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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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3. LES ASPECTS ECONOMIQUES DE L'IMPACT DU MOULIN.

Notre étude des aspects économiques de l'impact du moulin sur la vie des femmes prend en compte les contraintes apportées par le moulin et la question de l'accès des femmes au moulin et de l'appropriation de ce dernier.

a). Les contraintes du moulin

Il est clair que la plupart des changements apportés par les technologies modernes exigent des moyens financiers. Le moulin exige des femmes une participation financière, ce qui les oblige à entreprendre des activités économiques.

+ Rapport rapidité - coût.

On gagne en temps, mais la pénibilité n'est pas pour autant éliminée. Il y a quelque part un prix à payer. L'expérience des technologies modernes montre qu'il est parfois très difficile d'allier rapidité et moindre frais. Plus on va vite, moins le temps est long et plus le prix de consommation est élevé. L'exemple simple du transport terrestre et aérien nous fait comprendre cette théorie. Le moulin ferait-il l'exception ?

Lors de nos enquêtes, les femmes nous disaient : « Si tu utilises la meule tu économises ton argent mais tu ne finis pas vite » ou bien encore « Le moulin est rapide mais occasionne beaucoup de dépenses ». « Les moulins n'enrichissent que leurs propriétaires ». Certaines femmes allaient jusqu'à dire que depuis l'arrivée du moulin, elles n'arrivent plus à s'acheter des pagnes. Le refrain courant est celui-ci : « Mãsin lè woa woro tuma bii » (« le moulin mange tout notre argent »). Les femmes affirment ne plus pouvoir économiser suffisamment d'argent. Ceci est d'autant plus vrai que dans les villages les maris ne donnent l'argent de mouture du mil que lorsqu'ils engagent des ouvriers pour les travaux champêtres ou lorsqu'il y a des fêtes ou des funérailles. Ils se contentent de dire à leurs femmes que chacun doit contribuer à la nutrition de la famille ; ils disent avoir donné le mil de leur grenier, alors la femme aussi doit payer la mouture. Une analyse de ces données révèle bien un changement de mode de vie qu'il faut désormais apprendre à gérer. Cette évolution du mode de vie aboutit à la pénétration des rapports marchands dans la vie familiale. Le moulin vient poser avec acuité la question de l'argent dans la vie domestique des femmes rurales. Cette vie, dans le contexte ancien,

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n'exigeait ni de la femme ni du mari aucune contribution financière. Il suffisait que l'homme donne à la femme le fruit de son champ et que celle-ci apporte les légumes de son jardin potager pour que le repas familial soit assuré. Aujourd'hui, avec le moulin, l'effort de contribution doit s'accroître. La monétarisation de l'économie familiale aura également une incidence sur l'espace géographique de la femme dont nous parlerons de manière plus approfondie dans la sous-section concernant les rôles et places des femmes (Cf. 4. : les aspects sociaux de l'impact du moulin).

Sur un autre plan, la plupart des femmes des villages (80%) signalent que depuis l'existence d'un moulin dans leur village, leur participation aux travaux champêtres a augmenté. Nous donnons ici à titre d'exemple la réponse d'une femme : « Le moulin nous a apporté le repos, mais surtout les travaux des champs ». La logique de cette phrase semble incorrecte mais elle est correcte dans la mesure où la présence du moulin n'a fait que « changer le fusil d'épaule ». La pénibilité du travail n'est pas supprimée mais transférée à un autre pôle. L'évaluation en terme de gain révèle que les femmes gagnent sur un plan en perdant plus sur d'autres. Avec la meule en pierre, elles perdaient du temps, leur santé était quelque peu atteinte, mais elles économisaient leur argent pour d'autres besoins, même de santé. Maintenant avec le moulin, elles gagnent du temps mais n'économisent plus, travaillent davantage au champ avec leurs maris qui refusent de payer la mouture et enfin doivent travailler doublement pour avoir l'argent de cette mouture. L'on se demande s'il s'agit de la pratique du dicton « qui perd, gagne » ou bien « qui gagne, perd». En tout cas, l'hypothèse que le moulin allége le travail des femmes ne se vérifie pas ici. En terme de production, le moulin a plutôt alourdi le travail des femmes. La preuve nous est donnée dans les contraintes de travaux champêtres imposés par les maris sous le prétexte de la rapidité du moulin à moudre les grains. Dans le même ordre d'idée, il faut reconnaître que le moulin joue à peu près le même rôle que la charrue quant à l'augmentation des superficies des champs. Le moulin permettant la mouture de grandes quantités de grains, les maris ont la possibilité d'embaucher et de nourrir un nombre important d'ouvriers pour les travaux des champs. Ce qui demande à la femme plus de travail pour le pilage, le décorticage et la préparation de la nourriture. Si à cela s'ajoute la régularité d'embauche d'ouvriers comme cela se fait dans certaines familles à Sien et à Toma, les femmes finissent par ne plus avoir de repos, tandis que le moulin aura accru la superficie des champs grâce au travail des ouvriers. Une autre preuve de l'alourdissement du travail des femmes, ce sont les multiples activités entreprises en vue de trouver l'argent de la mouture. Il ressort donc

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que le moulin allège seulement l'activité de mouture, mais non le travail domestique des femmes.

Du point de vue financier, le moulin appauvrit les femmes. Dans un contexte de précarité économique, il les appauvrit en augmentant leurs charges financières. Ceci est une piste d'interprétation qui nous permet de comprendre leurs manières exagérées de mesurer les quantités de mil et leur refus de payer la mouture au kilogramme. En effet, le minimum des dépenses quotidiennes de mouture par femme à Toma est de 50 F et de 25 F dans les autres villages20 à raison de la mesure d'une boîte pour la ration d'une famille de taille d'environ 5 personnes. Or, les effectifs par famille atteignent parfois 15 personnes à charge. Ce qui double ou triple le prix à payer. La dépense mensuelle minimum par femme à Toma s'élève à 1500 F CFA si elle paie le prix d'une boîte et à 3000 F si la mesure est doublée. Dans les villages, cette dépense est réduite de moitié (750 F et 1500 F) à cause de l'alternance des jours de préparation (tous les deux jours). On peut étaler ces dépenses sur l'année. On aura alors pour Toma les sommes de 18000 F et 36000F par femme et pour les villages 9000 F et 18000 F par femme. Ces données présentées dans un tableau peuvent être mieux observées.

Tableau 10: Dépenses mensuelles et annuelles de mouture par femme à Toma et dans les villages environnants.

 

Toma

Villages alentours

Une mesure
(50 F )

Deux mesures
(100 F)

Une mesure
(50 F)

Deux mesures
(100 F)

Par mois

1 500 F CFA

3 000 F CFA

750 F CFA

1 500 F CFA

Par an

18 000 F CFA

36 000 F CFA

9 000 F CFA

18 000 F Cfa

Source : Nos enquêtes

Ces chiffres peuvent être insignifiants pour le citadin, mais dans le contexte du village où l'activité commerciale est réduite et où il n'y a pas de salaires, il n'est pas évident de toujours trouver l'argent de la mouture sans endettement. Signalons par ailleurs que dans un tel contexte, le risque est grand d'aboutir à des arrangements entre le meunier et la femme (ou la fille) favorisant le paiement de la mouture en nature, c'est-à-dire une compensation sexuelle. Des cas ne nous ont pas été signalés lors de nos enquêtes, mais nous ne devons pas oublier que

20 La base de ces chiffres est le régime de préparation de la pâte de mil qui, dans les villages, est un régime alternatif de deux jours tandis qu'à Toma ( qui fait figure de ville), les femmes affirment préparer chaque jour et rares sont les femmes qui préparent une quantité inférieure à la mesure d'une boîte.

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l'argent des femmes doit servir aussi à payer le sel, le pétrole, l'huile, le savon, le balai et bien d'autres biens de consommation pour le ménage. La question est alors la suivante : où trouver de l'argent ? Cette situation contraint les femmes à se mobiliser individuellement ou par groupe pour entreprendre des activités génératrices de revenus.

+ Les activités génératrices de revenus.

L'argent des femmes dans le département de Toma provient essentiellement d'activités à but lucratif appelées couramment activités génératrices de revenus (AGR). Ces AGR sont de tous ordres et nous les classons ici en trois groupes : les activités de production, les activités de transformation et l'achat / revente d'articles divers.

Les activités de production englobent, dans le domaine agricole, la culture communautaire de champs et l'horticulture d'hivernage ; et dans le domaine artisanal, la poterie et la vannerie (kèssè, tièrèen). Par groupes21 de quartier ou à l'intérieur d'une même grande famille, les femmes cultivent les champs des chefs de familles qui leur donnent soit de l'argent soit du mil pour la préparation de certaines fêtes qu'elles organisent au courant de l'année. Généralement, cet argent qui est communautaire ne sert pas au paiement de la mouture individuelle des grains.

Les produits de l'horticulture d'hivernage22 sont la tomate, le piment, le gombo, l'oseille, le haricot, les aubergines et quelques pieds de maïs qu'on trouve dans les jardins des femmes. Ces jardins sont prioritairement destinés au piment, car ce dernier rapporte bien aux femmes en saison de pluies comme en saison sèche. En effet, si en saison sèche (période après la récolte), le prix du bol de piment est de 50 francs, en hivernage il varie entre 75 et 100 francs. Les femmes misent sur cette période pour vendre leurs sacs de piment.

21 Concernant la culture, les femmes vendent leur force de travail par groupe. On n'a jamais vu une femme se faire embaucher seule dans un champ. Par contre, les hommes se font embaucher autant en groupe qu'individuellement. De plus le travail féminin est socialement dévalorisé lorsqu'il s'agit de la culture.

22 Nous parlons d'horticulture d'hivernage, car les femmes du département ne font pas de jardinage en saison sèche, non pas qu'elles ne le veuillent pas mais à cause de la divagation des animaux. En effet, les hommes font garder les animaux en hivernage à cause des champs et les libèrent après les récoltes. Le contexte climatique et le système d'élevage rendent difficile la garde des bêtes en saison sèche. De plus les Sanan ne sont pas un peuple d'éleveurs comme les Peuls, mais bien un peuple d'agriculteurs.

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L'artisanat féminin, en ce qui concerne la production et la vente de poterie (jarres, canaris, cruches, vases...), est une activité spécifique à une catégorie sociale : les femmes des forgerons qui constituent une caste23 dans la société san.

L'élevage constitue également une source importante de revenus pour les femmes. Mais il n'est pas diversifié. Parmi tous les types d'élevage, les femmes pratiquent uniquement l'élevage des porcs.

A ces différentes activités de production, les femmes joignent la transformation des produits pour rendre leurs revenus plus substantiels.

Les activités de transformation entreprises par les femmes sont aussi nombreuses que les activités de production. Il s'agit principalement de la transformation de produits d'agriculture, de cueillette et de collecte à savoir la collecte de noix de karité (koé wé), la cueillette de fruits, feuilles et fleurs de plantes sauvages : les feuilles de baobab [Adansonia digitata], du terba, les gousses de néré [Parkia biglobosa] (kusi), les fleurs de kapokier [Bombax costatum] (bèrè), du sèmèlè [Balantes aegyptiaca] (sèmèlè-buu) et les fruits d'autres plantes tels que le zamanè [Acacia macrostachya] et le kwui. Les produits d'agriculture transformés sont essentiellement le mil, le sorgho, le sésame, le haricot et l'arachide qui servent à la préparation de la bière (yo), de galettes (momo), de beignets (krokro, kotoron, gnãsãn), de pâtes (ziwu, ziduu) et de couscous (basi). Transformés sous des modes divers (bouilli, séché, pilé ou moulu), ces produits qui entrent dans l'alimentation locale procurent quelques centimes aux femmes, suivant les saisons. De toutes ces activités la préparation de la bière de mil est la plus pratiquée par toutes les femmes et les filles. Il faut signaler ici que la préparation du yo constitue l'activité commerciale principale et permanente des femmes au pays san. Bien prisée, cette bière de mil est consommée à n'importe quelle occasion, d'où sa rentabilité financière pour les femmes. Nous pouvons ajouter que la vente du yo est le meilleur moyen pour les femmes d'avoir indirectement l'argent des hommes puisqu'ils en sont les plus grands consommateurs.

Diverses autres activités que nous regroupons sous l'appellation de « petit commerce » existent, permettant aux femmes de se procurer des revenus. Il s'agit essentiellement de l'achat /

23 La caste se définit ici comme un sous-groupe de la société, strictement circonscrit et possédant des fonctions propres sur le plan juridique, rituel, économique, etc. Les castes pratiquent l'endogamie en y adjoignant l'hypergamie.

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revente de produits en l'état, ou avec plus ou moins de transformation. Nous citons ici la vente de fruits (mangues), de viande, de liqueurs (surtout le pastis) et d'articles ménagers.

Cette revue des sources de revenus des femmes nous permet de comprendre leur situation économique. Ces différentes activités ont connu un développement impressionnant dans le courant de l'arrivée des moulins. Comparativement aux sources de revenus des hommes, elles restent insuffisantes. Car la société san est une société à domination masculine où l'homme a le contrôle des moyens de production. Les hommes se sont réservé l'élevage du gros et petit bétail et de la volaille, laissant aux femmes la tâche de les alimenter en eau.

Notre analyse après constat des différentes activités, même génératrices de revenus, est que le moulin est venu faire travailler les femmes sanan, et surtout faire de la plupart d'entre elles de petites commerçantes. En effet, le commerce est une activité que, de façon générale, les Sanan ont jusqu'alors délaissée, la considérant comme propre aux Mossi. Cette initiative d'entreprendre des AGR se trouve fortement ancrée maintenant dans le coeur des membres des GVF. Signalons que ce développement des AGR initie bien les femmes du département à l'activité commerciale même s'il ne s'agit que du petit commerce. L'apport positif du moulin à ce niveau est qu'il a permis à la femme de ne plus attendre que l'homme lui tende la main financièrement. En cela, il a donné une certaine indépendance financière à la femme dans le département de Toma. Signalons enfin que le moulin a permis aux femmes l'apprentissage d'un type d'épargne forcée. Car bon gré, mal gré, il faut mettre d'abord de côté l'argent de la mouture avant de faire certaines dépenses. En réalité, certaines exigences imposées par le moulin sont plutôt des avantages que des contraintes. On note par exemple que le moulin impose et développe l'esprit associatif dans les GVF. Cet esprit associatif s'impose comme nécessité d'autopromotion. Buijsrogge (1989 : 51-52) exprime cette réalité en ces termes : « Les femmes ont compris...Elles s'organisent pour réaliser leurs propres projets de développement : une maternité, un moulin pour moudre le grain, un puits. Mais pour y arriver les femmes entreprennent un champ collectif. Ce qui prend sur leur temps ». Dans le fond, cet auteur pose le problème de l'accès des femmes aux technologies appropriées, dont le moulin.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle