WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Ecriture et politique dans "en attendant le vote des bêtes sauvages " d'Ahmadou Kourouma

( Télécharger le fichier original )
par Kossi Wonouvo GNAGNON
Université de Lomé Togo - Maà®trise en lettres 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2. L'appropriation du français : vers une identité politique et culturelle africaine

Les romans de Kourouma se caractérisent par un certain nombre de spécificités qui montrent l'appropriation de la langue française.

« Sur le plan de la création littéraire, l'appropriation renvoie à l'idée selon laquelle l'écrivain africain peut écrire dans une indifférence totale par rapport à l'institution littéraire de l'ancienne puissance colonisatrice, c'est-à-dire dans une langue qui, même sienne, est avant tout celle de son ancien maître »73.

En attendant le vote des bêtes sauvages en est une illustration parfaite. L'appropriation du français par Kourouma passe par des malinkismes sur fond de violence et de transgression pour déboucher sur la réinvention du roman négro-africain.

2.1. La malinkisation du français et l'insécurité linguistique

Dans l'écriture de Kourouma, nous retrouvons des stéréotypes linguistiques à surcharge culturelle africaine, et plus précisément malinké. Ce romancier, iconoclaste et révolutionnaire, affirme malinkiser le français, parce qu'il ne lui permet pas de dire sa réalité :

73 David NGAMASSU, « Dynamisme du français dans les littératures francophones : perspective comparative », in Synergies Afrique Centrale et l'Ouest, n°2 - 2007, pp.71- 94.

101

« Qu'avais-je fait ? Simplement donné libre cours à mon tempérament en distordant une langue classique trop rigide pour que ma pensée s'y émeuve. J'ai donc traduit le malinké en français en cassant le français pour trouver et restituer le rythme africain. »74

Si Kourouma mélange le français et le malinké, qui font l'originalité de sa langue hybride, c'est parce que ces malinkismes constituent l'essentiel de son dialecte idiosyncrasique75.

Effectivement, nous retrouvons dans le roman quelques exemples qui permettent d'illustrer ces malinkismes révolutionnaires. L'auteur donne à certaines formes verbales des sens qu'elles n'ont pas dans le français standard ; on note chez lui un emploi particulier de certains verbes : les verbes transitifs entrent dans des constructions intransitives et les verbes intransitifs sont construits comme s'ils étaient transitifs. Cela advient dans les énoncés, où les verbes « sacrifier », « poignarder » et « égorger » entrent dans des constructions intransitives alors qu'ils sont transitifs : « Les partisans de Koyaga [...] réprimèrent la manifestation en tirant dans la foule, en poignardant et égorgeant » (p. 112) ; « Des chasseurs tuaient des sacrifices » (p. 70).

D'après Jacques Chevrier, ces constructions verbales, divergent fréquemment par rapport à l'usage admis, mais en réalité, elles répondent « à un double souci d'expressivité et de concision dans la mesure où [...] Kourouma fait fréquemment l'économie des mots outils qui, tout en rendant la phrase plus explicite, risquent parfois de l'alourdir »76.

Dans le roman, certaines images et métaphores employées, pour être comprises par le lecteur, doivent être replacées dans leur contexte malinké : « demander la route » (p.214) ; « danser le deuil des crânes » (p. 138) ; « le perceur de la brousse » (p. 323).

74 Ahmadou KOUROUMA, in L'Afrique littéraire, n°10, 1970.

75 Le dialecte idiosyncrasique de l'écrivain est une langue intermédiaire, soumis à un perpétuel processus de construction-reconstruction ; il renvoie aux négligences grammaticales et aux violations de la norme et du bon usage, la transgression de la norme standard.

76 Jacques CHEVRIER, « Une écriture nouvelle » in Notre librairie n°60, 1981, p.72.

102

La malinkisation du français provoque des sentiments d'insécurité linguistique, qui sont susceptibles de naître à la lecture de Kourouma. En effet, parce que le donsomana est une pratique orale dans la tradition malinké, Kourouma, dans son appropriation du français, invente un discours métalinguistique ancré dans le Malinké. Ainsi, il est constaté que Kourouma se voit obligé d'expliquer certains termes ou certaines expressions à l'intérieur du texte dans le roman :

« Le récit purificatoire est appelé en malinké un donsomana. C'est une geste. Il est dit par un sora accompagné par un répondeur cordoua. Un cordoua est un initié en phase purificatoire, en phase cathartique ».

(p. 10) ;

« Ils déboutonnent le Président, l'émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté entre les dents. C'est l'émasculation rituelle. Toute vie humaine porte une force immanente. Une force immanente qui venge le mort en s'attaquant à son tueur. Le tueur peut neutraliser la force immanente en émasculant la victime » (p. 100).

Ces explications de termes ou d'expressions sont des manifestations des malinkismes (l'introduction du malinké dans l'écriture du français) et de l'insécurité linguistique, qui constituent en réalité une transgression des normes métropolitaines. Cette transgression est bien l'expression d'une libération et l'affirmation d'une liberté à l'égard des anciens maîtres. Pour Kourouma, la libération linguistique et conséquemment culturelle, préfigure l'identité politique africaine. C'est pourquoi le fait de malinkiser le français, est une action politique, au sens second du terme, pour aboutir à une identité politique et culturelle typiquement africaine. Par l'appropriation de la langue française, Kourouma, non seulement défend la tradition orale et la culture africaine, qu'il illustre, mais encore ouvre une nouvelle voie de lecture du roman négro-africain.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein