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Ecriture et politique dans "en attendant le vote des bêtes sauvages " d'Ahmadou Kourouma

( Télécharger le fichier original )
par Kossi Wonouvo GNAGNON
Université de Lomé Togo - Maà®trise en lettres 2009
  

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Conclusion partielle

L'écriture par nature est un produit historique au travers duquel s'identifie la liberté et la responsabilité de l'écrivain. Ainsi l'écriture en soi est-il l'expression d'un acte politique mais elle peut également devenir une action politique. L'écriture de Kourouma en est un exemple. Particulière et complexe, l'écriture kouroumalienne présente les caractéristiques des écritures postcoloniales dont les formes nouvelles traduisent clairement le fond. On y rencontre une problématique énonciatoire axée sur la polyphonie discursive, le dialogisme, et un `'Je» au pluriel. Il s'agit d'une écriture violente où mêlent transgressions, conciliations ou altérité générique et linguistique. De cet engagement formel, Kourouma arrive à l'engagement politique. En effet, le roman, En attendant le vote des bêtes sauvages, est fondamentalement une oeuvre idéologique (l'idéologie de la forme) et politique, c'est-à-dire une oeuvre qui fait la peinture de la cité des hommes. Ce faisant, l'oeuvre de Kourouma est une représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale.

62 Jean-Dominique PENEL, "Littérature et Politique" in Notre Librairie (Littérature nigérienne) n°107 novembre- décembre 1991.

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DEUXIEME PARTIE

LES REPRESENTATIONS DE LA POLITIQUE DANS

L'OEUVRE

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Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, la politique est représentée à travers les actions des personnages, la fixation du temps et de l'espace, une thématique des figures du pouvoir et des fondements du pouvoir politique dans l'Afrique postcoloniale. L'oeuvre repose dès lors sur une dialectique de l'épopée et de la satire.

Dans cette deuxième partie de notre étude, nous allons nous intéresser à comment à travers le récit épique, Kourouma présente d'abord les prouesses politiques avant de les tourner en dérision par l'ironisation des bouffonneries des personnages ; comment il présente les instabilités politiques à travers la déstabilisation sémantique par la conciliation de l'écriture et de l'oralité.

L'analyse psychocritique des personnages, l'onomastique et la thématique nous permettront également de mieux mettre en évidence les réalités politiques de l'Afrique postcoloniale dans l'oeuvre.

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CHAPITRE : I

DU RECIT EPIQUE AU ROMAN SATIRIQUE ; DE LA CONCILIATION DE L'ECRITURE ET DE L'ORALITE : UN SYSTEME D'ESTHETIQUES PROPRE POUR REPRESENTER LA POLITIQUE

En attendant le vote des bêtes sauvages est une oeuvre dont la structure est radicalement complexe. On y rencontre épopée et satire, oralité et écriture conciliées. Ces codes littéraires sont les mieux indiqués pour représenter la politique. En effet, la politique met la parole au prisme de l'écriture ; et, tandis que l'épopée permet de louanger les prouesses politiques du héros, la satire en fait une critique acerbe sur fond d'ironie.

Par ailleurs, l'hybridité générique constituée par la conciliation entre l'oralité et l'écriture déséquilibre le système structural classique et découvre une déstabilisation sémantique, laquelle est un signe de déchéance politique dans l'Afrique postcoloniale.

1. Du récit épique au roman satirique : les désillusions politiques

Le récit dans En attendant le vote des bêtes sauvages s'ouvre sur un ton épique, censé vanter les exploits rocambolesques et héroïques de Koyaga. Mais très vite, le lecteur se désillusionne pour découvrir plutôt la vérité sur la « dictature » du héros, sur ses « parents », ses « collaborateurs », ses « saloperies », ses « conneries », ses « mensonges », ses « nombreux crimes et assassinats... ».

Ce passage de l'épopée à la satire traduit l'expression de désillusions politiques qui ont marqué la conscience collective des africains au lendemain des indépendances. L'épopée politique montre le héros sur-humain qui apparaît comme un héros-Sauveur du Peuple. La

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satire politique expose le héros in-humain qui est aussi le héros-Diable. Nous allons montrer comment cette situation est rendue à travers l'écriture de Kourouma.

1.1. L'épopée politique : le Héros Sur-humain / le Héros-Sauveur

Selon le Robert Collège, l'épopée est « un long poème ou récit de style élevé où la légende se mêle à l'histoire pour célébrer un héros ou un grand fait ». Or le « héros », Koyaga, apparaît, dans la première ligne, dans une présentation hyperbolique et martiale, comparé à un dieu, à un surhomme. Dès les premières phrases du roman, le récit est donné immédiatement comme une épopée à la manière d'une « geste » pour présenter un personnage légendaire et mythique :

« Votre nom : Koyoga ! Votre totem : faucon ! Vous êtes soldat et président. Vous resterez le président et le plus grand général de la République du Golfe tant qu'Allah ne reprendra pas (que des années encore il nous en préserve !) le souffle qui vous anime. Vous êtes chasseur ! Vous resterez avec Ramsès II et Soundiata l'un des trois plus grands chasseurs de l'humanité. Retenez le nom le nom de Koyoga, le chasseur et président-dictateur de la République du Golfe ». (p. 9).

L'identité de Koyaga découvre un héros doté d'une humanité surnaturelle. Est-il surhumain ou in-humain ?

Surhumain, oui ! Le récit de la naissance de Koyaga et de ses premières années montre la naissance merveilleuse d'un héros, antithèse du commun des mortels, dans des conditions inhabituelles et paradoxales :

« La gestation d'un bébé dure neuf mois ,
· Nadjouma porta son bébé douze mois entiers. Une femme souffre du mal d'enfant au plus deux jours ,
· la maman de Koyaga peina en gésine pendant une semaine entière. Le bébé des humains ne se présente pas plus fort qu'un bébé panthère ,
· l'enfant de Nadjouma eut le poids d'un lionceau.
» (p. 22)

Une naissance aussi controversée ne fait que préfigurer un destin hors pair pour un homme politique que deviendra Koyaga, le destin du « plus grand tueur de gibiers parmi les

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chasseurs », qui, dans ses premières années, constituait une source de tourments pour les animaux.

L'épopée des prouesses politiques transparaît déjà dans le récit de l'histoire de Koyaga avant ses neuf ans.

« Des mouches tsé-tsé partirent des lointaines brousses et des montagnes et foncèrent sur le bébé. Par poignées, Koyaga, vous avez écrasé les glossines dans vos mains. A quatre pattes, vous n'avez laissé vie sauve à aucun des poussins et margouillats qui picorent dans vos plats de bébé. Quand vous avez eu cinq, les rats perdirent la sécurité et la tranquillité dans leurs trous ,
· vous fûtes un grand et habile attrapeur de rats. Les tourterelles ne jouirent plus de leur repos sur les branches des arbres ,
· vous fûtes un adroit manipulateur du lance-pierre
» (p. 22)

« Quelle étaient l'humanité, la vérité, la nature de cet enfant ? » s'interroge insidieusement Bingo.

Nous découvrons que le héros est d'une nature surhumaine. Le récit du combat qu'il mena contre les monstres qui hantaient les paléos, dans le chapitre 5, confirme Koyaga « le plus féroce tueur de bêtes ». Ainsi Koyaga tua successivement « la panthère qui ne vivait que de la chair humaine », « un buffle noir solitaire, le plus âgé des buffles de l'univers » et qui « constituait pour tous les peuples paléos, tous les hommes de la région, une véritable calamité », et l'éléphant « qui détruisait les récoltes et lâchait sur les plantations des monts de crottes », toujours armé de sa « carabine 350 Remington Magnum ».

Nous pouvons considérer également le récit du combat entre Fricassa Santos et Koyaga (pp. 95-101). Cette partie du roman montre les hauts faits magiques de Koyaga qui a pu arriver à bout des pouvoirs zoomorphiques du grand initié Fricassa Santos.

Dans l'Afrique postcoloniale, les chefs d'Etat dictateurs et tyrans ont d'abord été accueillis comme des sauveurs venus pour délivrer le Peuple. C'est aussi le cas de Koyaga et des autres dictateurs dont nous parlent Kourouma dans En attendant le vote des bêtes

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sauvages. En effet, l'épopée politique dans l'oeuvre raconte les exploits du héros sur-humain qui vient comme un libérateur, un sauveur pour le Peuple. Ce héros-Sauveur faisant montre d'une certaine sur-humanité est bon de coeur, généreux, sympathique. Il combat le système existant et arrive à faire un coup d'Etat en éliminant physiquement le Président ou en le chassant du pouvoir. Comme exemples, Koyaga est devenu Président de la République du Golfe en assassinant Fricassa Santos ; Bossouma, l'Empereur du Pays aux Deux Fleuves, arriva au pouvoir en participant à un coup d'Etat contre le régime de son cousin, et en assassinant tous ses propres complices ; le dictateur au totem léopard accède au pouvoir en trahissant Pace Humba, celui-là même qui lui avait attribué le grade de général d'armée. Evidemment, l'arrivée au pouvoir de ces nouveaux dirigeants a donné naissance à de nouveaux espoirs qui se changeront rapidement en désillusions.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry