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L'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs. Le cas de Netflix et des séries tv en France

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par Sarra GADIRI
CELSA - Master 2 Professionnel Médias et Numérique 2016
  

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2. Approcher la diversité du genre et son hybridation

2.1. Des séries traditionnelles aux « néo-séries » : le métissage des formes

Les séries télévisées sont attachées à la fiction populaire, elles sont héritières de genres narratifs qui ont été modelés au fur et à mesure depuis le début 19ème siècle. Pour Jean-Pierre Esquenazi, « les fabricants de séries sont les descendants des romanciers et des dramaturges inventeurs d'aventures et de romances »42. C'est principalement pour cette raison que les grands genres de la fiction télévisée n'ont pas tardé à se mettre en place dès les débuts de la télévision. Nous pouvons répertorier ces genres fondamentaux en deux grands types. Le type « aventure » qui s'appuie sur les genres cinématographiques policier, fantastique, science-fiction et où un héros cherche à élucider un mystère tout en éliminant un « méchant » en parallèle. Le deuxième type exploite, quant à lui, les caractéristiques du roman sentimental et du « film de femmes ». Ce type est caractérisé par des affaires romanesques et essentiellement constitué par les commentaires interminables engendrés par des sentiments éprouvés ou observés43.

Selon Jean-Pierre Esquenazi, aux débuts de la télévision, la conception de ces fictions diffère selon leur moment de diffusion programmé. Par exemple, les sitcoms sont émises dans l'après-midi (day-time) et à destination d'un public féminin alors que les fictions policières occupent traditionnellement le début de soirée (prime-time) et sont destinées à un public masculin44. Ce n'est qu'à partir des années 1970 que les responsables des grands networks commencent à remettre en cause cette division, réalisant que les cop-shows n'ont plus autant de succès et n'intéressent pas les publics féminins 45 . Cette phase de remise en question est perçue par la

42 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.84.

43 ESQUENAZI Jean-Pierre, l'inventivité à la chaîne, formules des séries télévisées, Université de Lyon II, MEI « Médiation et information », n° 16, [PDF], 2002, p.3.

44 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.71.

45 Ibid.

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chercheuse Américaine Amanda Lotz d'« ère de transition ». Une ère durant laquelle la télévision passe d'une période de domination des réseaux où une distinction pragmatique est faite entre les méthodes de production des programmes de journée et celles des programmes de soirées (plus coûteux) à une ère de « télévision post-réseaux » où cette distinction devient floue en raison de l'apparition d'un schéma qui privilégie les attentes de micro-publics, recherchant des contenus plus ciblé46.

A partir de cette période : fin des années 1970 et début des années 1980, les chaînes commencent à rechercher de nouvelles solutions narratives pour s'adapter aux attentes de ces publics mixtes et volatiles, dont les pratiques de visionnage se trouvent impactées par l'adoption de nouveaux appareils.

L'apparition des nouvelles technologies et des nouveaux modes de distributions de l'époque (télécommande, VHS) a, en effet, contribué à faire émerger de nouveaux modèles narratifs. Si nous prenons l'exemple de séries dites traditionnelles, comme Columbo, Mac Gyver ou encore Starsky & Hutch qui mettent en scène des héros à la mémoire courte, ne se rappelant de rien d'un épisode à un autre. Cette « défaillance » avait pour objectif de ne « perdre personne en cours de route ». Les séries de ce type prenaient donc en, considération la dépendance du téléspectateur à la grille de programmation, sans possibilité de zapper ou de revoir les épisodes et lui donnaient la possibilité de « suivre » la série, indépendamment de la chronologie des épisodes. Plus tard, la possibilité de zapper, enregistrer et revoir les épisodes a poussé les créateurs de séries à recourir à des formes narratives plus complexes, notamment, grâce à des techniques scénaristiques comme l'utilisation des arcs narratifs, du cliffhanger ou encore du procédé « des blessures du passé ». Ces procédés, sur lesquels nous reviendrons plus tard, ont permis de d'approfondir les intrigues et les personnages.

L'apparition de nouvelles formes sérielles donnent beaucoup de fil à retordre aux personnes désirant les classer. Nous avons, néanmoins, essayé de répertorier certaines de ces typologies afin de mieux appréhender les hybridations dont il est question.

46 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.181.

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2.1.1. Tentatives de classification des séries télévisées

Les premières réflexions sur les formes sérielles sont très arrêtées : pour Stéphane Benassi : « il n'existe à la télévision deux types de fictions distincts, les unes singulières, qui sont aujourd'hui désignées par le terme générique téléfilm, les autres plurielles, divisées en fonction de leur forme syntaxique et qui se répartissent dans les deux autres genres fictionnels que sont le feuilleton et la série. 47». Cette constatation bien que réductrice, comme l'affirmera Benassi par la suite, a l'avantage de faire émerger deux types distincts de développement syntaxiques : la mise en série et la mise en feuilleton. Ces deux principes sont deux manières de gérer la narration, qui ont été challengé par les créateurs et introduits dans des genres où ils étaient, jusque là, absents.

