WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Des identités de papier à  l'identité biométrique

( Télécharger le fichier original )
par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

L'IDENTITÉ »: ÉTAT CIVIL ET NATIONALITÉ

La « fraude documentaire à l'identité » est l'un des motifs majeurs utilisés pour justifier la mise en place de la biométrie. Celle-ci prend diverses formes: identité fictive, usurpation d'identité, échange d'identité, ou encore utilisation de l'identité d'une personne décédée489. Elle serait liée de près, selon les ministères de l'Intérieur et de la Justice, aux activités terroristes ou au crime organisé (en particulier en ce qui concerne les passeports ou cartes d'identité), mais aussi aux escroqueries ou abus de confiance; les faux permis de conduire49° seraient aussi utilisés pour « bénéficier des droits liés à la nationalité française », etc. Présentée comme indispensable pour ceux qui projettent des activités terroristes491, la fraude documentaire est aussi l'une des catégories d' « infraction terroriste » les plus retenues dans les enquêtes judiciaires françaises492. Cela suffit à attester de l'importance qu'attache l'Etat à la sécurisation de l'identité des personnes; s'y dérober, c'est à tout le moins préparer la voie à d'autres délits, et au pire projeter un attentat. La « lutte contre la fraude » a d'ailleurs été reconnue par le Conseil constitutionnel comme une composante de l' « ordre public »493.

Néanmoins, malgré son importance alléguée, le coût exact de la fraude est inconnu et aucune estimation réelle de son importance quantitative n'a été faite494, ce qui permet de douter du bienfondé de cet argument quant à l'instauration de procédés biométriques. Dans ce contexte d'incertitude à l'égard des chiffres, on peut aussi présumer que la plus grande partie des fraudes, qui ne sont pas nécessairement enregistrées, aurait rapport non pas avec le terrorisme, mais plutôt avec la conduite automobile ou encore le séjour des étrangers en situation irrégulière.

489 Rapport Lecerf (2005), p.13-28.

49° Selon les assureurs, 3% des conducteurs conduiraient sans permis ou avec un faux permis. Ibid.

491 Ce qui paraît une affirmation de bon sens doit être relativisée. Nombre des personnes accusées d'avoir commis des attentats islamistes ces dernières années avaient des papiers parfaitement en règle.

492 Ibid.

493 Conseil constitutionnel, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, §11

494 Ibid. Le rapport Lecerf (2005) rapporte à cet égard les critiques d'Alain Bauer et de Pierre Piazza concernant ce manque d'évaluation réel de la « fraude documentaire ».

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 189

1. Sécuriser la « chaîne de l'identité »: de la suspicion à l'égard des actes d'état civil faits à l'étranger aux tests ADN

L'affaire Antonio Jaimes Antunes Pinto c. CPAM 93 (arrêt de la Cour d'appel de Paris, 18` Chambre, 11 décembre 2008)

En 1970, un jeune Portugais de 14 ans usurpe l'identité de son cousin, Antonio Rosa Antunes, afin de pouvoir travailler légalement en France. Victime d'un accident du travail en 1972 et rémunéré par la CPAM sous son « vrai-faux nom », il retourne au Portugal. En 1992, la CPAM lui demande une preuve de vie. Antonio Jaimes Antunes Pinto demande alors une carte d'identité aux autorités portugaises, se présentant sous l'identité de son cousin. Il fournit sa propre photographie et ses propres empreintes digitales. L'usurpation n'a été découverte qu'en 1999: suite à l'annulation du versement de l'indemnité par la CPAM en 1995, en raison de l'absence d'une preuve de vie d'Antonio Jaimes Antunes Pinto, celui-ci donne une preuve de vie en 1997, mais cette fois-ci sous son vrai nom. La CPAM découvre donc la supercherie, qu'elle n'aurait probablement pas découverte sans l'erreur d'Antonio Jaimes Antunes Pinto, qui avait réussi à attacher ses propres caractéristiques biométriques à l'état civil de son cousin, usurpant donc avec succès l'identité de celui-ci.

L'affaire A.J.A. Pinto illustre à la fois l'importance de la « chaîne de sécurité » nécessaire à l'établissement d'un état civil fiable, y compris en la présence de dispositifs biométriques, et l'un des motifs principaux de la « lutte contre la fraude documentaire 0: empêcher les étrangers, ou les non- « ayant droits », bref, ceux qui n'ont pas le droit d'entrer sur le territoire; d'y travailler légalement; ou de bénéficier de certaines prestations sociales; c'est-à-dire de jouir « indûment » de ces droits. Les essais de « sécuriser l'identité » et de prévenir les « usurpations d'identité » n'ont en effet pas de sens s'ils reposent uniquement sur l'utilisation de technologies sophistiquées, fût-elles biométriques. En tant qu'assureur de l'identité des citoyens, l'Etat, via l'état civil, fait appel à une longue « chaîne de sécurité », selon l'expression du Contrôleur européen de la protection des données495, qui implique la présence d'agents sur le terrain à tous les stades, ou encore d'une « chaîne de l'identité », selon

495 CEPD, avis du 26 mars 2008, art. 26, op. cit.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 190

l'expression du rapport Lecerf (2005), au Sénat, sur « l'identité intelligente »496. Autrement, les sujets peuvent obtenir des « vrais faux » documents: l'erreur, l'équivoque ou la dissimulation s'est logée au coeur même de la certitude juridique. Les conditions de délivrance d'actes de l'état civil, requis pour l'obtention d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport, sont décisives, puisqu'un faux acte d'état civil, s'il est accepté par l'administration, permet la délivrance d'un vrai titre d'identité. De telles fraudes seraient, selon l'administration, principalement effectuées aux fins de se prévaloir de la nationalité française, bien que le souci de prévenir la fraude aux prestations sociales soit aussi très présent. L'affaire Pinto représenterait d'ailleurs bien ce souci -- si le mobile premier de l'usurpation d'identité n'avait pas été, bien sûr, le besoin de travailler légalement en France.

Sans surprise, la suspicion s'est donc abattue sur les étrangers, et notamment sur les actes de l'état civil effectués à l'étranger (catégorie qui comprend, en droit, les actes effectués dans des territoires anciennement sous administration française), pour lequel est compétent le Service central d'état civil (créé par un décret de 1965497) 498, Ceux-ci, qui étaient acceptés de bonne foi en vertu de l'art. 47 du Code civi1499, sont désormais soupçonnables depuis la réforme de cet article par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, dite « loi Sarkozy »500 Désormais, l'article 47 dispose que « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. » En cas de doute, l'administration peut saisir le procureur de la République de Nantes pour procéder à la vérification de l'authenticité de l'acte en question. Sylvie Sagnes rapporte à cet égard qu' « en procédant à cette

496 Rapport Lecerf (2005), op. cit., p.28-41.

497 Décret n°65-422 du ier juin 1965 « portant création d'un service central d'état civil au ministère des Affaires étrangères ».

498 Cf. l'enquête de l'ethnologue Sylvie Sagnes et le témoignage de l'avocate Flor Tercero à cet égard in Etats civils en questions. Papiers, identités, sentiment de soi, dir. Agnès Fine, éd. du CHTS, 2008: Sagnes, Sylvie, « Aux marges de l'état civil: les « Français de l'étranger » (p.55-77) et Tercero, Flor, « L'état civil des étrangers, des Français nés à l'étranger et politique migratoire. Le point de vue de l'avocat » (p.77-93).

499 Avant 2003, l'art. 47 du Code civil disposait que « tout acte de l'état civil des français et des étrangers, fait en pays étranger, fera foi, s'il est rédigé dans les formes usitées dans ledit pays. » 5°° Loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 191

modification de l'article 47 du Code civil, le gouvernement et le législateur ont légalisé a posteriori une pratique illégale de l'administration... pour le tracas des étrangers et des Français d'origine étrangère », ceux-ci pouvant désormais « attendre plus d'un an pour qu'on se prononce sur la validité de leurs actes d'état civil. »5O1 Auparavant, en cas de doute, le procureur devait engager une action publique pour faux et usage de faux à l'encontre de l'étranger. La norme est donc devenue le soupçon -- notamment en matière de mariage mixte effectué à l'étranger (art. 170.1 du Code civil)502, pouvant conduire à des situations dramatiques où des personnes de longue date française se voient d'un coup rejetées hors de la communauté nationale, à l'occasion du renouvellement d'un titre d'identité, pour lequel on leur demande un certificat de nationalité qui leur est refusé5°3.

Sylvie Sagnes a pu montrer le lien compliqué entre état civil et nationalité, catégories juridiques distinctes, qui se noue en particulier au Service central de l'état civil, qui mêle « état civil colonial » (Français originaires de pays devenus étrangers), « état civil consulaire » (Français à l'étranger) et « état civil des naturalisés ». D'un côté, la nationalité « fait » ou « génère » de l'état civil (voir par ex. l'art. 98 du Code civil); de l'autre, l'état civil « fait » la nationalité, les actes d'état civil pouvant être produits comme preuves de la nationalité française, nonobstant la francisation des noms que l'administration tente, sans grand succès, d'imposer5°4. Toutefois, l'art. 98 admet des exceptions, et la Sous-direction des naturalisations (SDN) ne peut refuser la nationalité au motif que l'état civil n'est pas justifié. L'état civil, possédant une

5O1 Sagnes, Sylvie (2008), op.cit., p.78

5O2 Selon Sylvie Sagnes, « l'administration française suspecte tous -- ou presque -- les mariages mixtes célébrés au Maroc, en Tunisie, Turquie et Algérie d'être des mariages de complaisance. En conséquence, elle surseoit à la transcription et soumet les conjoints à une procédure visant à établir la réalité des intentions matrimoniales et partant la validité du mariage. Bien que les cas d'annulation s'avèrent rares (3o sur 1 300 en 2004), il n'en demeure pas moins que les retards pris dans l'instruction des validités peut causer des séparations plus ou moins longues (de six mois à un an) et préjudiciables pour les intéressés. » (Sagnes, Sylvie, 2008, art. cit., p.69).

5°3 Tercero, for (2008), op.cit. Voir aussi Maschino, Maurice T. (2002), « Etes-vous sûrs d'être Français? », Le Monde diplomatique, juin 2002; ou le témoignage personnel du journaliste Hugues Serraf (2007), « Génétique administrative : de Courteline à Orwell »,19 septembre 2007 , http://hugues.blogs.com/commvat/2007/o9/gntique-adminis.html ; * Selon Catherine Corroler, « selon le ministère de la Justice, sur les 172110 personnes ayant demandé [le certificat de nationalité] en 2002, 5% (8 331) ont essuyé un refus. En 2007, ce pourcentage est passé a12%,18 572 des 145 965 requêtes ayant été rejetées. » (« Nationalité: preuves par l'absurde », Libération, ii janvier 2010); cf. aussi Catherine Corroler, «A un moment, je me suis senti apatride », entretien avec Olivier Guichardaz, et « Cela peut être un véritable drame », entretien avec Daniel Karlin, Libération, 11 janvier 2010; C. Corroler, « Appel pour les Français rejetés », Libération, 18 janvier 2010, et « Vous êtes Français? Prouvez-le », appel de la LDH publié dans Libération,18 janvier 2010. 5°4 Masure, François (2008), « Des noms français? Naturalisation et changement de nom » in Fine, Agnès (dir.), op.cit., p.245- 275.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 192

finalité d'identification, est ainsi de plus en plus « instrumentalisé » dans le cadre de la « politique de l'immigration »5°5.

La politique de l'immigration et le doute jeté à l'égard des « Français de l'étranger » (qu'ils soient Français nés dans d'anciennes colonies, Français nés en France de parents étrangers, ou/et Français naturalisés) explique ainsi largement l'insistance portée sur la sécurisation des titres d'identité et de la chaîne qui y correspond, notamment à travers l'instauration de la biométrie. Selon Sylvie Sagnes, la ligne de partage passerait de plus en plus non pas entre les Français et les étrangers, mais entre les « ayant droits » et les « sans-papiers »506 En venant s'instaurer dans cette chaîne, la biométrie vient creuser ce partage. Elle s'y insère non seulement via la biométrisation des titres d'identité, qui concerne tous les Français -- bien que rien ne permette d'écarter définitivement l'hypothèse selon laquelle elle en viserait certains plus que d'autres --; mais aussi via la possibilité, lorsque les actes d'état civil sont défectueux, c'est-à-dire suspects aux yeux de l'administration, et que la possession d'état (art. 311-i du Code civil) ne peut être invoquée, de faire appel aux prélèvements ADN pour prouver la filiation maternelle lors des procédures de regroupement familial (CESEDA, L-iii-6, art. introduit par l' « amendement Mariani » de la loi du 20 novembre 2007, dite « loi Hortefeux », qui a aussi modifié l'art. 226-28 du Code pénal relatif à l'identification génétique 507). Cette procédure existe, à divers degrés, dans onze autres Etats européens, où il s'agit presque toujours d'une pratique administrative non encadrée juridiquement5°8. Seul le Danemark, l'Italie et la Norvège l'exerce dans un cadre juridique5°9. En France, dès 1987 un tel procédé avait été envisagé51O

5°5 Sagnes, Sylvie (2008), art. cit.

506 Sagnes, Syvlie (2008), art. cit.

5°' Loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (art. 13, V).

5o8 Il s'agit de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Belgique, du Danemark, de la Finlande, de l'Italie, de la Lituanie, de la Norvège, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la Suède. Voir le rapport parlementaire de Th. Mariani (« Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi (n°57) relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (urgence déclarée) », enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 12 septembre 2007: http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/rol6o.asp ) 5°9 Leneveu, Guillemette (2007), « Tests génétiques : le passage en force », Esprit, nov. 2007

51O Libération, 7 janvier 1987 (cité par Catherine Labrusse-Riou, « La vérité dans le droit des personnes », in L'homme, la nature, le droit, Christian Bourgois, 1988, dir. B. Edelmann et M.-A. Hermitte, p.161)

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 193

Non sans mauvaise foi, le gouvernement faisait observer dans ses observations au Conseil constitutionnel, saisi par l'opposition, que l'art. 13, loin d'être une « atteinte au droit au regroupement familial, au droit à la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale », comme celle-ci le prétendait, visait au contraire à « faciliter (...) le regroupement familial par l'ouverture du recours à un nouveau mode de preuve à la discrétion des demandeurs de visa »511 Les considérants 16 à 18 de la décision du Conseil constitutionne1512 à cet égard ont cependant donné raison à l'argumentation du gouvernement, de façon qui mérite d'être citée in extenso:

« 16. Considérant, d'une part, que les dispositions de l'article 13 de la loi déférée ne modifient pas les conditions du regroupement familial et, en particulier, la défmition des enfants pouvant en bénéficier telle qu'elle résulte des articles L. 314-11 et L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elles ont pour seul objet d'autoriser le demandeur de visa à apporter par d'autres moyens un élément de preuve du lien de filiation lorsque ce dernier conditionne le bénéfice de ce regroupement et que l'acte de l'état civil dont la production est exigée pour prouver le lien de filiation est inexistant ou a été écarté par les autorités diplomatiques ou consulaires ; qu'elles ne modifient pas davantage les dispositions de l'article 47 du code civil qui réglementent la force probante des actes de l'état civil établis à l'étranger et auquel renvoie le premier alinéa de l'article L. 111-6 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'application de ce nouveau dispositif dans les États désignés par décret en Conseil d'État ne saurait avoir pour effet de dispenser les autorités diplomatiques ou consulaires de vérifier, au cas par cas, sous le contrôle du juge, la validité et l'authenticité des actes de l'état civil produits ; que, sous cette réserve, ces dispositions ne portent atteinte ni directement ni indirectement au droit de mener une vie familiale normale garanti par le dixième alinéa du Préambule de 1946 ;

17. Considérant, d'autre part, que la mise en oeuvre de ce dispositif est subordonnée à une demande de l'intéressé ; qu'en outre, le législateur a entendu ne pas autoriser le traitement des données à caractère personnel recueillies à l'occasion de la mise en oeuvre de ce dispositif et n'a pas dérogé aux dispositions protectrices de la vie privée prévues par la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que, dans ces conditions, les requérants ne peuvent utilement soutenir que les dispositions précitées porteraient atteinte au respect de la vie privée qu'implique l'article 2 de la Déclaration de 1789 ;

511 Observations du Gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, JORF n°270 du 21 novembre 2007 page 19012 . NOR: CSCL0711007X

512 Conseil constitutionnel, décision n°2007-557 DC du 15 novembre 2007. Nous soulignons.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 194

18. Considérant, enfin, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, en autorisant ce mode supplétif de preuve d'un lien de filiation, le dispositif critiqué n'instaure pas une mesure de police administrative ; qu'en outre, la loi n'autorise pas l'examen des caractéristiques génétiques du demandeur de visa mais permet, à la demande de ce dernier ou de son représentant légal, son identification par ses seules empreintes génétiques dans des conditions proches de celles qui sont prévues par le deuxième alinéa de l'article 16-11 du code civil ; qu'il s'ensuit que le grief tiré de l'atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine consacré par le Préambule de 1946 manque en fait; »

De cette décision transparaît en effet l'adhésion du Conseil constitutionnel à l'argumentation gouvernementale, présentant l'identification génétique comme un « mode de preuve supplétif », qui, loin de limiter le droit au regroupement familial et à l'égalité, ainsi que de heurter le principe du respect de la dignité de la personne, favoriserait le regroupement familial. C'est passer sous silence que si cette loi ne modifie effectivement pas l'art. 47 du Code civil, c'est parce que celui-ci avait déjà été modifié par la loi du 26 novembre 2003, et que l'instauration de ce nouveau mode de preuve n'a de sens que parce que la suspicion à l'égard des modes traditionnels d'établissement de filiation a été légitimée par la réforme de l'art. 47. Saisi à cette occasion, le Comité consultatif national d'éthique s'est ainsi dit « préoccupé par la charge anormale de preuves qui pèsent sur le demandeur », rappelant que « la protection et l'intérêt de l'enfant doivent être une priorité quand il s'agit de décisions concernant la famille. Le doute devrait jouer a priori au bénéfice de l'enfant. »513 Dès lors, parler de « consentement » de la personne, et donc d'accord avec l'art. 16-ii du Code civil, n'est qu'une manière de parler: de quelle forme de consentement parle-t-on lorsque, une fois le doute levé, en droit et en fait, par l'administration sur les actes d'état civil du mineur, celui-ci doit choisir entre se soumettre à cette procédure ou abandonner ses droits au regroupement familial?

Cependant, certains commentateurs ont pu affirmer que les réserves du Conseil constitutionnel, notamment aux considérants 9 et 16, auraient rendu la loi inapplicable514. Le considérant 9 rappelle en effet que la loi n'impose pas aux

513 CCNE (2007), avis n° loo, « Migration, filiation et identification par empreintes génétiques », 4 octobre 2007.

514 Cf. par ex. Alexandre Viala, selon qui « par le renvoi à cette législation ainsi opéré dans le silence de l'amendement Mariani, le juge constitutionnel élargit au profit des étrangers, et au-delà des seules traces écrites de l'état civil, la gamme des preuves pour établir leur filiation. Dans des pays où la

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 195

étrangers le droit français de la filiation5~5, en accord avec l'art. 311-14 du Code civi1516. Est-ce pour autant que l'art. 13 aurait été vidé de sa substance, comme l'affirme certains? Que la loi est inapplicable? Le recours aux tests génétiques en tant que « mode de preuve supplétif » demeure réel, et quand bien même « tous les modes de preuve reconnus par la loi personnelle de la mère étrangère pourront donc être utilisés »517, le soupçon de l'administration française érigé en norme par l'art. 47 du Code civil ne peut-il conduire à écarter ces preuves, jugées comme non probantes? L'art. Liai-6 du CESEDA établit en effet une échelle des preuves5l8: l'état civil est d'abord examiné; si l'administration soupçonne la véracité de ce dernier, on tentera d'établir la filiation par la « possession d'état » (art. 311-1 du Code civi15~9); si, enfin, la « réunion suffisante de faits » permettant d'établir la possession d'état n'est pas réunie, le recours aux tests ADN interviendra52O. Nous laissons cette question juridique en suspens; les juges auront en toute probabilité à trancher la question et à

famille ne se réduit pas au cercle restreint de la cellule nucléaire occidentale, voilà une gamme qui peut s'avérer large et dispenser l'étranger, chemin faisant, de recourir à l'usage si contesté de la preuve par la génétique. » (Viala, Alexandre, 2007, « Quand les réserves du Conseil constitutionnel censurent la loi sans le dire », 27 novembre 2007 , http://cercop.over-blog.com/article-7275498.html)

515 Voir aussi l'interprétation faite par le Conseil constitutionnel lui-même de sa décision dans un communiqué de presse: http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/depuis-1958/decisions-par-date/2007/2007-557-dc/communique-de-presse.17181.html 5i6 « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant. » (art. 311-14 du Code civil)

517 Conseil constitutionnel (2007), communiqué de presse, art. cit.

518 Tel que modifié par la « loi Hortefeux », l'art. Lin-6 du CESEDA dispose :

« La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil.

Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée. »

519 L'art. 311-1 du Code civil dispose (nous soulignons) : « La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.

Les principaux de ces faits sont :

1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;

2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ;

4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;

5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. »

52° C'est bien l'avis de Guillemette Leneveu : « Présentée sous la forme du volontariat et de la liberté, elle devrait dans les faits devenir une condition pour entrer sur le territoire, un refus de recourir au test donnant peu de chances au demandeur de bénéficier du titre de séjour. » (Leneveu, G., 2007, art. cit.)

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 196

déterminer ce qui constitue « une réunion suffisante de faits » pour établir la filiation et donc la possession d'état, en cas d'insuffisance déclarée de l'état civil, si le décret d'application est promulgué521

Saisie par le GISTI, la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) a d'ailleurs considéré l'art. 13 de cette loi établissant ce « mode de preuve supplétif » comme « discriminatoire »522. Notant tout d'abord le caractère discriminatoire de la loi au regard des conventions internationales, notamment de la Convention sur les droits de l'enfant5~3, la HALDE a en effet d'abord souligné que 8o% des demandes de regroupement familial étant effectuées par les pères, et non les mères, l'établissement de la preuve biologique de la filiation maternelle, en cas de doute sur l'état civil, ne suffira pas à ôter le doute concernant la fiabilité des actes de mariage. La HALDE a ainsi déclaré:

«En d'autres termes, une fois que la filiation de la mère sera établie, le doute sur le lien entre le père et la mère demeurera. De plus, cette procédure ne pourra être mise en oeuvre, en cas de décès de la mère, par un père, résidant régulièrement en France et cherchant à faire venir son enfant sur le territoire français. Cette mesure, concrètement peu utile, stigmatise très fortement les candidats au regroupement familial, droit fondamental, et revêt une portée discriminatoire. La mise en oeuvre de cette procédure, porte une atteinte aux droits fondamentaux tels que le droit au respect de la vie privée de l'article 8 de la CEDH, les tests d'identification par empreintes génétiques étant réservés en France à des cas très spécifiques, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de délinquance sexuelle. »

521 Grivel Cardon, Peggy « Quand l'ADN divise », Blog Dalloz, 19 octobre 2007 ; « Immigration : Besson enterre les tests ADN », Le Monde, 13 septembre 2009. Voir néanmoins « Besson relance les tests ADN », Le Journal du dimanche, 12 février 2009.

522 HALDE (2007), Délib. n°21307-370 du 17 décembre 2007

523 La HALDE déclare ainsi: « la décision de conformité de la loi à la constitution ne retire en rien la légitimité de la haute autorité à se prononcer sur le texte de loi, notamment au regard des conventions internationales. En effet, le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la conformité des lois aux conventions internationale. Parmi les dispositions de cette loi, plusieurs sont donc susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire au regard des conventions internationales, alors même qu'elles ne sont pas contraires à la Constitution » (délib. n°21307-370)

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 197

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus