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Drapeaux, iconographies et géopolitique


par Simon GERMAIN-BATISSE
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 1 Géographie 2012
  

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CHAPITRE PREMIER

UN DRAPEAU DE PARADOXES

Nous relevons ici des paradoxes, qui sont en réalité interdépendants, mais qui soulignent les idées reçues que nous devons à tout prix esquiver dans cet exposé.

I - Paradoxe quantitatif

C'est vraisemblablement le paradoxe le plus net et pour cause, puisqu'il concerne le nombre de drapeaux visibles sur l'espace géographique. Il concerne le décalage entre l'absence de drapeaux ou sa profusion.

Le cas français est particulièrement signifiant. Il existe dans la société française un clair déséquilibre entre la quantité de drapeaux arborés dans l'espace public, et celle déployée lors d'évènements sociaux ou sportifs. Comment interpréter ce grand écart quantitatif du drapeau ? Nonobstant sa présence sur le fronton des bâtiments publics et lors de cérémonies officielles, force est de constater la relative absence du drapeau national dans l'espace public et dans l'espace privé alors que l'on sait les français très attachés à leur drapeau. A contrario, dans les manifestations, dans les rencontres sportives, c'est une démonstration de force du drapeau. Chaque spectateur en brandit un pour encourager son équipe. Le drapeau devient le transmetteur d'énergie d'un homme à l'équipe qui le représente. Ce décalage - qui n'est pas proprement français mais qui est le fait des « vieilles nations » - entre un relatif vide de drapeaux dans l'espace public (dans la vie quotidienne) et sa présence abondante lors de grandes réunions nationales (voire même excessive dans certains cas) se traduit malencontreusement dans un certains cas par un soi-disant désintérêt de la nation, et d'un trompeur attachement au drapeau lors des grands évènements1. En France, l'absence du drapeau est remarquée, tout comme sa présence en quantité.

A l'opposé, il faut rappeler que le drapeau, par sa prolifération, n'est pas toujours signe du bien-fondé du pouvoir qu'il représente. On rappellera à ce titre la profusion du drapeau nazi lors des grands rendez-vous politiques d'Hitler avec son peuple lors des traditionnelles manifestations de Nuremberg.

L'absence de drapeaux serait-elle alors la marque d'une faiblesse quelconque du pays ? Assurément non (le cas français est significatif), mais dans certains cas oui. Dans tous les pays où le pouvoir central n'est pas reconnu de tous, l'absence du drapeau national est intrinsèquement liée à l'état de fragilité de cet Etat. L'exemple le plus frappant serait la Somalie. Un gouvernement en exil, et un drapeau national somalien qui ne se déploie que

1 Luc Doublet dans L'Aventure des Drapeaux, 1987, souligne que « l'absence totale de drapeau a quelque chose d'inquiétant, d'angoissant, voire de dangereux ».

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virtuellement sur internet sur le site officiel du gouvernement de transition, sont les marques d'un Etat failli. Sur place, les drapeaux claniques et des régions autonomistes ont pris la relève.

Le cas turc ainsi que le cas des Etats-Unis nous éclairent encore davantage. Dans ces deux pays, inutile de préciser que la présence du drapeau national est inégalable, dans l'espace public comme dans l'espace privé. L'idée reçue serait ici de penser que plus les drapeaux sont en nombre conséquent, plus les hommes sont liés entre eux. Ces dérives préconçues sont à bannir. En effet, la forte abondance de drapeaux exprime ici un ralliement à une certaine idée de l'Etat, à un idéal, non à une réalité politique (l'exemple de l'Allemagne nazie, déjà évoqué plus haut exprime cette méfiance à l'égard d'un « trop » de drapeaux). Dans tous les cas la forte présence des bannières ne signifie pas que tout le monde coure sous cette même bannière. Il y a quelque chose d'éphémère dans ces manifestations intempestives de drapeaux. En effet, c'est dans une conception organiste de l'Etat que la profusion de drapeaux trouve son origine. Celui-ci se nourrit des drapeaux, des symboles pour survivre. Ce qui est éphémère ici, c'est donc l'erreur de penser que les drapeaux seront toujours des objets nourrissants. C'est oublier que les drapeaux savent également être dotés d'une force de rejet de certaines autorités.

La surabondance de drapeaux cache également une toute autre réalité, celle d'étouffer symboliquement des communautés. Le cas turc est significatif1. Les drapeaux turcs associés à la laïcité kémaliste, même en nombre surabondant, ne peuvent cacher la réalité kurde.

Derrière les décalages entre profusion ou absence de drapeaux, se dessine en réalité des dérives malheureuses que l'Histoire nous a révélées. L'Histoire est faite d'images, et les drapeaux sont souvent présents sur les images. Par conséquent, la prolifération de drapeaux sera directement associée à l'expression d'un nationalisme fort et hostile. Son absence marquera le démantèlement d'un Etat, ou sa faiblesse de contrôle de son territoire. Il nous faudra bien entendu nuancer pour notre propos.

Finalement, la quantité de drapeaux ne signifie pas une assise plus stable pour un Etat. L'inquiétude est de mise lors de l'absence de drapeaux, mais elle est aussi légitime lorsqu'il y a trop de drapeaux. Présent ou absent, le drapeau est toujours remarqué.

II - Paradoxe qualitatif

Qu'entend-on par qualitatif ? Il s'agit en fait ici de l'étonnante faculté de déclinaison du drapeau. En effet, les couleurs nationales proviennent du drapeau, on a souvent tendance à l'oublier. Ce qui est intéressant ici, c'est de mesurer l'extraordinaire capacité du drapeau national à se mouvoir dans tous les domaines de la vie. Le paradoxe est ici simple : il y a un drapeau d'origine, et des formes multiples de déclinaisons du drapeau (appropriation des couleurs pour les vignettes automobiles, reprises des couleurs pour la publicité ventant un

1 Cf Claire MAUSS-COPEAUX et Etienne COPEAUX, 1998, « Le drapeau turc, emblème de la nation ou signe politique ? », Cahiers d'Etudes sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien (CEMOTI), n°26, pp. 271-291, Paris

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produit fabriqué dans le pays d'origine du drapeau, réutilisation de la dénomination - le tricolore par exemple,...). Et le constat est surprenant : ces formes dérivées du drapeau remplacent dans l'esprit des hommes le drapeau d'origine. La copie prend le dessus sur l'original, et pour cause, le don d'ubiquité du drapeau par « sa plasticité »1 n'y est pas étranger. Pour autant, lors des évènements nationaux, lors des commémorations, l'on brandit toujours l'original.

On peut bien entendu allier ces deux formes de « drapeaux » puisque le but est toujours similaire - représenter un pays, il n'en demeure pas moins que cet écart entre l'original et ses dérivées ne se comble pas. Doit-on normaliser l'usage du drapeau ? Ou au contraire doit-il rester un objet quasi sacré ?

Imaginons un instant que les couleurs des vignettes nationales, des partis politiques nationaux, des tenues de footballeurs ne soient pas les mêmes que celles du drapeau, comment réagirions-nous ? Imaginons nos footballeurs français arborant une tenue verte associée à du orange. Imaginons la publicité d'un produit ventant son origine française en utilisant des roses et des jaunes. Cette amusante et irréelle vision révèle bien l'ampleur de l'ancrage des formes dérivées du drapeau. C'est simplement l'illustration de cette citation qui concerne les couleurs : « à force de les avoir sous les yeux, on finit par ne plus les [couleurs] voir »2. Il en est de même pour les drapeaux : à force d'être abreuvé par le biais de divers supports des couleurs nationales, on en oublie le drapeau originel.

Le paradoxe qualitatif réside bien dans cette dichotomie original/copie où le second semble avoir pris le dessus sur le premier, normalisant le second et raréfiant le premier jusqu'à en faire oublier qu'il fut bien le premier.

III - Paradoxe structurel

On qualifiera ainsi ce paradoxe par le drapeau en tant que structure des esprits et des sociétés. Pour le présenter, il faut partir de ce constat : pourquoi, alors qu'il n'est jamais question du drapeau dans la vie quotidienne et qu'il est plus ou moins présent dans l'espace public, le drapeau déchaîne-t-il tant de débats, d'émotions, de fureur, de violences, voire même de cruauté, seulement lorsqu'il est touché, changé, modifié, maltraité ou même brulé ? Ce paradoxe soulevé révèle toute la nécessité d'appréhender les questions autour du drapeau avec beaucoup de précautions. C'est ici bien la preuve insoupçonnée de la capacité structurelle des esprits qu'un drapeau peut contenir dans une société. La meilleure preuve se situant au niveau éducatif : on apprend toujours à l'école, dans les atlas, ou dans d'autres mappemondes légendées, le nom du pays, sa capitale... et son drapeau. Le drapeau structure ici l'esprit des enfants, et caractérise une société qui souhaite encore définir les pays par leurs drapeaux.

En effet, en termes triviaux, on ne fait n'importe quoi avec un drapeau. Le caractère dérisoire du drapeau n'est que matériel. L'on pense ici à ce fait divers d'art d'actualité en France où l'on avait assisté à un débat houleux concernant cet artiste qui avait, pour un concours, mis en

1 WHITNEY SMITH, 1976 : 8

2 Dominique Simonnet, Le Petit Livre des Couleurs, 2005

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scène le drapeau national en le remplaçant en papier hygiénique. Toutes les polémiques qui s'ensuivirent démontrent bien d'une part la sacralité d'un tel symbole (qui au demeurant reste absent de l'espace public), et d'autre part les réactions aussi diverses qu'inattendues que sa modification et même les sévices qu'il subit, entrainent. Le paradoxe est donc bien sensible ici, pourquoi l'on hurle à l'hérésie seulement et seulement si le drapeau est jeté au dernier niveau dans la fosse des loups. Les Etats-Unis en ont même tiré un néologisme juridique : la « flag desecration » qui est sanctionné pénalement, visant à punir ceux qui brûlent le drapeau national, ou lui font subir des maltraitances1.

« On se rend généralement pas compte du sérieux que postule l'emploi des drapeaux »2. Ce n'est en fait que lorsque le drapeau qui nous représente est mis en danger, brûlé, modifié, que l'on y porte notre regard. Chacun d'entre nous ne connaît pas toujours la signification des couleurs de son drapeau (particulièrement en France), de ses insignes, mais chacun de nous condamne quand il est brûlé, ou quand quelqu'un d'autre en dehors de la communauté s'en empare. Brandir un autre drapeau dans un pays qui dispose déjà d'un drapeau est également source de débats.

Le changement de drapeau peut même être une affaire d'Etat, tant sa force symbolique anime les foules. Pensons au débat actuel en Australie sur l'adoption d'un nouveau drapeau pour supprimer symboliquement l'allégeance à la couronne britannique (présence de l'Union Jack dans le canton) qui est fortement sources de discordes entre partisans d'une nécessaire prise de position pour un camp dans le monde (ici le Royaume-Uni, a fortiori, les Etats-Unis) et les partisans d'une unification nationale reconnaissant la place prépondérante des aborigènes dans la construction du pays. Que l'on y adhère ou pas, le drapeau est l'affaire de tous car chacun possède sa vision de son pays et de ses intérêts.

IV - Paradoxe temporel

Celui-ci se forge sur l'idée reçue que lorsque les régimes politiques changent, les drapeaux changent. On a coutume de penser qu'il est toujours nécessaire de modifier les symboles quand le temps l'impose. C'est ici que se situe ce paradoxe temporel : les temps changent, mais les drapeaux n'en font qu'à leur tête. Le drapeau a évidemment des liens avec les régimes qui l'utilisent, mais sa logique lui est finalement propre, car c'est celle des hommes, et la logique des hommes est parfois insaisissable.

Imaginons le nombre incalculable de drapeaux qu'il aurait fallut inventer dans l'Afrique postcoloniale si l'on s'en tient aux nombres de régimes renversés, de coups d'Etat, et de la multiplication des régionalismes. Le fait est que les drapeaux africains ont peu - ou pas - changé depuis l'indépendance des Etats africains. Plus de quatre vingt coups d'Etat « réussis » sans compter ceux avorté, ou non aboutis. En parallèle, depuis les indépendances africaines après la période coloniale, seuls une dizaine de ces Etats ont modifié voire changé leur drapeau de manière significative (Ghana, Rwanda...). Ce décalage entre renversements de pouvoir et changements de drapeaux nous indique combien le drapeau est un objet

1 Civil liberties, « Flag Burning Laws - Historic of U.S Laws against Flag Burning »

2 WHITNEY SMITH, 1976 : 8

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symbolique singulier et que nous ne devons pas le traiter de manière exhaustive. Autre exemple, il est récent, celui de la Tunisie et de l'Egypte. Forts de leurs révolutions respectives, on aurait pu imaginer, comme ce fut le cas en Libye, que le choix d'un nouveau drapeau aurait pu concrétiser symboliquement le renversement des régimes répressifs passés. Il n'en a pas été question. C'est bien ici que réside ce paradoxe : les régimes changent (et même sont même renversés dans le sang), mais les drapeaux demeurent les mêmes. Lorsque le drapeau est sujet de discussion, c'est bien lorsque l'on a épuisé tous les recours possibles à d'autres solutions de type consensuel. Un changement de drapeau est toujours significatif.

C'est toute l'ambiguïté des drapeaux : ils peuvent changer pour des changements politiques qu'on pourrait qualifier de « mineurs », mais ils ne se modifient pas toujours lors de grands bouleversements géopolitiques (Printemps Arabe).

De la même façon, le drapeau tricolore est toujours imbibé du blanc de la royauté et de ses heures les plus sombres de son histoire de la Deuxième Guerre Mondiale. Le drapeau russe repris par Elstin à la chute de l'URSS reprend le drapeau des tsars. N'y-a-t-il pas là un paradoxe, suggéré par un attachement au drapeau dans le temps, alors que celui-ci peut également incarner des tragédies ou des heures sombres du pays représenté ?

Un drapeau se forme dans le temps et force est de constater que plus le drapeau est ancien, moins il n'est remis en question. Pourtant, à une vitesse effroyable, le temps fait insérer le drapeau dans le cours de l'Histoire et dans ses heures les plus glorieuses comme dans les plus sombres. Le drapeau des Etats-Unis était la marque du libérateur et de la liberté pendant la Seconde Guerre Mondiale, peut-on en dire de même aujourd'hui, au vue de la haine qu'il inspire chez certains pays islamistes. Les vicissitudes du drapeau sont souvent à double tranchant : soit le drapeau ressort de ces tribulations renforcé et stabilisé, soit il demeure connoté et doit ainsi être remplacé (au Rwanda par exemple).

Comment dès lors comprendre pourquoi dans certaines sociétés le drapeau change plus souvent que dans d'autres ? Comment dès lors comprendre la stabilité d'un drapeau alors qu'il peut être trempé dans le sang et haï ?

V - Des paradoxes éclairants

Pourquoi avoir relevé tous ces paradoxes et fausses idées autour du drapeau ? Simplement, le terrain de l'étude des drapeaux est semé d'embûches de toutes sortes. Des idées reçues, des généralisations, la non prise en compte de la singularité de chaque drapeau, son caractère matériel dérisoire, peuvent masquer son originalité et sa force symbolique.

Son absence dans l'espace public ou sa présence en abondance sont toujours remarquées. L'original drapeau national se confond désormais avec les formes dérivées de ce même drapeau. Les actes puis les réactions concernant la mise en scène tragique, indécente, ou bien même le changement d'un drapeau rappelle à tous sa force symbolique, quand bien même les hommes semblent ne pas toujours y vouer un quelconque intérêt. Enfin, cette formidable capacité à durer dans le temps contraste avec les chamboulements politiques chroniques.

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Ces remarques nous amène en vérité à une seule et même idée : le drapeau est un élément non seulement constitutif de nos sociétés, mais il semble en mesure de pouvoir décupler les émotions qu'il suscite (dans les stades, ou lorsqu'il est en danger). Il ne peut être traité de façon univoque. Après avoir soulevé tous ces questionnements sur le drapeau, il est temps désormais de s'intéresser à ce qu'est le drapeau, et surtout dans quel système conceptuel il peut s'insérer pour comprendre son impérissable impact dans les esprits.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King