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La marque de l'impermanence dans les expositions du palais de Tokyo

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par Thomas Bizien
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - Master 1 de médiation culturelle 2010
  

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I.2.c À L'emballement mécanique : le hasard et l'aléatoire

En pleine première guerre mondiale, les dadaïstes prennent soudain conscience que la rationalité, sous le couvert d'apporter des réponses à même de faire évoluer la société, n'a pu au final apporter que guerres et désespoir. Réinsuffler du hasard et de la spontanéité dans les interstices de la société, tels étaient leurs ambitions, étant sûr que le naturel de l'être serait plus à même d'engendrer la paix, le bonheur et la sérénité. À notre époque, la critique de la raison se déplace de l'humain aux machines, les gages d'infaillibilités offertes par cette dernière étant remis en cause par les artistes contemporains. Alors que ces machines sont censées offrir la stabilité industrielle à même de soulager les efforts de l'humanité, les oeuvres présentées ici critiquent cette posture. En y insérant de l'imprévisibilité, il retourne la technologie en y dévoilant intrinsèque à la machine, son irrationalité.

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Présenté lors de la session Superdome et pour l'exposition hors les murs à Fontainebleau, le travail d'Arcangelo Sassolino, se concentre sur les procédés techniques et utilise le plus souvent des matériaux industriels. Sa série la plus célèbre, Rimozione, est une plaque de béton simplement scalpé du sol, en lévitation au-dessus du trou béat laissé par cette incision. Ses créations montrent simultanément l'accomplissement humain et technologique, mettant en même temps à nu leur potentiel de destruction. Pour la session Superdome l'artiste présentait Afasia 1, une installation qui explore les comportements mécaniques d'une machinerie robuste. Grâce à de l'azote comprimé, un lanceur propulsait des bouteilles de verres à plus de 600 Km/heure. Le canon chargé plaçait le visiteur dans une attente angoissante. Sans décompte affiché, rien ne préciser le moment de la détente, si fugace, que seul le bruit lourd dégagé permettait de certifier que le tir avait bien eu lieu. En face du canon, un écran de métal servait de bouclier tandis qu'à ses pieds, des résidus de bouteilles vides formaient un tapis de verre, tapis devenu montagne au moment du démontage. À Fontainebleau, Arcangelo Sassolino présentait Sans titre47 un mécanisme destructeur doté de détecteur de mouvement qui rompait en deux des bûches de bois. En mettant au jour un processus de destruction, ces deux oeuvres semblent vouloir affirmer un profond pessimisme face à la capacité fonctionnelle des machines. Evolutives et destructrices, elles incorporaient dans leur structure, les fluctuations qui disent impermanence au temps.

Présenté lors de l'exposition d'ouverture du mandat de Marc-Olivier Wahler, le travail de Kris Vleeschouwer, Glassworks II se présentait sous la forme d'une étagère de métal sur laquelle reposait dans un précaire équilibre, des dizaines de bouteilles de verre. S'activant par intermittences non programmées, un moteur venait ébranler la structure et faisait tomber dans un fracas sonore les bouteilles qui reposaient en son bord. Du fait de son déclenchement aléatoire, cette proposition insérait une dimension temporelle qui fait penser à l'installation de Jean Tinguely aux grands magasins Victor Loeb de Berne. Intitulé Rotozaza III, cette machine longue de huit mètres détruisait douze mille assiettes en quelques jours. Ces deux travaux offrent à voir le processus artistique incontrôlable. Des mutations entre l'idée originale et sa transmission sur le médium peuvent en effet faire penser à une automatisation forcée

47 Fig. #15

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que l'artiste ne pourra jamais entièrement contrôler. Insérer ces processus dans le temps de l'oeuvre est gage d'authenticité, car rendant compte de cet aspect insaisissable, elles en permettent la lecture.

Définissant lui-même ses oeuvres comme autant d' « Actions Sculpturales », Roman Signer a été exposé cinq fois au Palais de Tokyo.48 Pour l'exposition Une seconde, une année, l'artiste installait une valise close au milieu des espaces de l'institution. Et si de l'extérieur rien ne transparaît, un feu de détresse en attente d'animation somnolait à l'intérieur. Lorsqu'il s'activa, la valise s'ouvrit, annulant ainsi l'oeuvre qui apparaissait dès lors comme le vestige d'un processus passé. Ouverte et grillée, la valise avait muté. On retrouve aussi ces continuités brusquement rompues dans d'autres travaux de Roman Signer. En 2009, à l'occasion d'une exposition personnelle au sein de la session Gakona, l'artiste suisse présentait Tables, une sculpture temps qui s'activait de manière fugitive. Dansant en suspension au gré d'une poussée d'air irrégulière, ce travail reprenait à son compte l'impermanence du temps. Comme pour Valise, il n'y a dans ses oeuvres rien qui ne tient vraiment mais c'est précisément dans ce vide que tout se joue.

Marquées par la notion d'activation, ces installations semblaient en berne. Subitement en mouvement, elles annulaient l'instant d'après leurs présences. C'est en activant des processus que les travaux d'Arcangelo Sassolino, de Kris Vleeschouwer et de Roman Signer rejoignent la notion d'impermanence. Non statique, une essence ambulatoire les fait s'actionner, dans une temporalité brève, furtive comme fugitive. Comme la Lampe annuelle d'Alighiero Boetti49, présentée éteinte mais programmée par l'artiste italien pour ne s'allumer qu'une fois l'an, de surcroît très brièvement, ces oeuvres exacerbent l'attente du spectateur, l'oblige à supporter une dilatation du temps. Utilisant le suspense et filtrant avec la frustration ces oeuvres se construisent selon des systèmes aléatoires et fonctionnent de manières imprévisibles. Jouant de continuité et de ruptures rythmiques, elles mètrent

48 En 2006 : présentation de Valise au sein de l'exposition Une seconde, une année

En 2009 : exposition personnelle de Roman Signer au sein de la session Gakona, ainsi qu'une projection de ses vidéos.

En 2010 : une vidéo, Helikopter auf Brett au sein de l'exposition Fresh Hell

49 OEuvre présentée lors de l'exposition, Une seconde, une année, 2006

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le temps conformément à ce qu'il est une fois envisagé en termes de perception humaine : un flux, un intervalle, un rythme.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard