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La problématique du politique dans " Démocratie et totalitarisme " de Raymond Aron

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par Théodore Temwa
Université de Yaoundé I - Diplôme d'études approfondies en philosophie 2008
  

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CHAPITRE III

LA TRANSGRESSION DU « TABOU ATOMIQUE » ET LE NOUVEL ORDRE ECONOMICO-POLITIQUE MONDIAL

La plupart des ouvrages de R. Aron se terminent par des tableaux de diplomatie mondiale ou des schèmes historiques. A partir de 1977, Aron prévoyait la prolifération de la bombe atomique dans vingt ans ; en 1983, il envisageait la redéfinition des relations internationales à partir de cette transgression du « tabou atomique ». En effet, l'effondrement du communisme à l'Est après 1989 a signifié la fin du système bipolaire et de l'ordre mondial qui résultait de « l'équilibre de la terreur ». Celui-ci se définissait par la tutelle qu'exerçaient les deux Grands, Etats-Unis et URSS, sur leurs zones d'influences respectives, ce qui se traduisait par des conflits limités, aux frontières de chacune d'elles, et par une paix maintenue par la stratégie de la dissuasion nucléaire et la crainte d'une confrontation généralisée. La fin de ce système sur fond de mondialisation économique a fait naître l'espoir d'un progrès généralisé vers le droit et la démocratie, d'un rôle mieux défini des Nations unies, de l'avènement d'un nouvel ordre international où malheureusement la paix armée prend de l'ampleur.

1- Les relations internationales : bataille autour du monopole de violence

Qui veut la paix prépare la guerre, a-t-on toujours clamé. Mais l'inverse n'est pas toujours vrai. D'abord on peut remarquer que de nos jours, c'est tout le monde qui veut la guerre. La paix en tant que telle n'a plus de signification, la bataille se focalise sur le monopole de la violence. Le diable machiavélien s'est réveillé et on lui accorde qu'il est beaucoup plus sûr de se faire craindre que de se faire aimer. Ce qui relevait du domaine de la politique interne est maintenant transposé et contesté sur le plan international. La problématique de la violence s'extériorise dans les relations interétatiques et on conteste que la violence soit le monopole d'une seule instance directrice. C'est la politique de maîtrise des armements signée entre les deux Grands durant la Guerre froide qui est directement remise en cause.

En plus de la recherche d'une solution à la guerre, l'arms control stipulait qu'il est bon que l'atmosphère ne soit plus polluée par des explosions nucléaires, mais cette interdiction embarrasse les Etats qui veulent acquérir une force nucléaire plus que ceux qui la possèdent déjà et qui ont fait des centaines d'expériences. Déjà les négociations relatives à la maîtrise des armements étaient chargées d'arrière-pensées et d'implications politiques. A l'instigation des Etats-Unis, les Deux s'instauraient les protecteurs d'un bien commun à l'humanité, à savoir l'atmosphère, alors qu'ils avaient eux-mêmes, plus que tous les autres, pollué ce fragile trésor. Peut-être expiaient-ils en interdisant aux autres de suivre leur « mauvais » exemple et de répéter leur faute. De toute façon, la mutation du pécheur en confesseur ne va pas sans zeste d'ironie. Et c'est ainsi que certains mettront en doute la pureté des intentions des ex-pécheurs. « Est-il conforme à l'intérêt de l'humanité entière en même temps qu'à l'intérêt des Deux que le club atomique soit désormais fermé ? » Cette question qui était celle de R. Aron est depuis une vingtaine d'années celle de tous les Etats qui récusent le conseil trompeur selon lequel « faites ce que je vous dis mais ne faites pas ce que je fais ». On peut longuement spéculer sur la nature d'un conseil qui veut du bien aux autres mais pas à soi-même, un peu à la manière d'un charlatan qui dit détenir le secret de toute la richesse du monde, mais sans jamais s'offrir le nécessaire, ou d'un pasteur qui promet le paradis aux fidèles respectueux du Décalogue mais sans lui-même s'assurer par son comportement une place sur la « dixième planète ».

L'Amérique a redoublé d'ardeur, passant de la simple maîtrise des armements à la non prolifération des armes à destructions massives. Plusieurs questions se posent de ce fait. Faut-il sans réserve condamner la prolifération, qu'elles qu'en soient les circonstances ? Ou bien mettre des distinctions ? L'accession d'un Etat de plus au club atomique augmente-t-elle en tant que telle le risque d'une guerre ? Les superpuissances détentrices des armées nucléaires se sont abstenues de les employer ; pourquoi les autres, une fois en possession, ne feraient pas de même ? L'éducation à la Raison qu'évoquait Kant ne s'appliquerait-elle pas aussi à cette arme monstrueuse ? D'aucuns n'iraient pas si loin. Pourquoi d'abord s'en doter avant de chercher la leçon de moralité ?

Premièrement parce que d'autres en ont déjà et en deuxième lieu, parce que le système interétatique, selon la tradition, laisse à chaque membre la responsabilité de lui-même. L'expression anglaise self-help ou self-service voudrait que chacun doive compter sur lui-même, et la théorie militaire du more may be better de Kenneth N. Waltz voudrait que chaque pays ait un dispositif nucléaire à même d'assurer sa sécurité.

Mais il y a d'autres raisons plus décisives à la dissémination nucléaire. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les Etats industrialisés qui possèdent les moyens financiers et l'expertise ne manifestent pas moins leur impatience et leur intérêt à entrer dans ce qu'Aron appelle « le club le plus fermé du monde ». C'est tout de même un honneur que de posséder l'arme suprême et faire ainsi son entrée dans la cour des Grands. Des pays comme l'Italie, le Brésil et bien d'autres, rentrent dans ce cas de figure puisqu'ils ne se trouvent pas dans une situation géopolitique qui appelle l'utilité, moins encore l'urgence d'armes nucléaires.

Cependant, le processus d'acquisition en cours par les pays arabo-musulmans semble aller dans le sens contraire. On ne saurait dire que des pays comme l'Iran, la Syrie, le Pakistan soient exclusivement animés par des soucis de défense ou d'honneur. La confusion qu'ils entretiennent entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire dénote d'une intention peu cordiale. Parce qu'ils savent que la césure entre l'atome civil et l'atome militaire n'est pas nette et qu'il y a qu'un pas à franchir entre une centrale atomique pacifique et une centrale atomique militaire, ils n'hésitent pas à avouer leur volonté criminelle de détruire les « infidèles » avant même qu'ils n'en aient les moyens. On comprend aisément qu'une éventuelle possession de cette arme génocidaire constituerait un véritable danger pour l'humanité et reconfigurerait définitivement le monde comme la possession non confirmée est déjà en train de le faire.

L'introduction des armes nucléaires dans une zone ne serait donc pas une contribution à la paix comme le veut la théorie waltzienne du more may be better, mais elle conduit au multilatéralisme des forces au plan international. Et c'est ce qui nous intéresse ici. Les foyers de violence s'étant multipliés, chacun se méfie de chacun et chacun peut se dire indépendant et dire quelque chose dans le mouvement du monde.

Une question surgit : le multilatéralisme des forces est-il souhaitable ? Dans l'abstrait, on répondrait par la positive puisqu'il n'y a pas d'inconvénient à ce que chacun aie son mot à dire dans la direction d'un monde commun. Mais qu'en serait-il si un Etat représentait une menace aussi bien pour l'extérieur que pour ses propres populations ? Sans doute, il faudra lui donner une leçon de démocratie. Cette leçon démocratique a toujours été donnée par les Etats-Unis et c'est justement cela qui fâche. Cet enseignement à la méthode violente des frappes préventives ou chirurgicales est perçu par les élèves comme le moyen d'une hégémonie planétaire. Il faut donc le contrecarrer et il n'y a pas meilleur moyen que l'érection de soi-même en une force rivale.

Le jadis danger fictif de la bombe atomique doit aujourd'hui être pris au sérieux dans toute réflexion sur la signification de cette arme monstrueuse. D'autant plus que la situation présente, avec la prolifération nucléaire ambiante, qui accomplit une des craintes exprimées par Raymond Aron, rend cette possibilité un peu moins théorique.

Chargé d'un rapport sur cette question en 1995, Jacques Attali résume ainsi la situation de la bombe atomique : la probabilité grandit de voir de nouveaux pays ou même des entités non étatiques - sectes, groupes terroristes, cartels mafieux - se doter des moyens de fabrication et de lancement d'une telle arme, en même temps que se multiplient les pulsions de violence créant les conditions géopolitiques de son usage. L'usage de telles armes, poursuit-il, est devenu plus probable que jamais : la croissance démographique relativise le coût humain de leur emploi ; ça et là des fanatiques ne craignent pas de mourir pour leur cause, des cartels de drogue n'ont pas de territoire à défendre. Contre ceux-ci et ceux-là, les principes classiques de la dissuasion nucléaire, supposant la peur des représailles ne tiennent plus144(*).

Reportons-nous donc au conseil de Karl Jaspers suivant lequel il faut détruire toute fausse confiance. Il ne faut pas se laisser distraire par des facteurs secondaires ou par une tranquillité trompeuse comme celle des années qui précédèrent 1914 et 1933. Il faut se débarrasser de la bombe atomique, fût-ce sans contrôle, car elle n'est plus une arme de guerre, mais un moyen de destruction de l'humanité. Et Attali de conclure : pour la première fois dans l'histoire de cette planète, une espèce vivante a produit les moyens de se suicider.

La crainte de Jaspers en 58 se justifiait par l'ambiance de la Guerre froide, la confiance d'Aron en la dissuasion jusque vers la fin des années 80 se justifiait par le nombre restreint de détenteurs de la bombe et le dénouement de la guerre. De nos jours, toutes ces données ont changé. La persistance d'un ordre fragile, fondé à la fois sur une doctrine stratégique, progressivement et presque spontanément élaborée par les acteurs de l'histoire pour qui la formule est désormais « j'extermine, donc je suis » nous donne une bonne raison de nous inquiéter. Sans même être alarmiste, il faut voir en la possession de la bombe la possibilité de son usage. La bombe apparaît, moralement parlant comme un acte. Il ne faut donc plus se contenter des assurances de la dissuasion et des garanties de la riposte. Il faut agir. Et ainsi que le dit Jaspers,

 La raison nous apprend qu'il n'est pas courageux de prononcer des jugements sur la fin et la ruine inévitable. Ce qui est courageux, c'est dans le savoir et le non-savoir, de faire son possible, et de ne perdre l'espoir tant qu'on reste en vie. [...] Une philosophie qui vous fait assister, impassible, à l'effondrement de ce qu'elle prétend avoir annoncé, jusqu'à ce qu'il vous ensevelisse sous les décombres, n'est pas une philosophie courageuse, mais une philosophie figée.145(*)

On voit donc bien qu'aujourd'hui, l'arme atomique n'a plus seulement de vertu dissuasive ; les chances d'un éventuel passage à l'acte étant devenues plus grandes que pendant la Guerre froide.

* 144 Jacques Attali, Economie de l'apocalypse, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1995, pp. 9-10 et 11-14. Cité par Joël Roman, op.cit, pp. 772 - 774.

* 145 Karl Jaspers, La bombe atomique et l'avenir de l'homme, Trad. Ré Soupault, Ed. Plon, Paris, 1958, p. 62, cité par Joël Roman, op.cit, pp. 769 - 770.

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