Il était de convenance, par exemple, que la mise en feuilleton et le mélodrame soient indissociables. Cette vision est vite dépassée avec l'apparition de feuilletons qui n'appartiennent plus seulement au « genre » : soap opera : comme dans 24 heures chrono où la série d'action devient feuilletonnesque. Une « tendance à la recombination 48 » qui s'affirmera dans les années 1990 et 2000 et donnera naissance à des fictions télévisuelles issues d'un mélange entre genres fictionnels et de manières de « travailler » la narration que nombre d'auteurs ont tenté de définir49.

Pour saisir davantage ces hybridations qui affectent les deux formes principales de la fiction plurielle, à savoir le feuilleton et la série, il nous ait apparu intéressant de revenir sur la distinction opérée par Jean-Pierre Esquenazi dans sa tentative de classer les séries. Esquenazi opère une première distinction entre : les « séries immobiles » et les « séries évolutives », bien que les territoires entre ces deux types se chevauchent souvent et sont rarement purs50. Le propre des séries immobiles est la répétition d'une même structure narrative ainsi que l'art de retenir le temps narratif. Elles sont également la promesse d'un univers fictionnel aux règles inchangées. Les séries immobiles comprennent la « série nodale », le « soap opera » et le « sitcom » : « la narrativité nodale de Columbo ou de Law & Order, la logorrhée

47 BENASSI Stéphane, séries et feuilletons TV : pour une typologie des fictions télévisuelles, Edition du Céfal, 2000, p. 35

48 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.44.

49 Noël NEL Stéphane BENASSI Jean-Pierre ESQUENAZI, etc.

50 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.107-108.

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persistance du soap, les plaisanteries dupliquées du sitcom sont autant de façons différentes de retenir le temps narratif et de construire ces chaînes narratives qui n'ont de clôture que fictive 51 ». Concernant les séries évolutives, elles ont la particularité de multiplier les possibilités d'organisation du temps en en faisant une donnée narrative. Les deux grands types de séries évolutives sont la « série chorale » (qui met en scène une communauté : Urgences, NYPD Blues, Ally McBeal) et la « série feuilletonesque » (ce type lui-même composé du feuilleton « pur » (24 heures chrono), de la « série à énigme » (Lost) et de la série-feuilleton qui allie trois niveaux distincts de temporalité).

Au vu de nos interrogations qui concernent les pratiques de visionnage des publics, nous retiendrons également la distinction opérée par le sociologue Clément Combes qui s'est intéressé à la relation entre les individus et séries télévisées et à l'activité spectatorielle. Clément Combes distingue entre les « séries itératives » et les « séries feuilletonnantes ». Les premières proposent des épisodes indépendants « stand-alone » et permettent un visionnage dans le désordre, car tout épisode est indépendant et propose de courts récits qui contiennent un début et une fin. Les « séries feuilletonnantes », quant à elles, « proposent des intrigues au long court, sous forme d'arcs narratifs ; elles nécessitent, pour en prendre la pleine mesure voire pour que cela ait un sens, de regarder leurs épisodes dans leur ordre d'apparition 52 ». La distinction opérée par Clément Combes n'annule pas les propositions conceptuelles proposées Jean-Pierre Esquenazi car nous revenons toujours à ce principe d'immobilité et d'évolution. Chaque fiction plurielle possède un « noyau immobile » et un « noyau évolutif ». Dans certaines, le noyau évolutif est très réduit et donne des séries « qui demeurent identiques à elles-mêmes » (Columbo). Cependant, même, dans les séries les plus évolutives, il subsiste toujours « un fort pivot reproductible53 ». La raison est que le concept, lui-même, de série télévisée « suppose une identification aisée de tout épisode, et donc la présence répétée de structures narratives, de rythmes, de personnages »54. Ce pivot

51 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.115-116.

52 COMBES Clément. La pratique des séries télévisées : une sociologie de l'activité spectatorielle. [Disponible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document] Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2013, p. 54.

53 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.138

54 Ibid.

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est ce que les créateurs de séries télévisées essayent de préserver pour ne pas fourvoyer le genre et les publics.

2.2. Densification de la narration et complexification des intrigues

2.2.1. L'apparition des dramas

« Dès mes premiers pas dans la télévision, il m'est apparu clairement que les bonnes séries ne pouvaient qu'être le fait de bons scénaristes ». Grant Tinker55

Dans un ouvrage publié en 1983, rassemblant une sélection d'entretiens avec des producteurs de la télévision américaine, Horace Newcomb et Robert Alley assurent que la force créative d'une série télévisée émane du producteur allié au scénariste et non pas au réalisateur56. Dix ans plus tôt, Grant Tinker, fondateur de la société de production MTM Entreprises est connu dans le milieu de la production télévisuelle américaine pour croire en l'importance des scénaristes. Et c'est sous son aile que Steven Bochco créa Hill Street Blues.

Quatrième drama produit par MTM57, cette série vient révolutionner les formules narratives utilisées dans les années 1970. A cette époque, la chaîne NBC est intéressée par une histoire qui se déroulerait dans le commissariat d'un quartier difficile, mais Steven Bochco ne se voit pas créer un énième cop-show et, soutenu par Grant Tinker, demande à NBC une autonomie créative pour le projet. Pour la création de Hill Street Blues, Steven Bohco veut donner une importance fondamentale à la communauté professionnelle du commissariat de Hill Street et ne pas se concentrer uniquement sur les enquêtes policières. Cela requiert une formule hybride qui viendrait doser entre le traitement d'un soap-opera et le format d'une série policière, tout en y ajoutant de nouveaux ingrédients diégétiques pour fluidifier le déroulement des intrigues. Jean-Pierre Esquenazi décrit la formule narrative de Hill Street Blues de la manière suivante : « les scénarios de Hill Street Blues seront

55 Extrait des mémoires de Grant Tinker. Source : BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 48.

56 Horace Newcombe et Robert S. Alley, The Producer's Medium : Conversations with Creators of American TV , Oxford University Press, New York, Reprint, 1985.

57 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 48.

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tissés d'histoires multiples dont chaque épisode propose un fragment. La mise au point de cette technique rend obligatoire le travail collectif : un même épisode peut contenir plusieurs histoires, dont chacune a un auteur et qu'il faut articuler entre elles. En outre, chacun de ces arcs narratifs pourra être commenté par le personnel du commissariat et leurs familiers, à la manière du soap-opera. Chacun doit aussi apparaître sinon comme une comme une enquête policière, du moins comme une activité policière, à la manière du cop-show58 ». Au delà de l'apparition de l'écriture collective qui a permis de densifier les intrigues et d'approfondir l'univers des séries télévisées (développement d'un nombre important de personnages et d'intrigues traitant thèmes et de sujets divers), Hill Street Blues est un exemple précurseur dans l'apparition de ce que l'on appelle les « romans de prime-time59 » ou encore les « récits multitramés60 » et auxquels nous préférerons, l'appellation de dramas. Les dramas mettent généralement en scène des récits vastes à travers des intrigues au long cours et un nombre important de personnages qui sont davantage enclins à parcourir de larges territoires. Ce traitement du récit qui s'est démocratisé à partir des années 1990, notamment avec les productions de la chaîne HBO, a également pour particularité de privilégier les intrigues autour du pouvoir, déclinant le drame dans tous les mondes sociaux possibles : Oz, The Sopranos, The Wire... pour ne citer que les aînés.

2.2.2. Quelques procédés scénaristiques

Les séries télévisées de l' « ère post-réseaux » ont recourt à des techniques de complexification du récit comme le cliffhanger (que nous avons traité précédemment) mais aussi les arcs narratifs, le récit cumulatif et les « blessures du passé 61», tous des procédés fermement en place aujourd'hui. Les arcs narratifs permettent d'étaler l'histoire sur plusieurs épisodes, voire plusieurs saisons, laissant ainsi certaines intrigues en suspens, le cliffhanger vient, lui, entretenir l'intérêt pour une série d'une

58 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.74-75

59 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.183.

60 Ibid.

61 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.186.

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manière stratégique. En ce qui concerne le récit cumulatif et le procédé « des blessures du passé », nous voyons leur utilisation comme une « récompense » pour les spectateurs assidus.

Si les chaînes se sont rendues rapidement compte de l'appétence des publics pour un contenu plus ciblé, correspondant à leurs valeurs culturelles, du côté des créateurs de séries, cela a permis d'imaginer différents moyens d'élargir et d'approfondir les intrigues en jouant sur le passé des personnages ou sur une « certaine mémoire du temps62 ». Dans ce sens, la « blessure du passé » est un procédé scénaristique qui tient compte de la vie des personnages avant leur apparition dans la série, de sorte à pouvoir activer ce passé dans le développement des intrigues. Meredith Grey, l'héroïne de la série Grey's Anatomy, par exemple, semble avoir une relation conflictuelle inexplicable avec sa mère que le spectateur ressent tout le long de la série. Il n'en découvre l'une des raisons qu'à partir de la saison cinq où une scène montre que Meredith avait sauvé sa mère d'une tentative de suicide en la découvrant, juste à temps, dans un bain de sang, dans sa cuisine.

Ces procédés, en plus d'être des moyens de fidélisation, viennent nourrir la passion des publics pour leurs séries préférées. Des publics qui sont aujourd'hui, grâce aux avancées technologiques, capables de « suivre » et de se souvenir d'évènements qui se sont passés dans des épisodes ou des saisons antérieurs. Ces publics sont également devenus capables d'interpréter les médias qui les entourent et de développer une certaine expertise des TIC pour satisfaire leurs attentes. Nous verrons pourquoi et de quelles manières ils s'y prennent dans le chapitre suivant.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle