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Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?


par François De Block
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019
  

Disponible en mode multipage

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Mémoire d'alternance

Apprentissage au sein du bureau de l'aide publique au développement de la Direction générale du Trésor

Question de recherche : Existe-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?

François De Block

Master 2 Géopolitique

Professeur référent : Mr Beckouche

Année universitaire 2018-2019

Date de soutenance : 6 septembre 2019

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Ecole Normale Supérieure

Remerciements

En premier lieu, je tiens à remercier mon premier tuteur d'apprentissage, Mr. Pierre Gaudin, chef du bureau de l'aide publique au développement de la Direction générale du Trésor, qui m'a accueilli et guidé dans mes missions d'alternant de septembre 2018 à mars 2019. Je souhaite également remercier Mme Isabelle Camilier-Cortial, qui a pris sa succession, et avec qui j'ai beaucoup apprécié travailler tout au long de ces derniers mois. Je souhaite également remercier mes collègues du bureau de l'aide publique au développement Astrid Tricaud, Thomas Garreau, Aurélien Roynard, Dalcie Thézenas, Lauranne Duhil et Manon Brocvielle pour cette année passée à leurs côtés.

Je tiens également à remercier mon professeur référent Pierre Beckouche pour ses conseils et sa disponibilité en tant qu'encadrant pour les alternants du Master 2 Géopolitique, ainsi que l'ensemble de l'équipe pédagogique de Paris 1 et de l'ENS.

Sommaire

Remerciements 3

Introduction 6

1. L'organisme : le Ministère de l'Economie et des finances 7

1.1 Présentation du Ministère de l'Economie et des finances 7

1.2 La direction générale du Trésor 9

1.3 Le service des affaires multilatérales et le bureau de l'aide publique au développement 12

1.4 Le rôle de la direction générale du Trésor dans le dispositif institutionnel de coopération pour le développement 17

2. Les missions de l'apprenti 20

2.1. Une mission d'analyste des données de l'aide publique au développement 20

2.1.1 - Nature et contexte de la mission 20

2.1.2 Livrables - Résultats et bilan de la mission 22

2.2. La montée en responsabilité : des missions d'adjoint au chef de bureau chargé des sujets «  mobilisation des ressources intérieures et développement ». 23

2.2.1 Nature et contexte de la mission 23

2.2.2 La mission « stratégie interministérielle sur la mobilisation des ressources intérieures » 25

2.2.3 La mission « élaboration du plan d'investissement stratégique sur la mobilisation des ressources intérieures » 26

Avant propos 32

Introduction 33

I- Les grandes puissances et bailleurs internationaux au Sahel 35

1.1 La France au Sahel : une relation historique qui oscille entre maintien d'influence et désengagement progressif 35

1.2 L'action extérieure de l'Union européenne au Sahel : une « puissance douce » aux effets élusifs sur le terrain 40

1.3 La présence américaine dans la bande sahélo-saharienne : un objectif militaire anti-terroriste et un soutien réel mais incertain au développement 45

1.4 La présence chinoise dans la bande sahélo-saharienne : des relations avant tout économiques sans véritable engagement sécuritaire 49

II- La position française dans la bande sahélo-saharienne depuis l'opération Barkhane : un fort engagement militaire au détriment du financement du développement 53

2.1 Les raisons de l'intervention militaire de la France dans la bande sahélo-saharienne 53

2.2 Les efforts militaires de la France au Sahel surpassent ses efforts de financement du développement 57

2.3 L'aide publique au développement de la France est devenue inadaptée à l'assistance aux Etats sahéliens 64

III - Vers une inflexion de la politique de coopération de la France en faveur du Sahel 72

3.1 Les nouvelles orientations de la politique de développement de la France 72

3.2. L'Alliance pour le Sahel, une projection multilatérale des intérêts géopolitiques français au Sahel 76

Conclusion 83

Liste des figures 84

Liste des acronymes 85

Bibliographie 86

Annexes 91

PARTIE I : L'APPRENTISSAGE AU SEIN DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DU TRÉSOR

Introduction

Dans le cadre de mon année en alternance au sein du Master 2 Géopolitique de Paris 1-ENS, j'ai effectué un apprentissage au Ministère de l'économie et des finances du 17 septembre 2018 au 6 septembre 2019. Mon alternance s'est déroulée au bureau de l'aide publique au développement, au sein du service des affaires multilatérales et du développement de la Direction générale du Trésor.

Plusieurs raisons ont présidé à mon choix du bureau de l'aide publique au développement du Ministère de l'économie comme organisme d'accueil.

Ma formation universitaire antérieure, tournée vers les politiques publiques, l'économie et le développement, m'a donné une grille de lecture pour comprendre et analyser les choix stratégiques de l'Etat en matière économique. J'ai développé tout au long de ce parcours une appétence pour les sujets liés à l'économie politique du développement et à la coopération internationale, avec pour ambition d'orienter mon projet professionnel sur ces thématiques. Un premier stage au sein de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), m'a conforté dans cette approche.

La perspective de pouvoir travailler sur les enjeux de la politique de l'aide publique au développement de la France m'est apparue comme l'occasion idéale de pouvoir combiner mon intérêt pour les questions d'économie internationale et la géopolitique.

Compte tenu de la variation du rythme d'alternance au cours des deux semestres de l'année, mon apprentissage s'est structuré autour de deux grandes missions. La première a été une mission d'analyse économique et statistique des données de l'aide publique au développement de la France en matière géographique et sectorielle. De court-terme, mon maître de stage a fait en sorte qu'elle soit adaptée au rythme d'alternance du premier semestre, qui comporte deux jours de présence au sein de l'organisme d'accueil. La seconde mission a été celle d'un apprenti adjoint au chef de bureau, en charge des questions relatives à la mobilisation des ressources intérieures et du développement.

L'élaboration de ce rapport a pour principale source les différents enseignements tirés de mon expérience et de la pratique quotidienne des missions qui m'ont été confiées. Les quelques entretiens que j'ai pu avoir avec mes collègues du bureau et du service des affaires multilatérales m'ont permis de donner de la cohérence à ce rapport.

En vu de rendre compte de manière analytique et fidèle de l'année passée au sein de la structure d'accueil, il convient d'abord de présenter le cadre de l'alternance et le positionnement qu'occupent la Direction générale du Trésor bureau de l'aide publique au développement dans l'architecture institutionnelle de la politique française de coopération pour le développement. Il sera précisé ensuite les différentes missions et tâches auxquelles j'ai participé au sein du bureau de l'aide publique au développement du Ministère de l'économie, ainsi que les apports que j'ai pu en tirer.

1. L'organisme : le Ministère de l'Economie et des finances

1.1 Présentation du Ministère de l'Economie et des finances

Le ministère de l'Economie et des finances est le département ministériel chargé de la mise en oeuvre de la politique économique et de la gestion des finances publiques du Gouvernement français. Le ministère est fréquemment dénommé «  Bercy » dans le langage courant, en raison de son implantation dans le XIIème arrondissement, en plein coeur du quartier de Bercy. Il a pour mission générale de conseiller, préparer et exécuter la politique du gouvernement dans le domaine de l'économie et des finances, de la consommation et de la répression des fraudes, et est également en charge des secteurs de l'industrie, des services, des petites et moyennes entreprises, de l'artisanat, du commerce, et du soutien aux activités touristiques. Il fait partie des ministères « régaliens » avec les Ministère des Armées, de la Justice, de l'Intérieur et des Affaires étrangères.

L'ensemble des administrations relevant des attributions du ministère de l'Economie et des Finances comportait plus de 142 000 agents en 2015, dont 5500 en direction centrale, sur le site de Bercy. Le budget alloué au ministère de l'Economie pour 2018 était de 1,71 milliards d'euros.

L'organisation de l'administration de Bercy est singulière en ce qu'elle présente souvent une structure polycéphale. Le ministère est souvent séparé entre deux ministres de plein exercice : d'un côté, le ministre en charge de l'économie et de la régulation du secteur financier, et de l'autre un ministre du budget, qui est notamment en charge des lois de finances et des décisions budgétaires. Du fait du large spectre et de l'importance des politiques publiques conduites par Bercy, des secrétaires d'Etat (ou des ministres délégués), peuvent être associés aux ministres, en particulier pour le budget, l'industrie, le commerce extérieur, l'artisanat et le numérique. L'ensemble des administrations qui sont rattachées au ministère peut être conduit par deux, trois voire quatre ministres de plein exercice, comme ce fut le cas entre 2012 et 20141(*). La dénomination et les attributions spécifiques du ou des ministres exerçant à Bercy ont été modifiées quasiment à chaque nouveau gouvernement. En 2014, une réorganisation inédite, opérée à l'issu du remaniement ministériel du gouvernement Valls I, a créé une administration bicéphale calquée sur le modèle allemand, comportant un ministre en charge de l'Economie (Arnaud Montebourg) et un ministre en charge des Finances et des comptes publics (Michel Sapin). Cette division « à l'allemande » entre l'Economie et le Budget se retrouve dans la configuration administrative du ministère, en vigueur depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron. Les administrations du ministère sont ainsi séparées entre deux ministres de plein exercice : le Ministre chargé de l'Economie et des Finances et le Ministre chargé de l'Action et des Comptes publics.

Figure 1 : La séparation actuelle entre Ministère de l'Economie et Ministère du budget

Le scindement des attributions de Bercy entre deux ministres peut se comprendre à l'aulne de la puissance et du poids politique considérable que pourrait prendre un ministre chargé à la fois des questions économiques et des questions budgétaires. Les administrations des Ministères économiques et financiers exercent une influence considérable sur les priorités stratégiques et la mise en oeuvre de la politique du gouvernement. Conférer un portefeuille « Economie-Budget » a un seul ministre présente le risque de faire du Ministre en charge de l'économie un rival du Premier ministre, et d'affaiblir par effet de ricochet le Président de la République en cas de divergences sur la ligne politique et économique au sein du gouvernement. La séparation entre le portefeuille de l'économie et le portefeuille des finances / du budget permet ainsi à l'Elysée et à Matignon d'équilibrer le rapport de force entre leurs administrations et celles du Ministère de l'Economie2(*).

Le ministère de l'Economie a pour responsabilité d'administrer et de mettre en oeuvre les grands choix stratégiques du gouvernement en matière économique et financière. A ce titre, il exerce le pilotage et la mise en oeuvre de nombreuses missions d'importance majeure en matière de politiques publiques. Ainsi, il est notamment compétent pour :

- la politique de croissance et de compétitivité de l'économie française

- la réglementation, l'analyse et le contrôle de la commande publique

- la politique monétaire au niveau national, européen et international

- la législation fiscale

- la propriété intellectuelle et la lutte contre la contrefaçon

- le suivi et le soutien des activités touristiques

- l'information stratégique et la sécurité économique

- la statistique et les études économiques

- le financement des exportations

Le ministère de l'Économie et des Finances est également compétent, conjointement avec le ministère de l'action et des comptes publics, pour la prévision financière ainsi que le contrôle économique et financier.

Sur le plan hiérarchique et organisationnel, le Ministère de l'Economie a autorité exclusive sur six directions et administrations :

- La direction générale du Trésor (DG Trésor)

- La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

- La direction générale des finances publiques (DGFIP)

- La direction générale de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

- Le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies

- Le commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques
Le service à compétence nationale dénommé « Agence des participations de l'Etat »

En outre, le ministère de l'Economie a autorité, conjointement avec le Ministère de l'Action et des comptes publics, sur

- l'inspection générale des finances ;

- le service du contrôle général économique et financier ;

- le secrétariat général des ministères économiques et financiers ;

- la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers ;

- le haut fonctionnaire de défense et de sécurité ;

- le médiateur des ministères économiques et financiers.

Il a autorité sur la direction générale des entreprises, et exerce cette autorité conjointement avec le ministre de la cohésion des territoires sur les sujets relatifs au numérique et à la digitalisation des services publics dans les territoires.

Pour ce qui est de l'exercice de ses attributions en matière de lutte contre la fraude et la contrefaçon, le ministère de l'Economie dispose de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

1.2 La direction générale du Trésor

Mon apprentissage s'est déroulé au sein de la direction générale du Trésor, qui est l'une des directions les plus prestigieuses de l'administration économique française, du fait de la palette étendue de ses activités, au coeur de l'action économique de l'Etat.

L'importance de la direction générale du Trésor réside dans le fait qu'elle incarne et pilote la dimension monétaire, bancaire, diplomatique et internationale de la politique économique de la France. Sa forte concentration en inspecteurs des finances et de sa capacité à « placer » ses cadres dirigeants dans les banques publiques ou privées, ou à la tête des institutions financières nationales ou internationales (Caisse des dépôts, Banque de France, Fonds monétaire international, Banque mondiale, etc.), participe de la réputation de la direction.

Les prémices de la direction générale du Trésor et de ses fonctions sont établies dès 1814 avec la création de la direction du Mouvement général des fonds (DMGF). Ce service a pris une importance croissante au XIXème siècle sur les questions de crédit, d'emprunt et du rapport de l'Etat avec les institutions financières et la Bourse. L'importance des déficits budgétaires qu'a connu la France lors de cette période a conféré à la DGMF un rôle d'emprunteur permanent et l'a peu à peu transformé en immense banque de dépôt. Sa fonction principale était de s'attacher à «l'application des ressources aux besoins» (ordonnance du 6 février 1828), en assurant l'équilibre de la Trésorerie publique et en agissant dans le domaine de la monnaie, du crédit et de l'épargne par la coordination, la tutelle et le contrôle des activités économiques de l'Etat. Le rôle de la DMGF s'accroît de manière substantielle pendant la Première guerre mondiale, où elle administre le financement de l'effort de guerre, couvert par des avances de la Banque de France au Trésor. Elle intervient également dans la lutte contre la dépréciation de la monnaie et dans le contrôle des opérations de change. Par la loi du 30 août 1940, la DMGF est fusionnée avec la direction de la comptabilité publique et devient la direction du Trésor.

Dans la seconde moitié du XXème siècle, la direction du Trésor joue un rôle essentiel dans la planification économique de la France, en coordonnant les investissements publics, en répartissant les crédits du Plan Marshall et en épousant la doctrine interventionniste keynésienne. A cette époque, elle est également chargée du contrôle de la Caisse centrale de coopération économique, qui administre l'aide financière apportée aux anciennes colonies françaises d'Afrique et d'Asie.

A partir des années 1980, La direction du Trésor a pesé lourdement dans la prise en charge des réforme de privatisations des entreprises et du secteur bancaire réformes, dans la reformulation des diagnostics et des solutions, mais aussi dans la mise en oeuvre des nouvelles orientations libérales de la politique économique française. Ainsi, le processus de mise sur le marché de la dette publique, l'accroissement de son poids et l'importance stratégique des enjeux de son financement ont-ils conduit à la création en 2001 d'une instance spécialisée qui pilote ces sujets, l'Agence France Trésor, sous l'égide de la direction du Trésor.?

La direction générale du Trésor actuelle est issue d'un processus de rationalisation par fusion organisationnelle. Cette méthode a été fortement employée dans les reformes de l'administration et constitue un moyen de redistribuer et de reconcentrer les pouvoirs de décisions, tout en renforçant le contrôle des activités ministérielles concernées.

La direction générale du Trésor a ainsi été formée en 2004, en suivant le mouvement de reconfiguration des structures administratives dans le cadre de la nouvelle gestion publique promue par le gouvernement. Le Trésor actuel est le produit du regroupement de trois directions stratégiques du ministère de l'Economie : la direction du Trésor, héritière historique du mouvement général des fonds ; la direction de la prévision et de l'analyse économique ; la direction des relations économiques extérieures.

Cette vaste réorganisation a été sous-tendue par profile un enjeu bureaucratique : le souci de la direction du Trésor d'élargir sa sphère d'influence, en retrouvant un champ nouveau d'expansion de ses activités. La direction du Trésor a été marquée par des phénomènes d' « agentification »  et de scissiparité qui ont conduit à l'autonomisation de certaines entités stratégiques en son sein (ce qui s'est notamment traduit par la création de l'Agence France Trésor en 2001, et par celle de l'Agence des Participations de l'Etat en 2004). De même, la réduction progressive de la place de l'Etat dans l'économie, et l'européanisation croissante de la politique économique avaient diminué le champ d'action et les marges de manoeuvres décisionnelles du Trésor.

Le champ d'action de cette nouvelle Direction générale du Trésor née en 2004 a ainsi été étendu : il comprend désormais la régulation du secteur financier, la gestion de la dette de l'État, de l'analyse de la situation macroéconomique nationale et internationale, l'animation des relations économiques bilatérales, l'évaluation économique des politiques publiques, la négociation économique et financière en Europe et au plan international, la politique commerciale et à l'aide au développement.?

Cinq services sont institués (politique économique et affaires européennes, politiques publiques, financement de l'économie, affaires multinationales et développement, relations bilatérales et développement international des entreprises), ainsi qu'un secrétariat général ( figure 2.

Figure 2 - Organigramme de la Direction générale du Trésor

Pour exercer ses missions, la direction générale s'appuie sur près de 1 500 agents, dont 717 à Paris, en administration centrale, dont 758dans son réseau implanté dans 112 pays et auprès des institutions européennes et multilatérales, ainsi qu'une centaine d'agents dans les régions, au sein des DIRECCTE ( figure 3)

Figure 3 - Effectifs de la DG Trésor en 2018

1.3 Le service des affaires multilatérales et le bureau de l'aide publique au développement

Au sein de la direction, du Trésor, le service des affaires économiques multilatérales et du développement (SAMD) est en charge des questions financières internationales, qui incluent la présidence du Club de Paris, suivi des activités du Fonds monétaire internationale (FMI) et de la Banque Mondiale, préparation des réunions du G7 et du G20 ainsi que de l'OCDE. Le SAMD est également compétent pour les questions de développement et de financement de la lutte contre le changement climatique (il exerce à ce titre la cotutelle de l'Agence française de développement avec le Ministère des affaires étrangères,  suivi de la Banque mondiale et des Banques régionales de développement, suivi du Fonds vert pour le climat etc.) et des questions de politique commerciale et d'investissement (suivi des négociations multilatérales ou régionales, suivi de l'OMC, gestion de la procédure d'autorisation des investissements étrangers en France). Le service gère également les accords monétaires de la « Zone franc », qui unissent la France et 15 pays d'Afrique, et assure le suivi des relations bilatérales de la France avec l'ensemble des pays d'Afrique subsaharienne. Enfin, le service est aussi chargé d'une mission de lutte contre la criminalité financière (lutte contre le financement du terrorisme, le blanchiment, la corruption) et des sanctions financières internationales.

Le SAMD est ainsi divisé en deux sous-directions : la direction de la politique commerciale, de l'investissement et de la lutte contre la criminalité financière et la sous-direction des affaires financières multilatérales et du développement. Cette dernière, où j'ai réalisé mon apprentissage, est composée de cinq bureaux thématiques, dont le bureau de l'aide publique au développement, où j'ai fait mon alternance ( figure 5) :

Figure 4 - Organigramme simplifié de la sous-direction des affaires financières multilatérales et du développement

Réalisé avec Bubble.us

Le bureau de l'aide publique au développement (MULTIFIN 5) : Le bureau de l'aide publique au développement est en charge de l'élaboration de la politique d'aide publique au développement (APD). Il exploite pour cela la littérature académique sur l'économie du développement, les productions des organisations internationales (Banque mondiale, OCDE, FMI, PNUD) et autres organisations impliquées dans la production intellectuelle portant sur le développement (think-tanks, centres de recherche, organisations philanthropiques). Ce positionnement permet au bureau d'être force de proposition auprès des instances gouvernementales quant aux orientations stratégiques de la politique française d'aide au développement. Le bureau est composé de 7 agents, dont l'apprenti, et accueille ponctuellement un stagiaire sur la période estivale.

Figure 5 - Organigramme du Bureau de l'aide publique au développement

Réalisé avec Bubble.us

Le bureau MULTIFIN 5 pilote la politique française d'aide au développement. A ce titre, il participe au suivi des travaux du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, dont il est le point de contact principal au sein du ministère de l'Economie. Il prépare et organise, pour la DG Trésor, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID)3(*), dont il assure le co-secrétariat. Les rôles d'élaboration et de pilotage de la politique française d'aide au développement sont partagés avec la Direction Générale de la Mondialisation (DGM) du Ministère de l'Europe et des Affaires Etrangères (MEAE).

De plus, le bureau est chargé de centraliser les données et les statistiques d'aide publique au développement de la France et de les transmettre à la Direction pour la coopération et le développement de l'OCDE, qui les exploite et les restitue dans les bases de données de l'Organisation. Le bureau suit également les questions relatives à l'efficacité de l'aide publique au développement et représente, le cas échéant, la DG Trésor au sein du CAD de l'OCDE et transmets ses positions à la représentation permanente de la France auprès de l'OCDE. Le bureau assure la présentation des données et des méthodes de comptabilisation de l'aide publique au développement de la France pour le CAD.

Enfin, le bureau de l'aide publique au développement est chargé de la mission stratégique qu' de la gestion et du suivi de la partie budgétaire de l'APD française relevant du Ministère de l'Economie et des finances, c'est à dire les financements du programme budgétaire n°110 «  Aide économique et financière au développement ». Il s'agit d'une mission stratégique dans la mesure où la politique française en faveur du développement est une politique interministérielle à laquelle concourent 24 programmes et différents ministères. Le programme 110, géré par le Trésor, est avec le programme 209, géré par le MEAE, le pilier budgétaire des crédits alloués dans le cadre de l'aide publique au développement. Le programme 110, intitulé Le programme 110-Aide économique et financière au développement a pour objectif principal de réduire la pauvreté dans les pays en développement et de contribuer aÌ l'atteinte des Objectif de développement durable de l'Agenda 2030. Il concentre une partie importante des crédits destinés aÌ des institutions multilatérales de développement ainsi qu'au financement des annulations de dettes bilatérales et multilatérales décidées parfois plusieurs années auparavant. Il incorpore également les bonifications accordées par le Trésor aux prêts de l'AFD.

Le service des affaires multilatérales comporte quatre autres bureaux, avec lesquels le bureau de l'aide au développement travaille de manière ponctuelle ou suivie :

· Le bureau de l'endettement international et du secrétariat du Club de Paris (MULTIFIN 1) : il est chargé de l'ensemble des questions relatives à l'endettement international tant au plan multilatéral qu'au plan bilatéral : négociation et mise en oeuvre des accords de dette, gestion des créances et garanties de l'Etat français avec ses débiteurs, assure les relations avec les créanciers et les débiteurs. Il assure le secrétariat du Club de Paris. Il contribue également à la définition de la politique de l'assurance-crédit et assure le suivi des créances de l'Etat sur les pays étrangers garanties par Bpifrance Assurance Export pour le compte de l'Etat. Le Bureau de l'aide publique au développement et le bureau de l'endettement international travaillent de concert pour ce qui est de la prévision des annulations de dette accordées dans le cadre du programme 110. MF5 et MF1 s'alimentent également l'un l'autre en matière de données sur l'aide au développement et les annulations de dettes.

· Le bureau de l'Afrique subsaharienne, de la zone franc et de l'Agence française de développement (MULTIFIN 2) : ce bureau est responsable des relations financières et monétaires avec les pays de la zone franc et assure la tutelle de l'agence française de développement (AFD) du côté du ministère de l'Economie. Dans les pays d'Afrique subsaharienne, il assure la coordination des analyses sur la situation macroéconomique et commerciale des pays de sa zone de compétence. Il prépare les instructions relatives aux programmes ainsi que celles réalisées dans le cadre de la mission de surveillance du FMI pour ces pays. Il assure également, avec l'appui du réseau des chefs de service économique régional et des services économiques, le suivi des relations économiques financières et commerciales bilatérales.Il est également chargé de la politique d'aide au développement à l'égard des pays de sa zone de compétence. Le bureau de l'aide publique au développement travaille de concert avec le bureau MULTIFIN 2 pour ce qui est de la prévision de la trajectoire de l'aide publique au développement, de l'animation des relations avec les services économiques régionaux en Afrique subsaharienne, des travaux thématiques de la DG Trésor sur l'aide au développement, et sont associés dans la préparation du CICID. Les bureau MULTIFIN 2 et MULTIFIN 5 sont ainsi les deux bureaux qui assurent une liaison continue entre la DG Trésor et l'AFD.

· Le bureau du financement multilatéral du développement et du climat (MULTIFIN 3) : ce bureau est chargé du suivi des activités et de la politique des activités des banques multilatérales de développement. Il supervise également les fonds visant à la préservation de l'environnement auxquels contribue la France. En lien avec le bureau de l'aide publique au développement, il participe au suivi et à l'animation des relations avec les organismes des Nations unies et autres organisations et instances internationales compétentes en matière de développement et de préservation de l'environnement à l'international. En outre, il assure, en lien avec le bureau de l'aide publique au développement, le suivi et la coordination des travaux relatifs au développement dans les enceintes internationales. Il est également responsable des aspects financiers des négociations internationales relatives au climat, à l'environnement et aux questions nucléaires. Le bureau de l'aide publique au développement est associé au bureau MULIFIN 3 dans le cadre de l'animation et du suivi des relations de la DG Trésor avec les organismes des Nations unies et autres organisations internationales compétentes en matière de développement. Ces deux bureaux sont également représentants de la DG Trésor au sein du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI).

· Le bureau du système financier international et de la préparation des sommets internationaux (MULTIFIN 4).Le bureau Multifin 4 élabore les positions de la France sur les questions financières mondiales.Dans ce cadre, il assure les relations avec le Fonds monétaire international et les autres institutions de coopération économique internationale. Il veille à la cohérence des positions de la France exprimées dans le cadre des instructions relatives aux programmes du FMI pour l'ensemble des pays concernés.

Ce bureau est également en charge de la préparation des réunions et des sommets internationaux pour les questions économiques et financières, en particulier le G7 et le G20. Il veille à la cohérence de l'action de la direction générale du Trésor à l'égard de l'OCDE et prépare la réunion du Conseil de l'OCDE au niveau des ministres. Dans le cadre de la préparation des travaux du G7 dans la filière « Finances » et « Développement », le bureau Multifin 5 est étroitement associé aux travaux du bureau Multifin 4, en particulier sur les sujets d'inclusion financière et de mobilisation des ressources domestiques dans les pays en développement. Le bureau de l'aide au développement est également associé aux travaux du bureau des sommets internationaux pour ce qui concerne le programme de travail de l'OCDE portant sur l'aide au développement et les données statistiques du CAD.

Le positionnement du bureau de l'aide publique au développement est à la croisée de plusieurs thématiques : si sa mission principale est celle du pilotage de la politique de l'aide publique au développement, exercé par sa fonction budgétaire et sa capacité à produire des études, ses compétences recouvrent des champs d'action dévolus à d'autres bureaux du service. Les activités de suivi de l'aide au développement ne sont donc pas exclusives à MF5 dans la mesure où elles mais recoupent les prérogatives du bureau MF2 (tutelle de l'AFD et relations avec l'Afrique), MF3 (suivi des fonds multilatéraux et des banques de développement) et dans une moindre mesure MF4 (suivi des travaux de l'OCDE et des thématiques développement présentes à l'agenda des sommets internationaux tels que le G20 et le G7.

Ce positionnement transversal du bureau de l'aide publique au développement peut s'expliquer par les racines de sa création : le bureau MF5 est une entité récemment créée au sein du service des affaires multilatérales de la DG Trésor. Ses missions étaient auparavant assurées par le bureau MF3, qui était compétent pour le suivi des fonds multilatéraux et l'aide au développement. La composante « aide au développement » était assurée par deux adjoints, l'un en charge des questions budgétaires, et l'autre chargé de la prévision de la trajectoire de l'aide au développement. La création du bureau MF5 a été présidée par la volonté de la direction de créer un bureau qui soit en chargé de développer une vision stratégique de l'APD et de d'assurer une gestion rigoureuse et efficace des aspects ayant trait aux statistiques et aux données de l'APD. Cette structure récente est appelée à monter en puissance et à incarner la doctrine de l'aide publique au développement au sein de la DG Trésor.

1.4 Le rôle de la direction générale du Trésor dans le dispositif institutionnel de coopération pour le développement

L'architecture actuelle du dispositif français de coopération pour le développement a été fixée par le décret du 4 février 1998. Cela a eu pour conséquence de réformer en profondeur la politique de coopération internationale de la France, en supprimant le ministère de la Coopération et en créant le comité interministériel de la coopération pour le développement (CICID). Présidée par le Premier ministre, cette instance réunit l'ensemble des ministères participant à la politique transversale de l'aide publique au développement. Le CICID définit les orientations géographiques et sectorielles de la politique de développement française, et veille à sa cohérence des moyens mis en oeuvre, au regard des objectifs fixés. Le décret a de plus acté la transformation de la Caisse française de développement en « Agence française de développement », opérateur-pivot de la politique de coopération, chargée de la grande partie son exécution financière.

Le décret a également créé une direction générale pour la coopération sous l'autorité d'un secrétariat d'État placé sous tutelle du ministère des Affaires étrangères. En outre, ce décret a renforcé progressivement l'AFD, qui est ainsi devenu « l'opérateur pivot « de la coopération française sous une double tutelle du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l'Économie et des finances.  La suppression du ministère de la Coopération, a créé une dichotomie du pilotage de l'aide publique au développement de la France, qui est toujours d'actualité.

Enfin, un cadre de dialogue formel avec la société civile avait été mis en place au travers du Haut Conseil à la coopération internationale (HCCI), placé également auprès du Premier ministre et regroupant l'ensemble des acteurs de la société civile et du monde académique. En addition à cela, une Commission coopération au développement (CoDev) réunissant de façon paritaire le ministère des Affaires étrangères et les ONG permettait de traiter de l'ensemble des sujets sectoriels et opérationnels relevant de leur partenariat. Ces deux structures, très appréciées de la société civile, ont permis d'instaurer un dialogue structuré et formel entre le ministère des Affaires étrangères et les Organisations de la société civile (OSC) et d'affermir la position de celles-ci.

De fait, ce système a globalement fonctionné jusqu'en 2007, date à laquelle HCCI et CoDev ont été supprimés dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et un conseil stratégique créé auprès du ministre des Affaires étrangères en remplacement. Cette instance ne s'est réuni que deux fois sur toute la durée du quinquennat 2007-2012, et le CICID une seule fois en 2009. Enfin, l'AFD s'est vu transférer par le ministère des Affaires étrangères le cofinancement des OSC à partir de 2009. L'année 2007 marque également la fin d'une longue tradition française où l'aide au développement était incarnée par un engagement personnel au sommet de l'État.

Le système français de coopération se caractérise par une organisation complexe avec des responsabilités éclatées. Elle comprend les deux ministères compétents en matière de politique de développement que sont le Ministère des affaires étrangères et le Ministère des finances, des instances d'orientations, et les agences de l'Etat.

Figure 6 - Architecture institutionnelle de la politique de coopération de la France

Source : Rapport du conseil économique, social et environnemental (CESE)

Au niveau ministériel, le pilotage de la politique de coopération est co-assuré par la Direction générale de la mondialisation (DGM) du MEAE et la Direction générale du Trésor de Bercy. La DGM est chargée de mettre en oeuvre et de suivre le programme 209 «  solidarité à l'égard des pays en développement », qui engage des fonds sous formes de dons et d'aide-projets sur le canal bilatéral. L'action de la DG Trésor en matière d'aide au développement, et les crédits de son programme 110, sont articulés selon trois actions :

· L'aide économique et financière multilatérale regroupe les contributions de la France aux institutions multilatérales d'aide au développement, banques et fonds sectoriels (action 1);

· L'aide économique et financière bilatérale finance principalement les interventions d'aide bilatérales de l'AFD (action 2);

· Le traitement de la dette des pays pauvres recouvre les annulations de dettes décidées dans le cadre du club de Paris et impliquant une indemnisation des operateurs (action 3)

Cette responsabilité administrative et budgétaire est principalement partagée entre les ministères des Finances et des Affaires étrangères. Cette pratique historique est la cause d'une répartition à la logique contestable, fondée sur la nature de l'aide. Ainsi, la conduite de l'aide multilatérale entre le Trésor (représentation de l'État auprès des institutions financières multilatérales) et les Affaires étrangères (représentation devant les institutions onusiennes) traduisent une complexité organisationnelle et pose les questions de l'efficacité de cette politique publique. Si le Ministère des affaires étrangères a récupéré l'exercice de la cotutelle de l'AFD depuis 1998, la relation institutionnelle entre le Trésor et l'AFD est plus ancienne et plus solide en raison des liens historiques qui unissent ces deux structures. Héritière de la caisse centrale de la France libre, devenue Caisse centrale des outre-mer en 1944 puis Caisse centrale de la coopération économique en 1958, celle-ci avait, en plus de sa mission d'assistance financière, une mission d'essence monétaire avec l'émission et la gestion de la monnaie des outre-mer. Ces attributions étaient déjà supervisées par le Ministère de l'économie, dont la stratégie africaine était articulée avec celle de l'agence de coopération. La Direction générale du Trésor est ainsi le « ministère superviseur historique » de l'institution chargée de la coopération économique, la nature financière intrinsèque de ses activités étant incluses dans le champ de compétences et de supervision du Trésor.

En outre, la Direction du Trésor avait la responsabilitéì de la zone franc et de l'aide fournie au titre de l'ajustement structurel, alors que sa Direction du Commerce s'attachait aÌ maximiser les opportunités commerciales liées aÌ l'APD, en particulier durant les premières décennies postcoloniales. Le Ministère de l'Economie administrait une fraction particulièrement importante du budget de l'aide (représentant environ 40 % en 2002), soit bien plus que pour n'importe quel autre pays donateur du CAD. Les relations structurelles et historiques entre le Trésor et l'AFD, ainsi que leur culture politique et économique commune, font du Trésor un élément influent de l'architecture institutionnelle de la coopération française.

Lors de la refonte du dispositif de coopération français en 1998, qui a vu la création de l'AFD et la disparition du Ministère de la coopération, la Direction du Trésor s'est vu conférer la cotutelle de l'AFD avec le Ministère des affaires étrangères. Ce double contrôle, et l'émergence du MEAE comme un ministère partenaire du Trésor, a surtout renforcé la complexité du dispositif de coopération. La position du Trésor dans ce dispositif, si elle reste essentielle, a été toutefois érodée par la montée en puissance relative du MEAE sur les questions de développement, après absorption des équipes du Ministère de la coopération. Le MEAE utilise notamment son réseau d'ambassadeurs afin de coordonner les actions et projets de l'AFD sur le terrain. En dépit d'un retrait relatif sur le plan opérationnel, le Trésor conserve toutefois solidement sa compétence de représentation de la France dans les instances multilatérales de développement et peut s'appuyer sur son réseau international de services économiques régionaux pour connaître la situation économique et financière des pays en développement et leurs besoins en matière d'assistance technique. Le pilotage de la politique d'aide au développement se fait désormais dans le cadre d'instance de concertations (CICID, CNDSI) avec le Ministère des affaires étrangères et l'ensemble des acteurs concernés.

L'AFD a tiré profit de la disparition du ministère de la Coopération pour s'affirmer comme l'institution la plus compétente, techniquement, en matière de développement. Sous tutelle conjointe des ministères des Affaires étrangères et des Finances est devenue l'« opérateur pivot » de mise en oeuvre de l'aide française au développement. A l'instar des autres agences de coopération européennes, elle est imprégnée, d'un référentiel libéral d'efficacité et de sélectivité de l'aide, elle promeut une coopération mêlant prêts et dons, élargie aux biens publics mondiaux et aux pays émergents, qui dépassent le cadre des priorités stratégiques historiques de l'aide française, traditionnellement tournée vers l'Afrique et la Méditerranée.

Depuis 2012, des efforts ont été engagés au sommet de l'Etat pour mettre à jour la politique française de développement, la rendre plus démocratique et plus visible au travers de la loi d'orientation de 2014, recréer un cadre de dialogue multi-acteur, renforcer l'AFD et simplifier un partie de son schéma relatif à la coopération technique et à l'expertise.

Le 7 Juillet 2014 a été votée la première loid'orientation et de programmation relative aÌ la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI - Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014).

Cette loi permet de renforcer le contrôle démocratique et d'améliorer l'évaluation de l'aide au développement : elle octroie au Parlement la possibilité de débattre des critères d'attribution des aides ou de ses destinataires, ce qui relevait auparavant du domaine réservé de l'exécutif (jusqu'ici, le Parlement ne faisait que voter le budget des ministères).

L'adoption de la LOP-DSI et les réformes engagées, si elles ont apporté de la modernité sur le fond et relativement amélioré les conditions de la transparence de la politique de développement, ne se sont pas pour autant attaquées au coeur du schéma institutionnel français et n'ont pas permis de le simplifier. Celui-ci se caractérise toujours à la fois par une volonté théorique (parce que le CICID se tient de façon épisodique, ce qui témoigne de la lourdeur du dispositif actuel) de mobilisation interministérielle renforcée et cohérente de ce point de vue avec l'esprit des ODD, mais par une complexité réelle due à une dispersion des lieux de décision et à un affaiblissement effectif et continu des capacités de pilotage et des moyens du secrétariat d'État au Développement.

Dans les faits, l'autonomie acquise par l'AFD vis-à-vis de ses tutelles a réduit la fluidité des relations entre le Trésor et l'Agence. Si le Ministère de l'économie est toujours présent afin d'orienter les grandes décisions stratégiques de la politique de développement, l'AFD dispose de sa propre stratégie interne et d'une logique financière autonome, qui l'amène à étendre son champ d'action au delà des géographies et secteurs définis par la coordination interministérielle. La complexité du pilotage de la politique d'aide au développement est accentuée par la bicéphalie du dispositif. Le poids qu'occupe le ministère des finances dans ce dispositif rend peu probable la création d'un ministère de la coopération de plein droit, comme le suggère la Cour des comptes dans son rapport d'évaluation de 2012 sur la politique d'aide au développement. La DG Trésor, de par son expertise économique et financière, son réseau décentralisé, sa proximité historique avec l'AFD et sa capacité à transfuser régulièrement certains de ses agents et cadres vers l'agence, reste un maillon central de la politique d'aide au développement de la France.

2. Les missions de l'apprenti

2.1. Une mission d'analyste des données de l'aide publique au développement

2.1.1 - Nature et contexte de la mission

La première mission qui m'a été confiée au cours du premier semestre 2018-2019 a été celle d'un chargé de mission en analyse des données de l'aide publique au développement. Cette mission s'inscrivait dans la lignée des demandes formulées par le chef de service des affaires multilatérales au bureau de l'aide publique au développement : il s'agissait pour le Trésor, de produire un bulletin annuel présentant les « chiffres clés » de l'aide publique au développement. Ce document a vocation à être diffusé sur le site internet du Trésor, à destination du grand public et des non-spécialistes de l'APD, afin que ceux-ci puissent entre autres apprécier les ordres de grandeurs, les priorités géographiques ou les priorités sectorielles de l'APD de la France sur l'année 2017. Il s'agit pour le Trésor de faire preuve de transparence et de pédagogie sur une politique publique relativement méconnue de l'ensemble des français.

Ces « chiffres clés » de l'APD peuvent être également diffusés auprès des services économiques régionaux et des parlementaires qui travaillent sur les politiques publiques du développement. Les services économiques régionaux (SER), dans leur dialogue avec les autorités locales et avec les bailleurs internationaux, sont souvent interrogés sur les montants d'APD que la France verse au pays concerné, la nature des instruments financiers employés (dons, prêts concessionnels, appuis budgétaires) ou encore les secteurs sur lesquels la France intervient (santé, éducation, aide à l'industrie, etc.). Ces données peuvent aussi être demandées par les SER dans le cadre de la rédaction de leurs brèves économiques et financières sur les relations économiques entre la France et leur zone ou le pays sous leur supervision. A ce titre, des demandes en provenance des services économiques parviennent régulièrement au bureau Multifin 5 afin de renseigner les données sur ces questions. Pour ce qui est des parlementaires et de leurs collaborateurs, ceux-ci ont fait remonter à plusieurs reprises leurs difficultés à comprendre et leur manque de temps pour exploiter eux-mêmes les bases de données statistiques du développement du CAD dans leurs rapports et leurs études parlementaires. Les commentaires parvenus au Trésor sur ce sujet, avant mon arrivée, ont laissé entendre le besoin d'une transparence et d'une accessibilité accrues des données de l'APD pour les élus dans le cadre de leurs travaux.

Le document dont on m'a confié la rédaction doit ainsi pouvoir s'analyser selon une double grille de lecture : il est à la fois un document de communication informationnelle pour le grand public sur l'APD française, et un mémento utile aux agents du Trésor, du parlement ou d'autres interlocuteurs, qui sont en demande de chiffres clairs et transparents en matière de données d'aide au développement.

Pour réaliser cette tâche, j'ai d'abord dû identifier les principales sources des données du développement disponibles. Dès le début de mon travail, mon tuteur m'a orienté vers le site du CAD de l'OCDE, qui centralise l'ensemble des données et des statistiques des flux d'aide au développement. L'OCDE fut ma source principale pour mener à bien cette première mission.

Ce travail a été mené de manière itérative, avec de nombreux échanges avec mon maître d'apprentissage quant aux informations qu'il convenait de faire figurer dans ce document. Concrètement, mon travail durant les premiers mois a consisté à filtrer, extraire et représenter graphiquement les données quantitatives de l'APD de la France, afin de faire apparaître les tendances en matière de ventilation géographique et sectorielle, la trajectoire de l'APD depuis les années 1960, la position de la France parmi les grands donneur du CAD, la répartition de l'APD selon les instruments financiers employés (prêts, dons, annulations de dette, etc.).

Mon travail comportait également une dimension comparative : d'une part, les données françaises devaient être mises en perspective avec celles du Royaume-Uni et de l'Allemagne des deux bailleurs européens d'un poids économique similaire à celui de la France. D'autre part les données françaises devaient faire l'objet d'une comparaison avec les données de la moyenne des donateurs du CAD, afin de pouvoir situer l'effort de la France en matière d'aide au développement par rapport à l'ensemble des donateurs, et faire ressortir certaines spécificités de l'aide française.

2.1.2 Livrables - Résultats et bilan de la mission

Au bout des quatre premiers mois de mon apprentissage, et une dizaine de versions réalisées et soumises à l'approbation de mon tuteur et du sous-directeur des affaires multilatérales, ce travail a finalement donné lieu à la réalisation de deux documents : une version courte ( 6 à 7 pages), destinée à être publiée sur le site de la DG Trésor, et rassemblant les données essentielles de l'APD à destination du grand public et des parlementaires ; une version longue ( d'une 20 pages), allant davantage dans le détail des données et faisant soit ressortir certaines informations politiquement sensibles, comme la part des frais d'accueil des réfugiés comptabilisée au titre de l'APD, soit des informations dont le degré de technicité n'est pas adapté à une diffusion pour le grand public (combinaison des canaux d'APD comportant les prêts-dons et les canaux bilatéral-multilatéral, chiffres sur l'effet de levier des prêts de l'AFD, etc.). Ce document plus technique avait cependant vocation à être accessible, en interne au sein du service des affaires multilatérales et du réseau des services économiques régionaux.

A l'heure de l'écriture de ces lignes, ces deux documents sont toujours en attente de validation par la hiérarchie pour diffusion au sein du Trésor.

Cette commande de mon tuteur, qui fut la première mission de mon apprentissage, m'a permis d'appréhender concrètement les ordres de grandeur et les caractéristiques des flux d'aide au développement de la France. Ce travail a été l'occasion de produire quelques cartes simples sur la répartition géographique des prêts et des dons de l'aide au développement de la France. Cette mission a requis des compétences bureautiques de base, en particulier une utilisation récurrente d'Excel afin de gérer les tableaux de données du CAD et effectuer des calculs simples avec les données afin de faire ressortir les informations attendues.

Ce travail a également servi à la présentation par le bureau MF5 des données de l'aide au développement à destination des services économiques régionaux d'Afrique de l'Ouest. J'ai pu apprécier ainsi la compétence du bureau en matière de production intellectuelle et de communication autour des données d'aide. Cela m'a également permis de m'intéresser à certaines controverses entourant les données statistiques de l'aide et leur périmètre de définition. Les ONG tels que Oxfam par exemple, contestent l'inclusion des frais de réfugiés ou des bourses d'écolages dans la comptabilisation des flux d'aide au développement telle qu'élaborée par le CAD, au motif que les versements s'effectuent dans les pays donateurs. Afin de pouvoir être en mesure de répondre à des interrogations de la part des ONG sur les dépenses d'APD internes, une partie du travail statistique s'est attaché à faire ressortir explicitement la part de l'aide bilatérale dépensée sur le territoire national.

2.2. La montée en responsabilité : des missions d'adjoint au chef de bureau chargé des sujets «  mobilisation des ressources intérieures et développement ».

2.2.1 Nature et contexte de la mission

Les missions qui ont structuré le deuxième semestre de mon apprentissage ont été l'occasion d'exercer des attributions opérationnelles autour d'un portefeuille de sujets en lien avec les priorités et l'actualité du Service des affaires multilatérales. Ces missions de long-terme, en phase avec le rythme de l'alternance, ont été comparables à celles que le chef de bureau aurait pu confier à un adjoint titulaire. Les raisons qui ont amené mon chef de bureau à me confier ces missions élargies sont celles de son départ anticipé du Trésor et des besoins du service quant aux sujets à traiter dans le cadre de la préparation de la présidence française du G7. De début février à fin juillet, j'ai donc exercé les missions d'adjoint au chef de bureau chargé des sujets « mobilisation des ressources intérieures et développement ».

La mobilisation des ressources intérieures (MRI) désigne la génération de recettes publiques à partir de ressources nationales, provenant de sources fiscales ou non fiscales (redevances, licences, prélèvements ou autres revenus). Ce concept inclut également la capacité de mobilisation de l'épargne domestique et son orientation vers le financement d'investissements productifs. La mobilisation des ressources intérieures est identifiée comme un des leviers du financement du développement durable de l'Agenda 2030 de l'Organisation des Nations Unies. Ses bénéfices potentiels pour les Etats en développement sont majeurs : elle crée un espace supplémentaire pour les dépenses budgétaires durables et le financement des services publics, favorise la redevabilité publique et réduit la dépendance des pays à l'aide extérieure.

Des analyses préliminaires menées par le estiment le déficit de financement pour la réalisation des objectifs de développement durable pour les pays en développement à environ 2 500 milliards de dollars. Cependant, les pays en développement qui ont le plus besoin de revenus, comme les États fragiles et les Etats touchés par des conflits, sont souvent ceux qui disposent de faibles capacités de mobilisation des recettes et qui souffrent de mauvaise gouvernance publique. Ils font donc face à de grandes difficultés pour collecter des recettes et financer leurs politiques publiques.

Cela est particulièrement vrai pour les Etats d'Afrique subsaharienne, qui est la région d'intervention prioritaire de la coopération française. La mobilisation des ressources intérieures n'y constitue que 60% du financement du développement, ce qui signifie qu'il existe un déficit de 40%, généralement comblé par des prêts, un don (sous la forme d'une aide budgétaire globale) ou d'autres formes de financement public extérieur. Le taux de pression fiscale, qui désigne le ratio « montant des recettes d'origine fiscale / produit intérieur brut », est en moyenne inférieur de 8% pour l'Afrique subsaharienne en comparaison de l'Asie du Sud-Est et l'Amérique latine(figure 7).

Figure 7 - Cartes des recettes fiscales en % du PIB - 2017

La question de la mobilisation des ressources intérieures et celle de l'aide publique au développement sont liées en ce que l'APD et l `assistance technique peuvent catalyser les ressources propres des Etats fragiles à faible capacité et leur permettre aÌ termes de financer leurs services sociaux de base. L'approche de la France en la matière sur le plan bilatéral repose sur la promotion de trois politiques prioritaires, portées par l'AFD, l'opérateur technique Expertise France et la Direction générale des finances publiques (DGFIP) : l'élargissement de l'assiette fiscale, la réduction des exonérations fiscales et la lutte contre les flux financiers illicites. Pour ce qui relève des actions multilatérales, la France contribue chaque année aux centres régionaux d'assistance technique de l'Afrique de l'ouest et de l'Afrique centrale du Fonds monétaire international (FMI). Ceux-ci ont pour rôle de fournir une assistance technique aux Etats sub-sahariens pour renforcer les capacités des administrations fiscales et douanières, améliorer la gestion des finances publiques et l'efficacité des dépenses.

La mobilisation des ressources intérieure est l'un des volets majeurs de la politique française de coopération et de développement. Une stratégie interministérielle sur cette thématique avait été rédigée conjointement par Bercy et le MEAE en 2011. Lors du CICD de 2015, il a été décidé de réécrire une stratégie prenant en compte le contexte de la conférence d'Addis-Abeba sur le financement du développement et les nouvelles orientations impulsées par l'ONU autour des objectifs de développement durable (ODD). Les travaux autour de cette nouvelle stratégie ont débuté en 2017, sur la base d'une consultation pilotée par le MEAE et la DG Trésor, incluant l'AFD, Expertise France, les administrateurs représentant la France dans les organisations multilatérales (FMI, Banque Mondiale, OCDE), la représentation permanente de la France auprès de l'UE, et la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI). Cette dernière a produit une revue de littérature sur la mobilisation des ressources intérieures afin d'orienter l'élaboration de la stratégie française et de ses priorités sectorielles sur le sujet. Elle définit le sujet de la mobilisation des ressources intérieures, les actions menées par la France sur le sujet depuis le début des années 2000, et identifie les problématiques auxquelles sont confrontées les Etats en développement en matière de fiscalité et de gestion de recettes. Le travail de rédaction de la stratégie a été entamé par les adjoints en charge du sujet en 2017 du côté du Trésor et des Affaires étrangères.

Dans le cadre de l'élaboration de cette stratégie, le relevé de conclusion du CICID de 2018 prévoit la rédaction d'un plan d'investissement stratégique pour le développement sur la mobilisation des ressources intérieures. Il s'agit d'une nouvelle approche destinée à assurer une plus grande concentration de l'aide au développement sur les secteurs et les zones géographiques prioritaires décidés au niveau politique. Courts et présentant une programmation d'actions et de financement pluriannuels, ils ont vocation à améliorer la coordination des différents moyens d'action et de les concentrer sur des priorités clairement définies, d'effectuer des arbitrages entre différents canaux d'acheminement de l'aide (multilatéral et bilatéral) et d'assurer une prévisibilité à moyen-terme des actions de la politique de coopération de la France.

Le thème de la mobilisation des ressources intérieures est également l'une des lignes de force du programme de travail de la préparation de la présidence française du G7 de 2019. A ce titre, le service des affaires multilatérales est chargé de préparer les papiers de position du Trésor sur les grands enjeux économiques et de développement en plus de veiller à l'organisation matérielle et logistique du sommet. C'est dans ce contexte que j'ai été associé aux travaux préparatoires des positions de la France sur le thème de la fiscalité et des ressources internes en Afrique subsaharienne.

2.2.2 La mission « stratégie interministérielle sur la mobilisation des ressources intérieures »

En ce qui concerne la stratégie interministérielle, une première version avait été écrite par le Trésor et le MEAE sur la base des recommandations de la FERDI en 2017. Si elle était jugée satisfaisante par la DGM, elle n'avait pas pu être validée côté Trésor en raison de sa longueur et de certaines propositions jugées « non-opérationnelles ». Dans ce contexte, ma mission fut de proposer une réécriture portant sur la forme et certains éléments de fond afin de rendre la stratégie plus «opérationnelle » et plus concrète. Les travaux précédents, qui s'étaient déroulés en 2016-2017, n'avaient pas tenu compte des nouvelles orientations de la politique de développement décidées dans le cadre du CICID de 2018, et les agents précédemment chargés du suivi de ce dossier avaient tous quitté leurs postes respectifs au MEAE et à MF5. Guidé par mon chef de bureau j'ai ainsi effectué en collaboration avec une collègue du MEAE, un travail d'actualisation des données, de relecture et de mise en cohérence de la stratégie avec les orientations géographiques et stratégiques de 2018.

Cette tâche m'a mobilisé pendant près de deux mois, de fin janvier à début mars, date à laquelle mon premier chef de bureau a quitté ses fonctions. Elle a été l'occasion de prendre contact avec la DGM et de travailler avec eux sur les modifications et corrections rédactionnelles que le bureau souhaitait apporter à la stratégie, notamment sur les arbitrages géographiques (Recentrage de la stratégie sur l'Afrique et la Méditerranée en lieu et place d'une mention d'une intervention sur l'ensemble des pays en développement, à l'exception des mesures de mobilisation intérieures liées au climat).

Un exercice de recherche en source ouverte a également été nécessaire afin d'actualiser les graphiques, les cartes et les tableaux de données socio-économiques inclus dans la stratégie, dont certains comportaient des informations datées de 2014. Dans cette perspective, j'ai eu recours aux données de la Banques Mondiale, du FMI et de l'OCDE sur la fiscalité, l'APD et les recettes publiques en Afrique, et sollicité les SER d'Abidjan et de Yaoundé afin d'avoir un aperçu des projets relatifs à la mobilisation des ressources intérieures déjà mis en oeuvre par l'AFD en Afrique de l'ouest et en Afrique centrale.

Après deux mois de travail, la version finale de la stratégie a fait l'objet d'une validation commune de la part des hiérarchies du Trésor et du MEAE à l'occasion de la préparation du co-secrétariat du CICID en avril. Elle doit faire l'objet d'un communiqué et devrait sortir après le sommet des chefs d'Etat du G7 à Biarritz.

2.2.3 La mission « élaboration du plan d'investissement stratégique sur la mobilisation des ressources intérieures »

En parallèle de la reprise de l'actualisation de la stratégie, mon maître d'apprentissage m'a confié, sous la supervision du chef de service, l'élaboration du plan d'investissement stratégique sur la mobilisation des ressources intérieures sur 2020-2022. Ce document est la déclinaison opérationnelle Une ébauche de plan avait été préparée par mes prédécesseurs, mais l'orientation prise par ces travaux n'avait pas été validée par le chef de service au motif que le plan ne proposait pas de vision stratégique concrète ni ne ciblait de pays ou région prioritaires pour les interventions de la coopération française, en dépit de ce que suggérait le relevé de conclusions du CICID 2018 sur le contenu et la portée opérationnelle de ces plans.

La rédaction du plan devait répondre à trois objectifs stratégiques :

- Identifier des indicateurs de résultat pertinents pour mesurer les progrès des actions bilatérales de la France sur la mobilisation des ressources. Ces indicateurs n'ont pas vocation à être des indicateurs macroéconomiques, employés pour mesurer l'évolution de la pression fiscale ou l'accroissement des recettes par rapport au PIB. Ils doivent plutôt être de nature microéconomique refléter les résultats au niveau des projets. Ils ont ainsi vocation à construire un cadre de redevabilité pour l'action de la France sur la mobilisation des ressources intérieures.

- Déterminer les géographies d'intervention prioritaires de la coopération française sur lesquelles il est envisageable d'intervenir sur 2020-2022, en concertation avec les opérateurs et les autres directions du ministère des finances impliquées dans la concertation autour du plan (direction générale des finances publiques et direction générale des douanes.) 

- Fixer les priorités sectorielles du plan, en les articulant avec ceux de la stratégie interministérielle. La mobilisation des ressources intérieures est un enjeu pluridimensionnel qui recoupe les politiques macro-fiscales, le renforcement des capacités des administrations, la gestion des revenus issus des ressources naturelles, la lutte contre les flux financiers illicites.

En tant qu'apprenti-adjoint, mon rôle a été de coordonner l'ensemble des parties prenantes et d'animer le groupe de travail monté sur le sujet. L'objectif final était d'obtenir un plan consolidé, comprenant l'ensemble des éléments décris ci-dessus, afin de pouvoir communiquer à l'occasion du sommet du G7 de Biarritz.

Durant cette mission, j'ai du animer les contacts avec les équipes « gouvernance économique et financière » de l'AFD et l'équipe d'assistance technique « fiscalité et développement » d'Expertise France. Leurs retours techniques et leur expérience du terrain étaient nécessaires à l'élaboration du plan dans la mesure où ceux-ci disposent d'une grande visibilité sur les projets performants sur la mobilisation des ressources en Afrique, et emploient déjà certains indicateurs pour mesurer leurs progrès sur la question. Mon rôle a été avant tout celui d'un coordinateur du groupe de travail, chargé d'orienter les propositions des opérateurs selon les objectifs du Trésor. J'ai ainsi co-animé régulièrement des réunions de travail comportant des interlocuteurs variés, avec ma cheffe de bureau ou ma collègue du MEAE, et ait été le référent principal sur le sujet de mobilisation des ressources pour le bureau MF5. Cela m'a permis d'appréhender le rôle d'exercice de la tutelle du Trésor sur l'AFD et Expertise France, et de découvrir les relations parfois difficiles existant entre l'AFD, qui dispose d'une forte autonomie dans le dispositif de coopération français, et Expertise France, qui est un opérateur de plus petite envergure, mais disposant de compétences plus pointues que l'AFD sur les sujets de coopération technique, notamment en matière fiscale et statistique. J'ai également animé des entretiens avec les responsables de la mission de coopération internationale de la direction générale des finances publiques (DGFIP), qui avaient participé à l'élaboration de l'ébauche du plan d'investissement. Ces entretiens ont permis d'identifier des pays africains susceptibles de montrer de l'appétence pour des initiatives de coopération fiscale sur 2020-2022 et d'alimenter le travail d'élaboration des indicateurs de résultats.

Cette mission de coordination et d'animation de réseau a fortement contribué à mon épanouissement au sein du Trésor, dans la mesure où elle m'a conféré des responsabilités tout en disposant de beaucoup d'autonomie. Il m'a fallu m'imposer petit à petit comme un interlocuteur crédible face aux agents de l'AFD et d'Expertise France, être force de proposition sur les indicateurs et faire passer les messages de la hiérarchie du Trésor en termes d'attentes stratégiques et géographiques. Elle a été l'occasion d'une vraie prise de responsabilité sur des sujets techniques avec une attente politique forte de la part du sous-directeur du service des affaires multilatérales. J'ai pu y pratiquer pour la première fois des compétences de négociation, de coordination et de pilotage du groupe d'un groupe de travail, organiser des réunions techniques et en assurer le suivi par la rédaction de comptes-rendus réguliers.

Dans le cadre de la rédaction du PISD et de la préparation du G7, j'ai aussi eu l'occasion d'effectuer un travail de fond quant aux initiatives et fonds multilatéraux qu'il serait pertinent de financer pour la France sur la période 2020-2022. Le Trésor avait décidé d'allouer une enveloppe de 60 millions d'euros de crédits supplémentaires pour 2020-2022 aux initiatives portant sur la mobilisation des ressources intérieures. Dans ce contexte, j'ai eu pour tâche d'effectuer une revue de l'activité des principaux fonds fiduciaires hébergés par les organisations multilatérales ( FMI, Banque mondiale, International Tax Compact, OCDE, etc) qui correspondent aux priorités thématiques et géographiques de la France en matière de mobilisation des ressources intérieures. Jusqu'ici, la France contribuait essentiellement au fond de renforcement des capacités du FMI, en allouant des fonds aux centres d'assistance techniques régionaux du Fonds en Afrique de l'Ouest (AFRITAC Ouest), en Afrique centrale (AFRITAC Centre). Ces deux fonds sont spécialisés dans l'assistance technique en matière macroéconomique, fiscale et douanière à destination des Etats francophones d'Afrique subsaharienne. Il a été décidé de renforcer la contribution de la France à ces deux structures sur 2020-2022, et d'identifier de nouveaux fonds susceptibles d'accroître les interventions financements destinés à la mobilisation des ressources intérieures en Afrique. Ce travail m'a été confié en parallèle de mes missions d'animation du groupe de travail, et a été mené en collaboration avec le bureau MULTIFIN 3, qui s'occupe de la surveillance des fonds multilatéraux.

En menant des recherches sur les sites institutionnels du FMI et de la Banque mondiale, j'ai ainsi identifié quatre fonds et initiatives pertinents pour l'approche du Trésor en matière de mobilisation des ressources intérieures. J'ai proposé pour ceux-ci une contribution et un engagement de crédits à partir de 2020, en concertation avec ma collègue du bureau chargé des questions budgétaires du programme 110 :

- Le Global Tax Program (GTP) de la Banque mondiale, qui est spécialisé dans l'accompagnement des réformes fiscales dans les pays fragiles. La Banque mondiale est l'institution internationale qui accorde le plus de financements à la mobilisation des ressources intérieures.4(*) Le GTP a été lancé en 2015, et se concentre sur les pays à faible capacité, notamment en Afrique subsaharienne. Doté d'un budget de 30 M $, le GTP était jusqu'ici très présent en Afrique de l'Est, où il soutenait la mise en place de réformes fiscales à moyen-terme au Kenya, en Tanzanie et au Burundi. Au cours d'échanges téléphoniques avec ma collègue du MEAE chargée des questions de fiscalité internationale, j'ai pu apprendre que les structures de gouvernance du GTP avaient exprimé le souhait de pouvoir investir plus fortement l'Afrique de l'Ouest.

- Le Revenue Mobilisation Trust Fund (RMTF) du FMI, qui fournit une assistance technique sur-mesure dans le domaine des politiques fiscales et de la gestion des recettes publiques. La moitié de son portefeuille d'intervention est consacré à l'Afrique subsaharienne francophone, où les besoins sont particulièrement importants. Le fond intervient dans l'ensemble des pays du G5 Sahel, et mène plusieurs programmes d'harmonisations et de renforcement des capacités administratives d'envergure régionale qui concernent tous les pays de la zone franc.

- Le Debt Management Facility Fund (DMF), un fonds de la Banque mondiale qui fait l'objet d'un partenariat avec le FMI depuis 2014. Cet instrument vise à aider les pays en développement à gérer efficacement leur dette publique et à orienter les dynamiques d'endettement vers des secteurs productifs qui servent le développement humain. Le DMF intervient aussi pour aider les pays en développement à structurer des marchés internes d'émissions de titres. La gestion de la dette et des marchés financiers, en ce qu'elle permet de mobiliser de l'épargne nationale, participe des initiatives de la mobilisation des ressources intérieures. En outre, les priorités du fonds sont alignés avec ce que le Trésor promeut dans le cadre de l'animation du Club de Paris sur la gestion de la dette.

- Le DRM Innovation Fund, parrainé par la fondation Gates et le Ministère allemand de la coopération. Ce fond a vocation à financer des projets de court-terme en appliquant des technologies innovantes (blockchain, paiement par téléphone, géolocalisation des cadastres) aux enjeux de la mobilisation des ressources intérieures. Il s'agit d'une initiative orientée à 100% vers l'Afrique subsaharienne, avec un petit budget d'intervention (2,5 M $). Ce fonds a été lancé en juillet 2019 à l'occasion de la conférence annuelle de l'International Tax Compact, le forum mondial sur les questions de fiscalité et de développement. La raison qui a présidé à la sélection de cette entité est que la contribution de la France à ce fonds permettrait de financer des projets faisant appel aux nouvelles technologies, conformément aux orientations du PISD.

Ces quatre fonds ont chacun fait l'objet d'une note pour mémoire à destination du chef de service, expliquant la gouvernance, les actions, leur budget et les zones d'interventions des fonds. Sur la base de ces fiches, Ces informations ont été utilisées pour compléter les fiches de répartition des crédits sur le programme 110 pour l'exercice budgétaire 2020 et intégrées dans le plan annuel de performance de la même année.

En tant que chargé de mission sur la mobilisation des ressources intérieures, j'ai aussi été associé aux travaux préparatoires du G7 avec le bureau MULTIFIN 4. Cette thématique a constitué l'une des priorités du service dans l'élaboration du programme de travail du G7 tout au long de l'année 2019. J'ai travaillé sur ces sujets en tandem avec l'adjoint du bureau MULTFIN 4 en charge de la préparation du sommet et des relations avec la Banque mondiale. A cette occasion, j'ai participé à la préparation les notes de fond, éléments de contexte et de langage sur les enjeux de la mobilisation des ressources intérieures en Afrique et sur les crises et fragilités du Sahel. Celles-ci ont été diffusées au MEAE et aux administrations partenaires des membres du G7.

J'ai également participé à plusieurs réunions au Trésor avec les représentants du centre de renforcement des capacités du FMI, dont les superviseurs des centres AFRITACs Ouest et Centre, auxquels la France contribue. Ces réunions avaient pour but de présenter, avant les annonces de la présidence française du G7, les activités des différents fonds au chef de service, et au FMI de demander un soutien supplémentaire de la France à certains de ses fonds. C'est sur cette base que le travail de recensement des initiatives sur la mobilisation des ressources intérieures m'a été confié.

L'ensemble de ces travaux était essentiellement d'ordre administratif et technique, aussi la composante « géopolitique » de mon travail d'alternant n'a pas été première. Cependant, les travaux sur les orientations géographiques de la politique d'aide au développement, les notes de synthèse sur la mobilisation des ressources intérieures, le Sahel, et plus généralement, la politique de développement de la France, comportaient tous une partie de réflexion stratégique en lien avec les priorités économiques et géographiques de la France en Afrique subsaharienne. Des implications géopolitiques étaient ainsi présentes en toile de fond de la plupart de mes travaux, même si celles-ci n'ont pas été le coeur de mon travail d'analyse, davantage porté sur des éléments quantitatifs. Néanmoins, cette expérience d'apprenti m'aura permis de mesurer l'importance accordée par la hiérarchie du Trésor aux enjeux stratégiques de l'aide au développement et à la réorientation par le Trésor de l'action de l'AFD vers les pays prioritaires de la France sur le sujet de la mobilisation des ressources intérieures. Les plans d'investissement stratégiques ont vocation à être des outils de pilotage sur plusieurs secteurs clés de l'aide publique au développement. Le processus d'élaboration du premier plan sur la mobilisation des ressources auquel j'ai participé pourrait être répliqué sur d'autres thématiques, un plan sur la politique de coopération en matière d'éducation étant programmé pour un lancement en 2020.

En définitive, cette expérience en alternance au sein du Trésor a été très positive. Elle m'a permis de développer des connaissances approfondies sur les enjeux et les instruments de la politique d'aide au développement de la France. Sur le plan opérationnel, j'ai été placé dans les attributions d'un adjoint avec un niveau de responsabilité élevé, ce qui m'a donné l'opportunité de rencontrer et d'animer des séances de travail avec des représentants des opérateurs de l'aide au développement, de participer à de réunions internationales de haut-niveau, que cela soit avec les représentants des centres régionaux du FMI, des ONG engagées pour le développement et le climat, ou les ministres des finances de la planète à l'occasion des événements annuels comme la tenue de la réunion du club de Paris. J'ai pu exercer des missions variées, de nature statistique, budgétaire ou stratégique, ce qui m'a donné un aperçu solide des différentes compétences professionnelles attendues par la Direction du Trésor.La charge de travail importante des agents du bureau de l'aide au développement au quotidienm' a aussi fait prendre conscience du niveau de rigueur et d'implication requis de la part des titulaires évoluant au sein du service des affaires multilatérales.

PARTIE II : Existe - il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?

Avant propos

A l'occasion de la réunion préparatoire du sommet du « Groupe des sept » qui s'est tenue à Paris le 4 juillet 2019, les ministres des affaires étrangères de la France, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Japon, de l'Allemagne, de l'Italie et du Canada ont plaidé pour une plus grande concentration de l'aide au développement sur les pays «  qui en ont le plus besoin », à commencer par la région du Sahel. Alors que la France exerce la présidence du G7, dont les membres assurent les trois quarts de l'aide publique au développement à l'échelle mondiale, elle a, pour la première fois, convié les représentants des pays membres de la force « G5 Sahel » - Burkina Faso, Tchad, Mali, Mauritanie et Niger- aux discussions multilatérales du sommet de Biarritz du 26 août.

La mise à l'agenda des problématiques du Sahel et l'organisation d'un événement politique conjoint représente une petite victoire diplomatique pour la France. Elles se justifient par le choix de la présidence française de placer la lutte contre les inégalités et la prévention des conflits au coeur des thématiques du sommet : le Sahel est en effet en proie à des crises politiques, sociales, humanitaires et sécuritaires profondes et régulières qui en font un espace synonyme aujourd'hui d'instabilité et d'insécurité. Aux problématiques anciennes de développement, de démographie et de pauvreté, sesont greffés des enjeux sécuritaires majeurs qui ont accentué la vulnérabilité de l'espace sahélien et reconfiguré sa situation géopolitique depuis une quinzaine d'année. Le contexte d'incertitude politique, de dégradation sécuritaire et de conflits armés résulte de la conjonction de trois grands vecteurs d'instabilité qui dominent le Sahel en 2019 : la prolifération du terrorisme transnational d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et ses différentes incarnations depuis 2005, les soubresauts sécuritaires engendrés par la révolution libyenne depuis 2011, et la crise au Mali, issue de la rébellion touarègue et du coup d'Etat du 22 mars 2012, suivis de l'intervention militaire française en janvier 2013. Ces trois crises entremêlées marquent aujourd'hui des lignes de rupture considérables au Sahel. Elles s'ajoutent à des équilibres sociaux incertains, des matrices étatiques et institutionnelles défaillantes et des sous-performances économiques qui se perpétuent depuis les années 1960, le tout dans un environnement climatique aride qui accentue la compétition pour l'accès à l'eau et aux terres arables. La multiplication de foyers parallèles de tensions politiques, sociales, religieuses et ethniques s'est intensifiée ces dernières années sans rencontrer de perspectives de solutions réelles et durables. Ces crises multiples au Sahel ont pourtant pour terreau commun l'accumulation des inégalités résultant de la pauvreté et de l'absence de perspectives économiques pérennes pour les populations, en particulier dans les zones rurales. Cette conjugaison négative de crises plurielles et protéiformes dans la région appelle non seulement des réponses militaires et sécuritaires fortes, mais également un renouveau de la politique d'aide au développement des Etats industrialisés vers cette région. Si la communauté internationale, au premier rang de laquelle la France, est fortement engagée sur le volet militaire pour neutraliser la menace terroriste et tenter d'endiguer les flux migratoires, une réponse sécuritaire seule ne saurait résoudre les crises qui secouent le Sahel.

Introduction

Il n'existe pas de définition univoque et internationalement partagée de la région du Sahel, qui échappe en partie à une détermination classique en termes de territoires et de frontières. Les tentatives de caractérisation géographique par la littérature académique tendent à définir le Sahel comme l'espace semi-désertique marquant la transition entre le désert saharien au nord et la zone soudanienne au sud. Sous cette définition, le Sahel se présente sous la forme d'une bande de terres d'environ 5 500 kilomètres de longueur qui s'étend de l'Atlantique à la Mer Rouge, sur une largeur de 400 à 500 kilomètres, qui traverse le territoire d'une dizaine d'Etats africains depuis l'embouchure du fleuve Sénégal jusqu'au Soudan. Ce « Sahel géographique » n'est cependant pas exactement celui auquel il est fait référence dans le cadre des interventions militaires et des actions en faveur du développement menées par la France et la communauté internationale dans la région. Sur le plan politique, il existe bien une Communauté des Etats Sahélo-sahariens, organisation internationale regroupant une trentaine de pays divers, allant du Maroc au Kenya. Mais cet ensemble institutionnel ne désigne pas le Sahel tel qu'il est appréhendé aujourd'hui sur ni le plan sécuritaire et ni sur le volet de l'assistance au développement. La terminologie « Sahel » était même rarement employée dans le monde académique, le terme de « Sahara » lui étant préféré, faisant explicitement référence aux Etats dont le territoire était traversé par le désert saharien. L'expression « bande sahélo-saharienne » ou « zone sahélo-saharienne » est couramment utilisée, surtout depuis l'opération Barkhane, qui couvre l'ensemble des cinq pays francophones du Sahel et qui a pris le relais en août 2014 de l'opération Serval, jusqu'ici circonscrite au Mali. En parallèle, la création de l'organisation interétatique G5-Sahel en 2014 -- composé du Mali, de la Mauritanie, du Burkina-Faso, du Niger et du Tchad-- a ancré l'emploi de l'expression «  bande sahélo-saharienne » dans le vocabulaire militaire et stratégique pour désigner le « Sahel géopolitique ».

La vision économique, commerciale et politique de la région sahélo-saharienne est toutefois bien différente de l'angle d'étude stratégique et militaire. Sur le plan institutionnel, la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD) est une organisation interétatique qui regroupe 28 Etats africains.Dans le cadre de cette organisation politique, la quasi-totalité de la moitié Nord de l'Afrique est englobée dans la région sahélo-saharienne. Cependant, on ne retrouve pas littéralement l'expression « bande sahélo-saharienne » pour désigner la Communauté des Etats sahélo-sahariens.En parallèle, on constate que le terme « bande sahélo-saharienne » s'emploie surtout dans le cadre des opérations militaires et humanitaires menées par la France, et concerne donc le territoire des pays membres du G5-Sahel. Pour la France, la bande sahélo-saharienne désigne un espace restreint constituant le coeur stratégique de la région sahélo-saharienne, pour sa part beaucoup plus étendue. C'est de cet espace dont il sera question ici.La région sahélo-saharienne est caractérisée par une forte pauvreté, des inégalités en hausse un sous-développement chronique et est soumises à des défis climatiques et sécuritaires persistants. Depuis une quinzaine d'année, le Sahel est en proie à une augmentation des violences et de l'instabilité dans certaines zones. C'est le cas du nord Mali, avec la multiplication d'attaques armées et une propagation aux zones frontalières voisines du Burkina Faso et du Niger ainsi que dans la région du bassin du Lac Tchad. Le nombre de forces armées intervenant au Sahel s'est multiplié ces dernières années, en faisant intervenir divers acteurs, (Mission des Nations Unies pour le Mali, Barkhane, Force Conjointe du G5 Sahel, forces américaines...), entraînant une hausse des opérations militaires dans la région. La porosité des frontières, la défaillance des institutions étatiques qui ne parviennent pas à faire respecter l'autorité de l'Etat fait de cette zone l'une des plaques tournantes de trafics illicites et un terreau propice à l'établissement des groupes armés transnationaux qui mettent en danger l'ensemble des populations du Sahel. La fragmentation culturelle, sociale et religieuse du Sahel représente également un facteur de déstabilisation majeure, que les inégalités et la crise alimentaire latente peuvent rapidement mener à des affrontements communautaires qui alimentent l'insécurité et renforcent les groupes terroristes opérant dans la zone. Le Sahel revêt en outre une importance particulière pour les européens en ce que la région est devenue une frontière migratoire de l'Union européenne, qui externalise depuis 2015 le contrôle des migrations vers l'Europe au delà de ses frontières au moyen d'accord avec les Etats de la région, en particulier le Niger.

La France se trouve fortement impliquée dans le règlement de la situation géopolitique très compliquée de la région sahélo-saharienne, conséquence de son passé colonial, des ses intérêts économiques et des accords militaires passés avec les États sahéliens depuis leur indépendance. Pour autant, les résultats se font attendre : la France a déployé ses militaires dans le cadre l'opération Barkhane depuis 2014 afin de lutter contre les groupes djihadistes au Sahel, sur un territoire. L'intervention française présente un bilan en demi-teinte : si les forces djihadistes ont été contenues au Mali, la situation sécuritaire continue de se dégrader dans l'ensemble de la bande sahélo-saharienne, en dépit de la présence militaire occidentale et de la constitution de la force G5 Sahel. Cela fait craindre à de nombreux observateurs un risque d'enlisement de la situation avec une potentielle implosion des structures étatiques des pays de la région5(*). Il apparaît de plus en plus évident que la crise que connaît la bande sahélo-saharienne ne saurait être résolue par des interventions militaires seules. Les enjeux de développement doivent occuper une place essentielle dans l'implication des acteurs internationaux au Sahel pour agir sur les racines économiques et sociales qui y motivent la violence et alimentent les groupes terroristes. En ce qui concerne la France, les pays du Sahel font partie depuis longtemps partie de sa liste de pays prioritaires de son aide au développement. Pourtant, aucun des pays du Sahel ne figure récemment dans les dix premiers pays qui reçoivent le plus d'aide publique au développement de la part de la France. On entend par aide publique au développement, l'ensemble des dons et des prêts concessionnels accordés par la France aux pays figurant sur la liste des bénéficiaires de l'aide au développement du Comité d'aide au développement de l'OCDE. En 2017, la France n'a alloué que 4,3 % de son aide aux pays du Sahel sur unmontant déclaré de 10,1 milliards d'euros. Il existe donc un décalage entre la forte implication militaire de la France au Sahel, considéré comme un espace stratégique et prioritaire, et l'orientation de l'aide publique au développement qui marginalise paradoxalement les Etats sahéliens. Cela est d'autant plus problématique, à l'heure ou d'autres puissances comme les Etats-Unis et la Chine, s'affirment plus ou moins discrètement dans la région pour tenter de contester la prééminence diplomatique et économique française. En outre, si la France et l'Union européenne se sont accordées autour de la nécessité d'articuler les efforts militaires autour de politiques de développement ambitieuses selon le concept de « nexus sécurité-développement », l'UE reste en retrait en matière militaire et mise l'essentiel de son action au Sahel sur l'aide au développement, prisonnière d'une conception kantienne de la puissance qui ne lui permet pas de s'affirmer comme un soutien militaire tangible à la France au Sahel6(*). Depuis 2017, les responsables français ont pris conscience de la désarticulation entre les actions militaires et les efforts de développement, et ont impulsé une nouvelle approche de la politique d'aide publique au développement pour le Sahel.

Comment la France cherche-t-elle à retrouver un point d'équilibre de son action au Sahel entre sécurité, développement et maintien de son influence ? Existe-t-il une véritable stratégie géopolitique française pour le Sahel ? Une première partie sera consacrée à la position qu'occupe la France dans l'espace sahélo-saharien, entre désengagement et maintien de son influence et à l'émergence de nouveaux acteurs de coopération dans son ancien-pré-carré. Une seconde partie analysera les différences entre ses dépenses militaires et ses dépenses d'aide publique au développement au Sahel depuis le début de l'opération Barkhane. Enfin, la troisième partie s'attachera à montrer le récent renouveau de la politique d'aide au développement de la France au Sahel qui témoigne de l'essor d'une approche stratégique combinant défense, diplomatie et développement pour contribuer à la résolution des crises sahéliennes.

I- Les grandes puissances et bailleurs internationaux au Sahel

1.1 La France au Sahel : une relation historique qui oscille entre maintien d'influence et désengagement progressif

La présence française dans les pays du Sahel remonte à la fin du XIXème siècle. La colonisation des Etats de la bande sahélo-saharienne, rendue compliquée par la traversée du Sahara, a été ponctuée de nombreuses révoltes entre 1878 et 1898. Plus tardivement, la France fait face aux révoltes touaregs contre sa présence au nord du Niger et du Mali. Ce n'est qu'au début du XXème siècle, entre 1910 et 1920, que la France parvient à dominer complétement le territoire en dépit de l'opposition armée de nombreux groupes et individus.

Les conséquences les plus immédiates pour les Etats colonisés sont la tentative de construction d'une administration centralisée dirigée par les autorités françaises, notamment dans les territoires situés autour de la boucle du fleuve Niger, peuplés d'ethnies sédentaires. Dans les régions les plus désertiques du Nord, considérées moins dignes d'intérêt et habitées par des populations nomades, l'administration s'est faite de manière plus indirecte, et les notions d'Etat central et de règle de droit unique n'ont eu que peu de prise sur les populations, qui ont conservé des modes de gouvernance traditionnels, fondés sur la chefferie. Mais que ce soit pendant la colonisation ou dans les années qui ont suivi la décolonisation, la mise en oeuvre d'une administration centralisée d'inspiration jacobine dans les Etats sahéliens s'est souvent révélée inadaptée aux réalités du terrain, ce qui est à l'origine de l'échec du processus de construction de l'Etat malien.

Accédant à l'indépendance en 1960, une quinzaine d'Etats d'Afrique de l'Ouest francophones, dont les pays sahéliens, se rapprochent de la France et signent des traités bilatéraux avec l'ancienne métropole dans le domaine de la défense. Ces accords de défense et de coopération militaire impliquent en particulier une garantie française en cas d'agression par un acteur étatique extérieur, voire dans certains cas particuliers, par des rébellions internes. Dans le contexte particulier de la guerre froide, la France, eu égard à son statut d'ancienne puissance coloniale en Afrique de l'Ouest s'affirme comme le partenaire privilégié des Etats du Sahel. Sa présence militaire au Tchad permet par exemple de contenir les ambitions expansionnistes de la Lybie du colonel Kadhafi dans les années 1980. Au delà des aspects sécuritaires, des liens économiques étroits se sont forgés entre la France et les Etats du Sahel, au travers du maintien de la zone franc (voir annexe 3) de relations commerciales privilégiées, où la France occupait le rang de premier fournisseur de biens et services et dans le cas spécifique du Niger, par la sécurisation depuis 1969 de l'approvisionnement de la filière nucléaire française à partir de l'uranium extrait à Arlit7(*).

La défense de la francophonie dans le monde est également l'une des composantes de la politique française à l'égard des Etats du Sahel : le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont tous le français comme langue officielle (voir annexe 2). Dans le paysage linguistique diversifié de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel, le français joue le rôle de langue véhiculaire des échanges internationaux et de l'intégration économique régionale.

L'unité linguistique de cet espace autour du français se double par ailleurs d'une unité juridique avec l'adoption par les Etats du Sahel du droit continental, hérité du droit civil français (voir annexe 3). Le droit civil présente plusieurs avantages microéconomiques et macroéconomiques par rapport au droit anglo-saxon dans la mesure où il s'agit d'un droit codifié qui offre plus de prévisibilité et donc de sécurité juridique pour les entreprises. Il est aussi plus rapidement applicable que le droit coutumier, et la place qu'il accorde à la loi le rend synthétique et moins couteux pour les entreprises. La place prépondérante du français et du droit civil dans les Etats d'Afrique de l'Ouest, et en particulier du Sahel, est un vecteur d'accroissement des échanges entre la France et les Etats sahéliens, et un atout pour faciliter l'implantation des entreprises françaises en Afrique de l'Ouest.

L'influence de la France auprès des Etats du Sahel s'est aussi manifestée dans l'expression et l'affirmation d'une diplomatie active du développement pour accompagner la défense de leurs intérêts dans les enceintes internationales. C'est la France qui dans les années 1970 a promu aux côtés des États-Unis la création du Club du Sahel (devenu Club du Sahel et d'Afrique de l'Ouest) pour tenter de fédérer dans le cadre de l'OCDE les efforts des bailleurs de fonds dans la réponse aux crises alimentaires récurrentes que traversait la zone sahélo-saharienne. Dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide, la France a accordé en moyenne 47% de son aide publique au développement bilatérale à l'Afrique subsaharienne de 1960 à 1991.

Figure8 - Part de l'aide publique au développement française à l'Afrique subsaharienne entre 1960 et 1991 (en millions de dollars)

Source : données du CAD de l'OCDE

En matière sectorielle, l'aide bilatérale de la France à l'Afrique subsaharienne est alors orientée vers trois grands secteurs principaux : l'aide alimentaire, les infrastructures et les services sociaux comme l'éducation et la santé. Cette orientation de la politique de développement de la France vers l'Afrique subsaharienne reflétait, dans la tradition gaullo-mitterrandiste, l'importance géopolitique que Paris attachait à la « région du champ » et à ses enjeux (endiguement du communisme, défense de la francophonie et des intérêts économiques français, enjeux pétroliers et miniers, sécurisation du soutien des Etats africains lors des votes aux Nations Unies, appui à des régimes clients en Afrique, etc.). La France a ainsi joué un rôle incontesté de puissance tutélaire en Afrique francophone et dans les Etats du Sahel. Elle a pu y préserver un leadership fort et une influence réelle sur le volet politique, économique et sécuritaire, à la hauteur de ses ambitions gaulliennes de grande puissance au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

A partir de 1991 et la fin de la guerre froide, les relations entre la France et l'Afrique subsaharienne connaissent un «  bouleversement radical » d'après Bourmaud8(*), marqué par une évolution profonde de ses modalités et de ses principes d'intervention. Pour ce qui est des modalités d'intervention, la France n'entend plus agir de manière unilatérale, mais souhaite s'assurer le soutien des organisations régionales (Union Africaine, Union économique et monétaire ouest-africaine - UEMOA) et internationales (UE, Nations Unies). Au sujet des modalités d'intervention, la France ne vise plus le soutien prioritaire à des régimes clientélistes, mais la promotion des principes universels comme le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriales, la défense des droits de l'homme et le soutien aux autorités élues. Cette approche a défini les nouvelles orientations de la politique africaine de la France de manière durable depuis le milieu des années 1990.

Plusieurs facteurs expliquent ce changement de cap : en premier lieu, la fin de la guerre froide a transformé le contexte international, et la mondialisation a atteint progressivement l'Afrique subsaharienne et le Sahel, ce qui ouvre ces régions à de nouvelles influences (Etats-Unis, Inde, Chines). Le contexte domestique a lui-même évolué, avec un intérêt déclinant de la population française pour l'Afrique subsaharienne, désormais perçue sous la lumière négative des enjeux migratoires. La politique africaine de la France doit en outre s'insérer dans le creuset d'une politique extérieure européenne à vocation intégratrice, qui doit s'accommoder des vues des autres pays de l'UE. Ceux-ci n'ont pas les mêmes liens historiques que la France avec l'Afrique et le Sahel, ni les mêmes intérêts stratégiques. Il en résulte une approche plus « normalisée » des relations de la France avec ses anciennes colonies. Cela est particulièrement le cas pour ce qui concerne la politique de coopération de la France et les orientations de son aide publique au développement, qui fait l'objet d'ajustements institutionnels, stratégiques et normatifs en 19989(*). A cette occasion, les critères d'allocation de l'aide française convergent progressivement vers les critères européens : en plus de la lutte contre la pauvreté et les inégalités, qui sont les secteurs traditionnels d'intervention de la coopération de la France, l'aide française vise désormais à promouvoir les biens publics mondiaux (santé, sécurité, migrations, diversité culturelle) et le traitement de questions transversales (gouvernance démocratique, développement durable et genre), qui sont présents dans l'agenda de coopération européen10(*). Il en résulte une réorientation de l'aide au delà de l'Afrique subsaharienne francophone. De nouvelles zones d'interventions apparaissent dans les géographies d'intervention de la coopération française, principalement en Méditerranée et au Proche-Orient. Dans le cadre de marges de manoeuvres budgétaires de plus en plus étroites, la politique de développement de la France confirme aussi une implication nouvellement active dans les pays émergents (Brésil, Inde, Chine, Mexique, Afrique du Sud), ce qui se traduit par le recours accru aux prêts par l'Agence française de développement au détriment des dons visant les Etats les plus pauvres, en particulier les Etats sahéliens. Si la priorité africaine est maintenue dans les engagements du comité interministériel de coopération de 2006, celui-ci n'annonçait pas de moyens nouveaux ciblant les Etats d'Afrique francophone.

Plus largement, des trois piliers économique, politique, sécuritaire autour desquels s'est structurée la politique africaine de la France, deux ont été affectés par le mouvement de normalisation et de banalisation des relations franco-africaines : le pilier économique et le pilier politique. Concernant le pilier économique et financier, s'il demeure organisé autour de la zone franc, la France y a perdu de son influence au bénéfice des institutions financières internationales de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international), depuis qu'elle a officiellement récusé toute allocation aide bilatérale direct pour les pays ne se soumettant pas à un programme d'ajustement structurel du Fonds monétaire international, par la voix du Premier ministre Edouard Balladur en 1994 à Abidjan. Cette «  doctrine Balladur » n'a jusqu'ici jamais été remise en cause par la France, malgré les rigidités que peut induire cette approche, en particulier dans le cas des situations post-conflits. La dévaluation du franc CFA de 50% la même année a rendu les pays africains globalement moins dépendants du soutien financier de la France, et a pu être interprété comme un « lâchage » relatif par Paris des Etats africains francophones11(*). Par ailleurs, la part des échanges commerciaux entre la France et les Etats africains n'a cessé de se réduire : la part de l'Afrique subsaharienne dans les exportations françaises est passée 8,7 % en 1970 est passée à 2,4 % en 2017. L'Afrique fournit en outre une part marginale de ses importations (4%). Même si les exportations françaises vers l'Afrique ont doublé en valeur depuis 2000, la France a vu sa part de marché relative dans les relations commerciales de l'Afrique subsaharienne diminuer de moitié, en passant de 11% en 2000 à 5,5% en 2017.

Sur le plan politique, la France s'est tournée vers une approche partenariale, et a tenté d'appuyer les principes d'africanisation et de mutualisation des efforts, en particulier à l'échelle européenne. La France se réfère dans ses interventions aux positions défendues par l'Union africaine, les organisations sous-régionales ou le Conseil de sécurité des Nations Unies. La France met aussi en avant dans ses discours les principes de l'État de droit et de la gouvernance démocratique. A l'instar du Royaume-Uni, elle s'est fait le porte-voix des situations et problématiques africaines au Conseil de sécurité, et cherche à favoriser l'implication politique des Nations Unies, ou à défaut, obtenir son assentiment par un mandat pour conduire une intervention militaire12(*).

Contrairement aux dimensions économiques et politiques qui ont suivi la voie de la normalisation, le volet militaire de la politique africaine de la France s'est renforcé ces dernières années. L'héritage des accords de défense et des accords de coopération militaire se fait toujours sentir dans les relations bilatérales de défense que la France entretien avec les pays africains : en 2016, 70% de la coopération militaire française était destinée à l'Afrique subsaharienne, dont les 2/3 vers les Etats du Sahel (Mali, Tchad, Niger). Grande oubliée du « Livre blanc de défense et de sécurité nationale » de 2008, l'Afrique subsaharienne et le Sahel ont explicitement fait leur retour dans le livre blanc de 2013 ainsi que dans la revue de défense et de sécurité nationale de 2017. La France a également élaboré une «  Stratégie Sahel » fondé sur une « approche globale » qui vise à articuler les enjeux de défense, de diplomatie et de développement dans la bande sahélo-saharienne.

Figure 9 - les partenariats militaires stratégiques entre le France et les Etats africains

On estime, en 2015, à Djibouti et dans les opérations Barkhane au Sahel et Sangaris en Centrafrique, le nombre de militaires français en Afrique à environ 10 000 hommes contre 5 000 en 2012 dans 8 bases ou points d'appui, pour une dépense annuelle supérieure à 1,5 milliard d'euros. Ces effectifs militaires sont supérieurs à tout autre puissance non-africaine présente sur en Afrique subsaharienne. C'est bien sur le plan militaire que la France demeure un acteur international de premier plan dans la bande sahélo-saharienne.

Son relatif désengagement opéré de la fin de la guerre froide a cependant laissé un espace d'influence pour d'autres acteurs extérieurs.L'ouverture de l'Afrique et de la zone sahélo-saharienne française à d'autres acteurs est-elle pour autant de nature à remettre en cause l'influence de la France dans cet espace ?

1.2 L'action extérieure de l'Union européenne au Sahel : une « puissance douce »aux effets élusifs sur le terrain

De part les liens étroits qui unissent ses Etats-membres aux pays Sahéliens, il existe des relations fortes entre les Etats de la rive nord de la Méditerranée et ceux du sud de la bande sahélo-saharienne. Sous l'impulsion de la France et avant l'intervention militaire française au Mali, l'UE s'est doté en 2011 d'une «  Stratégie Sahel » face aux crises qui frappent la région. Cette stratégie se veut complémentaire des approches menées par les autres acteurs de la région, et est articulée autour d'une « approche globale » qui lie sécurité et développement. L'UE se préoccupe en réalité de la détérioration de la situation politique, sécuritaire et humanitaire du Sahel depuis les années 2000, mais l'impact de la crise en Lybie et en Syrie l'ont exacerbée. C'est toutefois au cours de la présidence française de l'UE en 2008 que cette les institutions européennes ont véritablement commencé à se préoccuper de la situation de la bande sahélo-saharienne. Les Français ont ainsi fait valoir une sorte de « droit d'aînesse » dans leur zone d'influence pour inciter leurs partenaires européens à un engagement communautaire au Sahel.

La stratégie européenne pour le Sahel se structure autour de quatre priorités complémentaires qui sont le soutien à la gouvernance et au règlement des conflits domestiques, la défense de l'Etat de droit, l'action politique et diplomatique en faveur de la démocratie et la lutte contre l'extrémisme. Dans ce cadre l'UE renonce à une approche bilatérale pour favoriser une approche régionale, mieux à même de traiter les problèmes transnationaux qui se posent dans la bande sahélo-saharienne. La politique extérieure de l'UE s'inscrivait alors dans une perspective de prévention des crises avec une planification des actions sur le long-terme.

Après une phase réflexive et d'élaboration de près de trois ans, cette stratégie a cependant mis beaucoup de temps à se mettre en oeuvre : l'éruption brutale de la crise malienne l'a forcé à mettre en place des politiques humanitaires de très court-terme et des formations sécuritaires à la hâte, au détriment des actions de développement et de soutien à la sécurité de long-terme. La crise malienne a alors de fait transformé la stratégie de l'UE pour le Sahel d'une perspective de prévention à une perspective de réaction. Mais le caractère palliatif des mesures prises dans l'urgence par l'UE au Sahel ne saurait permettre un traitement efficace et pérenne des racines des crises sécuritaires, humanitaires et sociales de la région. En l'absence d'une politique extérieure de défense et de sécurité suffisamment structurée, l'Union européenne, face à la situation d'effondrement du Mali en 2013 et des actions des groupes terroristes dans le nord du pays, a du se contenter de souligner «  l'avance des forces armées maliennes soutenues par la France et la région au détriment des groupes terroristes au Nord du Mali »13(*). Les divisions entre les Etats membres, une solidarité insuffisante et un manque de vision stratégique claire dans le domaine de la défense sont d'autant plus criants qu'à partir de 2013, la France s'est sentie isolée pour assumer la majorité des efforts consistant à défendre des intérêts considérés comme européens. De manière évidente, la volonté d'empêcher la constitution de foyers djihadistes dans la bande sahélo-saharienne est dans l'intérêt de l'UE et de ses membres, car le Sahel est présenté par les diplomates européens comme « la frontière géopolitique » de l'extrême sud de l'UE14(*)15(*). Pour autant, la France reste isolée sur le théâtre militaire, et de nombreuses critiques des Etats-membres mettant en avant le caractère prétendument « néo-colonialiste » de son intervention ont accompagné le déploiement des opérations Serval au Mali puis celui de Barkhane à l'ensemble de la zone sahélienne, ce qui contredit la perspective partagée du Sahel comme frontière géopolitique de l'UE. Par conséquent, il n'y a eu aucune réelle solidarité européenne, ni aucun affichage d'un intérêt commun défendu par l'Union dans la bande sahélo-saharienne, en dépit des enjeux sécuritaires et migratoires que pose le Sahel à l'UE.

La dégradation du climat au Sahel à partir de 2013 ont cependant amené l'UE à engager des activités opérationnelles extérieures dans la région : la mission civile EUCAP Sahel Niger, (2012) la mission de formation militaire EUTM Mali (2013), et la mission de soutien aux capacités de sécurité intérieures du Mali, Eucap Sahel Mali (2015). Ces missions dites de « coopération civilo-militaires » ont pour objectif global de répondre aux besoins opérationnels des armées nigériennes et maliennes. Ces missions portent sur la formation des forces armées maliennes, la dispense de conseils en matière de commandement, de stratégie, de logistique, de contrôle, et de ressources humaines, ainsi que dans les domaines du droit humanitaire international, des droits de l'homme et de la protection des civils. Ces missions ne participent pas à des opérations de combat, et son par essence des missions d'assistance et de formation a destination de 4000 soldats de l'armée malienne. Si la mission EUTM Mali comporte 550 militaires issus de 23 pays membres de l'UE, la France, en tant que nation-cadre, lui fournit 210 hommes et en assume l'essentiel du financement16(*). L'implication de l'UE dans le règlement de la situation militaire et sécuritaire du Sahel apparaît donc ténue : si la Commission a fournit un appui politique manière inconditionnel au déploiement de l'opération Serval, les missions de coopération civilo-militaires n'ont eu qu'un impact limité sur le terrain et ont été jugées sous-dimensionnées, non-opérationnelles et peu efficaces.17(*)18(*) Cela apparaît comme un échec de la politique de défense et de sécurité commune de l'UE, d'autant que le Mali aurait pu servir au déploiement d'un groupement tactique opérationnel de l'UE (EUFOR) au lieu de missions d'assistance non-opérationnelles.

Figure 10 - Les missions de coopération civilo-humanitaires déployées par l'UE au Sahel

Source : Conseil européen de relations internationales

En matière d'assistance financière, l'Union européenne est le premier bailleur de fonds au Sahel en ce qui concerne l'aide publique au développement. Elle y a consacré 2, 7 milliards d'euros sur le période 2007-2013, dont 660 millions d'euros au titre du 10ème fonds européen pour le développement (FED), auxquels se sont ajoutés les 167 millions d'euros pour financer les actions de la stratégie Sahel. L'UE dispose de plusieurs mécanismes et instruments pour administrer l'aide, dont le fonds fiduciaire d'urgence de l'UE pour l'Afrique, créé en 2015. Au Sahel,l'action d'aide au développement de l'UE depuis 2013 se focalise surtour sur le Mali et le Niger, dont l'UE est le premier bailleur sur la période 2013-2017. Parmi les dix premiers pays africains les plus aidés par l'UE, trois sont des Etats de la bande sahélo-saharienne : le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Figure 11 - Répartition géographique de l'APD de l'EU a destination de l'Afrique sur 2013-2017 et ses dix pays les plus aidés (en millions de dollars)

Réalisé avec QGIS : source des données : OCDE

Mais en dépit de cette assistance financière massive, l'aide européenne n'a pas permis d'inverser la tendance générale d'accroissement des inégalités, d'appauvrissement et de dégradation des conditions alimentaires et sanitaires des Etats de la bande sahélo-sahariennes.

Plusieurs facteurs expliquent l'inefficacité de l'aide publique au développement de l'Union européenne dans la bande sahélo-saharienne. En premier lieu, l'aide européenne est soumise à des clauses de conditionnalité en matière de respect des principes démocratiques et de l'Etat de droit, qui sont souvent difficiles à satisfaire pour les Etats en développement.Des conditionnalités de nature économique sont également édictées pat l'UE, Malgré la volonté affichée par les Européens de réduire leur influence, suite aux vives critiques dont elles ont fait l'objet durant les années 1990, ces conditionnalités pèsent encore sous une forme indirecte. Il en va ainsi des mesures préconisées en matière de « bonne gouvernance » et de réformes institutionnelles qui orientent les choix de politiques attendus de la part des bénéficiaires : (libéralisation, transparence des marchés, soutien au secteur privé, etc.). Les modalités de mise en oeuvre de l'aide au développement définies par les institutions européennes au sortir de la guerre froide s'inscrivent dans une perspective administrative et technocratique plus que politique. A titre d'exemple, les institutions européennes ont souvent eu recours aux appuis budgétaires globaux au Sahel, qui limitent la définition d'objectifs précis et d'indicateurs suffisamment détaillés pour mener des projets sectoriels ciblés sur les priorités des Etats sahéliens19(*). Aussi, l'UE semble faire primer dans ses politiques d'aide ses propres priorités sur celles des Etats récipiendaires (bonne gouvernance, genre, droits humains) et a cessé de prioriser les secteurs sociaux dans sa politique d'assistance en Afrique20(*). L'architecture de la coopération européenne, qui est un emboitement complexe de programmes et de lignes budgétaires, tend à formater une approche européenne bureaucratique de l'aide au développement, qui se traduit par des lenteurs dans les délais de décaissement et de mise en oeuvre des projets incompatibles avec la situation d'urgence dans laquelle se trouvent les Etats du Sahel.

Enfin, la fourniture de l'aide européenne se caractérise par l'inadéquation entre l'ampleur des moyens mobilisés et l'efficacité des résultats sur le terrain, en particulier parce que, faute de moyens, la Commission externalise une part de la gestion de l'aide à des ONG ou des bureaux d'études, ce qui entraine un manque de transparence et des irrégularités dans les projets mis en oeuvre. Enfin, reflet du primat sécuritaire et migratoire récemment adopté par l'UE dans ses relations avec le Sahel, les européens externalisent le contrôle de leurs frontières extérieures en utilisant l'aide au développement : les fonds des instruments d'aide au développement européens comme le fonds européen de développement, le fonds de stabilité et le fonds fiduciaire d'urgence sont alloués aux Etats sahéliens qui acceptent de gérer les flux migratoires sur leur sol et de les empêcher d'atteindre les rivages européens21(*). A cet égard, le Niger fait office de partenaire principal des européens pour verrouiller les routes migratoires vers l'Europe. Cette utilisation circonstanciée des fonds de développement ne concourt pas au soutien des Etats sahéliens dans les secteurs prioritaires et sert avant tout les intérêts de court-terme de l'UE et de ses Etats membres22(*).

En définitive, ce qui est reproché à l'action européenne au Sahel, c'est d'avoir en premier lieu privilégié des politiques d'urgence et fragmentaires qui se sont avéré un cache-misère n'ayant pas permis de percevoir la dégradation avancée de la situation sécuritaire et humanitaire dans la zone. Ensuite, c'est bien l'absence d'un véritable système d'alerte au Sahel qui s'est fait ressentir, en dépit de la présence d'un réseau important de délégations de l'UE et de forces spéciales stationnées dans les pays de la région. Les modalités d'administration et de délivrance de l'aide au développement européenne, jusqu'ici principal bailleur de la région, se sont révélées inadaptées aux fragilités des pays sahéliens et n'ont pas permis d'enrayer la pauvreté et l'insécurité alimentaire de la zone. Enfin, au moment de l'élaboration de sa stratégie sahélienne, l'UE n'utilisait pas d'outil exhaustif d'analyse des risques et des conflits, tels que ceux développés et employés depuis plus de dix ans par d'autres acteurs. Par conséquent, il existait dès l'origine un décalage manifeste entre les perceptions européennes des racines crisogènes du Sahel et les attentes des pays de la région. On constate par ailleurs, à la charge de l'UE, que la crise en Lybie n'a pas servi de leçon aux européens : autant ceux-ci n'ont pas fait bloc au moment de la décomposition de l'Etat lybien, autant la crise malienne a révélé une mise en place tardive du volet « sécuritaire » de la stratégie sahélienne. Celle-ci ne s'est finalement traduite que par la mise en place de modestes missions de coopération pour l'essentiel soutenues par la France, preuve des limites de la politique de sécurité et de défense commune de l'UE.L'Union européenne ne saurait ainsi être un acteur de substitution à la présence française au Sahel, que cela soit sur le volet militaire, où sa présence reste élusive et fortement dépendante de la présence française, ni sur le plan du développement, où en dépit des montants mobilisés, sa vision bureaucratique est déconnectée des enjeux et des besoins réels des Etats et des populations de la région.

1.3 La présence américaine dans la bande sahélo-saharienne : un objectif militaire anti-terroriste et un soutien réel mais incertain au développement

Les Etats-Unis ont fait montre d'un regain d'intérêt pour l'Afrique subsaharienne à partir des années post-11 septembre 2001, dans le cadre de leur stratégie globale de lutte contre le terrorisme. L'engagement américain en Afrique n'est cependant pas nouveau, les troupes armées étant présentes sur le territoire depuis les années 1990, dans le cadre de l'opération militaire des Nations Unies (ONUSOM I et II). C'est à partir de cette période que l'administration Clinton élabore certains aspects durables de la politique américaine à l'égard du continent : la perception d'un potentiel économique que les Etats-Unis devraient accompagner, en ayant recours aux échanges commerciaux plutôt qu'à l'aide publique au développement ; le soutien aux leaders africains qui sont prêts à faire entrer leur pays dans le système international et en épouser les valeurs libérales, selon une logique partenariale ; une implication dans le domaine sécuritaire, via la mise en place d'instruments de formation et d'assistance, initialement concentrées sur la préparation aux opérations de paix, au travers de la mise en place de l'Africa Crisis Response Initiative ?en 1996 ; une attention renouvelée sur les questions terroristes après les attentats subis par les ambassades américaines en Tanzanie et au Rwanda, thématique qui polarise progressivement l'approche des Etats-Unis sur le continent.

Mais ce n'est véritablement qu'après les attaques du 11 septembre 2001 que l'Amérique commence à regarder l'Afrique subsaharienne, et la bande sahélo-saharienne en particulier, comme un vaste ensemble de territoires et de pays difficilement contrôlables, dont les institutions étatiques sont faibles, fragiles et/ou défaillantes. Pour Washington, ces fragilités structurelles des États sahéliens forment un terreau propice au développement de zones de non-droits et d'enclaves terroristes islamistes. Au début des années 2000, les Etats-Unis ont ainsi progressivement accru leur présence dans la région sahélienne, à travers la mise en oeuvre de programmes de contre-terrorisme, tels que la Pan Sahel initiative (2002) , le Trans-Saharan CounterTerrorism Partnership (2004), ou plus récemment, la Security Governance Initiative. Ces programmes comportent également des volets d'entraînement et d'équipement des forces armées des pays sahéliens. L'implication croissante des Etats-Unis sur le plan militaire en Afrique subsaharienne a conduit à la création en 2008 du Commandement militaire des Etats-Unis pour l'Afrique (AFRICOM). Si les Etats-Unis ont présenté la création de ce centre comme une volonté de renforcer l'efficacité de leurs opérations de coopération militaire et de contre-terrorisme en Afrique, la création du centre répond également à une volonté de sécuriser l'Afrique de l'Ouest et ses réserves pétrolières, dont les Etats-Unis redécouvrent l'importance stratégique, parallèlement à la déstabilisation du Moyen-Orient23(*). Sous l'administration Obama, la stratégie américaine en Afrique subsaharienne prend pour la première fois une formulation concrète avec la publication en 2012 d'une stratégie nationale pour le continent (Strategy Toward Sub-Saharan Africa), qui dévoile quatre axes d'intervention interdépendants : la progression de la paix et de la sécurité, le renforcement des institutions démocratiques, le soutien à la croissance économique et la promotion des opportunités de développement. Les questions sécuritaires et de terrorisme y occupent toutefois une place centrale et leur résolution est présentée comme un préalable au développement économique.

Dans les faits, AFRICOM se distingue des autres commandements de théâtre par une structure (à forte dimension interministérielle) et par une posture (dispositif léger et dispersé) reflétant clairement la stratégie indirecte et expéditionnaire privilégiée par les Etats-Unis. Les forces présentes sur le théâtre effectuent pour l'essentiel des missions de coopération de sécurité ou d'appui aux opérations de partenaires, mais ne sont pas destinées au combat.Aussi, bien qu'elle soit importante, avec un dispositif de 7500 hommes sur trois théâtres d'opération - Corne de l'Afrique, Sahel et Lybie ( voir annexe 5) 24(*), l'implication militaire américaine en Afrique subsaharienne reste discontinue et parcellaire, et demeure encore très dépendante des crises qui attirent ponctuellement une partie de l'opinion publique américaine. En dépit des discours des autorités, les intérêts économiques des Etats-Unis en Afrique subsaharienne sont limités : avec des échanges de l'ordre de 39 milliards de dollars en 201725(*), l'Afrique subsaharienne était le dernier partenaire commercial des Etats-Unis. Les États-Unis n'y réalisaient que 1,3% de leurs exportations en étant le troisième client de la région, avec seulement 5,8% des importations. Ils ne comptaient que pour 4,6% des exportations, tandis que les échanges demeurent peu diversifiés, avec deux-tiers des flux concernant des produits pétroliers.

Par ailleurs, les fondamentaux de la politique militaire africaine des Etats-Unis (théorie de l'empreinte lègère ou « light footprint » misant sur l'usage de drones et l'emploi de forces spécialeset sa politique stratégique indirecte (« leading from behind » ), n'en font pas un acteur de premier rang dans la crise sahélienne. Leur méconnaissance du terrain et le manque de relais politique et économique ne les place pas comme des acteurs volontaristes dans la zone. Les Etats-Unis font ainsi figure d'allié de la France dans la bande sahélo-saharienne, et appuient l'opération Barkhane dans le cadre du dispositif « Juniper Shield » depuis 2013, qui apporte un soutien logistique à l'armée française tout en coopérant avec celle-ci pour éliminer les chefs des groupes liés à Al-Qaida au Maghreb Islamique et à Daesh dans la région. Les Etats-Unis apportent également leur soutien en matière de renseignement au profit des forces de la région, comme cela fut le cas à Diffa, au Niger face aux groupes affiliés à AQMI et Boko Haram.

En matière d'efforts pour le développement, l'aide bilatérale américaine au Sahel a plus que quintuplé entre 2000 et 2017. En 2017, les Etats-Unis sont devenus le premier bailleur bilatéral du Mali avec 218 millions de dollars versés à ce pays. La croissance de l'aide au développement allouée aux pays sahéliens reflète l'engagement pris par les Etats-Unis de dépenser une part plus importante de leur aide dans les pays les plus pauvres et fragiles au début de la décennie 2000. Cette aide se caractérise par une part très importante d'aide humanitaire (35%) et par un recours exclusif aux dons. Cela constitue un avantage très important pour les Etats sahéliens, dans la mesure ou les financements sont moins conditionnés par la capacité de remboursement des intérêts des prêts que par l'orientation stratégique et la volonté du bailleur américain, jusqu'ici favorable au renforcement de son appui au développement.

Figure 12 - Aide publique au développement bilatérale des Etats-Unis à destination du Sahel en 2017 (en millions de dollars)

Il convient cependant de ne pas exagérer l'implication des Etats-Unis en matière d'aide au développement dans la bande sahélo-saharienne : si les montants sont effectivement élevés et ont connu une forte augmentation, ils ne représentent qu'une faible part de l'aide publique au développement totale des Etats-Unis : en 2017, l'ensemble des flux à destination des cinq Etats du Sahel ne représentait que 1,4% des versements d'aide bilatérale américaine. La bande sahélo-saharienne est loin d'être une priorité de la politique d'aide au développement des Etats-Unis en Afrique, où elle ne compte que pour 3,7% des flux à destination de l'Afrique subsaharienne. Depuis le début de la crise sahélienne en 2013, les Etats-Unis concentrent davantage d'aide au développement vers les pays d'Afrique de l'Est et la corne de l'Afrique. Cela répond à leur volonté de consolider les régions africaines proches du Moyen-Orient et endiguer la circulation de mouvements djihadistes dans cette zone charnière qui ouvre sur leurs alliés pétroliers du Golfe.26(*)

Figure 13 - Répartition géographique de l'aide bilatérale américaine en Afrique sur 2013-2017

Réalisé avec QGIS. Sources des données : OCDE.

En outre, les évolutions récentes de la politique extérieure américaine impulsées par l'administration Trump laissent présager une future réduction des budgets consacrés à l'aide publique au développement. Cela sera en particulier le cas pour les régions jugées «  non prioritaires » pour les Etats-Unis de Trump, dont l'Afrique subsaharienne. La présentation de la nouvelle stratégie américaine en Afrique par le conseiller à la sécurité John Bolton en décembre 2018, a ainsi annoncé un tournant dans la politique de coopération américaine, qui se veut désormais plus sélective : l'aide bilatérale sera réduite et conditionnée au respect des intérêts économiques et stratégiques des Etats-Unis27(*). Ces derniers retrouvent par ailleurs en Afrique une préoccupation qui avait disparu avec la guerre froide, à savoir la place du continent dans les équilibres internationaux. Les Etats-Unis ont ainsi mis en garde les Etats africains sur les dangers représentés selon eux par la présence économique chinoise en Afrique, et contre tout comportement susceptible de porter préjudice aux intérêts américains dans la région28(*).

La récente évolution de la stratégie de développement et de coopération de l'administration Trump laisse penser que certains pays pauvres ou faisant face à des vulnérabilités persistantes risquent d'être délaissés par l'aide américaine. La nouvelle doctrine de coopération de l'US AID est fondée sur le concept de « self-reliance » (« autosuffisance »), qui pose le principe d'une aide au développement accordée aux pays qui montreront des capacités de gouvernance économique assez crédibles pour justifier de l'aide publique au développement américaine, dans une logique d'assistance dégressive avec le temps. Cette approche s'inscrit dans la logique de « rattrapage », l'idée selon laquelle les Etats en difficulté finiront par atteindre le niveau de développement des Etats-Unis, et qu'ils le feront sur leurs propres ressources. Cette vision a récemment été critiquée par Rémy Rioux, le directeur de l'Agence française de développement : «Affecter le financement du développement en fonction de la capacité d'un pays à surmonter ses besoins de financement du développement me semble un peu pervers. C'est une façon de légitimer le désengagement de l'aide américaine vers l'Afrique »29(*). Moins tournée vers l'aide au développement, la stratégie américaine en Afrique semble s'orienter davantage vers la promotion de l'investissement privé et les accords commerciaux bilatéraux, comme en témoigne la création de l'US International Development Finance Corporation, qui encourage l'investissement dans les pays africains. Mais à part cela, peu d'éléments sont susceptibles d'inciter les pays africains à considérer les Etats-Unis comme un partenaire économique privilégié.

Si les Etats-Unis restent un acteur important en Afrique, et en particulier au Sahel sur le plan sécuritaire, la tendance au désengagement sur le volet de l'aide au développement aux Etats fragiles, et leur volonté de lui préférer les investissements privés en font un partenaire inconstant pour les Etats sahéliens, dont les besoins d'assistance restent très importants. L'intérêt des Etats-Unis pour le Sahel reste étroitement lié aux questions terroristes, l'intérêt économique y étant marginal. Si le dispositif militaire américain déployé dans la bande sahélo-saharienne est très important, les Etats-Unis restent pour le moment fidèles à leur approche « light footprint » et n'ont pas vocation à s'engager en première ligne, rôle qu'ils laissent volontairement à la France, qui maîtrise davantage les enjeux politico-sécuritaires de la région30(*).

1.4 La présence chinoise dans la bande sahélo-saharienne : des relations avant tout économiquessans véritable engagement sécuritaire

La Chine fait partie des puissances émergentes qui ont massivement pris pied en Afrique depuis le début des années 2000. Elle y est présente pour des raisons essentiellement économiques et commerciales : la Chine s'est intéressée à l'Afrique subsaharienne comme fournisseur de matière premières, de pétrole et de certains minerais nécessaires à sa croissance en tant qu' « atelier du monde »31(*). Depuis 2009, la Chine est devenu le premier exportateur mondial et le premier partenaire commercial du continent africain. D'après le ministère chinois du commerce, la Chine a exporté en 2017 pour 97,4 milliards de dollars, et importé 75,3 milliards de dollars.La Chine importe d'Afrique du pétrole, des minerais et du bois et y exporte de biens de consommation, dont les téléphones portables, des médicaments, des machines et des véhicules. Dans les pays d'Afrique francophone, et en particulier dans les Etats du Sahel, cela s'est fait au détriment de la France : alors que les parts de marché à l'exportation de la France en Afrique ont été divisées par deux entre 2000 et 2017, celles de la Chine ont été multipliées par six, passant de 3% à 18%. Au Sahel, la Chine est ainsi en 2017, le premier partenaire commercial du Mali, du Niger et du Tchad, et se pose en rival économique de la France dans son pré-carré.

En ce qui concerne les investissements directs à l'étrangers chinois en Afrique, ceux-ci sont relativement faibles, les annuellement de l'ordre de 2 milliards de dollars, soit 4 % des investissements chinois à l'étranger. Même si ceux-ci de plus en plus distribués, d'un point de vue géographique comme sectoriel, ils sont encore largement concentrés aux secteurs pétrolier, des minerais, des télécommunications et des infrastructures. La stratégie chinoise en Afrique se veut partenariale et fondée sur le principe énoncé par les chinois du « gagnant-gagnant ». Sa priorité est de sécuriser les routes commerciales et son approvisionnement en matières premières, et d'offrir des débouchés à ses entreprises sur le continent, dans le cadre de sa stratégie des « Nouvelles routes de la soie ». Pour cela, elle mène une politique de coopération économique qui mêle à la fois les investissements, le commerce et les flux d'aide au développement. Il est cependant difficile de donner une estimation précise du montant de l'aide accordée par la Chine aux pays africains. Ces modalités d'intervention sont cependant connues : les trois modalités de l'aide sont les prêts bonifiés, les projets d'entreprises à cogestion et l'aide sans contrepartie. Cette dernière était estimée à « seulement » 3 milliards de dollars en 2014, tandis que les prêts et les projets d'entreprises représenteraient une part bien plus importante des flux financiers chinois en Afrique.32(*)La politique de coopération économique chinoise diffère des pratiques des bailleurs occidentaux en ce qu'elle n'est assortie d'aucune condition de réforme politique ou de respect des droits de l'Homme. De plus, contrairement aux bailleurs occidentaux, la Chine pratique une politique d' "aide liée", dans laquelle le pays bénéficiaire du prêt doit conclure en priorité des contrats avec des entreprises chinoises afin de mettre en oeuvre les projets financés. Beaucoup des prêts chinois sont également garantis par la livraison de matières premières, alors que les cours ont été globalement orientés à la baisse sur 2008-2017. Cela a pour effet de créer une nouvelle dynamique d'endettement dans les Etats africains ciblés par les projets et les prêts chinois. Le FMI alerte l'augmentation de la dette africaine, en particulier pour les pays déjà lourdement endettés comme la Mauritanie et le Mali. De plus, les pays confrontés aux fluctuations des prix des matières premières tels que le Nigéria et le Tchad sont les plus exposés à ce risque. 

Le véritable avantage de la Chine est sa capacité d'investissement rapide et massive. Elle dispose de réserves très importantes en devises, qui lui permettent de faire des prêts à des taux intéressants aux Etats africains (taux qui restent toutefois supérieurs aux taux concessionnels appliqués par les bailleurs de l'OCDE). La Chine est ainsi devenue le premier créancier de l'Afrique, en s'appuyant essentiellement sur la China EximBank, la banque publique d'import- export, et la China development Bank (CDB). Selon le CARI, un centre de recherche dépendant de l'Université américaine Johns Hopkins, Pékin aurait alloué 95 milliards de dollars de prêts en Afrique entre 2000 et 2017, dont 18,2 milliards pour l'Afrique de l'ouest. Sur la période 2000-2017, l'OCDE estime que les Etats sahéliens, à l`exception du Burkina Faso, ont reçu chacun entre 500 et 1000 millions de dollars de prêts de la part de la Chine.

Figure 14 - Les prêts de la Chine aux Etats d'Afrique de l'Ouest sur 2000-2017

L'aide économique et financière de la Chine est essentiellement tournée vers les pays d'Afrique de l'Est et les pays de l'Afrique de l'Ouest riches en pétrole et en gaz. En ce qui concerne le Sahel, la Chine a choisi d'adopter une approche bilatérale dans ses relations avec les Etats de la région, sur un petit nombre de secteurs permettant une rentabilité de long-terme pour les investissements chinois. La présence chinoise au Sahel se fait notamment sentir au Mali, au Niger et au Tchad33(*). Au Niger, la Chine investit principalement dans les domaines de l'énergie, des mines et de l'immobilier. Le pétrole et l'uranium sont les deux premiers produits importés par la Chine. La coopération militaire y est structurelle, mais non-opérationnelle : les partenariats sino-nigeriens dans le domaine militaires se traduisent par des ventes de matériels chinois (armes, chars) pour un montant de 50 M $ depuis 2006, mais les forces tchadiennes ne se montrent pas satisfaites de la qualité du matériel vendu.

Pour ce qui est du Tchad, la Chine y est présente dans le domaine pétrolier (1,28 md $ sur 2000-2016), les transports et les infrastructures (7,2 md $ sur 2000-2016)34(*). Elle est le premier partenaire commercial du pays et en importe surtout du pétrole ( 99% des importations en 2017). En ce qui concerne leur coopération militaire, la Chine continue de former des officiers tchadiens chaque année et quelques contrats d'armement ont été signés en 2007, 2008, 2010 et 2013 pour 61 m $ au total (blindés, lances-roquettes,etc.). Deux attachés de défense chinois sont présents de manière permanente au Tchad, ce qui illustre l'intérêt que porte la Chine à a stabilité de ce pays, situé aux marges du tracé des Nouvelles routes la Soie en Afrique. Enfin, la Chine est aussi présente au Mali dans le domaine des télécoms, l'industrie pharmaceutique et les infrastructures. Elle est le troisième partenaire commercial du pays et en importe essentiellement du bois (52% des importations en 2017) et des produits végétaux (31%).La proximité politique entre les deux Etats est ancienne : la Chine a été le deuxième pays à reconnaître l'indépendance du Mali en 1960. Sur le plan de la coopération militaire, le Mali a bénéficié depuis 2008 d'une assistance technique et logistique non-létale de la part de Pékin, sous la forme de véhicules et d'équipements légers35(*).

La stratégie mise en oeuvre par la Chine en Afrique de l'ouest est d'ordre économique et commerciale et ouvertement destinée à rééquilibrer la domination française (et occidentale) sur cet espace. La Chine souhaite ainsi devenir un acteur économique majeur en Afrique, et est solidement implantée dans des secteurs stratégiques au Sahel, où elle est en concurrence directe avec la France.

La politique de coopération sécuritaire de la Chine y est cependant effacée et peu opérationnelle, Pékin ne désirant pas se lancer dans des opérations militaires sur le continent. Aussi, sa contribution effective à la résolution de la crise sécuritaire au Sahel est très limitée : Pékin a déployé ses troupes au Sahel dans le cadre de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) de l'ONU en 2013, en soutien de l'opération Serval menée par la France. Les forces chinoises présentes au Sahel ne représentent que 3% des effectifs de la MINUSMA et jouent dans ce cadre un rôle essentiellement symbolique. Elles visent à démontrer la contribution de la Chine à la paix et à la stabilité de l'Afrique. Alors que la présence militaire de la France dans la bande sahélo-saharienne répond à des impératifs stratégiques, celle de la Chine lui sert à manifester sa « puissance retrouvée » et à gagner de l'expérience pour mener ses propres combats contre le terrorisme islamique dans le Xinjang. Les préoccupations de la Chine au Sahel sont la défense de ses intérêts économiques liés aux matières premières, et Pékin délaisse les enjeux sécuritaires qui sont assumés par les occidentaux36(*). Les vrais enjeux pour la Chine sont ailleurs : Pékin conçoit sa trajectoire actuelle comme une revanche sur les occidentaux qui l'ont « humilié » au XIXème siècle, revanche qui se prend en investissant massivement dans les territoires autrefois dominés par les Européens.Dans ce cadre, le Sahel joue un rôle périphérique sans grande importance stratégique pour la Chine, qui joue sur l'asymétrie des relations et de sa diplomatie de la dette pour accroître la dépendance économique des pays africains à son égard pour servir ses propres intérêts.

Au final, il semble que la puissance extérieure dominante dans la bande sahélo-saharienne reste bien la France. En dépit de son désengagement relatif dans la région depuis la fin de la guerre froide, son implication en première ligne sur le volet militaire et sécuritaire l'érige en acteur extérieur principal de la crise sahélo-saharienne. Mais quels sont les objectifs de l'intervention française au Sahel ? Sa politique de développement y est-elle en adéquation avec son implication militaire ?

II- La position française dans la bande sahélo-saharienne depuis l'opération Barkhane : un fort engagement militaire au détriment du financement du développement

2.1 Les raisons de l'intervention militaire de la France dans la bande sahélo-saharienne

Le 11 janvier 2013, le président français François Hollande prend la décision de lancer unilatéralement l'opération « Seval » dans le nord du Mali afin de stopper l'avancée des forces djihadistes vers les villes de Bamako et Mopti. L'offensive éclair menée par les groupes terroristes du Mouvement de libération de l'Azawad (MNLA) , de l'Ansar Eddine avait pris de court les observateurs français et leurs homologues maliens, menaçant directement la capitale malienne, où résident plus de 6000 expatriés français. Le président intérimaire malien Dioncounda Traoré demande, le 9 janvier 2013, à François Hollande une « intervention aérienne immédiate » pour aider l'armée malienne à protéger la ville de Mopti. Mais la France ne se contente pas de fournir un appui aérien : considérant que le déploiement des troupes africaines de soutien au Mali (MISMA) décision est prise, de déployer des milliers d'hommes au sol pour contrer les 2 000 à 3 000 djihadistes combattants sur le terrain.

En trois mois, l'armée française a su déployer une force d'intervention considérable de plus de 5000 hommes, dont 4000 au Mali, dans un des pays les plus pauvres de la planète, aux structures étatiques défaillantes, avec une armée nationale divisée, peu entraînée et incapable d'endiguer l'offensive djihadiste. L'engagement rapide de l'armée française a dessiné une guerre-éclair en trois étapes s'est déroulée au Mali : la destruction des convois des groupes salafistes combattants, la reconquête par l'armée française des trois villes du Nord-Mali (Gao, Kidal, Tombouctou), et la traque et des derniers combattants dans les déserts et les montagnes du Nord du pays jusqu'en 2014.

L'intervention française au Mali a été saluée pour son efficacité, ses coûts financiers relativement peu élevés et sa stratégie de communication qui a su justifier de combattre des terroristes au corps à corps sur le sol malien. La recrudescence et l'intensification des attaques terroristes à partir de juin 2014 au Mali, au Niger et depuis 2015 au Burkina Faso a amené la France à lancer l'opération Barkhane, qui s'étend sur la zone du « G5 Sahel », comprenant le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. La légitimité du déploiement de Barkhane s'articule autour d'une logique duale de « guerre contre le terrorisme » et de partage des tâches entre les forces françaises et les forces onusiennes de la MINUSMA, déployées sur le terrain depuis 2013 et qui ont vocation à faciliter la sortie politique du conflit malien37(*). L'accent mis par les autorités françaises sur la lutte contre la violence islamiste et terroriste a ainsi réaffirmé la posture militaire française au Sahel. L'opération Barkhane est donc un vaste dispositif contre-terroriste dans la bande sahélo-saharienne, appuyé logistiquement par les Etats-Unis et soutenu politiquement par l'UE et les régimes de la bande sahélo-saharienne, dont l'opération française assure la stabilité et la sécurité. Parallèlement au déploiement de Barkhane, la France a soutenu la création de la « force G5 Sahel » Après cinq ans de présence dans la zone cependant, le bilan de l'intervention française est mitigé : si les structures étatiques maliennes ont été sauvegardées, la violence s'est néanmoins propagée à l'ensemble des pays du G5 Sahel, sans qu'une résolution politique du conflit ne soit rendue possible en dépit des accords d'Alger.

