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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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Partie 4 : Ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire

En contrepoint de cette situation de dépendance statutaire et des stratégies adaptatives qui lui sont corrélatives, la dernière partie porte l'accent non plus sur la stigmatisation telle qu'elle est subie (et sur ce que veut dire être et se découvrir "harki" dans l'ordinaire des relations sociales et familiales), mais sur la stigmatisation telle qu'elle est "réagie" (et sur ce que recouvrer ses capacités de symbolisation veut dire, d'une logique adaptative à une logique revendicative). Ceci implique d'aborder la question de la reconnaissance au sens le plus extensif du terme, ainsi que les enjeux de visibilisation - voire d'invisibilisation (à travers notamment la question du pardon, conçue comme un au-delà de la reconnaissance) - qui lui sont corrélatifs, à savoir :

- La reconnaissance de soi par soi entendue comme "travail de dégagement" vis-à-vis du stigmate et, surtout, de la honte qui lui est corrélative. Ceci implique de rendre compte des stratégies dites de "rupture" qui, dans un premier temps au sein du cercle familial, visent individuellement à "transgresser" le non-dit paternel pour remonter aux « sources de la honte »194(*) puis, dans un second temps et à l'échelle de la société dans son entier, visent collectivement à réhabiliter la figure du père et à retourner le stigmate en un symbole de prestige publiquement assumé et revendiqué aux yeux d'autrui.

- La reconnaissance de soi par autrui (et d'autrui par soi) entendue comme "travail de l'écart" entre les différents protagonistes (communauté harkie, Etat français, Etat algérien), dans une visée de réparation des termes de l'échange. Et d'abord la reconnaissance de soi par cet autrui significatif qu'est l'Etat français : qu'en est-il des politiques de la reconnaissance - qu'elles soient d'ordre matériel ou symbolique - consacrées par leur pays d'accueil aux membres de cette "communauté de destin" ? Selon quelles modalités traduisent-elles et dans quelle mesure sont-elles congruentes avec les revendications des intéressés ?

C'est ce travail de l'écart entre les revendications identitaires des représentants de la communauté harkie et la logique propre à la raison d'État qui est ici en jeu. A cet égard, il est un fait qu'en raison des épreuves endurées et du sentiment d'abandon qui leur est corrélatif, l'aspiration des anciens harkis et de leurs familles à être reconnus et célébrés dans leur singularité passe par une reconnaissance qui ne soit pas seulement réminiscence mais aussi résipiscence de la part des autorités195(*) ; interpellés dans leur rôle de gardiens de la mémoire nationale (pour célébrer le rôle et le sens du sacrifice des anciens harkis) et de garants du lien social (pour pallier les conséquences socio-économiques de la transplantation brutale de ces populations), les gouvernants actuels sont également instamment pressés de reconnaître la responsabilité de leurs devanciers dans l'abandon à un sort funeste (pour ceux qui furent empêchés ou découragés de gagner la France) ou à la relégation géographique et sociale (pour ceux qui y furent "accueillis") des anciens harkis et de leurs familles. L'enjeu de la reconnaissance doit donc être ici entendu comme "travail de l'écart" entre ce que fut et/ou ce que souhaitent donner à voir les anciens harkis et leurs familles de leur destinée (et ce qu'ils attendent en retour) d'une part, ce qu'il en est officiellement donné à voir et "à agir" d'autre part. En d'autres termes, l'enjeu, pour les autorités françaises, est précisément de savoir quel contenu et quelle mesure donner à la notion de reconnaissance : se souvenir / célébrer quoi ? Et assumer la responsabilité / se repentir de quoi ? En somme, dans quelle mesure la réminiscence doit-elle se faire résipiscence196(*) ?

La section finale est précisément dédiée à l'analyse des conditions de dépassement ou de sortie hors de cette configuration stigmatisante, ce que Sandrine Lefranc appelle la « déconstruction des relations de domination »197(*). Car, là où l'histoire touche au tragique et instaure une dissymétrie radicale entre soi et autrui, reconnaître l'autre, réinstaurer de la réciprocité, c'est aussi reconnaître ce qui, à un moment donné, a pu contribuer à briser cette réciprocité et refuser que ce passé là ne continue à produire ses effets dans le présent. Ainsi aborderons-nous, in fine, la question du pardon, entendue comme un "au-delà" de la reconnaissance, son expression la plus parfaite et, pour cette raison sans doute, la plus difficilement traduisible dans le champ et la grammaire politiques.

Cela est tout sauf anodin puisque, dans un contexte et sur un sujet où les représentants de l'Etat français sont plus qu'hésitants à pointer les responsabilités de leurs prédécesseurs, et où les représentants de l'Etat algérien s'inscrivent dans le droit fil de l'Etat-FLN (à l'image d'Abdelaziz Bouteflika qui incarne, par sa personne même, cette continuité), l'on n'hésite plus, au sein de la communauté harkie, à ester en justice pour acculer à la repentance, sinon pour faire condamner, ceux - États ou anciens hauts responsables - que l'on accuse de fuir leurs responsabilités.

Le cas des anciens harkis et de leurs familles ouvre ainsi, à différents niveaux, sur trois questions fondamentales (qui se déclinent également sur d'autres cas très divers, selon des modalités propres) :

1. L'invention d'une figure de l'ennemi intérieur dans un contexte conflictuel et post-conflictuel, et le choc subséquent entre histoire et mémoire (visée de légitimation -fondation et stabilisation - de l'ordre politique) ;

2. La question de la transmission et de la réappropriation - dans une visée de construction des identités - d'un héritage lourdement grevé sur le plan symbolique : la "quête à être" et la gestion du paraître des générations suivantes dans l'ordinaire des relations sociales et familiales (dialectique identification/identisation et maniement du stigmate) ;

3. L'enjeu de la reconnaissance (entendu à la fois comme recouvrement des capacités de symbolisation et réparation des termes de l'échange avec d'autres acteurs interdépendants) et du pardon (comme envers de la raison d'Etat).

* 194 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996.

* 195 La reconnaissance officielle par l'Etat français de sa part de responsabilité dans l'abandon au massacre des anciens harkis et de leurs familles est désormais la première des revendications mises en avant par l'ensemble des grands mouvements associatifs au sein de la communauté.

* 196 L'enjeu n'est d'ailleurs pas que symbolique puisque la réponse à ces questions détermine aussi la nature des politiques de transferts de fonds consenties par l'Etat : plans d'aide (avec une marge de manoeuvre limitée par rapport au droit commun) ou mesures d'indemnisation ?

* 197 Voir Sandrine Lefranc, « Les politiques du pardon : la continuation du conflit par d'autres moyens », in Elise Féron et Michel Hastings, L'imaginaire des conflits communautaires, Paris, L'Harmattan, 2002, p.272.

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