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Les technologies appropriées en zone rurale : cas du moulin à  grains dans le département de Toma au Burkina Faso.

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par Jean Paulin KI
Université catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Maà®trise en sciences sociales 2000
  

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b). Accès au moulin et appropriation par les femmes.

Les modes d'introduction du moulin dans le département tels que vus au Chapitre 3 nous ont révélé les différents acteurs ou porteurs sociaux : commerçants, Etat et ONG. Par ailleurs, la

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faible rémunération des AGR face au coût des moulins pose le problème de l'accès des femmes au moulin et de son appropriation par celles-ci.

+ Un accès quasi limité

La situation financière des femmes par rapport au prix de revient des moulins rend difficile leur accès au moulin et favorise le monopole de cette technologie par les hommes. Lorsqu'on pose la question de savoir pourquoi la totalité des propriétaires de moulins sont des hommes, les femmes répondent : « Est-ce que nous avons de l'argent ? Nous n'avons pas d'argent comme les hommes ». Et lorsqu'on s'intéresse aux raisons de leur manque d'argent et à celles de la richesse des hommes, on obtient les réponses suivantes : « Les hommes ont des animaux, ils travaillent », « Nous n'avons que nos jardins de piment » ou encore « Qu'avons-nous à part la préparation de la bière de mil ? Rien. » Parallèlement, certains hommes répondent aux mêmes questions en ces termes : « La femme ne peut pas se débrouiller de la même manière que l'homme ». « Nous faisons l'élevage. C'est cela qui fait la richesse de l'homme au village, sinon nous ne sommes pas salariés ». D'autres disent encore : « Certaines femmes ont de l'argent mais pas toutes ».

Ces différentes réponses reflètent certainement une réalité sociale : celle de l'inégale situation économique et financière des deux sexes. Au regard des sources de revenus dont nous avons parlés plus haut, le sexe féminin semble être la catégorie la plus défavorisée et la plus vulnérable. Nous hésitons ici à parler de situation de pauvreté car cette notion est beaucoup plus complexe et pourrait englober la situation des deux sexes en zone rurale. En effet, dans Société civile et réduction de la pauvreté, Abega (1999 : 107) écrit : « En termes purement socio-économiques on peut parler de la pauvreté comme l'impossibilité de satisfaire ses besoins fondamentaux (nourriture, vêtement, logement, soins médicaux, éducation), approche opposée à la relation entre les revenus d'un individu par rapport à un autre ». Ou d'une catégorie par rapport à une autre.

Il reste cependant vrai ici que les femmes rurales ont, à cause de certaines conditions sociales (domination masculine), un accès difficile à l'argent. Un discours tel que « La femme ne peut pas se débrouiller de la même manière que l'homme » révèle clairement les représentations sociales sur les femmes et traduit la domination masculine existante. Autrement, les femmes s'en sortent aussi bien que les hommes si les conditions leur sont offertes. La

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situation actuelle des femmes les exclut d'office du groupe de ceux qui peuvent prétendre acheter un moulin. En effet, les principales sources de revenus des femmes dans les villages san sont le petit commerce et le jardin de piment. Cultivé autour des concessions sur de petites parcelles que les hommes accordent aux femmes, le piment rapporte rarement 50 000 francs à une femme. La vente de la bière de mil comme d'ailleurs tout ce qui est petit commerce sert aux dépenses quotidiennes des femmes.

L'accès restreint au moulin provient surtout de son coût sur le marché. Le moulin accompagné du moteur coûte très cher selon les marques. Nous présentons dans le tableau ci-dessous les prix des marques Diamant et Lister (qui sont fiables) installés par l'ADRTOM.

Tableau 11: Tarifs des moulins installés par l'ADRTOM.

Année d'installation

Villages

Montant du crédit
(F.CFA)

Prix net du moulin
(F. CFA)

1990

Koin

1 528 652

1 290 740

1993

Kolan

1 769 645

1 643 000

1994

Gossina

1 095 838

800 000

Source: ADRTOM (Toma).

Les moulins de l'année 1994 étaient des dons du gouvernement burkinabè dans le cadre de l'opération Mille moulins. Ceci explique la baisse du prix de revient à 800 000 francs. Les tarifs actuels (juin 2000) des moulins à la CICA (Commerce International pour le Continent Africain) se présentent comme suit selon leurs puissances :

- Moulin Diamant : De 600 000 à 800 000 F CFA.

- Fabrication locale : De 300 000 à 400 000 F CFA.

- Moteur Diesel monocylindrique :

· 8 CV : 450 000 F CFA.

· 10 CV : 500 000 F CFA.

· 16 CV : 800 000 F CFA.

L'unique femme du département (Mme Awa PARE) à acheter un ensemble neuf moulin-moteur en 1999, avoue l'avoir acheté au prix d'un million deux cents mille (1 200 000) francs à la CICA à Ouagadougou. Complétant ses économies faites en Côte d'Ivoire avec un emprunt, elle a pu créer cette micro entreprise.

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En somme, toutes ces données montrent une fois de plus combien il est difficile pour une femme non sortie du milieu rural, ou n'exerçant pas un métier bien rémunérateur, de s'octroyer un moulin. La question de l'accès des femmes au moulin se présente alors dans une première conclusion comme un problème financier, en termes de manque de moyens. Mais nous verrons au chapitre 5 que la cause profonde se trouve dans les rapports de force des deux sexes où les femmes sont exclues des circuits économiques. Les femmes ayant compris cela, tentent d'accéder au moulin en groupe.

+ Un accès par groupes

Face à la cherté des moulins et la nécessité obligeant, les femmes sont obligées de passer par d'autres relais pour obtenir des moulins. Ces relais sont les différentes associations de ressortissants des villages se trouvant en ville et les organismes d'aide au développement tels que l'ADRTOM, l'UGPN qui s'adressent à leur tour à des bailleurs de fonds ou à l'Etat. Tous les villages possèdent des groupements de femmes dont certains existent depuis bien longtemps mais la plupart depuis 1990, constitués avec l'appui des animateurs de l'ADRTOM.

L'accès par groupes aide les femmes à se procurer et à installer le moulin mais les tarifs ne sont pas pour autant diminués et le remboursement, bien qu'étalé généralement sur une période de trois à cinq ans, connaît des difficultés. Cette situation ne dit-elle pas non plus la difficulté d'appropriation du moulin par les femmes ?

+ Difficile appropriation.

Les statistiques du chapitre 3 nous ont révélé que les moulins des groupements de femmes connaissent plus de problèmes que ceux des commerçants. Cela montre que la gestion communautaire des moulins motorisés pose de nombreux et divers problèmes techniques et sociaux rendant difficile leur appropriation.

Du point de vue des aspects techniques, on peut relever, primo, que le débit théorique de fonctionnement (120 à 350 kg/h) n'est jamais atteint à cause de la discontinuité dans la mouture occasionnée par le remplissage de la trémie, les palabres pendant lesquelles le moulin tourne à vide. Secundo, l'insuffisance ou le manque de formation des meuniers fait que la manipulation

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et le réglage empirique de l'appareil créent des problèmes. Les meuniers, choisis au gré des commerçants et selon des critères établis par les membres des GVF, ont pour la plupart fait un apprentissage sur le tas, les uns auprès des autres. Pour certains, cette formation a duré un ou deux jours mais n'a jamais atteint une semaine. Quatre sur cinq des 10 meuniers contactés sont dans cette situation et affirment ne rien connaître en mécanique bien qu'ils tentent de réparer le moteur en cas de panne. Appel est fait à un mécanicien en cas de panne grave. En outre, les meuniers sont changés régulièrement dans les groupements. Certains se sont à peine familiarisés avec l'outil de travail qu'ils doivent partir soit à cause des exigences des femmes soit parce qu'ils doivent aller en ville.

Tertio, la mauvaise installation de certains moulins (moteur non ajusté au moulin), entraîne des pannes régulières (la courroie quitte la poulie) et des pertes de temps. Le moulin GVF de Nièmè est l'exemple type en l'occurrence. Les moulins sont installés de façon empirique sans véritable calcul d'ajustement.

Enfin, les oublis de pièces d'argent ou d'autres pièces métalliques dans le mil à moudre occasionnent également des pannes. Certaines femmes, ou bien les enfants qu'elles envoient moudre, déposent leur argent ou la clé de leur porte sur le grain. Une fois au moulin, elles oublient de les retirer. Ces pièces créent le blocage du moulin, dès qu'elles passent entre les meules. Ces cas, selon les femmes, sont fréquents. Tout ceci nous fait dire que bien que la technologie soit appropriée au milieu et à la mouture des céréales, sa maîtrise pose encore de nombreux problèmes techniques.

Du point de vue des problèmes sociaux, nos recherches ont révélé que leurs causes sont de plusieurs ordres. D'abord elles sont structurelles. Sauf à Toma et à Sien (qui a changé de système après une première expérience non concluante), le local du moulin communautaire se trouve être, dans la plupart des villages, le domicile de la présidente du groupement. Avec le temps et les difficultés de gestion, les femmes finissent par considérer le moulin comme l'affaire de la présidente et se désengagent. Une telle situation crée un blocage et pose un problème de fond, celui de la participation des femmes à leurs propres projets de développement. Selon les animatrices de l'ADRTOM, il arrive que dans certains villages « les femmes ne sortent pas pour les réunions mensuelles, même les membres du comité de gestion ». Signalons ici que si quelques membres des comités de gestion ont reçu une formation en gestion de moulin, les membres des groupements restent sans formation se contentant des réunions

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mensuelles qui ne connaissent que des résolutions de problèmes du moulin. Le manque de dynamisme des membres de certains comités nous fut signalé aussi par les femmes.

Ensuite ces causes sont liées à la mauvaise gestion qui résulte elle-même du manque de maîtrise des outils de gestion (système de comptabilité par exemple) ou de stratégies d'exploitation profitant à quelques personnes. Ainsi, « le montant sur le cahier ne correspond pas à l'avoir en caisse », disent les animatrices. « Parfois, il y a plus de dépenses que de recettes. Et pourtant elles affirment n'avoir pas emprunté de l'argent; il y a eu donc des recettes qui n'ont pas été inscrites ». A cela s'ajoute le fait, selon les animatrices, que les femmes changent difficilement de comportements et n'écoutent pas leurs conseils ou font semblant d'écouter. La vérité d'une telle affirmation reste à démontrer, dans la mesure où elle tente de montrer que les femmes, finalement, ne savent pas ce qu'elles veulent ou ne mettent pas de la volonté dans ce qui fait leur intérêt. Nous pensons que le manque d'écoute des femmes est surtout lié à la pédagogie utilisée par les animatrices pour se faire comprendre. Car la bonne gestion des moulins relève plus d'une question de méthode que de volonté.

Enfin, la situation des moulins comme biens communs est aussi cause de la difficulté d'appropriation par les femmes. La gestion collective des moulins pèse sur les femmes. Tout cela nous introduit dans les aspects sociaux de l'impact du moulin.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery