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Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?


par François De Block
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019
  

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Introduction

Il n'existe pas de définition univoque et internationalement partagée de la région du Sahel, qui échappe en partie à une détermination classique en termes de territoires et de frontières. Les tentatives de caractérisation géographique par la littérature académique tendent à définir le Sahel comme l'espace semi-désertique marquant la transition entre le désert saharien au nord et la zone soudanienne au sud. Sous cette définition, le Sahel se présente sous la forme d'une bande de terres d'environ 5 500 kilomètres de longueur qui s'étend de l'Atlantique à la Mer Rouge, sur une largeur de 400 à 500 kilomètres, qui traverse le territoire d'une dizaine d'Etats africains depuis l'embouchure du fleuve Sénégal jusqu'au Soudan. Ce « Sahel géographique » n'est cependant pas exactement celui auquel il est fait référence dans le cadre des interventions militaires et des actions en faveur du développement menées par la France et la communauté internationale dans la région. Sur le plan politique, il existe bien une Communauté des Etats Sahélo-sahariens, organisation internationale regroupant une trentaine de pays divers, allant du Maroc au Kenya. Mais cet ensemble institutionnel ne désigne pas le Sahel tel qu'il est appréhendé aujourd'hui sur ni le plan sécuritaire et ni sur le volet de l'assistance au développement. La terminologie « Sahel » était même rarement employée dans le monde académique, le terme de « Sahara » lui étant préféré, faisant explicitement référence aux Etats dont le territoire était traversé par le désert saharien. L'expression « bande sahélo-saharienne » ou « zone sahélo-saharienne » est couramment utilisée, surtout depuis l'opération Barkhane, qui couvre l'ensemble des cinq pays francophones du Sahel et qui a pris le relais en août 2014 de l'opération Serval, jusqu'ici circonscrite au Mali. En parallèle, la création de l'organisation interétatique G5-Sahel en 2014 -- composé du Mali, de la Mauritanie, du Burkina-Faso, du Niger et du Tchad-- a ancré l'emploi de l'expression «  bande sahélo-saharienne » dans le vocabulaire militaire et stratégique pour désigner le « Sahel géopolitique ».

La vision économique, commerciale et politique de la région sahélo-saharienne est toutefois bien différente de l'angle d'étude stratégique et militaire. Sur le plan institutionnel, la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD) est une organisation interétatique qui regroupe 28 Etats africains.Dans le cadre de cette organisation politique, la quasi-totalité de la moitié Nord de l'Afrique est englobée dans la région sahélo-saharienne. Cependant, on ne retrouve pas littéralement l'expression « bande sahélo-saharienne » pour désigner la Communauté des Etats sahélo-sahariens.En parallèle, on constate que le terme « bande sahélo-saharienne » s'emploie surtout dans le cadre des opérations militaires et humanitaires menées par la France, et concerne donc le territoire des pays membres du G5-Sahel. Pour la France, la bande sahélo-saharienne désigne un espace restreint constituant le coeur stratégique de la région sahélo-saharienne, pour sa part beaucoup plus étendue. C'est de cet espace dont il sera question ici.La région sahélo-saharienne est caractérisée par une forte pauvreté, des inégalités en hausse un sous-développement chronique et est soumises à des défis climatiques et sécuritaires persistants. Depuis une quinzaine d'année, le Sahel est en proie à une augmentation des violences et de l'instabilité dans certaines zones. C'est le cas du nord Mali, avec la multiplication d'attaques armées et une propagation aux zones frontalières voisines du Burkina Faso et du Niger ainsi que dans la région du bassin du Lac Tchad. Le nombre de forces armées intervenant au Sahel s'est multiplié ces dernières années, en faisant intervenir divers acteurs, (Mission des Nations Unies pour le Mali, Barkhane, Force Conjointe du G5 Sahel, forces américaines...), entraînant une hausse des opérations militaires dans la région. La porosité des frontières, la défaillance des institutions étatiques qui ne parviennent pas à faire respecter l'autorité de l'Etat fait de cette zone l'une des plaques tournantes de trafics illicites et un terreau propice à l'établissement des groupes armés transnationaux qui mettent en danger l'ensemble des populations du Sahel. La fragmentation culturelle, sociale et religieuse du Sahel représente également un facteur de déstabilisation majeure, que les inégalités et la crise alimentaire latente peuvent rapidement mener à des affrontements communautaires qui alimentent l'insécurité et renforcent les groupes terroristes opérant dans la zone. Le Sahel revêt en outre une importance particulière pour les européens en ce que la région est devenue une frontière migratoire de l'Union européenne, qui externalise depuis 2015 le contrôle des migrations vers l'Europe au delà de ses frontières au moyen d'accord avec les Etats de la région, en particulier le Niger.

La France se trouve fortement impliquée dans le règlement de la situation géopolitique très compliquée de la région sahélo-saharienne, conséquence de son passé colonial, des ses intérêts économiques et des accords militaires passés avec les États sahéliens depuis leur indépendance. Pour autant, les résultats se font attendre : la France a déployé ses militaires dans le cadre l'opération Barkhane depuis 2014 afin de lutter contre les groupes djihadistes au Sahel, sur un territoire. L'intervention française présente un bilan en demi-teinte : si les forces djihadistes ont été contenues au Mali, la situation sécuritaire continue de se dégrader dans l'ensemble de la bande sahélo-saharienne, en dépit de la présence militaire occidentale et de la constitution de la force G5 Sahel. Cela fait craindre à de nombreux observateurs un risque d'enlisement de la situation avec une potentielle implosion des structures étatiques des pays de la région5(*). Il apparaît de plus en plus évident que la crise que connaît la bande sahélo-saharienne ne saurait être résolue par des interventions militaires seules. Les enjeux de développement doivent occuper une place essentielle dans l'implication des acteurs internationaux au Sahel pour agir sur les racines économiques et sociales qui y motivent la violence et alimentent les groupes terroristes. En ce qui concerne la France, les pays du Sahel font partie depuis longtemps partie de sa liste de pays prioritaires de son aide au développement. Pourtant, aucun des pays du Sahel ne figure récemment dans les dix premiers pays qui reçoivent le plus d'aide publique au développement de la part de la France. On entend par aide publique au développement, l'ensemble des dons et des prêts concessionnels accordés par la France aux pays figurant sur la liste des bénéficiaires de l'aide au développement du Comité d'aide au développement de l'OCDE. En 2017, la France n'a alloué que 4,3 % de son aide aux pays du Sahel sur unmontant déclaré de 10,1 milliards d'euros. Il existe donc un décalage entre la forte implication militaire de la France au Sahel, considéré comme un espace stratégique et prioritaire, et l'orientation de l'aide publique au développement qui marginalise paradoxalement les Etats sahéliens. Cela est d'autant plus problématique, à l'heure ou d'autres puissances comme les Etats-Unis et la Chine, s'affirment plus ou moins discrètement dans la région pour tenter de contester la prééminence diplomatique et économique française. En outre, si la France et l'Union européenne se sont accordées autour de la nécessité d'articuler les efforts militaires autour de politiques de développement ambitieuses selon le concept de « nexus sécurité-développement », l'UE reste en retrait en matière militaire et mise l'essentiel de son action au Sahel sur l'aide au développement, prisonnière d'une conception kantienne de la puissance qui ne lui permet pas de s'affirmer comme un soutien militaire tangible à la France au Sahel6(*). Depuis 2017, les responsables français ont pris conscience de la désarticulation entre les actions militaires et les efforts de développement, et ont impulsé une nouvelle approche de la politique d'aide publique au développement pour le Sahel.

Comment la France cherche-t-elle à retrouver un point d'équilibre de son action au Sahel entre sécurité, développement et maintien de son influence ? Existe-t-il une véritable stratégie géopolitique française pour le Sahel ? Une première partie sera consacrée à la position qu'occupe la France dans l'espace sahélo-saharien, entre désengagement et maintien de son influence et à l'émergence de nouveaux acteurs de coopération dans son ancien-pré-carré. Une seconde partie analysera les différences entre ses dépenses militaires et ses dépenses d'aide publique au développement au Sahel depuis le début de l'opération Barkhane. Enfin, la troisième partie s'attachera à montrer le récent renouveau de la politique d'aide au développement de la France au Sahel qui témoigne de l'essor d'une approche stratégique combinant défense, diplomatie et développement pour contribuer à la résolution des crises sahéliennes.

I- Les grandes puissances et bailleurs internationaux au Sahel

1.1 La France au Sahel : une relation historique qui oscille entre maintien d'influence et désengagement progressif

La présence française dans les pays du Sahel remonte à la fin du XIXème siècle. La colonisation des Etats de la bande sahélo-saharienne, rendue compliquée par la traversée du Sahara, a été ponctuée de nombreuses révoltes entre 1878 et 1898. Plus tardivement, la France fait face aux révoltes touaregs contre sa présence au nord du Niger et du Mali. Ce n'est qu'au début du XXème siècle, entre 1910 et 1920, que la France parvient à dominer complétement le territoire en dépit de l'opposition armée de nombreux groupes et individus.

Les conséquences les plus immédiates pour les Etats colonisés sont la tentative de construction d'une administration centralisée dirigée par les autorités françaises, notamment dans les territoires situés autour de la boucle du fleuve Niger, peuplés d'ethnies sédentaires. Dans les régions les plus désertiques du Nord, considérées moins dignes d'intérêt et habitées par des populations nomades, l'administration s'est faite de manière plus indirecte, et les notions d'Etat central et de règle de droit unique n'ont eu que peu de prise sur les populations, qui ont conservé des modes de gouvernance traditionnels, fondés sur la chefferie. Mais que ce soit pendant la colonisation ou dans les années qui ont suivi la décolonisation, la mise en oeuvre d'une administration centralisée d'inspiration jacobine dans les Etats sahéliens s'est souvent révélée inadaptée aux réalités du terrain, ce qui est à l'origine de l'échec du processus de construction de l'Etat malien.

Accédant à l'indépendance en 1960, une quinzaine d'Etats d'Afrique de l'Ouest francophones, dont les pays sahéliens, se rapprochent de la France et signent des traités bilatéraux avec l'ancienne métropole dans le domaine de la défense. Ces accords de défense et de coopération militaire impliquent en particulier une garantie française en cas d'agression par un acteur étatique extérieur, voire dans certains cas particuliers, par des rébellions internes. Dans le contexte particulier de la guerre froide, la France, eu égard à son statut d'ancienne puissance coloniale en Afrique de l'Ouest s'affirme comme le partenaire privilégié des Etats du Sahel. Sa présence militaire au Tchad permet par exemple de contenir les ambitions expansionnistes de la Lybie du colonel Kadhafi dans les années 1980. Au delà des aspects sécuritaires, des liens économiques étroits se sont forgés entre la France et les Etats du Sahel, au travers du maintien de la zone franc (voir annexe 3) de relations commerciales privilégiées, où la France occupait le rang de premier fournisseur de biens et services et dans le cas spécifique du Niger, par la sécurisation depuis 1969 de l'approvisionnement de la filière nucléaire française à partir de l'uranium extrait à Arlit7(*).

La défense de la francophonie dans le monde est également l'une des composantes de la politique française à l'égard des Etats du Sahel : le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont tous le français comme langue officielle (voir annexe 2). Dans le paysage linguistique diversifié de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel, le français joue le rôle de langue véhiculaire des échanges internationaux et de l'intégration économique régionale.

L'unité linguistique de cet espace autour du français se double par ailleurs d'une unité juridique avec l'adoption par les Etats du Sahel du droit continental, hérité du droit civil français (voir annexe 3). Le droit civil présente plusieurs avantages microéconomiques et macroéconomiques par rapport au droit anglo-saxon dans la mesure où il s'agit d'un droit codifié qui offre plus de prévisibilité et donc de sécurité juridique pour les entreprises. Il est aussi plus rapidement applicable que le droit coutumier, et la place qu'il accorde à la loi le rend synthétique et moins couteux pour les entreprises. La place prépondérante du français et du droit civil dans les Etats d'Afrique de l'Ouest, et en particulier du Sahel, est un vecteur d'accroissement des échanges entre la France et les Etats sahéliens, et un atout pour faciliter l'implantation des entreprises françaises en Afrique de l'Ouest.

L'influence de la France auprès des Etats du Sahel s'est aussi manifestée dans l'expression et l'affirmation d'une diplomatie active du développement pour accompagner la défense de leurs intérêts dans les enceintes internationales. C'est la France qui dans les années 1970 a promu aux côtés des États-Unis la création du Club du Sahel (devenu Club du Sahel et d'Afrique de l'Ouest) pour tenter de fédérer dans le cadre de l'OCDE les efforts des bailleurs de fonds dans la réponse aux crises alimentaires récurrentes que traversait la zone sahélo-saharienne. Dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide, la France a accordé en moyenne 47% de son aide publique au développement bilatérale à l'Afrique subsaharienne de 1960 à 1991.

Figure8 - Part de l'aide publique au développement française à l'Afrique subsaharienne entre 1960 et 1991 (en millions de dollars)

Source : données du CAD de l'OCDE

En matière sectorielle, l'aide bilatérale de la France à l'Afrique subsaharienne est alors orientée vers trois grands secteurs principaux : l'aide alimentaire, les infrastructures et les services sociaux comme l'éducation et la santé. Cette orientation de la politique de développement de la France vers l'Afrique subsaharienne reflétait, dans la tradition gaullo-mitterrandiste, l'importance géopolitique que Paris attachait à la « région du champ » et à ses enjeux (endiguement du communisme, défense de la francophonie et des intérêts économiques français, enjeux pétroliers et miniers, sécurisation du soutien des Etats africains lors des votes aux Nations Unies, appui à des régimes clients en Afrique, etc.). La France a ainsi joué un rôle incontesté de puissance tutélaire en Afrique francophone et dans les Etats du Sahel. Elle a pu y préserver un leadership fort et une influence réelle sur le volet politique, économique et sécuritaire, à la hauteur de ses ambitions gaulliennes de grande puissance au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

A partir de 1991 et la fin de la guerre froide, les relations entre la France et l'Afrique subsaharienne connaissent un «  bouleversement radical » d'après Bourmaud8(*), marqué par une évolution profonde de ses modalités et de ses principes d'intervention. Pour ce qui est des modalités d'intervention, la France n'entend plus agir de manière unilatérale, mais souhaite s'assurer le soutien des organisations régionales (Union Africaine, Union économique et monétaire ouest-africaine - UEMOA) et internationales (UE, Nations Unies). Au sujet des modalités d'intervention, la France ne vise plus le soutien prioritaire à des régimes clientélistes, mais la promotion des principes universels comme le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriales, la défense des droits de l'homme et le soutien aux autorités élues. Cette approche a défini les nouvelles orientations de la politique africaine de la France de manière durable depuis le milieu des années 1990.

Plusieurs facteurs expliquent ce changement de cap : en premier lieu, la fin de la guerre froide a transformé le contexte international, et la mondialisation a atteint progressivement l'Afrique subsaharienne et le Sahel, ce qui ouvre ces régions à de nouvelles influences (Etats-Unis, Inde, Chines). Le contexte domestique a lui-même évolué, avec un intérêt déclinant de la population française pour l'Afrique subsaharienne, désormais perçue sous la lumière négative des enjeux migratoires. La politique africaine de la France doit en outre s'insérer dans le creuset d'une politique extérieure européenne à vocation intégratrice, qui doit s'accommoder des vues des autres pays de l'UE. Ceux-ci n'ont pas les mêmes liens historiques que la France avec l'Afrique et le Sahel, ni les mêmes intérêts stratégiques. Il en résulte une approche plus « normalisée » des relations de la France avec ses anciennes colonies. Cela est particulièrement le cas pour ce qui concerne la politique de coopération de la France et les orientations de son aide publique au développement, qui fait l'objet d'ajustements institutionnels, stratégiques et normatifs en 19989(*). A cette occasion, les critères d'allocation de l'aide française convergent progressivement vers les critères européens : en plus de la lutte contre la pauvreté et les inégalités, qui sont les secteurs traditionnels d'intervention de la coopération de la France, l'aide française vise désormais à promouvoir les biens publics mondiaux (santé, sécurité, migrations, diversité culturelle) et le traitement de questions transversales (gouvernance démocratique, développement durable et genre), qui sont présents dans l'agenda de coopération européen10(*). Il en résulte une réorientation de l'aide au delà de l'Afrique subsaharienne francophone. De nouvelles zones d'interventions apparaissent dans les géographies d'intervention de la coopération française, principalement en Méditerranée et au Proche-Orient. Dans le cadre de marges de manoeuvres budgétaires de plus en plus étroites, la politique de développement de la France confirme aussi une implication nouvellement active dans les pays émergents (Brésil, Inde, Chine, Mexique, Afrique du Sud), ce qui se traduit par le recours accru aux prêts par l'Agence française de développement au détriment des dons visant les Etats les plus pauvres, en particulier les Etats sahéliens. Si la priorité africaine est maintenue dans les engagements du comité interministériel de coopération de 2006, celui-ci n'annonçait pas de moyens nouveaux ciblant les Etats d'Afrique francophone.

Plus largement, des trois piliers économique, politique, sécuritaire autour desquels s'est structurée la politique africaine de la France, deux ont été affectés par le mouvement de normalisation et de banalisation des relations franco-africaines : le pilier économique et le pilier politique. Concernant le pilier économique et financier, s'il demeure organisé autour de la zone franc, la France y a perdu de son influence au bénéfice des institutions financières internationales de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international), depuis qu'elle a officiellement récusé toute allocation aide bilatérale direct pour les pays ne se soumettant pas à un programme d'ajustement structurel du Fonds monétaire international, par la voix du Premier ministre Edouard Balladur en 1994 à Abidjan. Cette «  doctrine Balladur » n'a jusqu'ici jamais été remise en cause par la France, malgré les rigidités que peut induire cette approche, en particulier dans le cas des situations post-conflits. La dévaluation du franc CFA de 50% la même année a rendu les pays africains globalement moins dépendants du soutien financier de la France, et a pu être interprété comme un « lâchage » relatif par Paris des Etats africains francophones11(*). Par ailleurs, la part des échanges commerciaux entre la France et les Etats africains n'a cessé de se réduire : la part de l'Afrique subsaharienne dans les exportations françaises est passée 8,7 % en 1970 est passée à 2,4 % en 2017. L'Afrique fournit en outre une part marginale de ses importations (4%). Même si les exportations françaises vers l'Afrique ont doublé en valeur depuis 2000, la France a vu sa part de marché relative dans les relations commerciales de l'Afrique subsaharienne diminuer de moitié, en passant de 11% en 2000 à 5,5% en 2017.

Sur le plan politique, la France s'est tournée vers une approche partenariale, et a tenté d'appuyer les principes d'africanisation et de mutualisation des efforts, en particulier à l'échelle européenne. La France se réfère dans ses interventions aux positions défendues par l'Union africaine, les organisations sous-régionales ou le Conseil de sécurité des Nations Unies. La France met aussi en avant dans ses discours les principes de l'État de droit et de la gouvernance démocratique. A l'instar du Royaume-Uni, elle s'est fait le porte-voix des situations et problématiques africaines au Conseil de sécurité, et cherche à favoriser l'implication politique des Nations Unies, ou à défaut, obtenir son assentiment par un mandat pour conduire une intervention militaire12(*).

Contrairement aux dimensions économiques et politiques qui ont suivi la voie de la normalisation, le volet militaire de la politique africaine de la France s'est renforcé ces dernières années. L'héritage des accords de défense et des accords de coopération militaire se fait toujours sentir dans les relations bilatérales de défense que la France entretien avec les pays africains : en 2016, 70% de la coopération militaire française était destinée à l'Afrique subsaharienne, dont les 2/3 vers les Etats du Sahel (Mali, Tchad, Niger). Grande oubliée du « Livre blanc de défense et de sécurité nationale » de 2008, l'Afrique subsaharienne et le Sahel ont explicitement fait leur retour dans le livre blanc de 2013 ainsi que dans la revue de défense et de sécurité nationale de 2017. La France a également élaboré une «  Stratégie Sahel » fondé sur une « approche globale » qui vise à articuler les enjeux de défense, de diplomatie et de développement dans la bande sahélo-saharienne.

* 5Charbonneau, B. (2017). De Serval à Barkhane: les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel. Les Temps Modernes, (2), 322-340.

* 6BÉRANGÈRE, ROUPPERT. Les États sahéliens et leurs partenaires extrarégionaux: le cas de l'Union européenne en particulier. Note d'Analyse du GRIP, 2012, vol. 6, p. 2.

* 7Grégoire, E. (2011). Niger: un État à forte teneur en uranium. Hérodote, (3), 206-225.

* 8Bourmaud, D. (2005). La nouvelle politique africaine de la France à l'épreuve. Esprit (1940-), 17-27.

* 9Gabas, J. J. (2005). L'aide publique française au développement. Etudes de la documentation française, (5210), 9-167.

* 10Balleix, C. (2010). La politique française de coopération au développement. Afrique contemporaine, (4), 95-107.

* 11Hugon, P. (2007). La politique économique de la France en Afrique. Politique africaine, (1), 54-69.

* 12Châtaigner, J. M. (2006). Principes et réalités de la politique africaine de la France. Afrique contemporaine, (4), 247-261.

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