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Mémoire, identité et dynamique des générations au sein et autour de la communauté harkie. Une analyse des logiques sociales et politiques de la stigmatisation.

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par Emmanuel BRILLET
Université Paris IX Dauphine - Doctorat de sciences politiques 2007
  

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2. Un triangle "existentiel"

Ce triangle "existentiel" modélise le brassage du "reçu" et du "vécu", le rapport à la mémoire et aux origines et la façon dont il peut - ou non - produire la honte dans l'ordinaire des relations sociales, de nos jours en France : en somme, il est le lieu cardinal - quasi-géographique - d'expérimentation de la honte par les fils et filles de harkis au cours de leur « ronde journalière ».

Ce triangle de stigmatisation "existentiel" est le produit de trois types d'influences routinières :

- À la base de ce triangle, l'influence "rentrée", à la fois spéculaire (car elle a trait à l'identification au père) et tyrannique (car régie par les affects), du "non-dit" paternel, cette difficulté des pères à dire et à transmettre à leurs enfants un roman familial marqué par leur engagement aux côtés de la France et les conséquences dramatiques qui en ont résulté. Il en résulte - double violence psychologique et affective - l'intériorisation par l'enfant du regard que la société porte sur ses parents et, corrélativement, l'effondrement toujours possible, toujours menaçant de l'image de l'idéal parental.

- Sur le premier versant du triangle, l'influence machinale, mécanique du système de stéréotypes fixé par le groupe majoritaire : dans les interactions fugaces de la vie quotidienne, les extrapolations/anticipations fondées sur la seule apparence physique des sujets jouent contre la reconnaissance des enfants de harkis "en tant que tels", en raison de la prégnance du « stigmate tribal » et de l'amalgame avec la deuxième génération issue de l'immigration maghrébine. Ce parasitage de la « reconnaissance sociale » par la « reconnaissance cognitive » (Erving Goffman)1560(*) signe, pour les enfants de harkis, le "tragique latent" de la construction routinière du rapport Nous / Eux vis-à-vis du groupe majoritaire.

- Sur l'autre versant du triangle, l'influence "déclarée", ouvertement hostile, des préconceptions négatives / des a priori négatifs nourris plus ou moins systématiquement au sein des populations issues de l'immigration maghrébine (algérienne en particulier) à l'encontre des anciens harkis et, par une sorte de raisonnement en miroir, à l'encontre de leurs enfants. Le paradoxe est que cette rémanence transgénérationnelle du stigmate d'infamie est alimentée par ceux-là mêmes - certains fils et filles d'immigrés maghrébins - avec lesquels les fils et les filles de harkis sont ordinairement confondus par les membres du groupe majoritaire.

Enfin, à l'épicentre de ce triangle, l'état de dissonance cognitive, la sensation de « déchirement » (Vincent de Gaulejac) auxquels sont sujets les enfants de harkis. Cette sensation de déchirement est la conséquence de l'écartèlement des manières de s'identifier et d'être identifié par les autres, mais plus encore de l'impossibilité de puiser dans un récit familial grevé par les "non-dits" un moyen terme sécurisant, des médiations satisfaisantes que les enfants de harkis puissent opposer aux avanies multiples et contradictoires dont ils sont l'objet. Aspects psychoaffectifs et psychosociaux entrent ainsi dans une dynamique de renforcement qui intensifie et pérennise la sensation de déchirement.

Ainsi, ce second triangle est le lieu de confluence des informations portées à leur endroit et/ou à leur encontre par leur environnement immédiat dans l'ordinaire des relations sociales, autrement dit, une représentation modélisée du « cycle des événements ordinaires » qui limitent la possible projection et la possible affirmation des enfants de harkis dans la société d'accueil.

Triangle de stigmatisation existentiel

Ecartèlement des identifications au niveau du Moi : la notion de "déchirement"

Le système de stéréotypes fixé par Les préconceptions négatives des

la société d'accueil populations issues de l'immigration

(l'amalgame avec les populations algérienne

issues de l'immigration maghrébine) (la rémanence

transgénérationnelle du stigmate d'infamie)

L'interdit parental

L'interdit paternel

(la difficulté des pères à "dire" et à "transmettre")

À travers ce double étayage, "catégoriel" et "existentiel", de la sociodynamique de la stigmatisation, transparaît un autre étayage, affectif et social. Autrement dit, à la honte de la situation objective dans laquelle ils se trouvent routinièrement placés du fait du regard ou, plutôt, des regards portés sur la trajectoire singulière de leurs parents et de l'obligation corrélative de devoir composer avec ces regards pour s'en accommoder tant bien que mal (et plutôt mal que bien au regard du coût intime de telles stratégies d'accommodation) se surajoute, chez les enfants de harkis, la "honte d'avoir honte". Car si la honte est d'abord le produit d'un système de signes véhiculés de l'extérieur autour et à l'encontre de la communauté harkie, son expression se trouve renforcée par la "cassure" de la dynamique des générations au sein même du noyau familial, l'ambivalence des sentiments filiaux se nourrissant de la résignation supposée des parents (ou présentée comme telle par certains enfants) :

« Lorsque l'enfant a le sentiment que ses parents sont résignés ou qu'ils sont responsables de cette situation, (...) qu'ils ne semblent pas avoir conscience de la souffrance psychique et psychologique qu'elle engendre alors que l'environnement est stigmatisant, (...) l'enfant est partagé entre deux attitudes : trahir pour se sauver, ou reproduire pour ne pas trahir »1561(*).

Pour l'auteur, cette « dualité du sentiment de honte entre la stigmatisation sociale et la dévalorisation des parents », cette redondance ou ce mouvement de renforcement entre la « violence symbolique » (« liée au regard de la société ») et la « violence psychique » (« liée à l'effondrement de l'image paternelle »), sont générateurs d'une sensation de « déchirement identitaire »1562(*).

* 1560 Par « reconnaissance cognitive », Erving Goffman désigne « l'acte de perception qui consiste à "situer" un individu comme ayant telle ou telle identité sociale ou personnelle ». Par « reconnaissance sociale », l'auteur renvoie à la connaissance intime, personnelle, que l'on a de quelqu'un, par-delà l'acte de perception (Erving Goffman [1963], Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p.85-86).

* 1561 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.88.

* 1562 Vincent de Gaulejac, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p.86 et 130.

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