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L'expression du réel dans l'honneur perdu d'Amadou Ousmane.

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par Abdoulaye DOUMARI DOUBOU
Université Abdou Moumouni de Niamey Niger - Maà®trise es-lettres 2010
  

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V.1 De la chronique sociopolitique au récit romanesque

Rappelons le processus de décolonisation à l'issue duquel la majorité des Etats africains ont acquis l'indépendance depuis les années 1960, il constitue en effet, une phase décisive dans l'évolution du roman africain. Ce roman, est en fait, identiquement une observation du corps social et est, par conséquent, le reflet de la société. Ainsi, l'instauration du multipartisme, à travers le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) a inspiré d'éminents écrivains nigériens tels que Mahamadou Halilou Sabo, dans Caprices du destin, Idé Oumarou avec Gros plan, etc. Pendant le monopartisme, sous la 1ère République de Diori Hamani, l'observation de la scène politique a engendré une littérature foisonnante, remarquablement représentée par Quinze ans, ça suffit, par exemple. Ce roman évoque les tares de la première République du Niger, en insistant sur les inégalités sociales qui se traduisent par une petite élite, la classe politique, face au nombre pléthorique des dominés.

En effet, la domination s'accroît au fur et à mesure que l'impôt devient exorbitant, les pluies de plus en plus rares et, conséquemment, on assiste à une paupérisation des couches sociales, d'où la famine. Ainsi, on note la distribution des vivres généreusement envoyés par la communauté internationale. Or, certains dignitaires véreux profitent de leur pouvoir pour les détourner. La mémoire collective du Niger a encore souvenance de l'année 1973 durant laquelle la sécheresse et la famine vont générer des conséquences dramatiques. La situation de cette sécheresse est rapportée ainsi dans le roman :

 «  Vous imaginez ce fléau, quelque chose comme la peste au Moyen-âge. Des morts-vivants à la dérive, errant parmi les amoncellements de cadavres, un pays foudroyé (...) C'est le drame : parce que la famine africaine vient d'entrer dans sa vitesse de croisière, on n'en parle plus ; Or six millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont en train de mourir à petit feu dans les camps du Sahel... Toute la question, maintenant, est de savoir si la pluie viendra. De toute façon, ce sera encore la famine : s'il ne pleut pas il n'y aura pas de récolte. »121(*)

On voit clairement qu'Amadou Ousmane se fait chroniqueur social en ce qu'il rapporte des faits sociaux qui se sont passés à un moment de l'histoire. Son oeuvre romanesque apparaît en fait comme une chronique sociopolitique. Il s'intéresse aussi à la réalité quotidienne et, l'observation des faits réels, historiques et culturels atteste de l'intérêt qu'il porte aux questions sociales et politiques. Ainsi, la position privilégiée d'attaché de presse du chef de l'Etat auprès du Général Kountché, puis avec le Général Ali Saïbou qu'a occupée Amadou Ousmane lui permet de dresser une vue exhaustive.

Dans l'Honneur perdu, il touche encore du doigt les problèmes brûlants du Niger, notamment la crise sociopolitique qui a secoué la IIè République, ayant occasionné l'ouverture de la Conférence Nationale Souveraine le 29 juillet 1991. En effet, C'est une oeuvre qui traite des faits tangibles observés durant les années 90. L'on peut citer entre autres les débats d'idées  relatifs à la liberté d'expression et la démocratisation des pays africains à cette époque. Dans cette optique, le narrateur du roman pose la problématique de la question sociale au Niger :

 «  Dans un pays où les gens vivaient dans la hantise des lendemains incertains, où les travailleurs, toutes catégories, étaient quotidiennement confrontés aux multiples aléas de la vie, à la montée vertigineuse des prix, à une incroyable crise de logement, à l'inorganisation des transports collectifs, à l'arrogance des patrons, à la grogne permanente des propriétaires de maison et des commerçants qui s'obstinaient à refuser tout crédit,'' la Déclaration du président'' dans ce qu'elle comportait de promesses, de changement, fut en effet perçue par la quasi-totalité du peuple comme un remède attendu à tous les maux de la société. »122(*)

A travers le récit, on constate que le climat social est explosif, puisque la crise qui secoue la classe politique a des répercutions, telles que les tensions sociales rapportées comme dans le récit d'une chronique. Si le général Okala, président du Bamoul est sensible aux aspirations du peuple, son allié, le colonel Workou s'y oppose. Certes, les faits sont romanesques, c'est-à-dire émanant de l'imagination de l'auteur mais ils traduisent une réalité, vécue ou censée l'être, car les protagonistes de l'histoire, les personnages notamment, sont choisis de sorte qu'ils renvoient à une époque dans la réalité spatio- temporelle.

Amadou Ousmane procède ainsi pour faire oeuvre de chroniqueur. On peut dire que le romancier chroniqueur n'est pas un historien, parce que ni la date ni la scientificité des faits ne priment chez lui. Au contraire, la chronique le conduit à traiter des faits passés en respectant leur chronologie. Ainsi l'on peut affirmer que l'auteur de l'Honneur perdu ne se contente pas seulement de juxtaposer les événements de l'histoire, mais les observe également avec une certaine minutie. Elle apparaît du moment où le romancier conte les actions des personnages avec clarté et exactitude. Pendant que le général Okala se trouve à La Baule, la situation sociale dans son pays devient de plus en plus tendue. Il y revient promptement. Des investigations ont permis de situer les responsabilités, puis on tend vers la tenue de la conférence nationale. Le romancier, en tant qu'observateur de la société, est soucieux de se faire clair pour en être compris. Donc la saisie du sens de son message suppose nécessairement une grande minutie dans l'exposition des faits.

Dans l'Honneur perdu, le général Okala, personnage principal, dont le rôle dans l'avènement de la démocratie a été déterminant a favorisé le multipartisme. Par analogie, le président de la IIè République du Niger, le Général Ali Saibou a lui aussi suscité dans l'esprit de ses concitoyens un engouement, le désir de liberté et de son expression, d'où il a servi de piédestal au multipartisme. Cependant, il est à noter que la démocratie a vu le jour en Afrique tout comme au Niger dans une atmosphère délétère. Le narrateur l'atteste ainsi : 

«  Ils (les politiques) savaient que les bouleversements en cours un peu partout dans le monde n'ont pas pu épargner leur propre pays. Ils avaient entendu parler du vent des libertés qui souffle depuis les lointains pays d'Europe, commençait à déferler sur l'ensemble du continent (...) de grèves, de tracts, de perquisitions, d'arrestations massives d'étudiants, de marche de protestation ou de soutien dans tel ou tel pays, et même de la réussite ou l'échec d'un coup d'Etat ici ou là. »123(*)

Dans la narration des événements sociaux et politiques, Amadou Ousmane fait référence à la fois à l'espace immédiat, le Niger et ailleurs, l'Afrique. On constate qu'il y a une certaine harmonie dans l'évolution des pays africains, dans la mesure où les années 60 ont représenté l'ère des indépendances, puis une décennie après, on a assisté aux coups de force voire même des coups d'Etat, ensuite la démocratisation est intervenue dans un contexte tumultueux. L'auteur de l'Honneur perdu fixe les faits dans un décor à travers lequel on peut situer, à la fois le lieu et le temps qui sont deux éléments majeurs quand on se réfère à la chronique. D'ores et déjà, la lecture de ce roman devient un décryptage des faits saillants agitant l'espace décrit (le Bamoul) à une période (pendant les années 90). Cette période correspond approximativement à l'instauration du multipartisme au Niger.

Dire que le romancier est un chroniqueur, n'est pas une assertion arbitraire. Elle est le résultat d'un constat avéré. Car, dans l'Honneur perdu, il narre l'histoire contemporaine de l'Afrique, en général, et celle du Niger, en particulier. Il s'agit d'une période décisive qui symbolise la maturité du peuple africain s'opposant à tout abus de droit et toute spoliation de liberté. C'est ce qui fait dire que les années 1990 sont une sorte de deuxième désenchantement, puisque le peuple s'est désillusionné à nouveau. Il est encore déçu par le règne des dictateurs après la déception des indépendances.

S'agissant d'Amadou Ousmane, il s'inscrit dans la perspective de la chronique tant du point de vue des thèmes abordés qu'au niveau même de la parution de ses oeuvres, ses deux premiers romans à savoir 15 ans, ça suffit !, le Nouveau juge sont une chronique de la Ière République du Niger, à travers la satire du pouvoir judiciaire, supposé être indépendant.

Néanmoins, la justice n'est guère impartiale car elle est rendue en faveur de certains dignitaires du régime. De la description de la sécheresse meurtrière, au détournent des vivres destinées aux populations sinistrées, en évoquant notamment la perversion des moeurs judiciaires, Amadou Ousmane fait oeuvre de chroniqueur dans le traitement des thèmes. Ces derniers traduisent nettement les faits ayant caractérisé la première République du Niger, du moins les pratiques qui dominent. Il est attentif aux faits saillants ou même accessoires en ce qu'il les rapporte dans un ordre chronologique.

L'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane est une chronique, car ses trois oeuvres rappellent trois décennies (1960-1990). Pendant cette période, plusieurs mutations ont caractérisé le pays. L'évolution sociopolitique, à travers quelques événements majeurs est minutieusement représentée. Entre autres faits, citons le coup d'Etat du Général Wata dans Quinze ans, ça suffit ! qui clôt le roman. Alors que dans l'Honneur perdu, on relate les mouvements qui ont abouti aux débats houleux au cours de la conférence nationale et ayant, peu après, engendré la démocratisation des institutions étatiques.

Fondamentalement, les romanciers nigériens du désenchantement ont fait cause commune la dénonciation des errements du Parti Unique, ils ont pour ainsi dire fait son procès. Depuis lors, la période charnière s`est caractérisée par un silence chronique, de l'année 1974 qui marque le premier coup d'Etat militaire au Niger jusqu'à l'instauration de la IIè République. C'est ainsi qu'Amadou Ousmane rompt ce silence, d'où la remarque d'Abdoul Aziz Issa Daouda critique nigérien: 

«  L'Honneur perdu, conformément aux habitudes d'Amadou Ousmane, s'inscrit dans une des voies privilégiées du roman contemporain nigérien qui est la satire politique. Au demeurant Amadou Ousmane se révèle comme un scrutateur régulier de la vie politique et du dysfonctionnement des institutions du Niger, et à ce titre son dernier roman correspond à une suite logique de son Quinze ans, ça suffit qui fait la satire de la première République nigérienne, comme pour répondre à ceux qui seraient tentés de demander :'' Et aujourd'hui  après les quinze ans?'' »124(*)

En effet, l'auteur de L'Honneur perdu se distingue du panégyrique, du défenseur d'une thèse ou de la position politico idéologique partisane. Par contre, il est un observateur de la réalité sociale ou politique en vue de la représenter. Il mêle faits socio politiques et imagination personnelle. Il fait aussi une chronique sociale et politique dans son récit. Ses romans sont parus successivement de 1977 à 1993. Ils rappellent chronologiquement les périodes prépondérantes de l'histoire socio politique du Niger telles que l'année 1973-74, le temps de la sécheresse et 1993 qui représente l'ère du multipartisme.

En d'autres termes, la société est la première source d'inspiration du romancier, d'où l'observation des mécanismes qui la régissent lui confère le talent d'un chroniqueur. Chronique sociale et chronique politique sont intimement liées dans l'Honneur perdu, puisqu'on ne saurait discerner la description des métamorphoses sociales des manifestations, tantôt latentes, tantôt manifestes qui sous tendent la crise politique. Le roman s'ouvre d'emblée dans un décor dramatique car, l'atmosphère sociale est tendue. Dans cette perspective, on peut retenir l'évocation de l'assassinat d'un étudiant par la police. Un crime rajouté à la réalité par Amadou Ousmane, désirant mettre à nu les affrontements du 09 février 1990 et les faire percevoir par le lecteur conformément à la signification voulue.

Le travail de chroniqueur ne correspond pas uniquement à un agencement des faits réels mais, il consiste aussi à les mêler à l'imagination créatrice de l'auteur. Le romancier ne privilégie pas l'exactitude et la véracité des faits. Il tend plutôt à les replacer dans une atmosphère plus ou moins vraisemblable. Le but visé est, évidemment de rendre visible les faits remarquables. Qu'elle soit le reflet d'un fait social ou même politique, la chronique suppose avant tout un travail rigoureux, telle que l'observation directe voire participante qui incombe au romancier.

La chronique, si elle fait partie intégrante des romans d'Amadou Ousmane, constitue à elle seule la matière d'un de ses ouvrages aux échos retentissants intitulé Chronique judiciaire. Il s'agit, en effet, d'une chronique qui s'inspire des procès auxquels l'auteur a pris part. La finalité est d'ordre juridique, car on nous dresse une fresque sociale dans laquelle apparaissent plusieurs coupables face à une même machine judiciaire.

Amadou Ousmane est imbu de la vocation de chroniqueur. La dimension sociale de son écriture le prouve de façon notoire. Il entend représenter dans son texte ce qui se passe dans la réalité. Conscient de cette mission, il puise dans la réalité sociopolitique pour ancrer ses récits dans le terroir. La vocation de chroniqueur apparaît potentiellement dans son dernier roman, c'est pourquoi l'éditeur admet qu' Amadou Ousmane a fait dans l'Honneur perdu la « chronique d'une démocratisation amorcée »125(*).

Son oeuvre est le fruit d'une observation qui reflète l'évolution de la société nigérienne dans un contexte multipartite. C'est ce qu'on observe ici :  « Et chacun s'octroyait le droit de dire ce qu'il voulait, quand il voulait comme s'il avait une revanche à prendre sur tant d'années de silence imposé par l'Etat d'exception »126(*). On voit que le romancier dresse de façon exhaustive les faits marquants de l'histoire politique du Niger. Il fait une chronique de l'avènement de l'ère démocratique comme il l'a fait dans Quinze ans ça suffit ! concernant le parti unique.

La chronique est, en conséquence une façon de voir le monde chez Amadou Ousmane parce qu'il a le souci de présenter la réalité en évoquant certains faits de l'histoire nationale. Ses romans, Quinze ans ça suffit, Le Nouveau juge et L'Honneur perdu sont une chronique romanesque. Il y apparaît l'évolution des mentalités et des idées ainsi que l'histoire sociopolitique du Niger. A ce niveau, on peut citer Balzac dans son roman les Chouans où il rapporte la réaction des insurgés contre les Républicains.

En somme, Amadou Ousmane manifeste dans son dernier roman la volonté de faire oeuvre de chroniqueur. Il a ainsi le regard braqué sur le réel, l'actualité d'où la société constitue sa source d'inspiration. Sa chronique est le résultat d'une expérience, du vécu quotidien. En conséquence, il ne veut se livrer ni à une imagination débridée, ni à des aventures merveilleuse et irréaliste, mais comme un auteur qui prend uniquement en compte les événements majeurs afin de les décrire avec réalisme.

* 121 Quinze ans ça suffit, op. Cit., p.28-30.

* 122 L'Honneur perdu, op. Cit., p.36-37.

* 123 L'Honneur perdu, op. Cit, p.44.

* 124 La Double tentation du roman nigérien, op. Cit., p.23.

* 125 Note de l'éditeur sur la couverture du roman.

* 126 L'Honneur perdu, p.38.

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