de jugement vis-à-vis de la légalité d'un dispositif biométrique lorsque celui-ci ne répondait pas aux critères de proportionnalité et de finalité472 .

En effet, dans un cas analogue, celui du refus des Témoins de Jéhovah opposé aux transfusions sanguines, leur consentement vis-à-vis de celles-ci est nécessaire, au vu de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients, du moins tant que leur vie n'est pas en jeu. Il en va de même pour la vaccination obligatoire, considérée par la Cour européenne des droits de l'homme comme une atteinte à la vie privée473.

Cependant, s'il s'agit réellement de « dignité de la personne », le principe de consentement, comme le remarque à plusieurs reprises l'Autorité grecque (HDPA), n'est pas suffisant ni même requiem. Or, plusieurs autorités morales considèrent que la biométrie engage la dignité de l'homme. Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l'homme affirme que la « collecte de ces éléments représentatifs de l'être touche la dignité humaine en ce qu'elle réduit chacun à

47° G29, avis n°8/2001.; Debet, Anne (2007), « Mesure de la diversité et protection des données personnelles », rapport de la CNIL, 15 mai 2007, p.14.

471 Autorité grecque de protection des données (2001), directive n°115/2001 concernant la protection des données personnelles des travailleurs (« workers »).

472 HDPA, décision n°245/9 du 20 mars 2000 concernant un dispositif de reconnaissance d'empreintes digitales utilisé à des fins de contrôle de la présence des employés.

473 CEDH, Salvetti u. Italie, 9 juillet 2002.

474 Cf. l'arrêt célèbre du Conseil d'Etat, Morsang-sur-Orge, 27 oct. 1995, sur le « lancer de nains ». Cf. infra pour l'HDPA.

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l'extraction de son patrimoine biologique », doté d'une « vie propre » à travers la constitution d'un double numérique de la personne475.

Selon Touchent, l'interdiction des dispositifs biométriques faisant appel aux empreintes digitales dans l'entreprise se justifierait donc au regard de la dignité humaine, et de la dignité du salarié, laquelle ne peut être limitée par les finalités de l'entreprise, contrairement aux libertés individuelles et collectives du salarié: il s'agit d'un « minimum incompressible ». Aussi, ce commentateur ne regrette pas qu'une décision timide du TGI, mais met en cause la position de la CNIL, qui admet l'usage des dispositifs faisant appel aux empreintes digitales, principalement à des finalités de contrôle d'accès. En faisant intervenir le concept de dignité, il cherche une limite maximale et une protection garantie, ce qui concorde mal avec le pragmatisme affiché de la CNIL.

Certains qualifieraient sans doute la position de Touchent, visant à interdire catégoriquement tout dispositif biométrique portant atteinte à l'intégrité du corps humain, en tant qu'il constituerait une atteinte à la dignité, comme radicale. En effet, ce passage impliquerait non seulement que le consentement lui-même ne soit plus pris en compte, mais aucune finalité de l'entreprise ne permettrait de passer outre de cette interdiction. De plus, si la biométrie était considérée comme constituant effectivement une atteinte à la dignité, c'est-à-dire si la loi ou la jurisprudence admettaient ce jugement de valeur comme fondé en droit, comment expliquer que la dignité puisse être respectée dans le cadre de l'entreprise, où la biométrie serait interdite, et bafouée par l'Etat, au prétexte qu'il s'agirait d'impératifs souverains, d'ordre public ou de sûreté de l'Etat? Il semble donc plus cohérent de défendre l'interdiction de la biométrie dans l'entreprise à l'aide du concept d'intégrité du corps humain, plutôt qu'avec celui de dignité.

475 CNCDH, avis du ier juin 2006 précité.

Chapitre N:L'intégrité du corps humain p. 181

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