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Le graffiti à  Beyrouth : trajectoires et enjeux dà¢â‚¬â„¢un art urbain émergent

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par Joséphine Parenthou
Sciences Po Aix-en-Provence - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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B. Des pairs aux mentors, un choix éminemment collectif

Dans le sens commun, la figure de l'artiste est souvent abordée sous l'angle du régime vocationnel de l'art, avec en premier lieu l'impression que l'activité artistique serait un fait hautement individuel. Cela

50 VAGNERON, Frédéric, op. cit., p. 100.

51 BARGEL, Lucie, « S'attacher à la politique. Carrières de jeunes socialistes professionnels », Sociétés contemporaines, 2011/4 (n° 84), p. 79-102.

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a certes l'avantage de répondre au mythe du génie créateur. Sans qu'il soit question de diminuer la portée ou le contenu même des oeuvres de l'artiste, des sociologues comme Howard Becker ont cependant montré que la production artistique relève plus exactement d'une dynamique collective52. Le blase du graffeur se substitue à la signature du peintre et identifie un individu en particulier. Néanmoins, il ne faut pas que ce blase occulte la dimension collective de l'art. Cela passe certes par une division du travail53, mais surtout, pour ce qui nous intéresse, par les relations nouées qui auront un effet d'entraînement sur l'engagement des acteurs. L'importance des relations sociales et du facteur collectif est d'ailleurs telle qu'elle « rend peu probable que des individus ne connaissant pas personnellement des graffeurs le deviennent eux-mêmes »54.

1. Commencer sur les trousses des copains

Bien que cela relève d'une supposée évidence, c'est au sein de l'institution scolaire que se développent les relations sociales de l'enfant, puis de l'adolescent. Dans le cadre de notre réflexion, ces relations apparaissent comme des préliminaires significatifs à l'entrée dans la pratique. Il est courant d'entendre, dans les entretiens, que les graffeurs dessinent depuis leur plus tendre enfance, pour autant cela ne les distingue pas tellement des autres jeunes de leur âge, la pratique du dessin étant assez généralisée chez les enfants - d'autant plus lorsqu'ils suivent des cours d'arts plastiques à l'école. Le rôle des pairs s'affirme en revanche à partir du collège et du lycée, avec en premier lieu un effet d'entraînement. La formation des affinités entre tel et tel jeune est difficilement analysable, notamment parce que les graffeurs parlent souvent de « hasard » ou de « chance » vis-à-vis de ces rencontres. Le choix de l'école opéré par les parents peut faire office de filtre, sans toutefois expliquer la construction de ces relations au sein de la cour de récréation ou des salles de classes. En tout cas, certains acteurs construisent des relations d'amitié et des affinités avec d'autres, sûrement en fonction de goûts préalables qui constituent un « terrain d'entente » commun ; de cette relation peut émerger progressivement une stimulation, réciproque ou non. Soit la rencontre permet aux deux individus de se développer l'un l'autre, en dessinant ensemble par exemple, soit celui qui dessine peut être incité par le second à continuer. A priori triviale, la customisation des fournitures scolaires et les incitations des camarades de classe joueraient un rôle non négligeable :

- Le dessin ouais ça m'est venu un peu plus avant, surtout à l'école !

- À l'école ?

- Ouais, surtout en classe (rires).

52 BECKER, Howard, Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, collection Art, Histoire, Société, 2010 (1ère éd. amé. 1982), 379 p.

53 Ibid., p. 32.

54 LACHMANN, Richard, op. cit., p. 62.

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- Quand tu t'ennuies ?...

- Oui, sur les bouts de papier, sur les calculatrices de, des amis, genre j'étais commissionné un peu pour,

taguer leurs trousses, mais ça c'était plus quand, quand je taguais. Des trousses, sur les sacs à dos et les calculatrices...

La découverte de ce qu'est le graffiti, souvent décrite comme un « accident » (Wyte, mars 2016), peut aussi provenir de ces pairs. Chez Wyte comme chez Exist, ce sont les pairs (ou proches dans le cas d'Exist) qui leur ont fait découvrir, directement et indirectement, le terme de « graffiti » :

At the age of 17, a British friend from the high school introduced me by accident to the word graffiti (...) It was that « water rocket » science project at high school, and it was a group project. In my group, one of the members was a British guy, and while we were working on the rocket base, we bought two spray cans to color it, I took one and headed to the roof wall and told the guys «I'm going to draw on that wall, like those you see in the movies». The English guy said «you do graffiti ?» - Me : «What?» - «Graffiti!» he said. I found it funny and couldn't believe that was an English word, he then explained the word to me, and later I knew the key word for my upcoming deep research and studies (Wyte, février 2016).

D'une part, nous pouvons remarquer l'importance du milieu et des relations sociales qui s'y nouent, ici avec un étranger, originaire d'un pays européen où le graffiti est déjà une pratique connue, négativement et positivement. D'autre part, le fait que Wyte ne connaisse alors pas le terme de « graffiti », de même qu'Exist, témoigne de l'extrême rareté et visibilité de ce type de pratique au Liban, alors même que les autres formes d'art (peinture, dessin, architecture, cinéma...) sont largement utilisées dans la scène artistique locale.

L'influence des pairs rencontrés dans le cadre de l'école ne peut se comprendre sans l'influence exercée par les « grands », perçus comme modèles ; on envisage alors plus le temps de la scolarité que l'institution scolaire elle-même. Le collège et le lycée représentent en effet une période où les acteurs observés vont se définir par rapport à d'autres, ceux qui deviendront parfois leur mentor. Cette identification porte aussi sur les grands frères et aux amis de ceux-ci. La connaissance du graffiti et de ses imaginaires devient alors plus importante et structurante de l'identité de l'individu. Ce dernier est, autant dans notre analyse que dans sa construction, transformé en activité, activité qui consiste principalement à imiter ces « grands », devenus des références personnelles. L'imitation a alors plus trait au « jeu » qu'à une activité artistique réfléchie et consciente. Souvent accompagnée de recherches sur internet, cette imitation fait entrer l'acteur dans l'univers hip-hop et ses mythes : le graffiti apparaît donc comme une activité qui rend l'individu « cool », et lui confère un caractère « street » qui le démarque des autres personnes du même âge. Il commence par reproduire ce qu'il voit dans la rue lorsqu'ils descendent à Beyrouth le weekend, et sur internet :

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Ou bien je tague seul et y a toujours des amis à moi qui sont autour de moi donc à Brummana55, et à Brummana y avait un tout petit village juste au-dessus à, à deux minutes, et c'était le village rival (rires). Y avait toujours des bagarres entre nous, je me souviens une fois j'avais tagué un gros « Brummana » juste à côté de la euh, près de la maison de ma belle-mère, et j'avais écrit « you are your all section », « you are your all section » tu vois à travers toute cette section de Brummana, genre « ouais c'est nous », et tu vois c'était hyper territorial (rires). Et c'était pas ça nécessairement ma mentalité mais c'était plutôt un fantasme de, de hip-hop et tu vois de crew et tout ça alors... (Kabrit).

L'influence qui préside, en partie, au développement de cet intérêt pour le graffiti tient également à la composition familiale, plus entendue au sens des pairs : les grands frères véhiculent généralement des univers pris comme modèle en présence de leurs amis, ou de leurs propres goûts. Exist a découvert le terme de « graffiti » grâce aux chansons que ses deux frères écoutaient avec leurs amis, et finit par s'identifier à ce qu'il entend : « I have two older brothers and hip-hop tapes were always playing at home since I was a kid and with time you just get more into it and start listening properly to it, until it becomes something that resembles you, your background, a part of your identity. » Enfin, cette imitation et cet entraînement réciproques sont facilités par la fratrie et les amis communs dans la pratique elle-même. Les frères Tellayh (Wyte et Abe) ont développé cet intérêt en présence d'un de leurs amis, SMOK, et ont par suite créé le Bros crew, qui les réunit tous les trois dans un esprit de « fraternité » largement issu de l'imaginaire du crew.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams