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Ecriture et politique dans "en attendant le vote des bêtes sauvages " d'Ahmadou Kourouma

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par Kossi Wonouvo GNAGNON
Université de Lomé Togo - Maà®trise en lettres 2009
  

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CHAPITRE : II

DE L'ONOMASTIQUE A LA THEMATIQUE DANS L'OEUVRE :

LES FIGURES DU POUVOIR ET LES FONDEMENTS DE LA POLITIQUE
DANS L'AFRIQUE POSTCOLONIALE

Kourouma, grâce à son génie créateur, invente à travers ses oeuvres un univers fictionnel dans lequel il fait vivre des êtres autres que lui, des êtres qui donnent l'illusion d'une existence réelle. Dans ce monde créé par le romancier, les désignations et les caractérisations totémiques occupent une place de choix tout comme celles des personnages. Mais, nous devons noter que les personnages chez Kourouma sont souvent désignés sous leur signe totémique. L'onomastique dans l'oeuvre fonctionne comme un masque qui occulte la réalité sur les figures du pouvoir dans l'Afrique postcoloniale. Les noms des personnages, des lieux, des animaux sont des repères indiciels qui participent d'un jeu de cache-cache auquel s'adonne Kourouma pour représenter la scène politique de l'Afrique au lendemain des indépendances.

Par ailleurs, à partir de la thématique, nous découvrons, dans l'oeuvre, les fondements du pouvoir politique, les caractéristiques de l'Etat africain postcolonial.

1. L'onomastique : un jeu de cache-cache sur les figures de pouvoir dans l'oeuvre

Selon le Robert, «l'onomastique est l'étude ou la science des noms propres et spécialement des noms de personnes63». Elle comporte plusieurs branches :

«L'onomastique est la science qui se donne pour objet l'étude des noms. Elle se subdivise en plusieurs branches dont les plus importantes pour l'historien sont consacrées aux noms des lieux, des rivières, de personnes et portent les noms respectivement de toponymie,

63 Paul ROBERT, Dictionnaire Alphabétique et analogique de langue française, Paris, 1990, p.1189.

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hydronymie, anthroponymie, formés tous trois d'après d'anciens mots grecs. »64

Dans le cadre de notre travail, nous nous intéresserons à l'anthroponymie, mais aussi à la zoonymie, c'est-à-dire le nom des animaux. L'étude onomastique consiste à apprécier la dénomination des personnages, des animaux totémiques dans l'oeuvre. Elle permet d'appréhender les différents aspects de l'oeuvre en vue d'y cerner la problématique de la représentation de la politique dans l'Afrique postcoloniale posée par Kourouma. Dans cette perspective, l'onomastique devient chez cet écrivain une véritable esthétique.

« Ainsi le nom d'un personnage peut être confirmé de manière rétrospective par le déroulement de l'histoire, ou intervenir d'une manière prospective en laissant pressentir la suite des événements. »65

1.1. Les anthroponymes

Le nom chez Kourouma est un mystère révélateur de secret. Il traduit toute la personnalité culturelle, religieuse, spirituelle et intellectuelle du personnage. Or, dans le roman, la plupart des noms sont une construction malinké. Il s'agit bien d'une technique de camouflage. Selon Greimas et Courtès, «La composante onomastique permet un ancrage historique visant à constituer le simulacre d'un référent externe et à produire l'effet de sens "réalité" »66. Cette étude nous permettra de dépister les figures du pouvoir politique africain postcolonial, qui se cachent derrière « les mille dictateurs » de Kourouma.

De plus, les noms des personnages du roman drainent un syndrome indicatif historique, culturel et politique, qui nous aide à démasquer ces hommes d'Etat, que Kourouma a plaqués dans son roman. Certains noms sont des transpositions ou des constructions qui nous

64 Jacques THEVENOT, « L'onomastique » in L'Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, 1961, p. 677. 65Charly Gabriel MBOCK, Comprendre ville cruelle d'Eza Boto, Paris, Editions Saint-Paul, Les classiques africains, 1981, p.75.

66GREIMAS et COURTES, Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette Université, 1979, Tome I, p. 261.

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permettent de découvrir les hommes cachés derrière les masques tandis que d'autres sont révélés à travers des indices historiques et politiques.

Les noms suivants sont composés par un jeu de camouflage basé sur la transposition ou la construction.