L'intervention française au Mali comporte également une dimension de sécurisation des frontières européennes et l'endiguement des mouvements migratoires à destination de l'Europe. Du fait de ses frontières poreuses, de la défaillance de l'Etat et de la présence de groupes criminels, la bande sahélo-saharienne est une zone de transit et de passage des migrations illégales vers le Nord. La présence militaire française se veut être un soutien aux institutions et aux régimes de la région afin que ceux-ci puissent retenir les migrants sur leur sol. La question migratoire est une problématique qui se pose avec acuité aux Européens depuis 2013, que les crises humanitaires et sécuritaires du Sahel n'ont fait que renforcer.

La France est ainsi en première ligne pour sécuriser la frontière sud du voisinage de l'Europe qu'est le Sahel. La prise de conscience des Européens de l'interdépendance existant entre l'Europe et les états de la bande sahélo-saharienen n'a cependant pas poussé l'Europe a adopter une approche coordonnée de la question sahélienne, laissant de fait à la France le rôle de « gendarme » européen de la région. L'armée française a ainsi un objectif de stabilisation des institutions étatiques des membres du G5 Sahel, qui passe non seulement par l'éradication de la menace terroriste, mais aussi par la prévention des flux migratoires qui font pression sur les frontières des états sahélo-sahariens, les Etats du Maghreb, en particulier l `Algérie, et les frontières européennes. A cet égard, le chef d'état major des armées, le général François Lecointre, a souligné en juillet 2019 l'importance de la présence française au Sahel : « Si on n'est pas là, si on part demain et si avec les Européens qui nous accompagnent dans la gestion de cette crise très grave nous n'agissons pas, ces pays s'effondreront sur eux-mêmes, le terrorisme s'y développera de façon incontrôlée, pourra éventuellement gagner et s'exprimer ensuite en France et en Europe et par ailleurs on connaîtra des phénomènes de migration absolument phénoménaux »38(*).

En outre, une déstabilisation des Etats sahéliens pourrait provoquer des migrations régionales de grandes ampleur, en particulier vers les pays côtiers d'Afrique de l'Ouest, dont les fragilités sont réelles en dépit de leur forte croissance économique. L'irruption massive de migrants sahéliens, et la circulation des groupes terroristes vers ces régions serait de nature à fragiliser des économies dynamiques et exacerber les tensions politiques en côte d'Ivoire, au Sénégal ou au Nigéria, des pays dans lesquels la France possède des intérêts économiques et commerciaux importants et où elle a conclu des accords de défense qui l'obligeraient à ouvrir de nouveaux fronts d'opérations en Afrique de l'Ouest.

La présence de la France répond aussi à la sécurisation d'intérêts économiques dans la bande sahélo-saharienne. Si ceux-ci ne sont jamais mis en avant par les responsables politiques français pour éviter toute-accusation de « néo-colonialisme » à l'endroit de leur politique sahélienne et de maintien de la « Françafrique », ils demeurent néanmoins en arrière-plan de l'intervention au Sahel. La protection des exploitations d'uranium au Niger par Orano (ex-Areva), qui assure encore 13% des approvisionnements des centrales nucléaires de la France en 2017, est ainsi importante dans une optique de sécurisation des approvisionnements énergétiques. L'implantation relativement récente de Total en Mauritanie (2005), et son renforcement récent dans le pays avec la délivrance de nouveaux permis d'exploitation pétrolière, peuvent aussi justifier l'accroissement de la présence française au Sahel. Si le Mali n'est pour l'instant pas un grand producteur d'hydrocarbures, son sous-sol renferme des minerais d'or, de bauxite ainsi que de réserves de pétrole et d'hydrogène naturel, qui sont susceptibles d'attiser les convoitises, et qui représentent des segments d'exploitation potentiels pour les entreprises françaises sur le long-terme. Sa position centrale dans la bande sahélo-saharienne, en tant que pays frontalier du Niger, de l'Algérie et de la Mauritanie, trois producteurs d'hydrocarbures et de matières énergétiques à destination de l'Europe et de la France, rend sa stabilisation stratégique pour les intérêts français, même si l'intérêt économique de la France pour le Mali reste limité39(*).

En outre, les entreprises françaises disposent d'un stock important d'investissements directs à l'étranger en Afrique subsaharienne, particulièrement dans les domaines extractifs et immobilier, dans les Etats sahéliens ( Niger, Mali) et dans les pays situés en bordure de la bande sahélo-saharienne comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Nigéria. La France dispose ainsi en 2018 du troisième stock d'IDE en Afrique subsaharienne, dont la préservation dépend de sa capacité à stabiliser la région sahélienne. De plus, dans les pays membres de la zone franc les entreprises bénéficient des avantages liés à la monnaie unique, à la langue française, des mécanismes de coopération monétaire et d'appuis directs de l'État français, des garanties de la COFACE (la société garantissant les risques des exportateurs français), et de réseaux anciens qui assurent encore à la France un soft power et une présence économique encore significative en Afrique subsaharienne, même si sa position a reculé au profit de la Chine.

La France se doit aussi de protéger ses ressortissants présents dans les pays de la bande sahélo-saharienne : il y a près de 15 000 français dans les pays du G5 Sahel en 2019, d'après le Ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Ceux-ci font figure de cibles privilégiées des groupuscules terroristes, et sont menacés par les désirs de vengeance de ceux qui sont opposés à la présence de la France sur leur sol.

Pour la France, l'opération Barkhane est également l'occasion de reprendre pied en Afrique subsaharienne et de réaffirmer sa capacité à assumer un rôle de puissance-cadre et des compétences de « hard power » dans un espace où elle n'a jamais véritablement été contestée, en dépit de la normalisation de ses relations avec ses partenaires africains après la guerre froide. A cet égard, le Mali faisait jusqu'ici office de pays modèle de la francophonie, partiellement émancipé du système de la « Françafrique » en refusant depuis son indépendance la signature d'accords de défense avec la France, et les élites maliennes se soumettaient à des élections apparemment libres et régulières depuis 1991. Mais la dégradation de la situation sociale, politique et économique et sécuritaire ont donné l'occasion à la France de renouer avec une présence musclée durable en Afrique, en réactivant le dispositif militaire français présent en Afrique hérité de la décolonisation et de la guerre froide (bases militaire au Sénégal, Côte d'Ivoire, Tchad, Djibouti, troupes françaises pré-positionnées,etc.). A la suite de l'intervention militaire au Mali et au déploiement de l'opération Barkhane, il semble que la France ait renforcé sa prééminence en tant que puissance tutélaire de la bande sahélo-saharienne en signant finalement des accords de coopération de défense avec le Mali en 2014, puis avec le Burkina Faso en 2015. La présence française au Sahel répond ainsi à une volonté géopolitique de réinvestir son pré-carré en passant par le volet militaro-sécuritaire, quitte à renouer avec une posture dénoncée comme « néocoloniale » par une partie de l `opinion publique africaine méfiante à son égard et envers les régimes qu'elle soutien au Sahel.

La stratégie française dans la bande-sahélo-saharienne est donc dominée par un prisme sécuritaire, à la fois pour des raisons historiques et politiques. La « guerre contre le terrorisme » et les violences extrémistes au Sahel ont servi à justifier un déploiement massif de l'armée française, sur un espace opérationnel régional inédit, appuyé par les Etats-Unis, l'ONU et l'Union européenne. La France possède des intérêts économiques, politiques et sécuritaires certains dans la région sahélienne. Les deux premières années de déploiement de l'opération Serval ont été un succès, mais l'opération Barkhane présente aujourd'hui un bilan mitigé : elle a certes permis l'élimination de plusieurs chefs djihadistes qui opéraient au Mali, au Niger et la sauvegarde des régimes en place, mais la situation sécuritaire s'est néanmoins continuellement dégradée depuis 2014. Avec 4500 soldats pour couvrir une zone désertique de 5 millions de kilomètres carrés, la dispersion des djihadistes dans l'ensemble de la région, la faiblesse des pouvoirs régaliens en place, la dégradation de la situation économique des Etats du G5 Sahel et l'hostilité croissante de certaines populations envers la présence française, qui la perçoivent de plus en plus comme une force d'occupation et qu'elles soupçonnent de promouvoir un agenda laïc voire antimusulman, font craindre à de nombreux observateurs le risque d'un enlisement français au Sahel.

Figure 16 -L'environnement stratégique de l'opération Barkhane au Sahel

Au Mali, l'insécurité s'est propagée dans le centre du pays, et le processus politique issu des accords d'Alger semble aujourd'hui au point mort, ce qui laisse présager que la crise politique malienne est appelée à durer. Les engagements sur le terrain ont aussi mis en évidence les limites et les contradictions de la politique française de lutte contre le terrorisme au Sahel. D'un côté, les discours officiels de la présidence de la République mettent l'accent sur le caractère transnational d'une menace sécuritaire qui proviendrait du monde arabe et de la prolifération dans le sud du Sahara des groupes affiliés à l'Etat islamique et Al-Qaïda. De l'autre, l'armée française a  été spécifiquement déployée dans des pays francophones d'Afrique de l'Ouest, en l'occurrence ceux avec qui avaient été signés des accords de défense. Cette approche néglige la partie orientale du Sahel, à l'exception de brèbes de brèves incursions des forces françaises en direction de la Somalie ou de Djibouti.

2.2 Les efforts militaires de la France au Sahel surpassent ses efforts de financement du développement

De cette vision principalement sécuritaire de l'intervention française découle un déséquilibre entre les efforts en matière de sécurité de la France et ceux engagés pour le financement du développement. En ce qui concerne les dépenses militaires, au sein du budget du Ministère des armées, les crédits alloués aux opérations extérieures de la France sont votés selon les dépenses mises en oeuvre l'année du vote du budget ainsi que des projets de déploiement et/ou de retraits de troupes. La provision budgétaire, inscrite dans la loi de finances initiale, est destinée à financer les dépenses supplémentaires qui sont liées à de nouvelles opérations extérieures non-prévues. Il est ainsi fréquent que le budget prévu et voté soit en inadéquation avec les dépenses réelles effectuées en cours d'année.

Pour 2014, le gouvernement prévoyait une diminution du coût des opérations extérieures avec le retrait des troupes françaises d'Afghanistan et du Mali. Au final, la dégradation de l'environnement sécuritaire malien au cours de l'année 2013 a rendu nécessaire le maintien de l'armée française sur place.

Figure 17- Provisions et surcoûts des OPEX 2009- 2017

Source : projets de loi de finance (2009-2017)

Alors que la loi de programmation militaire prévoyait un coût des OPEX de 450 millions d'euros sur la période 2014-2019, les dépenses réelles effectuées au titre des OPEX ont été de 1,11 milliards d'euros en 2014, 1,09 milliard en 2015 et 1,17 milliards en 2016. Cette hausse des dépenses provient de l'accroissement des surcoûts liés aux opérations françaises dans le Sahel : jusqu'en 2012, les OPEX françaises dans la bande sahélo-saharienne ne représentaient qu'une faible part des dépenses de l'Etat dans les opérations extérieures, la France n'étant présente dans la région qu'au travers des opérations Epervier et EUFORTCHAD au Tchad. A partir de 2013, la France s'implique davantage dans la bande sahélo-saharienne au travers de l'opération Serval et du déploiement de la MINUSMA et de l'EUTM Mali, faisant du Sahel le principal théâtre d'opération des forces françaises. La figure ci-dessous met en évidence l'importance prise par le Sahel dans les dépenses militaires françaises à partir de 2013.

Figure 18 - Dépenses militaires françaises au Sahel 2009-2017

Source projet de loi de finances 2009-2017

L'opération Barkhane est ainsi la deuxième intervention extérieure en termes d'effectifs et de budget, derrière la MINUSMA (à laquelle la France contribue financièrement à hauteur de 7%), et la première force militaire unilatérale présente dans la bande sahélo-saharienne. Selon les dernières données disponibles dans les projets de loi de finances 2019, les dépenses militaires de la France dans la bande sahélo-saharienne se sont élevées à 689 millions d'euros en 2017, ce qui représente 50% du total des dépenses militaires de la France pour cette même année. En 2015, la France assumait par ailleurs 45% de l'effort militaire de l'ensemble de la communauté internationale au Sahel, en incluant les dépenses militaires des pays du G5 Sahel. Cela illustre la très forte implication militaire de la France au Sahel ainsi que la dominance du prisme sécuritaire dans la politique sahélo-saharienne de la France par rapport aux autres acteurs internationaux.

Il est par ailleurs intéressant de comparer les dépenses militaires de la France dans la bande sahélo-saharienne avec les flux d'aide publique au développement qu'elle accorde aux pays du G5 Sahel. Cela permet d'estimer l'importance accordée par la France aux enjeux de développement dans la région et d'y mesurer ses efforts réels en matière de stabilisation d'une zone en proie à de nombreuses vulnérabilités de développement. La stratégie sahélienne de la France repose, à l'instar de la stratégie européenne, sur l'articulation entre les «  3D », à savoir, «  Diplomate, Défense, Développement ». Au delà des discours politiques, on peut ainsi se demander quelle est l'importance accordée au Sahel dans la politique d'aide au développement de la France, et si celle ci est en adéquation avec son implication militaire dans la région.

Sur la période 2009-2017, au début de laquelle la France est présente en OPEX au Sahel au Tchad, la France a alloué 2,6 milliards de dollars d'aide publique programmable brute par le canal bilatéral aux cinq pays de la bande sahélo-saharienne. Dans le même temps, ses dépenses militaires dans le Sahel s'élèvent à 4,1 milliards de dollars. Pour l'année 2017, les dépenses militaires françaises au Sahel se chiffrent à 778 millions de dollars, pour une aide bilatérale programmable de 360 millions de dollars.

Figure 19 - Comparaison entre l'aide bilatérale de la Franceaux Etats du Sahel et ses dépenses militaires dans la région

Source : Projets de loi de finance (2010-2017) ; donnnées de l'OCDE

Le coût de l'effort militaire français est donc bien supérieur à ses versements d'aide bilatérale programmable. Ce déséquilibre est persistant depuis l'intervention française au Mali, et risque de confiner la France dans un rôle de gendarme de la bande sahélo-saharienne, reléguant ses relais de coopération pour le développement au second plan. D'autres puissances joueraient ainsi un rôle de bailleur et de financeurs du développement, un partage des tâches qui peut potentiellement nuire à la présence française au Sahel, si celle-ci n'est perçue que comme une force militaire déconnectée des enjeux de développement de la région.

La France place pourtant depuis plusieurs années les Etats du Sahel sur sa liste des pays prioritaires de sa politique de coopération pour le développement, mais cela ne se transcrit pas dans les montants alloués à ces pays. En 2017, l'aide publique au développement nette totale (bilatérale et multilatérale) de la France a représenté 10,3 milliards d'euros (11,4 milliards de dollars). Elle est le cinquième bailleur bilatéral en termes de montant d'aide publique déclaré. Cependant, son aide publique au développement représente 0,43% de son revenu national brut en 2017, loin de la cible des 0,7% définie par l'ONU. Pour 2017, la France n'a alloué que 4,9 % de son APD totale aux Etats de la bande sahélo-saharienne, et 5,3 % de son aide bilatérale.

Il semble par ailleurs qu'en dépit des discours et des publications du comité interministériel pour la coopération et le développement, la bande sahélo-saharienne ne fasse pas partie des priorités de la politique d'aide publique au développement de la France en Afrique subsaharienne : la part de l'aide bilatérale versée au Burkina Faso, au Mali, au Niger, à la Mauritanie et au Tchad en 2017 représentait seulement 16% de l'APD totale de la France à l'Afrique subsaharienne, et 22% de son aide bilatérale. De manière générale, la part de l'aide bilatérale allouée par la France à l'Afrique subsaharienne a fortement diminué depuis le début de la décennie 2000, une tendance suivie par les versements alloués aux cinq états de la bande sahélo-saharienne. En 2002, la part de l'aide bilatérale allouée à l'Afrique subsaharienne était de 53%, contre 23% en 2017.

Figure 20 - Part de l'aide bilatérale allouée à l'Afrique subsaharienne depuis 1990

Source des données : OCDE

Aussi, aucun pays de la bande sahélo-saharienne ne figure parmi les dix premiers récipiendaires de l'aide bilatérale française en 2017. Le Mali figure en 15ème place, le Tchad en 16ème place, le Burkina Faso en 19ème place, le Niger à la 22ème place et la Mauritanie à la 46ème place.

Figure 21 - Répartition géographique de l'aide bilatérale française en 2017

Réalisé avec QGIS. Source des données : OCDE

Figure 22 - Les dix premiers bénéficiaires de l'aide bilatérale nette de la France en 2017 (en millions de dollars)

Source des données : OCDE

Depuis le début de la crise sahélienne et l'engagement militaire de la France en 2013, jusqu'en 2017, il semble que peu d'impulsions aient été données pour réorienter la politique d'aide au développement vers les pays de la bande sahélo-saharienne. Ceux-ci ne semblaient pas faire partie des cibles prioritaires de l'aide bilatérale française sur 2013-2017, période au cours de laquelle sont engagées successivement les opérations Serval et Barkhane : comme Etat sahélien, seul le Mali faisait partie des dix premiers bénéficiaires de l'APD bilatérale française sur cette période ( voir figure 25).

Figure 23 - Répartition géographique de l'aide bilatérale française sur 2013-2017

Réalisé avec QGIS. Source des données : OCDE

Figure 24 - Les dix premiers bénéficiaires de l'aide publique au développement bilatérale française sur 2017-2022(en millions de dollars)

Figure 25 - Les dix premiers bénéficiaires africains de l'APD bilatérale française sur 2013-2017

Source des données : OCDE

En outre, les versements de l'aide multilatérale de la France au pays sahéliens n'étaient que de 152 millions d'euros en 2017, soit seulement 3,2 % de l'aide multilatérale française.

Paradoxalement, les orientations de l'aide publique au développement de la France ne sont pas alignées avec les efforts militaires et sécuritaires qu'elle fournit dans la bande sahélo-saharienne. Les cinq Etats du Sahel n'ont pas réellement été priorisés jusqu'ici par l'aide française ? Il existe par conséquent un décalage important entre l'importance géostratégique et géopolitique de la bande-sahélo-saharienne pour la France et le ciblage géographique de son aide publique au développement. Comment peut-on expliquer cela ?

2.3 L'aide publique au développement de la France est devenue inadaptée à l'assistance aux Etats sahéliens

Ce décalage peut s'expliquer selon plusieurs facteurs qui tiennent à la fois à l'organisation de l'aide française et à sa structure. Comme pour l'ensemble des bailleurs du Comité d'aide au développement de l' OCDE, les montants affichés par la France en matière d'aide publique au développement sont trompeurs : si elle est bien le cinquième donateur mondial en 2017 avec 10,3 milliards d'euros, l'effort budgétaire effectif de la France en matière d'aide au développement en 2017 est de l'ordre de 3 milliards d'euros. Cela provient du fait que la comptabilisation des flux d'aide par le Comité d'aide au développement comprend de nombreuses opérations financières qui ne sont pas effectivement allouables géographiquement (frais d'écolages, couts des réfugiés, frais administratifs). Le budget effectif que la France alloue à la politique d'assistance économique et financière pour le développement est donc bien moindre que les montants affichés, qui respectent les critères du CAD, mais qui autorisent également des subtilités statistiques qui viennent augmenter les chiffres de l'aide au développement.

Dans cet effort budgétaire, la France se distingue des autres grands bailleurs par un recours plus important aux canaux multilatéraux pour distribuer son aide publique au développement. A titre d'exemple, sur un effort budgétaire de 2,8 milliards d'euros en 201840(*), les institutions onusiennes, l'Union européenne et les banques multilatérales de développement recevaient ainsi 1,6 milliards d'euros de crédits de la France en 2018. Budgétairement parlant, l'aide multilatérale compose ainsi 57% des crédits de la mission « aide au développement » en 2018. Ce choix remonte aux années 1980-1990, au moment où la politique africaine de la France amorce une sortie du « pacte colonial » et se désengage financièrement de l'Afrique subsaharienne au profit de la coopération avec l'Union européenne et des institutions internationales telles que le FMI et la Banque mondiale.

Dans le même temps, la France a réaligné ses secteurs d'interventions sur les priorités de l'Union européenne et le financement des biens publics mondiaux (environnement, gouvernance, démocratie, respect des droits de l'Homme). Cette réorientation de la coopération vers le multilatéralisme se traduit politiquement par le discours prononcé par François Mitterrand à la Baule en 1990, qui conditionne l'aide publique au développement de la France aux pays africains à la démocratisation des régimes politiques du continent, et par la « doctrine Balladur » de 1994, par laquelle la France soumet l'allocation de son aide au développement au respect des conditionnalités du FMI et l'entreprise de programmes d'ajustements structurels. L'aide multilatérale a dès lors pris une part croissante dans les flux d'APD de la France. Alors qu'elle représentait 13% de l'aide totale en 1990, elle en représente près de 40% en 2017. Celle-ci a contribué en partie à réorienter l'aide au développement de la France vers d'autres géographies comme l'Asie orientale et l'espace méditerranéen, qui apparaissent dans les orientations géographiques du CICID de 1998, ainsi que les pays d'Europe de l'Est et la CEI qui ont fait l'objet d'une attention particulière de la politique de coopération des institutions européennes dans le cadre de la politique de voisinage en vue leur intégration au marché commun.

Figure 26 - Evolution de l'aide multilatérale dans l'APD totale de la France sur 1990-2017 (en millions de dollars)

Source : données de l'OCDE

Mais la multilatéralisation accrue de l'aide au développement de la France, a eu pour conséquence d'affaiblir la capacité de piloter et d'orienter les fonds vers les régions et les secteurs stratégiques pour la France. L'aide multilatérale présente des faiblesses importantes qui sont de nature, d'après Serge Michailof, ancien directeur des opérations à l'AFD et spécialiste de l'aide au développement passé par la Banque mondiale, à remettre en cause le bien fondé d'une allocation multilatérale aussi importante pour l'aide française : les institutions internationales souffrent d'après lui d'une expertise inadaptée dans beaucoup de pays francophones, d'un éloignement du terrain et d'une approche techno-administrative du développement41(*). La barrière de la langue est également un handicap pour certaines institutions qui ne peuvent s'appuyer que sur un petit nombre d'experts francophones pour mener des missions dans les Etats sahéliens. Le désintérêt historique et le manque d'expertise de ces institutions sur l'un des enjeux critiques pour les Etats subsahariens que sont les questions de développement agricole et rural, rend leurs interventions inadaptées aux attentes et besoins urgents des populations sahéliennes. Alors que l'Union européenne est le principal canal multilatéral par lequel transite l'aide française, elle sous-traite souvent certaines missions dans le domaine agricole, éducatif et sanitaire à l'AFD, qui dispose d'une expertise historique sur ces questions et d'une meilleure connaissances des enjeux et des territoires africains que l'UE. L'aide multilatérale est par ailleurs fortement dispersée et n'est pas en lien avec les priorités géopolitiques de la France au Sahel, conséquence de la multiplication des fonds et des initiatives multilatérales auxquels concourent la France, de la complexité de leurs interactions de leurs articulations, les priorités géographiques concurrentes ainsi de la lourdeur administrative des institutions internationales. En outre, la France utilise très peu le canal extra-budgétaire (« non-core financing »), qui permet de flécher des contributions multilatérales vers des zones ou pays particuliers. L'aide multilatérale fléchée vers les pays du Sahel ne représentait ainsi que 14 millions d'euros en 2014. En 2017, l'aide multilatérale de la France, d'un montant de 4,6 milliards d'euros, se répartissait selon la figure ci-dessous :

Figure 27 - Répartition géographique de l'aide multilatérale française en 2017

Réalisé avec QGIS. Source des données : OCDE

Parmi les dix premiers pays récipiendaires de l'aide multilatérale de la France, en 2017, il n'y avait aucun pays Sahélien, et seul le Sénégal y est présent en tant que pays pauvres prioritaires défini par le CICID de 2016. Les Etats d'Afrique de l'Est anglophones sont, l'Inde, la Turquie et le Maroc sont parmi les principaux bénéficiaires de l'aide multilatérale, ce qui traduit la forte dispersion des crédits transitant par ces canaux vers différentes régions du monde (Asie, Maghreb, Proche-Orient, Afrique de l'Est). Le recours accru au canal multilatéral ne permet donc pas de cibler les pays prioritaires de l'Afrique de l'ouest francophone, et a fortiori les Etats sahéliens (voir figure 28). En 2017, le Mali était seulement le 19ème récipiendaire d'aide française multilatérale avec 54 millions d'euros, et le premier Etat sahélien ciblé par l'aide multilatérale.

Figure 28 - Les dix principaux récipiendaires de l'aide multilatérale française ( en millions de dollars)

.

Source des données : OCDE

Un second élément qui rend difficile le ciblage de l'aide publique au développement française concerne les modalités d'allocation de l'aide bilatérale. Cela concerne en particulier à un choix politique et budgétaire qui remonte à une vingtaine d'années par les pouvoirs publics d'avoir recours aux de prêts concessionnels comme instruments privilégiés de l'aide bilatérale plutôt qu'aux dons-projets.

Si l'on reprend l'exemple des crédits budgétaires programmés pour 2018 dans la loi de finance, la mission « aide publique au développement » s'élève à 2,8 milliards d'euros, dont 1,6 milliards d'euros qui transitent par les canaux multilatéraux, ce qui laisse 1,2 milliards d''aide bilatérale que la France peut allouer à ses pays prioritaires. Sur ces 1,2 milliards, qui transitent principalement par l'Agence française de développement, les ressources en dons-projets s'élèvent à 280 millions d `euros pour les 19 pays prioritaires de l'aide française (soit une moyenne de 15 millions d'euros par pays par an). Ces montants sont largement insuffisants pour financer des actions de développement tangibles au Sahel : les cinq pays de la bande sahélo-saharienne ont seulement reçu en moyenne 60 millions d'euros par an depuis 2010, des montants très faibles au regard des besoins des pays et des populations de la bande sahélo-saharienne. Ceci alors que près de 4000 soldats français y sont déployés depuis 2013 dans le cadre de l'une des plus grandes opérations militaires mise sur pied par la France après la guerre froide. L'aide bilatérale française est par conséquent du « saupoudrage » sur les pays prioritaires de la coopération pour le développement, ce qui ne lui permet pas jusqu'ici d'avoir une véritable stratégie d'appui bilatéral significatif pour une zone d'importance stratégique comme le Sahel. Ceci est une conséquence de l'insuffisante dotation en dons de l'AFD par rapport aux prêts.

Figure 29 - Evolution de la part des versements des prêts bruts et des dons dans l'aide de type projet allouable sur des géographies et des secteurs spécifiques sur 2006-2017 ( en millions de dollars)

Source des données : OCDE

Le recours privilégié aux prêts dans l'aide bilatérale n'a jamais fait l'objet d'un arbitrage politique explicite. Il est possible que les raisons de ce choix résultent d'une volonté de la part des pouvoirs publics, en particulier des ministères économiques et financiers, de maximiser le volume d'aide déclaré tout en minimisant le coût pour les finances publiques. La conversion de l'AFD au logiciel néo-libéral dans les années 1990, et son double statut spécifique d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et d'établissement de crédit, qui lui permet d'émettre des obligations pour financer ses prêts, a contribué à faire du prêt l'instrument-phare de l'aide française. Les prêts concessionnels permettent en effet à l'AFD de bénéficier d'un important d'effet de levier, pour lequel 1 euro de crédit budgétaire sous forme de prêt « fabrique » entre 10 et 12 euros d'aide publique au développement brute42(*). Les prêts disposent certes de certains avantages : ils peuvent s'auto-alimenter grâce aux remboursements des pays en développement, incitent davantage à la discipline budgétaire, et permet de lisser plus rapidement les effets de la conjoncture économique car plus facilement mobilisables que les dons43(*). Cependant, accorder des prêts implique un remboursement au bailleur, qu'il n'est raisonnable d'attendre que de la part de pays disposant d'une capacité de gestion et d'un niveau de développement déjà solide, ce qui ne correspond pas à la situation des Etats subsahariens, qui ont par ailleurs fait l'objet d'initiatives de désendettement massif dans les années 1990 (initiative dite « pays pauvres très endettés » - PPTE).

Le recours accru aux prêts a ainsi éloigné l'aide au développement bilatérale française de l'Afrique subsaharienne et francophone pour se tourner davantage vers les pays émergents ( Brésil, Mexique, Afrique du Sud, Inde, Turquie), les pays asiatiques et les pays les plus développés d'Afrique de l'Est. En 2017, les principaux bénéficiaires de l'aide bilatérale française sont aussi les principaux bénéficiaires de prêts concessionnels. La différence des montants d'aide projets accordés sous forme de prêts et de dons en 2017 est saisissante (voir figure ci-dessous). Si trois pays sahéliens figurent parmi les dix pays les plus aidés par les dons-projets bilatéraux, les montants accordés sont très faibles par rapport aux montants accordés en prêts. Le Mali a reçu 16 millions de dollars en aide projet bilatérale de la part de la France en 2017. Seul un pays d'Afrique subsaharienne francophone , le Cameroun, fait partie des dix premiers bénéficiaires de l'aide-projet sous forme de prêts, les autres étant des pays d'Asie du Sud-Est, d'Amérique latine ou du Proche-Orient.

Figure 30 - Comparaison des dix premiers bénéficiaires de prêts et des dix premiers bénéficiaires de dons bilatéraux sur de l'aide-projet en 2017 (en millions de dollars)

Source des données : OCDE

La prépondérance des prêts et l'insuffisance des dons ont par ailleurs des conséquences sur la capacité de la France à peser dans les orientations des institutions multilatérales de développement. La faiblesse des dotations en dons et en subventions ne permet pas à la France d'orienter les projets des organisations internationales vers les pays prioritaires, qui exigent des co-financements subventionnés (où il suffirait d'apporter 15% du financement total pour être en mesure de l'orienter). Au contraire, les Britanniques, par exemple, sont habiles à se servir de l'effet de levier de subventions plus importantes et sont ainsi capables de mobiliser des sommes importantes dans les pays qu'ils considèrent comme prioritaires en bilatéral comme en multilatéral44(*) (voir figure ci-dessous)

Figure 31- Comparaison des montant en dons sur de l'aide projet entre la France et le Royaume-Uni - 10 premiers bénéficiaires respectifs (en millions de dollars)

Source des données : OCDE

De par la préférence budgétaire accrue accordée au canal multilatéral d'une part, et la prévalence des prêts concessionnels par rapport aux dons-projets sur le volet bilatéral d'autre part, la politique d'aide au développement française a été «  dé-géopolitisée » Elle s'est retrouvée ainsi démunie pour faire face aux besoins des Etats sahéliens au début de la crise de 2013. Sur le plan géographique, l'aide française s'est mondialisée en allant cibler des pays hors du champ d'influence traditionnel de la France, dont des pays émergents et des pays à revenu intermédiaire auxquels la France pouvait accorder des prêts. Sur le plan sectoriel, conséquence de sa multilatéralisation accrue, elle s'est alignée sur le financement des biens publics mondiaux promus par l'UE et les institutions multilatérales, au détriment du financement de certains secteurs-clés pour les Etats sahéliens comme le développement rural. L'insuffisance de ses ressources en dons pour alimenter de l'aide-projet bilatérale et des co-financements multilatéraux a amoindri l'importance de son soutien aux états fragiles et diminue l'effet de levier de son aide publique au développement.

Ces caractéristiques de l'aide française rendaient celle-ci inadaptée au contexte et aux besoins des Etats de la bande sahélo-saharienne. Considérés comme des pays prioritaires de l'aide, Mali, Mauritanie, Niger, Burkina Faso et Tchad sont dans les faits marginalisés par une politique d'aide au développement française conditionnée par des choix politiques anciens et discutables.

Malgré ces fortes contraintes l'AFD est parvenue depuis quelques années à recentrer une partie de ses efforts sur l'Afrique et sur le Sahel, en compensant l'insuffisance de ressources en dons en prêtant à des pays dont la soutenabilité de la dette est cependant incertaine, et en négociant des délégations de gestion de fonds de l'Union Européenne, de l'Allemagne et de la Grande Bretagne, parfois au prix d'une complexification administrative et d'un manque de rapidité dans les décaissements.

Ainsi, à l'heure ou le Sahel est devenu un théâtre d'opération militaire dont l'importance géostratégique s'est réaffirmée pour la France, l'aide publique au développement française n'a été pas réellement orientée pour prendre en compte ses intérêts géopolitiques dans la région. Il existe donc bien un déséquilibre dans l'approche des « 3 D », avec une faiblesse et une inadéquation du volet développement par rapport au volet défense et aux intérêts diplomatiques et stratégiques de la France au Sahel. Cela risque de porter atteinte à la présence française dans la région, perçue de plus en plus par certaines franges de la population commune une force d'occupation, et qui forme un terreau favorable à la persistance de la violence et des conflits dans la bande sahélienne. Le modèle de coopération français est aujourd'hui un modèle parmi d'autres au Sahel, concurrencé par les financements de l'UE et de ses Etats membres, l'émergence du bailleur américain dans la région depuis les années 2000 et la récente diplomatie du développement et des prêts de la Chine.

III - Vers une inflexion de la politique de coopération de la France en faveur du Sahel

3.1 Les nouvelles orientations de la politique de développement de la France

3.1.1 Les nouvelles orientations encourageantes du CICID 2018

Les caractéristiques atypiques de l'aide française que sont l'importance du canal multilatéral et la prééminence des prêts concessionnels dans l'aide bilatérale sont connues et ont déjà fait l'objet de six rapports parlementaires demandant une réorganisation de la politique d'aide au développement et de ses canaux ainsi qu'une réorientation stratégique de l'aide française vers les pays pauvres prioritaires, en proposant d'accroître la part des dons et des subventions dans le budget de l'Etat. Ces rapports n'avaient jusqu'ici pas été pris en compte au sommet de l'Etat, en dépit du manque de satisfaction généré par la situation de l'aide française auprès des parlementaires, des ONG et des spécialistes du développement international45(*). Sous la présidence de François Hollande, les questions sahéliennes ont d'abord été abordées sous un prisme militaire et sécuritaire, laissant peu de marges de manoeuvre pour une redéfinition de la politique de développement de la France en faveur de la région.

L'arrivée d'Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017 a semble-t-il fait évoluer la situation. Le nouveau chef de l'Etat s'est engagé en juillet 2017 à porter l'aide publique au développement de la France à 0,55% du revenu national brut (RNB) à l'horizon 2022, alors qu'elle représentait 0,42% en en 2017.Cela implique un effort budgétaire majeur sur la mission « aide publique au développement ». Le président de la République a également fait montre d'une volonté politique de remettre l'aide publique au développement au service des pays les plus fragiles et des pays prioritaires de la coopération française.

Les objectifs fixés par la nouvelle présidence de la République, au défaut d'être inscrits dans la loi de finances 2018 (votée en 2017), se sont vus reflétés dans les conclusions et les orientations du CICID qui s'est réuni en février 2018. A cette occasion, des orientations prometteuses ont été dégagées, en particulier concernant la répartition de la distribution de l'aide entre le canal bilatéral et le canal multilatéral46(*). Celle-ci a en effet été redéfinie au bénéfice du bilatéral : les conclusions du CICID visent à ce que l'accroissement de l'aide publique au développement bénéficie au deux-tiers au canal bilatéral et un tiers pour le canal multilatéral. De plus, les conclusions du CICID précisent que les dotations en dons de l'AFD pour des projets bilatéraux devront être augmentés de 1 milliards d'euros supplémentaires en 201947(*).

Ces orientations ont bien été transcrites dans le projet de loi de finances (PLF) 2019 : la mission aide publique au développement a vu ses autorisations d'engagement augmenter de 1 milliard d'euros en dons à partir de 2019.,ce qui représente une augmentation conséquence en comparaison des années précédentes.

Figure 32 - Evolution des autorisations d'engagements en dons de l'AFD sur 2015-2019 ( en millions d'euros)

Sources : chiffres des projets de loi de finance (2015-2019)

Cette mesure vise à permettre à l'AFD d'intervenir de manière significative dans les pays pauvres où la France dispose d'intérêts géopolitiques majeurs, et a vocation à cibler en premier lieu les Etats de la bande sahélo-saharienne47(*). Le CICID de 2018 a dressé les contours d'une nouvelle matrice de la politique de développement qui se veut plus stratégique, en se réorientant vers les dons et l'aide bilatérale. Cela permettrait ainsi à la France de financer les secteurs stratégiques dans ses Etats prioritaires et de reprendre le contrôle de son aide publique multilatérale et de davantage peser dans les décisions de financement des institutions multilatérales de développement en bénéficiant d'un effet de levier bien plus étendu qu'auparavant.

Ces conclusions sont par ailleurs reprises dans le rapport parlementaire du député Hervé Berville pour la modernisation de l'aide publique au développement, qui propose notamment une augmentation de l'aide bilatérale, la création d'un cadre d'un "partenariat global dans un document stratégique unique exposant la vision de la France à long terme dès 2019 ainsi qu'une programmation pluriannuelle des engagements financiers de la France et de sa stratégie en matière d'aide au développement, formalisée une loi d'orientation qui devrait être votée à l'automne 2019.Il suggère aussi la création d'une commission d'évaluation indépendante pour s'assurer de l'efficacité des actions.

3.2.2 La montée en puissance de l'AFD en Afrique : réajustements institutionnels et réorientation géographique

Dans ce nouveau cadre de coopération, l'Agence française de développement a donc actualisée ses stratégies d'interventions, en assumant un accroissement de ses engagements vers le Sahel au travers le quadruplement des dons accordés au pays au développement, dont l'enveloppe passera donc à 1,3 milliards d'euros à partir de 2019, contre près de 300 milliards actuellement. Cette réorientation de l'aide au développement a donc pour objectif la sortie du « tout militaires » qui caractérisait la stratégie française en dépit de la promotion d'une approche globale articulant défense, développement et diplomatie. En matière sectorielle, l'AFD priorise désormais six secteurs d'intervention au Sahel : développement rural, transition énergétique, inclusion financière, santé et fertilité, et éducation. Il s'agit pour la France de rééquilibrer son action au Sahel tout en s'appuyant sur ses atouts en Afrique subsaharienne : l'expérience africaine historique de l'AFD, les réseaux tissés par les services économiques régionaux et les entreprises françaises au Sahel, les attachés de coopération économiques et experts fiscaux en postes dans la région. Avec le soutien du gouvernement français, l'AFD a en outre créé un fonds « paix et résilience » baptisé « Minka », et lancé dans ce cadre quatre initiatives ad hoc en juin 2018, incluses dans les dotations en dons du projet de loi de finances de 2019, pour lui permettre d'intervenir en dons additionnels sur la période 2017-2021 zone sahélo-saharienne, dont deux au Sahel : l'initiative Tiwara, d'un budget d'intervention de 200 millions d'euros ciblant spécifiquement les cinq pays de la région, et l'initiative Kouri autour du lac Tchad, dotée de 120 millions d'euros pour appuyer la stabilisation des quatre pays touchés par les activités criminelles de Boko Haram, dont deux Etats sahéliens couverts par l'opération Barkhane : le Tchad , le Niger, le Cameroun et le Nigeria.

Figure33 - Les nouvelles initiatives AFD «  paix et stabilité » dans le cadre du fonds « paix et résilience »

Source : Site de l'AFD

Le dispositif français de coopération internationale a de plus subi des ajustements afin de renforcer la cohérence et les compétences du groupe AFD, en adéquation avec les objectifs d'interventions fixés par le CICID de 2018. L'AFD se voit confirmé comme l'opérateur central de la politique française de coopération et de développement avec le rattachement d'Expertise France à l'agence. Le rapprochement de l'AFD et de la caisse des dépôts et consignations (CDC) démarré fin 2016 pour mutualiser les expertises et encourager les co-financements de projets d'envergure en Afrique dans des domaines comme l'éducation, les infrastructures, et la santé, peut également être analysé comme une volonté des pouvoirs publics de donner des relais financiers supplémentaires à la politique de coopération de la France dans les zones prioritaires. En avril 2017, les deux institutions ont par exemple abondé un fonds de 600 millions d'euros (financé à hauteur de 500 millions d'euros par la CDC et 100 millions d'euros par l'AFD) destiné à soutenir l'investissement des autorités du Burkina Faso dans les secteurs de l'énergie, des transports, de l'accès à l'eau et de la politique de santé et d éducation.

L'importance accrue du volet développement dans la politique sahélo-saharienne de la France, outre le traitement des fragilités socio-économiques du Sahel, vise dans le même temps à gagner les coeurs et les esprits des populations sahéliennes qui n'ont vu que peu d'améliorations sur le plan sécuritaire depuis le déploiement de l'opération Barkhane48(*). L'objectif stratégique du surcroît d'aide publique au développement pour la France est de faire accepter le déploiement de ses forces, éviter les ralliements aux forces rebelles et djihadistes et juguler les flux migratoires à destination de l'Europe.

3.3.3 Un ambassadeur de la France au Sahel

La dimension politico-diplomatique de la politique sahélienne de la France s'est vue renforcée par la nomination en août 2017 d'un «  ambassadeur envoyé spécial pour le Sahel », en la personne de Jean-Marc Châtaignier. La nomination de ce haut-fonctionnaire spécialiste de l'Afrique ancien ambassadeur à Madagascar, passé par le Ministère de la Coopération, les cabinets ministériels de la coopération et de la francophonie et l'institut de recherche pour le développement (IRD) illustre l'importance nouvelle accordée par la France à un équilibre de son action dans la bande sahélo-saharienne. Ce nouvel ambassadeur pour le Sahel est à l'interface des différents réseaux français qui oeuvrent pour le développement et la pacification de la région.

Le rôle de l'ambassadeur au Sahel, inédit dans l'histoire de la diplomatie française, est ainsi de coordonner les efforts de la France en matière de sécurité et de développement dans la zone couverte par l'intervention Barkhane, tout en maintenant un contact diplomatique privilégié avec les capitales sahéliennes pour favoriser le règlement politique des conflits qui agitent la région, en particulier en poussant à la mise en oeuvre des accords d'Alger de 2015 au Mali. Sa création témoigne d'une volonté de la France de peser de tout son poids diplomatique pour articuler les différentes dimensions d'une action sahélienne stratégique et significative pour les Etats sahéliens49(*).

Depuis 2017, la France semble ainsi mettre sur pied une approche stratégique de sa politique sahélo-saharienne en mettant en y impulsant l'adéquation ses priorités diplomatiques et ses ressources financières pour le développement avec sa forte implication militaire dans la région. La politique d'aide publique au développement de la France, auparavant sans ligne stratégique précise, se redéploie selon une nouvelle matrice bilatérale favorisant les dons et s'aligne ainsi sur les priorités géopolitiques de la France au Sahel. Mais la France ne renforce pas seulement ses politiques et ses relais nationaux. Sur le plan multilatéral, Paris est à l'origine de la création de l'Alliance Sahel » en 2017, une initiative de coordination des bailleurs internationaux et des projets de développement dans la zone sahélo-saharienne, pensée comme le pendant «  développement » de la force G5 Sahel.

3.2. L'Alliance pour le Sahel, une projection multilatérale des intérêts géopolitiques français au Sahel

3.2.1. Une tentative de coordination multilatérale pour le développement dans la bande sahélo-saharienne

La prise de conscience par la France, en première ligne au Sahel, et ses alliés européens que la résolution des crises que connaît la région ne passera que par une approche combinant actions sécuritaires et soutien au développement, a poussé Paris et Berlin à lancer en juillet 2017 l' « Alliance pour le Sahel ». Cette initiative rassemble une douzaine de bailleurs internationaux : la France, l'Allemagne, l'UE, le Programme de développement des Nations Unies (PNUD), la Banque mondiale, auxquels sont venus se joindre le Royaume-Uni l'Italie, l'Espagne, le Danemark, le Luxembourg.et les Pays-Bas. Celle-ci a été créée afin d'améliorer la coordination, la cohérence et l'efficacité de l'aide au développement dispensée aux Etats et au populations sahéliennes. L'un des objectifs affichés par le président de la République est d'améliorer la perception qu'ont les populations de l'aide publique au développement de la France et des bailleurs internationaux en général dans la région : « tous nos efforts en matière de sécurité seront inutiles s'ils ne s'inscrivent pas dans un projet plus large de développement. Le lien entre sécurité et développement ne doit pas être martelé seulement dans les discours, il doit se matérialiser en actions concrètes. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui nos promesses ne sont plus entendues.»

Figure 33 - L'institutionnalisation du complexe militaro-humanitaire au Sahel

Réalisé avec QGIS

Le mandat de cette initiative multilatérale recoupe le périmètre d'action militaire de l'opération Barkhane et des forces du Mali, du Niger du Burkina Faso et du Tchad réunies au sein de la force anti-terroriste du G5 Sahel. Cette coopération entre l'Alliance et le G5 s'est institutionnalisée à l'occasion de la signature entre ces deux entités d'un protocole d'accord, le 30 octobre 2018 à Niamey, est la première tentative d'une opérationnalisation du nexus « sécurité-développement » constamment mis en avant dans les stratégies des bailleurs internationaux, en particuliers européens, sans implications concrètes jusqu'ici. L'ambition est d'encourager des dynamiques de développement au plus près des zones d'opérations militaires afin de fidéliser les populations locales, de répondre à leurs besoins urgents en matière de développement et de marginaliser les groupes djihadistes qui opèrent au Sahel. Elle dispose aujourd'hui d'un portefeuille de financement de 11 milliards d'euros qui doit soutenir près de 750 projets dans les Etats du G5 Sahel à l'horizon 2022. La France y contribue à hauteur de 1,6 milliards sur cette période50(*).

Figure 34 - Contribution de la France au portefeuille d'intervention de l'Alliance Sahel sur 2020-2022 (en milliards d'euros)

Source : site de l'Alliance Sahel

L'Alliance cible en particulier les anciens bastions djihadistes du Mali et les régions transfrontalières dont la porosité favorise les trafics illicites, la circulations et l'implantation des djihadistes : région des Hodh en Mauritanie, région de Konna au Mali, nord du Burkina Faso (zone des trois frontières), région de Tillabéry et de l'ouest de Tahoua au Niger et bassin du lac Tchad51(*).

En ayant appelé les principaux bailleurs internationaux à contribuer à cette plate-forme de coordination, la France a acté définitivement son rôle de « puissance-cadre » dans la région sahélienne pour la coordination des efforts de la communauté internationale en matière de développement. Les importantes dépenses militaires de la France dans le cadre de l'opération Barkhane font de Paris l'acteur incontournable pour mettre en oeuvre les synergies entre les actions sécuritaires, diplomatiques et les efforts de développement. La création de l'Alliance Sahel découle à la fois du leadership français sur le plan militaire au Sahel, et de la nouvelle stratégie régionale de l'AFD qui cible en priorité les Etats sahéliens, conformément aux impulsions données au niveau du CICID et ses conséquences décrites précédemment. L'AFD ainsi agit en pilote de l'Alliance Sahel dans la mesure où elle héberge l'unité de coordination de l'Alliance (UCA). C'est à l'AFD qu'échoit par conséquent la responsabilité de coordonner les actions et stratégies des autres bailleurs dans la région, tout en leur apportant son expertise et sa connaissance particulière des enjeux et des besoins des pays du Sahel francophone.

La volonté de la France est d'établir une relation partenariale avec les Etats du G5 Sahel afin de favoriser la synergie des interventions avec les interventions militaires menées sur la zone. Les secteurs d'interventions prioritaires sur lesquels les membres de l'Alliance concentrent leurs efforts sont d'une part les secteurs du développement tels l'assistance au développement rural, le soutien aux services de base et à la décentralisation, l'éducation de la jeunesse sahélienne et l'accès à l'énergie, et d'autre part une assistance dans le domaine régalien et militaire avec la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance des institutions, la formation et le soutien aux forces de sécurité nationale et l'amélioration du lien entre les forces armées et la population sur le terrain.

3.2.2 Une initiative circonscrite à des bailleurs européens et bailleurs multilatérauxtraditionnels

Une première remarque que l'on peut faire à la vue de la composition de l'Alliance Sahel est qu'elle est pour le moment circonscrite aux bailleurs d'Europe de l'Ouest, à l'Union Européenne et aux institutions internationales traditionnelles chargées de la promotion du développement (PNUD, BM, Banques régionales de développement). Les efforts en faveur de la coordination des initiatives de développement au Sahel reflètent surtout la volonté des européens de rapprocher leurs modes d'interventions à défaut d'une politique européenne de développement suffisamment efficace et unifiée au Sahel.

Deuxièmement, la présence exclusive des bailleurs d'Europe occidentale dans l'Alliance Sahel peut-être interprétée comme la manifestation des intérêts européens à réduire les flux d'immigrations à destination des pays de l'Ouest. L'Alliance Sahel sert à ce titre de vecteur d'harmonisation des politiques européennes de coopération pour endiguer les flux migratoires vers le continent. L'Alliance Sahel est donc en partie un instrument qui vise à accroître l'efficacité des politiques d'externalisation de la gestion des frontières de l'UE et de rétention des migrants par certains Etats du Sahel, en particulier le Niger52(*)53(*). L'emploi de l'aide publique au développement à des fins stratégiques et militaires n'est pas l'apanage des Français ou des Européens. Au Niger, les Etats-Unis ont déjà par exemple déjà financé des opérations de communication pour rapprocher les institutions gouvernementales de la population, d'une part, et des travaux de débroussaillage pour empêcher les combattants de Boko Haram de se cacher dans des zones couvertes.

Troisièmement, les Etats-Unis ne font à l'heure actuelle pas partie de l'Alliance Sahel, et en restent membre observateur. Cette mise en retrait des Etats-Unis illustre d'une part la fidélité de l'administration Trump à la méthode de « l'empreinte légère en Afrique » autant qu'elle démontre l'intérêt stratégique limité du Sahel francophone pour les Etats-Unis, qui préfèrent voir la France assumer le leadership de la communauté internationale sur les questions sahéliennes. La difficulté de lire la politique étrangère de l'administration Trump en matière d'aide au développement, et son relatif désintérêt des pour les questions africaines en dehors de la lutte contre le terrorisme, et sa défiance envers les initiatives multilatérales, ne permet pour l'instant pas de conclure que l'Alliance Sahel souffre du manque d'implication des Etats-Unis. Ces derniers restent néanmoins présents pour apporter leur concours à la force G5 Sahel, en promettant une enveloppe de 60 millions de dollars supplémentaires en 2018.

Enfin, la Chine, en dépit des incitations du président français et de la Commission européenne, se garde bien de rejoindre l'Alliance Sahel. La dimension partenariale de l'Alliance voulue par Paris visait non seulement à renforcer la coopération de la France avec les Etats sahéliens, mais également avec la puissance chinoise, qui concurrence la France dans son pré-carré. Les tentatives de la France de faire de la Chine un partenaire plutôt qu'un rival économique en Afrique se sont multipliées depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir : la France avait proposé un cadre de coopération trilatéral «  France-Chine-Afrique » en 2017, qui n'avait pas vu le jour, faute d'intérêt marqué de la part de la Chine et des entreprises françaises déjà présentes en Afrique54(*). L'approche partenariale du de la France à l'égard de la Chine sur les enjeux africains s'est toutefois concrétisée en janvier 2018 par la signature d'un accord-cadre de coopération entre l'AFD et la China Développent Bank sur les enjeux climatiques en Afrique subsaharienne. Cela semble amorcer un tournant dans la volonté française de faire de la Chine un partenaire en insistant sur le volet du soutien au développement à l'Afrique plutôt que sur les enjeux commerciaux.

Cependant, la coopération chinoise avec la France est circonscrite à un seul domaine, et la Chine n'a pas d'intérêt à rejoindre l'Alliance Sahel : cela impliquerait qu'elle s'aligne sur les critères d'efficacité et de transparence de ses apports pour le développement, et qu'elle renonce à son usage de prêts dans le cadre de sa stratégie de diplomatie de la dette. Comme cela a été évoqué précédemment, la Chine préfère adopter une approche bilatérale avec les Etats sahéliens qui doit servir en premier lieu les intérêts économiques de Pékin. La participation de la Chine à une alliance occidentale pour le développement au Sahel ne présente donc que peu d'intérêt pour Pékin, qui verrait son influence économique et stratégique s'y diluer.

L'Alliance Sahel est pour l'instant un groupement de bailleurs occidentaux, mené en grande partie par la France, qui incarne les priorités européennes de stabilisation des frontières de son voisinage africain. La coordination des actions pour le développement a aussi pour objectif d'accompagner et de faire accepter le déploiement prolongé de troupes occidentales, en particulier françaises, dans la bande sahélo-saharienne.

3.3.3 Un cadre de coopération ambitieux aux limites annoncées

La création de l'Alliance Sahel est considérée comme positive pour les partenaires de développement qui y voient une première tentative de conjuguer leurs efforts et d'éviter le saupoudrage et la fragmentation concurrentielle de leurs efforts pour le développement au Sahel. Si une coordination entre bailleurs au Sahel est censée progressivement voir le jour, l'Alliance ne demeure pour l'instant qu'une agrégation de projets labellisés « Alliance Sahel » avec une structure de pilotage encore balbutiante et confiée à la seule AFD. L'harmonisation et la convergence des interventions des bailleurs, qui est la finalité de l'Alliance, n'est pas encore d'actualité, dans la mesure où il s'agit surtout pour l'instant de valoriser les initiatives déjà mises en oeuvre par les bailleurs. Mais les mécanismes de délégations de crédits que l'Alliance veut généraliser, pour éviter les doublons entre différents projets de même nature, sont un premier pas vers la construction d'une action coordonnée des bailleurs au Sahel.

Il reste à savoir si tous les membres de l'Alliance se montreront enclins à synchroniser leurs efforts de développement avec l'opération Barkhane. A ce stade, les interactions entre les acteurs de la sécurité et les acteurs du développement sont encore limitées à quelques bailleurs, dont l'AFD. Au niveau des institutions européennes, le défi est de se dégager de l'ancien dogme de la politique européenne de développement, qui voulait que les budgets pour le développement ne financent pas des actions sécuritaires et militaires55(*), alors qu'il existe un fort besoin de coopération entre les bailleurs internationaux et les forces sécuritaires nationales et étrangères au Sahel. Pour le moment, l'Alliance Sahel s'appuie sur le couple moteur « AFD-Barkhane », mais il est nécessaire que le nexus « sécurité-développement » dépasse le statut de discours inséré dans autant de stratégies nationales éclatées et qu'il s'opérationnalise dans le cadre de l'Alliance et de son partenariat avec le G5 Sahel.

Les limites potentielles de l'efficacité de l'Alliance Sahel peuvent se trouver dans la définition de son étendue géographique. Celle-ci ne couvre en effet que les cinq pays francophones du Sahel, en adéquation avec le théâtre de l'opération Barkhane. Cependant, les besoins en développement et de lutte contre les groupes terroristes concernent l'ensemble du Sahel géographique, qui s'étend jusqu'aux confins du Darfour soudanais et de l'Erythrée. L'amplitude géographique de l'aide publique au développement de la France et celle de l'Alliance Sahel ne correspond ainsi pas à l'aire opérationnelle de forces djihadistes pourtant présentées comme interconnectées et interdépendantes. De plus, il n'est pas certain qu'un surcroît d'aide au développement permette d'améliorer l'image et la réputation des forces occidentales déployées sur le terrain56(*). En outre, le mandat stratégique de l'Alliance Sahel est fondé sur le postulat que les économies de contrebandes et les flux financiers illicites qui en découlent profitent uniquement aux groupes criminels, passeurs et aux réseaux islamistes qui opèrent au Sahel, sans réelle prise de conscience que ces flux peuvent parfois bénéficier aux représentants des régimes en place, soutenus par la France.

De même, l'efficacité supposée de l'utilisation de l'aide publique au développement à des fins contre-insurrectionnelles repose sur des idées discutables, selon lesquelles la misère et l'ignorance seraient la matrice du terrorisme islamiste. Cela n'est pas corroborépar les faits, si l'on en juge par le niveau d'éducation et de richesse des fondateurs de mouvements djihadistes57(*).Enfin, elle table sur le fait que l'assistance de la communauté internationale permet d'acheter la paix sociale. Ce dernier point doit faire l'objet d'une attention spécifique, car les ressources de l'aide constituent également un enjeu de compétition entre les Etats récipiendaires d'une part, et entre les différents groupes ciblés au sein d'un même territoire d'autre part. L'aide au développement peut par conséquent prolonger ou exacerber les conflictualités déjà existantes, voire en créer de nouvelles dans des zones déjà en proie à l'instabilité.

Aussi, la résolution de la crise sahélienne passera inévitablement par un règlement politique des conflits, par le soutien à la restauration de la fabrique de l'Etat et de ses pouvoirs régaliens. La projection de la diplomatie et des efforts de développement français au travers de l'Alliance Sahel devra prendre en compte ces enjeux et ses limites afin de ne pas réitérer la situation d'enlisement et d'implosion de l'Etat qui a prévalu en Afghanistan, du fait d'une insuffisante prise en compte des enjeux politiques et de la faiblesse des institutions afghanes par les acteurs extérieurs. Les échecs manifestes de la division un travail entre les efforts de développement assumés par des bailleurs internationaux éloignés des besoins des populations d'une part, et les efforts de pacification et de sécurité laissés à la seule armée américaine d'autre part, doivent servir de leçon à la France.Celle- celle-ci occupe actuellement une position prééminente au Sahel, semblable à celle assumée par les Etats-Unis en Afghanistan, sur un espace de la taille de l'Europe58(*). Les nouvelles orientations de la politique de développement de la France vont pour le moment dans le bon sens en mettant des moyens nouveaux pour articuler les enjeux sécuritaires, politico-diplomatiques et humanitaires dans la région.

Conclusion

Alors que les questions de développement avait été marginalisées au début de l'intervention de la France au Sahel, les pouvoirs publics se montrent volontaristes dans leurs efforts de définir une politique de coopération pour le développement qui prennent en compte les intérêts stratégiques de la France au Sahel et les besoins des populations sur place.La politique française d'aide au développement en Afrique subsaharienne retrouve ainsi une dimension géopolitique qui s'était érodée et dont la crise sahélienne a restauré l'importance. L'approche française de la crise sahélienne poursuit son rééquilibrage opéré depuis 2017 entre ses efforts militaires et les ses efforts de développement. Le retour en grâce de l'aide bilatérale sous forme de dons d'une part, les réformes ajustements institutionnels de l'AFD et la mise sur pied de l'Alliance Sahel par la France, témoignent d'une volonté de réinvestir de manière stratégique et coordonnée le volet du développement pour faire face aux enjeux posés par la bande sahélo-saharienne.

De manière générale, les pouvoirs publics sont en train de renouer avec une approche stratégique de la politique publique d'aide au développement. Le rapport remis par le député Berville au président de la République portant sur la modernisation de l'aide publique au développement en août 2018, propose des solutions afin de mettre en oeuvre une politique de développement plus stratégique, formalisée dans une loi de programmation pluriannuelle détaillant la stratégie de la France, ses objectifs, et les moyens mis à disposition de la politique de coopération de la France jusqu'à l'horizon 2025.Cette loi d'orientation fournirait à la politique française de développement un cadre institutionnel renouvelé par rapport à 2014 avec une définition précise de ses engagements et de ses cibles en cohérence avec les intérêts de la France en Afrique subsaharienne et dans la bande sahélo-saharienne.

Les travaux de l'apprenti sur la mobilisation des ressources intérieures dans le cadre du plan d'investissements stratégique et des travaux préparatoires du G7 se sont inscrits dans cette logique de priorisation de la géographie sahélienne. La politique de coopération de la France entame une transition stratégique pour se donner les moyens de répondre de manière efficace aux racines des crises et de la violence qui secouent le Sahel. La réponse à ces crises ne saurait provenir uniquement d'une augmentation d'aide publique au développement par rapport aux efforts militaires. La solution à la crise actuelle, en particulier au Mali est avant tout une question politique. Si la France entend contribuer au règlement des différends et à l'amélioration de la situation du développement au Sahel, sa politique tridimensionnelle «  défense-sécurité-développement » doit viser à créer les conditions d'une pacification pour permettre une sortie de crise assumée par l'ensemble des Etats sahéliens. En plus de l'assistance aux populations par l'aide extérieure, c'est aussi par le soutien aux institutions étatiques sahéliennes, le renforcement de leurs capacités juridiques, fiscales et de leur autorité souveraine que les conditions de sortie de crise pourront être établies. Les récents ajustements et orientations de la politique française d'aide au développement, en particulier dans le domaine de la mobilisation des ressources intérieures,sont un premier pas vers cet objectif.

Liste des figures

FIGURE 1 : LA SÉPARATION ACTUELLE ENTRE MINISTÈRE DE L'ECONOMIE ET MINISTÈRE DU BUDGET 8

FIGURE 2 - ORGANIGRAMME DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DU TRÉSOR 11

FIGURE 3 - EFFECTIFS DE LA DG TRÉSOR EN 2018 12

FIGURE 4 - ORGANIGRAMME SIMPLIFIÉ DE LA SOUS-DIRECTION DES AFFAIRES FINANCIÈRES MULTILATÉRALES ET DU DÉVELOPPEMENT 13

FIGURE 5 - ORGANIGRAMME DU BUREAU DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT 13

FIGURE 6 - ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE DE LA POLITIQUE DE COOPÉRATION DE LA FRANCE 18

FIGURE 7 - CARTES DES RECETTES FISCALES EN % DU PIB - 2017 24

FIGURE 8 - PART DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE À L'AFRIQUE SUBSAHARIENNE ENTRE 1960 ET 1991 (EN MILLIONS DE DOLLARS) 37

FIGURE 9 - LES PARTENARIATS MILITAIRES STRATÉGIQUES ENTRE LE FRANCE ET LES ETATS AFRICAINS 40

FIGURE 10 - LES MISSIONS DE COOPÉRATION CIVILO-HUMANITAIRES DÉPLOYÉES PAR L'UE AU SAHEL 42

FIGURE 11 - RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE L'APD DE L'EU A DESTINATION DE L'AFRIQUE SUR 2013-2017 ET SES DIX PAYS LES PLUS AIDÉS (EN MILLIONS DE DOLLARS) 43

FIGURE 12 - AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT BILATÉRALE DES ETATS-UNIS À DESTINATION DU SAHEL EN 2017 (EN MILLIONS DE DOLLARS) 47

FIGURE 13 - RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE L'AIDE BILATÉRALE AMÉRICAINE EN AFRIQUE SUR 2013-2017 48

FIGURE 14 - LES PRÊTS DE LA CHINE AUX ETATS D'AFRIQUE DE L'OUEST SUR 2000-2017 51

FIGURE 16 - L'ENVIRONNEMENT STRATÉGIQUE DE L'OPÉRATION BARKHANE AU SAHEL 57

FIGURE 17- PROVISIONS ET SURCOÛTS DES OPEX 2009- 2017 58

FIGURE 18 - DÉPENSES MILITAIRES FRANÇAISES AU SAHEL 2009-2017 58

FIGURE 19 - COMPARAISON ENTRE L'AIDE BILATÉRALE DE LA FRANCEAUX ETATS DU SAHEL ET SES DÉPENSES MILITAIRES DANS LA RÉGION 60

FIGURE 20 - PART DE L'AIDE BILATÉRALE ALLOUÉE À L'AFRIQUE SUBSAHARIENNE DEPUIS 1990 61

FIGURE 21 - RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE L'AIDE BILATÉRALE FRANÇAISE EN 2017 62

FIGURE 22 - LES DIX PREMIERS BÉNÉFICIAIRES DE L'AIDE BILATÉRALE NETTE DE LA FRANCE EN 2017 (EN MILLIONS DE DOLLARS) 62

FIGURE 23 - RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE L'AIDE BILATÉRALE FRANÇAISE SUR 2013-2017 63

FIGURE 24 - LES DIX PREMIERS BÉNÉFICIAIRES DE L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT BILATÉRALE FRANÇAISE SUR 2017-2022(EN MILLIONS DE DOLLARS) 63

FIGURE 25 - LES DIX PREMIERS BÉNÉFICIAIRES AFRICAINS DE L'APD BILATÉRALE FRANÇAISE SUR 2013-2017 64

FIGURE 26 - EVOLUTION DE L'AIDE MULTILATÉRALE DANS L'APD TOTALE DE LA FRANCE SUR 1990-2017 (EN MILLIONS DE DOLLARS) 66

FIGURE 27 - RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DE L'AIDE MULTILATÉRALE FRANÇAISE EN 2017 67

FIGURE 28 - LES DIX PRINCIPAUX RÉCIPIENDAIRES DE L'AIDE MULTILATÉRALE FRANÇAISE ( EN MILLIONS DE DOLLARS) 68

FIGURE 29 - EVOLUTION DE LA PART DES VERSEMENTS DES PRÊTS BRUTS ET DES DONS DANS L'AIDE DE TYPE PROJET ALLOUABLE SUR DES GÉOGRAPHIES ET DES SECTEURS SPÉCIFIQUES SUR 2006-2017 ( EN MILLIONS DE DOLLARS) 69

FIGURE 30 - COMPARAISON DES DIX PREMIERS BÉNÉFICIAIRES DE PRÊTS ET DES DIX PREMIERS BÉNÉFICIAIRES DE DONS BILATÉRAUX SUR DE L'AIDE-PROJET EN 2017 (EN MILLIONS DE DOLLARS) 70

FIGURE 31 - COMPARAISON DES MONTANT EN DONS SUR DE L'AIDE PROJET ENTRE LA FRANCE ET LE ROYAUME-UNI - 10 PREMIERS BÉNÉFICIAIRES RESPECTIFS (EN MILLIONS DE DOLLARS) 71

FIGURE 32 - EVOLUTION DES AUTORISATIONS D'ENGAGEMENTS EN DONS DE L'AFD SUR 2015-2019 ( EN MILLIONS D'EUROS) 73

FIGURE33 - LES NOUVELLES INITIATIVES AFD «  PAIX ET STABILITÉ » DANS LE CADRE DU FONDS « PAIX ET RÉSILIENCE » 75

FIGURE 33 - L'INSTITUTIONNALISATION DU COMPLEXE MILITARO-HUMANITAIRE AU SAHEL 77

FIGURE 34 - CONTRIBUTION DE LA FRANCE AU PORTEFEUILLE D'INTERVENTION DE L'ALLIANCE SAHEL SUR 2020-2022 (EN MILLIARDS D'EUROS) 78

Liste des acronymes

AFD : Agence française de développement

AFRITACS : Centres régionaux africains d'assistance technique

APD : Aide publique au développement

CICID : Comité interministériel de la coopération internationale et du développement

CAD : Comité d'aide au développement

DGT : Direction générale du Trésor

DIRECCTE : Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi

FED : Fonds européen pour le développement

FERDI : Fondation pour les études et la recherche sur le développement international

FMI : Fonds monétaire international

OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économiques

MEAE : Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

ODD : Objectifs de développement durable

OPEX : Opération extérieures

SAMD : Service des affaires multilatérales et du développement

UE : Union européenne

Bibliographie

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https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/g7-l-aide-au-developpement-doit-aller-en-priorite-aux-pays-du-sahel_3522455.html

Annexes

Annexe 1 - Des conceptions hétérogènes du Sahel par différents acteurs extérieurs et régionaux

Annexe 2 - la Francophonie en Afrique

Source : wikipedia

Annexe 3 - Les différents systèmes juridiques en vigueur dans le monde

Source : fondation pour le droit continental

Annexe 4 - La zone Franc en 2019

Annexe 5 - La présence militaire américaine en Afrique

* 1 https://www.lesechos.fr/2012/06/a-bercy-7-ministres-pour-les-dossiers-economiques-376850

* 2Demarey, S. (2019). Bercy, un vrai premier ministère?. Pouvoirs, (1), 59-71.

* 3 Le CICID est un comité interministériel qui se réunit tous les deux à trois ans, chargé de fixer "les orientations relatives aux objectifs et aux modalités de la politique de coopération internationale et d'aide au développement dans toutes ses composantes bilatérales et multilatérales". Il est présidé par le Premier Ministre et réunit des représentants des ministères intéressés au développement (le MEAE, le Ministère de l'Economie et des Finances, le ministère de la Défense, le ministère de l'Intérieur, le ministère de l'Education Nationale, ...). Le CICID est préparé conjointement avec le MEAE.

* 4 https://www.worldbank.org/en/topic/governance/brief/domestic-resource-mobilization

* 5Charbonneau, B. (2017). De Serval à Barkhane: les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel. Les Temps Modernes, (2), 322-340.

* 6BÉRANGÈRE, ROUPPERT. Les États sahéliens et leurs partenaires extrarégionaux: le cas de l'Union européenne en particulier. Note d'Analyse du GRIP, 2012, vol. 6, p. 2.

* 7Grégoire, E. (2011). Niger: un État à forte teneur en uranium. Hérodote, (3), 206-225.

* 8Bourmaud, D. (2005). La nouvelle politique africaine de la France à l'épreuve. Esprit (1940-), 17-27.

* 9Gabas, J. J. (2005). L'aide publique française au développement. Etudes de la documentation française, (5210), 9-167.

* 10Balleix, C. (2010). La politique française de coopération au développement. Afrique contemporaine, (4), 95-107.

* 11Hugon, P. (2007). La politique économique de la France en Afrique. Politique africaine, (1), 54-69.

* 12Châtaigner, J. M. (2006). Principes et réalités de la politique africaine de la France. Afrique contemporaine, (4), 247-261.

* 13Baghzouz, A. (2013). Le Maghreb et l'Europe face à la crise du Sahel: Coopération ou rivalités?. L'Année du Maghreb, (IX), 173-192.

* 14 https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/08/29/le-sahel-une-question-europeenne_5177960_3232.html

* 15Brachet, J., Choplin, A., & Pliez, O. (2011). Le Sahara entre espace de circulation et frontière migratoire de l'Europe. Hérodote, (3), 163-182.

* 16 http://eutmmali.eu/

* 17Assemblée nationale (2017). Commission des affaires européennes. Rapport d'information déposé par la commission des affaires européennes sur les missions PSDC de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali)

* 18Petit, Y. (2013). Le rôle de l'Union européenne dans la crise malienne. Civitas Europa, (2), 181-209.

* 19 https://www.diploweb.com/UE-APD-Aide-au-developpement-Entre.html

* 20 https://www.cetri.be/Aide-au-developpement-de-l-Union

* 21Kervyn, E., & Shilhav, R. (2017). An Emergency for Whom? The EU Emergency Trust Fund for Africa-Migratory Routes and Development Aid in Africa.

* 22Boyer, F., & Chappart, P. (2018). Les frontières européennes au Niger. Vacarme, (2), 92-98.

* 23Leriche, F. (2003). La politique africaine des Etats-Unis: une mise en perspective. Afrique contemporaine, (3), 7-23.

* 24 Maya KANDEL (dir.), La stratégie américaine en Afrique, Etude de l'IRSEM n°36, décembre 2014.

* 25 https://www.wto.org/french/res_f/statis_f/its_f.htm

* 26Marchal, R. (2018). Mutations géopolitiques et rivalités d'États: la Corne de l'Afrique prise dans la crise du Golfe.

* 27 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/12/22/trump-et-l-afrique-finie-la-main-tendue-l-amerique-d-abord_5401284_3212.html

* 28 http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2018/12/14/bolton-19876.html

* 29 https://www.devex.com/news/french-aid-boss-hits-out-at-usaid-s-perverse-self-reliance-strategy-95221

* 30 https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/note_jyh_ocppc-ifri_fr.pdf- (2016) HAINE.J. Les politiques de sécurité de la France et des Etats-Unis en Afrique.

* 31Delcourt, L. (2011). La Chine en Afrique: enjeux et perspectives. Alternatives sud, 18(1), 7-31.

* 32Hugon, P. (2010). Les nouveaux acteurs de la coopération en Afrique. International Development Policy| Revue internationale de politique de développement, 1(1), 99-118.

* 33LaFargUe, F. (2014). La Chine en Afrique. L'Afrique, nouveau terrain de jeu des émergents, 19.

* 34Cabestan, J-P. La présence chinoise au Sahel : le cas du Niger et du Tchad- Table ronde n°17/24 de l'Observatoire Stratégique et Politique de la Chine, cycle 2017-2018, 7 juin 2017

* 35Cabestan, J-P. La présence chinoise au Sahel : le cas du Niger et du Tchad- Table ronde n°17/24 de l'Observatoire Stratégique et Politique de la Chine, cycle 2017-2018, 7 juin 2017

* 36 http://institut-thomas-more.org/2018/09/03/chine-afrique-au-dela-des-interets-economiques-lindifference-reciproque/

* 37 Bat, J. P. (2013). Michel Galy (dir.). La Guerre au Mali. Comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d'ombre. Afrique contemporaine, (3), 145-148.

* 38 http://www.opex360.com/2019/07/11/sans-barkhane-les-pays-du-sahel-seffondreront-sur-eux-memes-previent-le-general-lecointre/

* 39 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/01/17/20002-20130117ARTFIG00381-les-interets-economiques-limites-de-la-france-au-mali.php

* 40Site du Sénat - Rapport annuel de performance 2018 - Mission « Aide publique au développement » https://www.senat.fr/rap/a18-149-4/a18-149-43.html

* 41 Michailof, S. (2015). Africanistan: l'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues?. Fayard.

* 42Ce qui explique qu'avec une dotation de l'ordre de 650 millions d'euros en prêts, l'AFD déclare un chiffre d'affaire brut de 8 milliards d'euros, et que la France puisse afficher un montant d'aide bilatérale nette de près 4,2 milliards d'euros en 2017 ( une fois les intérêts des prêts remboursés)

* 43 http://observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/1374/Des_avantages_du_pr_EAt_.html

* 44 Site du Sénat - De Raincourt, Conway-Mouret «  Repenser l'aide publique au développement » Rapport d'information n° 728 (2015-2016) fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ( 9 juin 2016).

* 45 https://www.senat.fr/rap/r15-728/r15-728_mono.html. « Sahel - Repenser l'aide publique au développement »

* 46 https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/releve_de_conclusions_du_comite_interministeriel_de_cooperation_internationale_et_du_developpement_-_08.02.2018_cle4ea6e2-2.pdf

* 47Lafourcade, O., & Michailof, S. (2018). Examen des nouvelles orientations de la politique française de coopération.

* 48de Montclos, M. A. P. (2019). La politique de la France au Sahel: une vision militaire. Herodote, (1), 137-152.

* 49Châtaigner, J. M., & Chevalier, C. (2019). Enjeux de paix et de développement: comment sortir le Sahel de la trappe à pauvreté?. In Annales des Mines-Realites industrielles (No. 3, pp. 29-37). FFE.

* 50https://www.alliance-sahel.org/

* 51 https://www.afd.fr/fr/minka-fonds-paix-et-resilience

* 52Boyer, F. (2019). Sécurité, développement, protection. Le triptyque de l'externalisation des politiques migratoires au Niger. Herodote, (1), 171-191.

* 53Boyer, F., & Chappart, P. (2018). Les frontières européennes au Niger. Vacarme, (2), 92-98.

* 54 https://www.france24.com/fr/20180110-france-chine-afrique-emmanuel-macron-xi-jinping-partenariat-afd-developpement-climat

* 55Fondation pour les Etudes stratégiques - Cinq ans après, une radioscopie du G5 Sahel et ses partenaires. (mars 2019)

* 56de Montclos, M. A. P. (2019). La politique de la France au Sahel: une vision militaire. Herodote, (1), 137-152.

* 57de Montclos, M. A. P. (2018). L'Afrique, nouvelle frontière du djihad?. La Découverte.

* 58Michailof, S. (2008). L'échec de l'aide internationale en Afghanistan. Commentaire, (2), 445-455.






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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille