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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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2- La comparaison des régimes totalitaires

Dans son étude des régimes totalitaires, Aron était parvenu à la conclusion qu'on ne peut comparer les deux types idéaux de régime totalitaire que sont le nazisme et le communisme. Après avoir décrit les caractéristiques similaires de deux totalitarismes (idéologie, terreur, parti unique), il se demandait s'il fallait voir en eux deux espèces d'un même genre. Selon lui, deux argumentations contradictoires ont été développées, l'une qui nie, l'autre qui affirme la parenté de deux régimes. L'une et l'autre me paraissent, dit-il, insatisfaisantes, ou tout moins non convaincantes. Il adressait particulièrement la critique à Hannah Arendt en ces termes :

L'ouvrage qui a fondé le plus solidement la parenté des deux totalitarismes est intitulé Origins of totalitarism, Mme Anna Harendt, qui compare essentiellement la Russie soviétique entre 1934 et 1937 et l'Allemagne hitlérienne entre 1941 et 1945. Mais il serait injuste de confondre la comparaison de ces deux périodes, de ces deux terreurs avec une comparaison de l'ensemble des régimes.111(*)(Sic).

Non pas qu'Aron ait tort sur ce point mais s'il le disait dans le seul cadre de l'étude, il semble interdit, depuis la chute fatale du communisme, chute qu'il n'a d'ailleurs connue, que c'est une provocation que de mettre sur le même banc des accusés les deux systèmes tortionnaires et concentrationnaires. Qu'est-ce que qui justifie qu'aujourd'hui, se demande Revel, des gens prennent la défense d'un système politique et idéologique qui n'a plus d'avenir, pas même de présent et dont le passé est à ce point grotesque, stérile et sanglant ?

Les réponses à ces questions amènent Revel à entreprendre une enquête sur les raisons d'une occultation de la nature criminogène du communisme et sur la posture actuelle de la gauche internationale. Ce qui l'amène non seulement à constater l'identité événementielle, structurelle et criminelle du nazisme et du communisme, mais surtout à découvrir la nature intrinsèquement criminogène du communisme. Il n'est pas tendre, comme nous le verrons, envers Marx et Engels, qu'il tient pour « origines intellectuelles et morales du socialisme ». Pour lui en effet, il n'y a pas de différence entre le marxisme de Marx et ses différentes traductions institutionnelles. Il se propose donc de transgresser le tabou de la comparaison, malgré les légères différences et les menaces postcommunistes.

C'est bien du postcommunisme qu'il faut parler pour d'abord comprendre le sens de ce tabou. En effet, près de vingt ans après l'effondrement du régime soviétique, non pas, comme c'avait été le cas pour le régime hitlérien, sous les coups guerriers de l'adversaire, mais sous l'effet de sa propre putréfaction interne. Il aurait peut-être suffi de lire Montesquieu pour savoir qu'une tyrannie périt toujours par son vice intérieur, au contraire des autres régimes, détruits par les circonstances extérieures. Beaucoup pensèrent tout naturellement que le plus spectaculaire échec d'un système politique dans l'histoire humaine allait susciter au sein de la gauche internationale une réflexion critique sur la validité du socialisme. Loin de là. On assiste plutôt à un impressionnant arsenal de justifications rétrospectives et il en ressort cette conclusion comique : ce que réfute véritablement l'histoire du vingtième siècle, ce serait, paraît-il, non pas le totalitarisme communiste mais le libéralisme. Par conséquent, toute comparaison entre les deux totalitarismes majeurs reste un tabou : interdit de constater l'identité de leurs méthodes, de leurs crimes et de leur idée fixe antilibérale.

Les postcommunistes vont jusqu'à faire la distinction entre ce qu'ils appellent totalitarisme « de gauche » et totalitarisme « de droite ». Il s'agit d'utiliser le nazisme pour empêcher qu'on étale au grand jour l'histoire vraie du communisme. Pour Revel, pour se convaincre de vaincre ce tabou, il faut se reporter aux origines intellectuelles et morales du socialisme. Car c'est bien dans les origines les plus authentiques de la pensée socialiste que se trouvent les justifications du génocide, de la purification ethnique et de l'Etat totalitaire, brandis comme des armes légitimes, indispensables au succès de la révolution et à la préservation de ses résultats. Ainsi,

 si le nazisme et le communisme ont commis l'un et l'autre des génocides comparables par leur étendue sinon par leurs prétextes idéologiques, ce n'est donc point à cause d'une quelconque convergence contre nature ou coïncidence fortuite dues à des comportements aberrants. C'est au contraire à partir des principes identiques, profondément ancrés dans leurs convictions respectives et dans leur mode de fonctionnement.112(*)

Ces principes, estime Revel, sont directement dus à Marx et Engels et le socialisme n'est pas plus ou pas moins de « gauche » que le nazisme. Ses véritables principes n'ont pas été violés par Hitler, Lénine, Staline ou par Mao dans leurs pratiques génocidaires. Hitler s'est toujours considéré comme un socialiste. En bon connaisseur, il sut, le premier, à saisir les affinités du communisme et du national socialisme. Il déclare à Hermann Raushning, qui le rapporte dans Hitler m'a dit :

Je ne suis pas seulement le vainqueur du marxisme... j'en suis le réalisateur.

 J'ai beaucoup appris du marxisme, et je ne songe pas à m'en cacher... Ce qui m'a intéressé et instruit chez les marxistes, ce sont leurs méthodes. [...] Tout le national-socialisme est contenu là-dedans. Tous ces nouveaux moyens de lutte politique ont été presque entièrement inventés par les marxistes. Je n'ai eu qu'à m'en emparer et à les développer et je me suis ainsi procuré l'instrument dont nous avions besoin...113(*).

L'ennui avec les politiciens de Weimar, déclarait-il à Otto Wagener, « c'est qu'ils n'ont pas lu Marx ». Et Revel de relever que sur la question juive, l'Union soviétique n'a pas été moins antisémitique que le régime hitlérien. Aussi, le national-socialisme allemand se voyait et se pensait, à l'instar du bolchevisme, comme une révolution, et une révolution antibourgeoise. « Nazi » est l'abréviation de « Parti national socialiste des travailleurs allemands ».

A partir du moment où les racines socialistes du nazisme sont découvertes, déjà par Friedrich Hayek dans sa Route de la servitude en 1944, on peut petit à petit aller vers la transgression du tabou. Hayek notait que les nazis ne s'opposaient pas aux éléments socialistes du marxisme, mais à ses éléments libéraux, à l'internationalisme et à la démocratie. Par une juste intuition, les nazis avaient saisi qu'il n'est pas de socialisme sans totalitarisme politique. Le sacrilège suprême est commis en 1974 par Louis Dupeux lorsque celui-ci soutient une thèse d'Etat intitulée Le National-Bolchevisme sous la République de Weimar. Cette thèse sera complétée en 1998 par un article au titre éloquent : « Lecture du totalitarisme russe via le national-bolchevisme allemand (1919 - 1933) ».

Avec ces combinaisons des éléments constitutifs de l'un et l'autre régime, on peut aujourd'hui oser affirmer ou, plutôt, constater la nature intrinsèquement criminogène du communisme et subsidiairement mettre en lumière les similitudes entre communisme et nazisme. Des intellectuels allemands qu'il faut bien appeler nationaux-bolchevistes tels Ernst Jünger, Friedrich Lenz, Ernst Niekish ont contribué à nourrir l'idéologie hitlérienne proprement dite tout en s'appuyant sur le modèle léniniste. Comme le communisme, l' « Etat total » entend s'appuyer sur la liquidation du capitalisme privé. Ainsi, c'est à point nommé que Revel affirme que « le nazisme et le communisme... se ressemblent non seulement par leurs conséquences criminelles mais par leurs origines idéologiques. Ce sont des cousins germains. »114(*)

Car, poursuit-il, tous les régimes totalitaires ont en commun d'être des idéocraties, des dictatures de l'idée. Le communisme repose sur le marxisme-léninisme et la « pensée Mao ». Le national-socialisme repose sur le critère de la race, la race aryenne. De fait, la distinction possible entre le totalitarisme direct qui, annonce d'emblée en clair ce qu'il veut accomplir, tel le nazisme, et le totalitarisme médiatisé par l'utopie, qui annonce le contraire de ce qu'il va faire, tel le communisme, devient donc secondaire, puisque le résultat, pour ceux qui les subissent, est le même dans les deux cas.

Malgré cette parenté évidente, les postcommunistes avancent des arguments pour montrer l'angélisme du communisme et le diabolisme du nazisme. Mais comment comprendre cette défense posthume du communisme ?

Décidément, c'est la parution du Livre noir du communisme en 1997 sous la direction de l'historien Stéphane Courtois, qui déborda le vase. Cette somme de huit pages sur les crimes du communisme existant, de tous les communismes existant ou ayant existé sur la planète, s'attira la fureur immédiate et durable de la gauche pensante et journalistique. Tous les artifices, stratagèmes, fourberies et fraudes tirés du vieil arsenal stalinien furent déployés pour discréditer le livre sans le discuter et avant même sa mise en vente. Cette campagne consista en ce que Revel appelle La grande parade. Il s'agissait pour la gauche communiste et non communiste de parer les coups durs ainsi reçus. Cette parade consiste en trois choses principales : la canalisation des crimes commis vers le nazisme comme nous venons de le voir, la défense rétrospective du communisme par la condamnation prospective du libéralisme, l'effacement pur et simple d'une page de l'histoire.

En clair, l'objectif est le blanchiment du communisme par le noircissement du capitalisme. Il faut se venger en écrivant aussi un livre noir du libéralisme. C'est ainsi qu'on enregistra la publication des ouvrages tels La Dictature libérale (Jean-Christian Rufin), L'Après libéralisme (Immanuel Wallerstein), Comment sortir du libéralisme (Alain Touraine) ; des expressions telles « dictature du libéralisme », « capitalisme totalitaire » (Philippe Séguin).

Aron lui-même relevait que

Si une telle fraction de l'intelligentsia française, par masochisme, ignorance ou simple légèreté ne s'était pas obstinée aussi longtemps à fermer les yeux et à se boucher les oreilles, nul n'éprouverait le besoin d'écrire un plaidoyer pour l'Europe de la liberté, toute proche de l'empire militaire et conquérant de notre continent - cet empire qu'un Jean-Paul Sartre traitait avec une indulgence que stigmatisait Soljenitsyne.115(*)

En fait, selon l'analyse que Revel fait de cette riposte,

La défense posthume du communisme a pour volet complémentaire la mise en accusation du libéralisme. Réhabiliter le communisme en tant que tel était une tâche difficile, voire impossible. On s'avisa donc de plaider sa cause indirectement, en montrant que son contraire, le libéralisme était encore pire que lui.116(*)

L'argumentation est contradictoire : outre la noblesse des intentions socialisantes qui l'inspiraient, le communisme avait donc eu le mérite de faire barrage à la domination exclusive du libéralisme et d'en limiter les dégâts. Maintenant que la digue communiste a été emportée, le mal libéral est libre de se répandre partout. Avec son corollaire la mondialisation, il plonge l'humanité dans la misère ou, tout au moins, dans l'injustice que le communisme a tant combattue. Même si ceci est vrai en partie, il a plus de chance d'être une observation téléguidée. Dans L'horreur économique (Fayard, 1996), livre dont l'immense succès auprès du public montre à quel point il correspond à leurs préjugés, Viviane Forrester soutient que la mondialisation et la libéralisation détruisent des emplois. Mais n'en créent-elles pas au contraire ?

Il n'y a pas, selon Revel, que les naïfs et les ignorants qui croient à cette occultation de la vérité communiste. Les intellectuels qui en sont les auteurs se couvrent d'une voile d'ignorance volontaire pour falsifier l'histoire. Le « grand » Sartre lui-même voyait en le marxisme, dit Aron, « la philosophie « indépassable » » de notre temps. La pire des cécités, reprend Revel, est la cécité volontaire. Non seulement on refuse de prendre acte de certaines réussites du libéralisme quand il réussit parfois, on lui impute des malheurs de l'humanité. Cela est d'autant plus saisissable que l'utopie n'est astreinte à aucun résultat ; sa seule fonction c'est de condamner ce qui existe au nom de ce qui n'existe pas.

Ainsi, vingt-huit ans après le ralliement de la Chine au marché, dix-huit ans après la chute du Mur de Berlin, seize ans après l'effondrement de l'U.R.S.S, l'enseignement majeur à tirer de l'histoire du XXe siècle est, selon les postcommunistes ou les communistes « light », la condamnation non pas du collectivisme, mais du libéralisme, le vrai coupable.

Il s'agit là d'invoquer les sempiternels faux-fuyants, si usés soient-ils, pour secourir la thèse selon laquelle les crimes et les abus du totalitarisme ne sont pas du « vrai » communisme et que la catastrophe économique ne remet pas en cause le marxisme. Les marxistes refusent en effet qu'on fasse le deuil du marxisme alors qu'il y a près de vingt ans, on a fait le deuil du communisme. Pour Revel, à y voir de près, le communisme n'a pas pris fin avec le démantèlement de l'URSS en 1991 mais avec la construction du Mur de Berlin en 1961 où il était question d'embrigader les populations communistes, désormais conscientes du danger du régime, et les empêcher ainsi de s'enfuir.

On peut donc se demander de quel droit les théoriciens du marxisme disent que les praticiens en sont les mauvais interprètes. Ces derniers ne se félicitent-ils pas d'avoir bien compris et appliqué le marxisme, et ne félicitent-ils pas Marx d'avoir découvert le vrai secret de la vie politique ?

Quand la gauche internationale ne nie pas tout simplement les crimes communistes, elle nie que le régime qui les a commis ait été vraiment communiste. Ainsi par exemple, le régime de Pol Pot et ses complices Kmers rouges n'était pas, selon elle, guidé par l'idéologie communiste, mais était un « fascisme tropical ». Fascisme justement et fascisme italien parce que dans un système de défense où on est presque seul, il faut tirer sur tout ce qui bouge. La gauche par un raisonnement justement gauchiste met sur le même pied d'égalité d'un côté le fascisme, le nazisme et le franquisme ; et de l'autre, le soviétisme, le castrisme et le régime de Pinochet. L'Italie mussolinienne qui n'a jamais été plus qu'une tyrannie, l'Allemagne hitlérienne, l'Espagne franquiste constituent, pour avoir respectivement inventé le terme totalitarisme, massacré les Juifs, planifié la guerre civile, l'axe du mal tandis que la Russie représente l'exemple de la démocratie, aux devants des Etats « faussement » réputés démocratiques. Elle argue, par cet amalgame volontaire, que le communisme prépare l'accomplissement d'une promesse démocratique par l'émancipation des travailleurs exploités.

Revel parvient ainsi à la conclusion que, que les postcommunistes reconnaissent ou non la nature criminogène de ce régime, peu importe : le démenti ne trompe que ceux qui, par conviction ou par nécessité, ferment les yeux ou refusent les évidences.

Suivant la définition du totalitarisme donnée par Aron à la page 78, une différence apparaît directement entre le marxisme-léninisme et le national-socialisme où il n'exista pas de catéchisme hitlérien au sens soviétique du terme. Mais cette différence idéologique et géographique n'enlève rien à la ressemblance essentielle qui relève de leur nature intrinsèque. L'erreur qu'il ne faut pas commettre c'est celle d'aligner systématiquement toutes les tyrannies sur le nazisme et le stalinisme, car c'est là les banaliser et ignorer qu'il y a des degrés dans l'oppression. Mais tracer une ligne de démarcation entre les deux c'est s'interdire de ne comprendre rien à rien.

* 111 R. Aron, Démocratie et totalitarisme, pp. 290 - 291.

* 112 Revel, La grande parade. Essai sur la survie de l'utopie socialiste, p. 112.

* 113 Cité par J.-F. Revel, ibid., pp. 116-117.

* 114 Ibid., pp. 115-116.

* 115 R. Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, p. 300.

* 116 Revel, op.cit, p. 41.

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