- Koyaga serait une composition de Kourouma et d'Eyadéma. Ce nom serait à l'origine Koya(m)a où le jeu de camouflage a conduit l'auteur à substituer m à g. Dans Koyama, on retrouve aisément les initiales de Kourouma (ko) et d'Eyadéma (ya). Kourouma ne s'identifie pas forcément à Koyaga, mais les deux ont quand même certains traits communs : ils ont été soldats de l'armée coloniale et ont participé à la guerre d'Indochine. (Cf. Biographie d'Ahmadou Kourouma). Le personnage est donc identifié à Gnassingbé Eyadéma du Togo.

- Nadjouma serait un nom d'origine Ewé, que Kourouma aurait malinkisé. En effet, selon que nous considérons ce nom dans l'espace Ewé, nous voyons qu'il est composé de deux mots : (sorcière, vieille femme, grand-mère) et djoumé (ville, pays). Ainsi nãdjoumé signifiera soit la sorcière du pays ou soit la vieille femme, la grand-mère du pays. Or, nous savons que le personnage de Nadjouma créé par Kourouma est une sorcière et dans la République du Golfe, on l'appelle « respectueusement la vieille ou la maman » (p. 296). Nadjouma est bien une représentation de celle qui a été connue au Togo comme Maman N'danida, mère du général Gnassingbé Eyadéma. En fait, ce jeu de camouflage auquel s'adonne Kourouma, en calquant des stéréotypes malinkés sur des noms essentiellement Ewé, n'est pas surprenant puisque le romancier a pris contact avec cette langue lors de son séjour au Togo, où il a résidé pendant plusieurs années.

- Bokano est construit à partir des mêmes procédés que Nadjouma. Ce nom est une recomposition malinké du nom Ewé Bokónõ qui signifie charlatan, féticheur ou

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encore géomancien. Bokano est ce marabout (en malinké) qui a soutenu le régime de Koyaga par ses pouvoirs magiques, divinatoires et géomantiques. Bokano ou Bokónõ est donc la représentation des marabouts ou féticheurs qui ont contribué à l'enracinement des partis uniques dans l'Afrique postcoloniale et surtout au Togo.

- Maclédio est une construction révélant deux êtres de même nature et de même fonction. Là, Kourouma a rassemblé dans ce personnage deux figures politiques qui ont joué un grand rôle dans la vie de Gnassingbé Eyadéma du Togo et de Houphouët Boigny de la Côte d'Ivoire. Maclédio est composé de Kpotivi Théodore Laclé, un cacique du RPT, parti unique fondé par Eyadéma, et de Joseph Diomandé, un fidèle acolyte d'Houphouët.

- Bossouma, qui signifie en malinké « puanteur de pet » (p. 208), est une transposition de Bokassa. Il s'agit là d'un jeu de paronymie pour masquer ce chef d'Etat de la République de la Centrafrique, autoproclamé empereur :

- Pace Humba est vraiment un camouflage par des jeux de syncope de Patrice Lumumba, premier ministre du Congo belge indépendant.

Les autres figures du pouvoir sont dévoilées par l'analyse du syndrome indiciel politique et historique.

- Nkoutigui Fondio est identifié à Sékou Touré, président de la République de la Guinée (Conakry). L'histoire retient son opposition spectaculaire contre la Communauté française proposée par De Gaulle (p. 164).

- Tiékoroni, président de la République des Ebènes, est le masque que Kourouma fait porter à Félix Houphouët-Boigny, président de la République de Côte d'Ivoire. En effet, le président Houphouët-Boigny se faisait appeler « le Sage de l'Afrique » ; « il a

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bâtit à la lisière de la forêt un monument religieux catholique » (p. 206) : il s'agit de la Basilique de Yamoussoukro.

- L'homme au totem léopard, président de la République du Grand Fleuve, est un procédé périphrastique pour nommer Mobutu Séssé Séko, président du Zaïre, dont l'insigne est sur noir ou jaune moucheté de tache noir. L'évocation de la colonisation belge (p. 227) en est une confirmation. De plus, un nom comme Patrice Lumumba (Pace Humba) est très indicateur dans le dépistage de cette figure du pouvoir caché derrière un masque transparent.

- L'homme au totem chacal, roi du Pays des Djebels et du Sable, correspond à Hassan II, roi du Maroc. Nous pouvons noter l'évocation de la Marche verte de 1975 (p. 265).

Enfin, nous réalisons que le masque que Kourouma fait porter aux figures du pouvoir dans le roman est trop transparent. Cependant, ce jeu de cache-cache est très intéressant comme pratique littéraire pour la représentation de la politique. Il en est de même pour les signes totémiques dans le roman.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard