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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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2.Sans papiers et ayant-droits: l'identification biométrique et l'échelle des statuts

Les récents débats à propos de l' « amendement Mariani » se sont focalisés sur le risque de favoriser la « filiation biologique » au détriment d'autres types de filiation, désormais courants (avis n°100 du CCNE), et sur la tonalité de la politique d'immigration mise en oeuvre par le gouvernement. A la lumière de la réforme de l'art. 47 du Code civil d'une part, d'autre part de la volonté de prévention de la

« fraude identitaire », il jette aussi un autre éclairage sur la finalité de l'utilisation des techniques biométriques pour sécuriser les titres d'identité. La biométrie semble en effet viser ici en particulier les étrangers, bien qu'elle puisse s'appliquer pour se faire à tous, et permet spécifiquement de départager plusieurs classes ambiguës entre les

« ayants droits » et les « sans-papiers ». Plutôt qu'un simple partage binaire entre ces deux classes, l'identification, de papier et biométrique, permet de construire un continuum d'inclusion ou d'exclusion, selon une échelle intensive des droits (débouté du droit d'asile, étranger en situation irrégulière, statut admettant lui-même plusieurs situations distinctes selon les papiers et les titres obtenus -- légalement, telle une « autorisation exceptionnelle de séjour », ou plus ou moins frauduleusement, telle une carte Vitale -, étranger doté d'un permis de séjour, d'une carte de séjour, naturalisé, Français né de parents étrangers, Français « de souche », etc.)5~4. Les historiens ont montré à quel point la nécessité de distinguer le Français de l'étranger avait influencé l'état civil en France, depuis la Révolution, mais tout particulièrement à la suite de la loi de 1889 sur la nationalité, accompagnée de la politique de protection du marché national et des droits sociaux5~5. La césure a donc toujours opérée entre Français/étranger d'une part, « ayant droit » et exclu des droits (sociaux, économiques, politiques) d'autre part. Mais cette césure n'est pas seulement binaire, comme a pu le souligner Mike King (1997). Toute une échelle de droits est constituée, chacun occupant un degré de celle-ci. Au sommet de la hiérarchie, le

« Français de souche », assuré de son identité, n'ayant rien à se reprocher, ni même une carte d'étudiant périmée afin de bénéficier de réductions... cet archétype idéal

524 Au sujet de ce continuum d'exclusion-inclusion, voir King, Mike (1997), « Le contrôle des différences en Europe: l'inclusion et l'exclusion comme logiques sécuritaires et économiques », in Cultures & Conflits n°26/27, été-automne 1997, Paris, éd. L'Harmattan, p.35-51.

525 Cf. par ex. Noiriel, Gérard (1993) et Piazza, Pierre (2007).

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 198

ressemble à bien des égards au « visage du Christ », ou de « l'homme blanc », tel que décrit par Deleuze et Guattari: il n'y a pas d'exclusion entre le dehors et le dedans, mais plutôt « détermination des écarts de déviance »526, ce qui constitue, très exactement, la définition deleuzienne du « racisme », dont Foucault a pu décrire la généalogie à partir du « biopouvoir »527. A cet égard, la biométrie viendrait renforcer les procédures étatiques, mais aussi économiques et sociales, d'assignation de l'identité, selon ce continuum opérant par série de coupures binaires et d'écarts de déviance.

Serait-ce la nécessité d'opérer sans cesse de nouvelles coupures qui permettrait de comprendre la généralisation de la biométrie, au titre de la lutte contre les « fraudes documentaires »? Le motif, ou prétexte, de la lutte anti-terroriste, s'efface en effet vite devant la lutte contre l'immigration irrégulière, elle-même relayée par la lutte contre les fraudes à la Sécurité sociale, sans compter les fraudes à l' « identité électronique » et surtout au commerce et à la finance en ligne... Tout devient alors prétexte à l'instauration de titres sécurisés, via la biométrie, les fraudes étant chaque fois dépeintes comme périlleuses, risques massifs affectant l' « identité nationale », la « solidarité nationale », la « stabilité économique », etc., malgré l'absence d'évaluations fiables concernant leur ampleur alléguée. Et à chaque fois, la multiplicité de ces « fraudes », qui se situent parfois dans les zones grises du droit, constitue des statuts distincts, plus ou moins légitimes ou légaux, véridiques ou falsifiés...

En effet, la « fraude documentaire », permettant d'introduire le faux au coeur de la vérité juridique et civile, ne concerne pas que l'acquisition de cartes nationales d'identité ou de passeports afin de se prévaloir de la nationalité française. Des statuts plus équivoques encore ont pu être constitués, par les diverses ruses opposées par les étrangers aux politiques les ayant confinés à l'irrégularité et à l'illégalité -- le terme de « clandestins » ne leur étant que très peu approprié, comme a pu le remarquer J. Derrida, ceux-ci ayant « vécu et travaillé au grand jour pendant des années »528. Le

526 Deleuze, Gilles et Guattari, Félix (1980), Mille plateaux, Paris, éd. de Minuit, p.218 (« plateau 7: Année zéro - Visagéité »).

527 Foucault, Michel (1976), La volonté de savoir (dernier chapitre)

528 « C'est l'iniquité de la répression gouvernementale à l'égard des « sans-papiers » qui souvent crée de la clandestinité là où il n'y en avait pas » déclarait-il alors: Derrida, Jacques; Guillaume, Marc et Vincent, Jean-Pierre, Marx en jeu, Descartes & Cie, 1997, p.73-91 (en part. p.87)

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grand public a ainsi découvert, avec surprise, que nombre d'étrangers en situation irrégulière travaillaient de façon « légale », leurs employeurs ignorant leur situation ou ayant préféré ne pas la connaître, nombre d'entre eux payant leurs impôts. Relayant les préoccupations de la Préfecture de police de Paris, le Figaro pouvait ainsi expliquer comment d'une fiche de paie un étranger pouvait obtenir une carte Vitale, qui permet non seulement de bénéficier d'un peu plus que du minimum santé pourvu par l'Aide médicale d'Etat, mais qui serait le « sésame à un mode d'existence quasi légal », permettant « d'établir des chèques-emploi, des salaires et même une déclaration d'impôt »5~9. S'il faut bien entendu relativiser ce « mode d'existence quasi légal », une carte Vitale ne valant pas permis de séjour à l'occasion d'un contrôle d'identité, il montre bien ce que peut signifier un statut intermédiaire entre l'irrégularité complète et l' « ayant droit » « légitime » au titre de l'appartenance nationale. Par ailleurs, cette « traque aux fraudes » met en évidence l'aspect de chaîne qui caractérise l'identité. Certes, le Code de sécurité sociale prévoit (art. L115-2 et 1157) des vérifications du statut juridique de l'étranger, ce qui implique des échanges d'information et des recoupements de fichiers administratifs. Celles-ci toutefois sont rarement effectuées par la Cnam, son président du conseil, Michel Régereau, considérant à la fois que la mission de la Cnam n'est pas de « dénoncer » les personnes en situation irrégulière, et que celles-ci ne représentent qu'une infime partie des fraudes à la Sécurité sociale53°.

Cet exemple, qui prend place dans le contexte d'une part d'un contrôle accru des récipiendaires des prestations sociales, d'autre part dans la « criminalisation » d'une partie des étrangers, met en lumière à la fois les défauts de la biométrie et les raisons qui peuvent motiver son utilisation. En effet, d'une part, toute sécurisation des documents d'identité ne peut reposer uniquement sur des technologies biométriques, l'ensemble de la « chaîne » étant décisive; d'autre part, face aux réticences de certaines organisations ou administrations, notamment dans le secteur social, à dénoncer certaines personnes jugées « indésirables » par les services de police, l'utilisation de la biométrie peut être utilisée afin d'automatiser les procédures de vérification et ainsi court-circuiter ces réticences humaines. Il s'agit, une fois encore, de mettre la subjectivité humaine hors jeu, mais cette fois-ci non pas seulement dans un souci d'exactitude, mais dans le but inavoué de contourner certaines résistances

529 Gabizon, Cécile (2009), « Carte Vitale: la traque aux fraudes est engagée », Le Figaro, 5 mai 2009 53° Gabizon, Cécile (2009), art. cit.

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politiques et sociales. Le rôle de l'agent humain, ou de la subjectivité, n'est toutefois pas éliminé: il est plutôt déplacé, transféré des agents travaillant dans le domaine social aux techniciens devant interpréter les décisions des machines biométriques. Les mêmes personnes peuvent d'ailleurs faire ce travail: c'est alors la nature même de leur emploi, et donc leur subjectivité, qui évolue531.

531 Voir, au sujet de la Police aux frontières (PAF), Gérard Dubey, « Le grand décrochage. Le cas des systèmes d'identification biométriques », http://www.creis.sgdg.org/colloques creis/2oo7/Dubey.pdf

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 201

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon