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L'expression du réel dans l'honneur perdu d'Amadou Ousmane.

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par Abdoulaye DOUMARI DOUBOU
Université Abdou Moumouni de Niamey Niger - Maà®trise es-lettres 2010
  

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IV.1 Le personnage : reflet d'une société

Le personnage est selon la formule d'Henri Benac « Une personne fictive dans une oeuvre littéraire, cinématographique ou théâtrale. »96(*) La notion du personnage est, en effet liée de façon intime à celle de la personne réelle, parce que l'être fictif est un certain travestissement de l'humain, vivant et existant dans la réalité quotidienne. Le romancier crée les personnages en fonction d'un dessein esthétique, un idéal ou même sa vision du monde, donc il peut lui conférer une réalité qui apparaît tant au niveau des traits physiques que moraux. Dans le Père Goriot, Balzac affirme que :

 « Madame Vauquer née de Conflans, est une vieille femme qui, depuis quarante ans tient à Paris une pension bourgeoise établie rue Neuve Sainte- Marceau. Cette pension, connue sous le nom de pension Vauquer admet également des hommes et des femmes, des jeunes gens et des vieillards, sans que jamais la médisance ait attaqué les moeurs de ce respectable établissement. »97(*)

Balzac campe ses personnages dans un espace vraisemblable. Par conséquent, on observe ainsi une symbiose entre le cadre social décrit et ceux qui sont peints, leur psychologie révèle les moeurs et par delà, elle reflète un milieu que les tares de la société mondaine comme le snobisme et l'hypocrisie n'ont pas affecté.

Amadou Ousmane est pareil à un observateur de la société et des individus qui la composent. Il procède par analogie dans le traitement de ses personnages. En effet, l'Honneur perdu est une oeuvre peuplée des êtres fictifs et imaginaires sans pour autant perdre de vue l'apparence du réel qu'ils suscitent. Ainsi, les personnages qui en transparaissent ont des référents dans la société, car elle est la première source d'inspiration du romancier, de même leur dénomination révèle une origine sociale. On peut dire que le personnage dans le roman d'Amadou Ousmane a pour référent l'être humain se situant, d'ordinaire dans la société. Le Général Okala est, en fait, le personnage principal, puisqu'il est au centre de l'histoire, d'une part, il renvoie à une catégorie sociale, l'armée, et d'autre part, le titre du général exprime un niveau dans la hiérarchie militaire. Dans le roman, il est représenté avec réalisme, en ce sens que ses traits physiques ainsi que son portrait moral rappellent une personne réelle. C'est ainsi que le Général Okala est en quelque sorte le portrait du Général Ali Saibou. L'on peut également affirmer que le choix du général, en tant que chef d'Etat, est une manière d'insinuer l'illusion référentielle. Même s'il est une personnalité, président de la IIè République du Niger, sa vision du monde s'assimile à celle du personnage. Le fait de camper un personnage dans un cadre social notamment conforme à son statut, prouve, non seulement que l'auteur veut lui donner une certaine identité, mais aussi un rôle actanciel défini. Par ailleurs, il semble que les relations privilégiées entre Amadou Ousmane et le référent réel du Général Okala, le Général Ali Saibou, l'ont conduit à en faire une bienveillante peinture. Il ressort que l'auteur de l'Honneur perdu n'entend pas critiquer l'armée. Au contraire, il la loue afin de montrer le rôle qu'elle a joué dans l'avènement de la démocratie. Tel est le sens de la représentation qu'il fait du Général Okala. Ce personnage romanesque rappelle très profondément le Général Ali Saibou, qui a présidé aux destinées de la II è République du Niger de 1987 à 1993. Le portrait moral permet de voir que son rôle dans l'avènement de la démocratie a été déterminant, puisqu'il a suscité un éveil de conscience, tout en incarnant la décrispation. Cette détente a permis à ses concitoyens de se manifester pour exprimer leur liberté. Son esprit consciencieux et intègre fait de lui un brave. Il se préoccupe aussi du bien-être de ses semblables. Pour le narrateur : « L'heureux père de douze enfants qu'il est, avait du mal à comprendre comment on avait pu arriver là, dans un pays où l'enfant représente tout de même  la plus grande richesse de l'homme ... »98(*) En effet, il exprime sa compassion lors d'un décès, cela traduit un humanisme, le respect de la personne humaine. Dire que l'enfant est la'' la grande richesse humaine'', fait allusion à la place que lui confère la société africaine, par conséquent Amadou Ousmane porte les marques de son milieu. L'Afrique traditionnelle est célèbre dans la préservation des valeurs sociales telles que l'hospitalité, la solidarité et l'entraide, autant de valeurs qu'incarnent les personnages qu'il met en scène.

Il ressort que la frontière entre la personne réelle et le personnage romanesque est très étroite, pour le fait que l'être fictif est l'expression des coutumes et valeurs qui dominent dans la société où il est caractérisé. Notre romancier entend associer l'imaginaire au réel, le personnage à la personne.

Néanmoins, on trouve rarement l'onomastique, dans l'oeuvre d'Amadou Ousmane. C'est un mot d'étymologie grecque, il dérive en effet, du terme onoma qui veut dire nom. Ainsi l'onomastique « est la science qui étudie les noms propres. »99(*) Un tel procédé permet au romancier d'emprunter un mot de la langue maternelle pour qualifier un personnage en vue de faire couleur locale. Il consiste donc à le camper dans un milieu social précis.

André Salifou en use dans son roman, Tels pères, tels fils100(*), parce qu'il nomme les personnages en leur donnant une connotation socioculturelle. En effet, l'exemple du personnage '`Kasko'' est une illustration, car le nom est issu de la langue haoussa et désigne le tesson ou le débris de poterie. On a en plus un autre personnage nommé `'Alatoumi'', signifiant en zarma un orphelin. Dans l'un comme dans l'autre cas, la dénomination de ces personnages réfère à leur milieu d'origine, le Niger. Les langues haoussa et zarma sont dominantes à Bakin-Dawa, d'où l'auteur met en scène une société marquée par les coutumes ancestrales. C'est ainsi que le nom des personnages l'atteste.

Par ailleurs, on remarque que le nom des personnages dans l'Honneur perdu n'a pas un sens en rapport avec le milieu d'origine. On a par exemple le colonel Workou. Dans la mesure où l'appellation du personnage est indépendante de son contexte social, l'on peut dire que la personne fictive est, pour l'auteur de l'Honneur perdu accessoire, l'important est le rôle qu'elle joue dans l'oeuvre. En fait, les attributs du colonel Workou nous permettent cependant d'affirmer qu'il est l'incarnation d'un certain type sociopolitique réel, car il symbolise la passion et l'appétit du pouvoir. Il se caractérise par son comportement démesuré. Les basses moeurs font de lui un anti-héros refusant le processus démocratique. Et tout un paragraphe est consacré au portrait de sa personnalité. Le narrateur affirme : « Quel destin extraordinaire, en effet, que celui de ce jeune maître d'école engagé comme volontaire dans l'armée coloniale, devenu colonel en l'espace de vingt cinq ans de carrière, puis ministre à la faveur d'un coup d'Etat, et qui aujourd'hui, préfet, rêve encore d'une vie meilleure. »101(*)

On observe ainsi que le colonel Workou est le reflet d'une classe politique hantée par le désir ou l'ambition de gravir les échelons de la société, puisqu'il recherche le bonheur, à travers l'ascension sociale. Il surenchérit à propos du colonel Workou en disant : « (...). Ce haut personnage que les mauvaises langues nombreuses dans le pays, ont souvent vanté publiquement d'être l'instigateur et le vrai cerveau du putsch militaire qui avait renversé le régime civil quelques années plus tôt ».102(*) L'auteur dénonce et condamne le coup d'Etat comme une manoeuvre vile et abjecte, vue ses conséquences néfastes, telle que la compromission de l'ordre social. Faut-il voir là le caractère insaisissable d'un auteur ou l'évolution de sa mentalité, lorsqu'il qu'il présente le coup d'Etat du Général Wata comme salvateur dans Quinze ans, ça suffit ! « Dans les rues, les manifestants par milliers, défilaient aux cris de :'` vive l'armée !'' Abas le parti ! Quinze ans, ça suffit ! »103(*). A la différence du colonel Workou, le général Wata semble annoncer une époque nouvelle, un renouveau. Bref, il suscite un engouement, une euphorie dans le rang du peuple. Il est un personnage marginal et ses propres alliés le suspectent : 

« Ses adversaires, nombreux dans l'Armée avaient bien sûr, une autre version des faits. Par exemple, il aurait tiré de sang froid sur les civils sans défense la nuit du coup d'Etat, et aurait même pillé par la suite les coffres du palais. Ce qui, à les croire serait à l'origine de sa fabuleuse fortune. »104(*)

Le romancier entend défendre les opprimés, car ils sont victimes pendant les conflits ou les tensions sociales, même s'ils sont innocents. Nonobstant la dénonciation des travers de l'armée du fait de sa brutalité, on peut dégager un autre trait qui fait du colonel Workou un type social. Il représente en effet, les arrivistes. La caractérisation des personnages dans ce roman a pour but de les rapprocher de la réalité en les fixant dans un cadre social déterminé. L'auteur critique ici une classe sociale, il fustige le personnage du tyran, du dictateur qui est un usurpateur du pouvoir et l'exerce arbitrairement. Concernant les romanciers, d'aucuns affirment  que 

« Les personnages qu'ils inventent ne sont nullement créés, si la création consiste à faire quelque chose de rien, nos prétendues créatures sont formées d'éléments pris au réel, nous combinons avec plus ou moins d'adresse, ce que nous fournissent l'observation des autres hommes et la connaissance que nous avons de nous-mêmes. Les héros de romans naissent du mariage que le romancier contracte avec la réalité. » 105(*)

On s'aperçoit que le critique Goldenstein nie le caractère fictif du personnage, parce qu'il provient de l'observation du réel, il est le miroir qui reflète la personne humaine.

Le personnage est, au regard du romancier, le miroitement de la personne réelle évoluant dans une société. Doudou Workou incarne l'image du héros, le vaillant qui sacrifie sa vie pour que subsistent les autres. Rappelons que Doudou est le secrétaire général de l'union nationale des étudiants à l'image du personnage de Sembène Ousmane, dans Les Bouts de bois de Dieu106(*) qui porte le même nom et a le même statut. A travers ce personnage, Amadou Ousmane nous fixe dans une époque précise, les années 90, qui marquent le paroxysme des luttes syndicales au Niger. On note ainsi les victimes du 09 février de la même année, à savoir les trois étudiants qui ont rendu l'âme au cours d'une manifestation pour l'enracinement d'un régime multipartite. Il importe de dire que le romancier tente de nous convaincre lorsqu'il fait parler un personnage exaltant le sens de l'honneur de Doudou : 

«  Je sais même ce qui s'est passé entre le colonel Workou et vous et je sais que vous avez refusé tout ce qu'il vous a proposé, y compris la promesse d'une bourse d'études au Canada (...) Vraiment je vous félicite pour avoir su rester digne, en refusant de laisser acheter ainsi votre conscience de militant. »107(*)

Le portrait moral de Doudou atteste une sagesse : le respect des valeurs qui spécifient un bon leader, convaincu de sa mission, il se reconnaît à travers le groupe social qu'il dirige, et vice versa. Les propos qui suivent démontrent clairement la sympathie du peuple à son égard :

« Lorsqu'on entendit donc sur les ondes de la B.B .C et à une heure de grande écoute, Doudou, le leader incontesté du mouvement des étudiants annoncer lui-même sa libération et celle de ses quatre camarades, on entendit aussi des cris de victoire. Ils furent ainsi des milliers d'auditeurs à exprimer leur joie de diverses façons, leur joie de savoir enfin libres ces jeunes gens qui avaient osé défier si ouvertement le pouvoir. »108(*)

Au regard de ce qui précède, on se rend compte que Doudou est l'incarnation de l'idéal de l'auteur et de certaines valeurs auxquelles il croit, entre autres le sacrifice de soi et la défense des couches sociales opprimées.

Le personnage n'est pas, distinct de la personne réelle, dans l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, à cause de leurs traits physiques et moraux qui sont communs. C'est le constat qu'en fait Abdoul Aziz Issa Daouda lorsqu'il déclare :

«  S'il existe un trait qui caractérise le personnage du roman réaliste, c'est bien sa dimension ''réelle'', sa vraisemblance. C'est assurément là la moindre preuve d'objectivité d'une création romanesque qui entend être `'la traduction littérale des `'faits'' par l'observation des faits »109(*).

En effet, le personnage est l'expression d'une certaine réalité. On le caractérise avec vivacité, en le faisant apparaître dès lors plus près de la personne réelle, en ce qu'il peut posséder quelques-uns de ses traits.

Il faut noter d'autres personnages non moins importants, autrement dits les personnages collectifs tels que le peuple de Bamoul, le monde estudiantin, l'élite politique, etc. A travers les masses représentées, le romancier veut déterminer la mentalité ou la psychologie d'une couche sociale, d'un peuple. Si le peuple de Bentoba a exprimé son désarroi face au Parti unique, dans Quinze ans, ça suffit ! Les gens de Magama ont fait autant pour l'avènement de la démocratie. Ainsi, à chaque peuple ses aspirations. Une telle attitude ou réaction d'un peuple à une période de son évolution montre l'éveil de l'esprit, le changement de mentalité. Donc le personnage collectif a également une réalité psychologique comme le personnage tout court. D'où le reflet des personnes humaines qui changent de vision en fonction des circonstances, des occurrences... On peut également noter la réaction du peuple de Bamoul : «  La déclaration du président dans ce qu'elle comportait de promesses de changement, fut en effet perçue par la quasi-totalité du peuple comme le remède attendu à tous les maux de la société. »110(*)

A travers ce passage, l'auteur semble nous dire que chaque personnage reflète le milieu dans lequel il est représenté. Ainsi, un regard rétrospectif permet de dire que l'Africain a d'abord, par le passé réclamé son identité, ensuite l'autonomie. Kasko, le personnage de Mahamadou Halilou Sabo dans Caprices du destin111(*) en est révélateur, car il incarne, à la fois l'anticolonialisme et dans une certaine mesure le désenchantement et la désillusion du peuple colonisé face au nouveau dirigeant. Par contre, le roman d'Amadou Ousmane met en scène un personnage contemporain, plus proche de nous, de la société actuelle, parce qu'il n'aspire qu'à la démocratie. En effet, Doudou réfère aux militants syndicaux des années 90 pour avoir revendiqué le multipartisme. Donc la personne réelle et le personnage se confondent parfois.

L'Honneur perdu est un roman dans lequel les personnages sont peints de façon réaliste, c'est-à-dire que leur caractérisation suscite une apparence du réel. De ce fait, on peut les comparer aux personnages balzaciens qui « sont les images de leur temps, d'un régime ou parfois d'un mode.  »112(*) Aussi notre romancier caractérise ses êtres fictifs en les adaptant à une époque et on l'observe à travers le portrait d'Akaya. Elle est vue comme une femme conservatrice car issue d'une époque révolue. Sa profondeur morale fait référence à la féodalité puisqu'elle se soumet à son mari comme un vassal au suzerain.

Au regard de ce qui précède, on constate qu'il y a une interdépendance entre la personne réelle et le personnage romanesque. Les deux semblent refléter une même réalité, la société.

* 96 Guide des idées littéraires, op cit, p.

* 97 Honoré de BALZAC, le Père Goriot, Hachette, 1997, p.11.

* 98 L'Honneur perdu, op, cit, p.12.

* 99 Onomastique-Wipédia

* 100 SALIFOU André, Tels pères tels fils, Niamey, INN, 1993.

* 101 L' Honneur perdu op, cit, p.17.

* 102 Idem, p.114.

* 103 Quinze ans, ça suffit !, p.134.

* 104 L'Honneur perdu, p.114

* 105 J. P. GOLDEINSTEIN, Pour Lire le roman, DEBOECK-DUCULOT, p. 43. 

* 106 OUSMANE Sembène, les Bouts de bois de Dieu, Présence africaine, 1960.

* 107 L'Honneur perdu, op cit, p.157.

* 108 Idem, p.74.

* 109 ISSA DAOUDA Abdoul Aziz, la Double tentation du roman nigérien, Paris, L'Harmattan, 2006, p.210.

* 110 L'Honneur perdu, p.37

* 111 HALILOU SABO Mahamadou, Caprices du destin, Niamey, INN, 1981.

* 112 http : members. Home.n/ngr idshepers/pdf.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld