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L'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs. Le cas de Netflix et des séries tv en France

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par Sarra GADIRI
CELSA - Master 2 Professionnel Médias et Numérique 2016
  

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3. L'art des séries télévisées

Pour clore ce chapitre sur la diversité sérielle, nous avons voulu nous intéresser aux ambitions artistiques des séries télévisées. Des séries traditionnelles aux séries d'auteurs des années 1990 et 2000, cette forme télévisuelle a évolué pour gagner en qualité. Jusque là, nous avons vu que la « sophistication » des séries actuelles passe par la complexification de la narration et le traitement de sujets tabous et « politiquement incorrect ». Une transgression morale délibérée qui est devenue la marque de fabrique des chaînes américaines du câble premium.

62 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.186.

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Cependant, la mise en scène de sujets subversifs et un traitement narratif complexe ne suffisent pas à faire accéder une série dite de qualité au rang de chef-d'oeuvre du petit écran. Si ces deux aspects y sont pour beaucoup, la notion d'art qui se cache dans le terme « chef-d'oeuvre » trouve sa place quand la « formule » d'une série arrive à orchestrer parfaitement différents paramètres. De sorte à donner vie à un univers reconnaissable, unique et captivant. Certaines séries télévisées sont gravées dans les mémoires car elles fabriquent un monde qui donne envie aux fans de s'y immerger, jusqu'à, pour certains, prendre part à son expansion. D'autres, marquent le spectateur et le surprennent par un traitement esthétique élaboré qui devient un moyen inhabituel de dérouler le récit visuellement.

Afin de traiter de l'art des séries télévisées, nous avons choisi l'exemple de deux séries plébiscitées par le public et par la critique : Twin Peaks (1990 - 1991) pour son univers captivant et Breaking Bad (2008 - 2013) pour son traitement visuel du récit.

3.1. Le monde fertile de Twin Peaks

En tentant d'appréhender la diversité sérielle, nous avons vu que, dans leur évolution, les fictions plurielles se sont éloignées des formats classiques, série et feuilleton, pour revêtir des modèles narratifs hybrides, plus souples. Aussi, dans son développement constant, chaque fiction plurielle s'appuie sur une « formule » qui lui est propre, une sorte de modèle que Jean-Pierre Esquenazi compare à un « thème » (au sens musical)63. Le thème d'une série permet à son public de reconnaître son essence et d'avoir l'assurance de retrouver un même univers au fil des épisodes.

Il y a, certes, des formules plus pertinentes que d'autres et qui poussent les producteurs à les reprendre et à les décliner sur des projets différents, dans le but d'en garantir le succès64. Cela s'avère efficace dans le cas de franchises facilement ré-ajustables comme CSI (Les Experts) et Law & Order (New York, police judiciaire) par exemple. Cependant, la déclinaison d'une formule qui a fait ses preuves n'est nullement un gage de succès : les exemples de séries télévisées calquées sur des séries à succès, mais qui ne rencontrent pas la réussite escomptée ne manquent pas. Cela nous amène à penser qu'une formule est bien plus qu'un thème qui

63 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris Armand Colin, 2010, p.94.

64 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.80.

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caractérise une série et qui permet de l'identifier. Elle est surtout ce qui distingue une série quelconque d'un chef d'oeuvre du petit écran.

Selon Stéphane Benassi, une formule reposerait sur cinq paramètres (sémantique, spatial, temporel, narratif et discursif). Ces paramètres sont affectés par la dialectique variation/invariance lors des processus de mise en série et/ou de mise en feuilleton des récits65. Ce que nous appelons « art de la formule » est le savant dosage de ces différents paramètres qui relève de l'art et du savoir-faire des créateurs des séries télévisées.

Evidemment, nous ne remettons pas en question l'originalité d'oeuvres qui viendraient jaillir à partir d'une oeuvre première ou en parallèle à celle-ci et donc d'une formule plus ou moins existante, à l'image des adaptations cinématographiques ou des transfictions66 sérielles (à travers des procédés comme le spin-off67 ou le crossover)68, mais nous insistons sur cette part d'unicité, cette subtile orchestration qui donne à une fiction donnée un univers qui lui est propre, reconnaissable et captivant. Et c'est cet univers qui participe à créer l'adhésion et l'engouement autour d'une oeuvre, en tissant des liens avec les spectateurs et en leur donnant l'envie de s'y immerger, de le partager et de le raconter.

A travers le cas de la série Twin Peaks, nous voudrions rendre compte de la force de certaines séries télévisées à créer de l'engouement autour d'elles. Nous voudrions comprendre comment elles s'y prennent et montrer également les conséquences de cet engouement sur les publics.

Enseignant en cinéma-audiovisuel et corédacteur en chef de la revue de cinéma Simulacres de 1999 à 2003, Guy Astic a consacré deux de ses essais à l'oeuvre de David Lynch. Dans l'un de ces deux essais, Twin Peaks : Les laboratoires de David Lynch, Aspic s'intéresse au passage de du réalisateur au petit écran à travers la

65 Ibid.

66 Richard Saint-Gelais propose de définir la « transfictionnalité » de la manière suivante : « Par transfictionnalité, j'entends le phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d'une intrigue préalable ou partage d'univers fictionnel ». Source : SAINT-GELAIS Richard, Fictions transfuges : la transfictionnalité et ses enjeux, Edition du Seuil, 2011, p. 07.

67 Un spin-off est un processus transfictionnel qui désigne une série dérivée d'une autre série. C'est le cas par exemple de la série New York police judiciaire qui a donné naissance aux spin-off New York section criminelle et New York unité spéciale.

68 Un crossover est également un processus transfictionnel qui croise les univers de deux séries différentes.

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création de ce qu'il appelle « un rejeton illégitime de la télévision69 » ou une série qui « s'apparenterait à un laboratoire dans lequel Lynch se plaît à s'enfermer70 » : Twin Peaks.

David Lynch voit le format sériel comme l'opportunité de donner naissance à un monde vaste où il aurait la possibilité de développer graduellement les personnages et les intrigues sans obligation de clôture. Il dit à ce propos : « L'idée de continuité à la télévision est formidable. Ne jamais dire au revoir...71 ». D'ailleurs, Lynch est un réalisateur qui a du mal à respecter les canons, même au cinéma. Ses films Dune, Elephant Man, Sailor et Lula et Fire Walk With, par exemple, durent plus de deux heures et débordent du format classique de long métrage commercial.

L'univers « lynchéen » est devenu facilement reconnaissable pour de nombreux spectateurs et critiques. L'esthétique et le récit lynchéens sont caractérisés par une composition fragmentée, flottante : l'accent est souvent mis sur l'expressivité des scènes ou celles moments narratifs et la clôture des oeuvres peut sembler souvent confuse ou décousue. Avec Twin Peaks, David Lynch fait venir son univers à la télévision et se fait guider dans son passage au format cathodique par le scénariste Mark Frost que Guy Aspic décrit comme étant « suffisamment novateur pour ne pas brider les inventions esthétiques72 » de Lynch. Car l'imagerie est centrale dans les oeuvres de Lynch et Twin Peaks n'y échappe pas. La série a, elle aussi, cette capacité à captiver le regard. On en dira des années plus tard qu'il est « impossible de ne plus y penser le téléviseur éteint. Les images impriment la rétine, s'ancrent dans le coeur et la mémoire73 ».David Lynch a pu conserver une grande liberté derrière la caméra dans la création de Twin Peaks. Guy Astic dit du cinéaste qu'il « contrarie le développement des intrigues, entrebâille le circuit des images pour feuilleter les représentations - pour ce faire, il recourt à un usage magistralement

69 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 23.

70 Ibid. p.12

71 CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier du cinéma, 2007, p.122.

72 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p.09.

73 Source : « Twin Peaks toujours culte », Le Monde, [disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/10/07/twin-peaks-toujours-

culte 4502162 3246.html#2VJJHkjuOs6wgb4C.99], publié le 07 octobre 2014, consulté le 12 mars 2016.

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précis de la profondeur de champ et de l'orchestration premier plan/arrière plan74 ». Une réalisation puissante qui, bien avant, des séries comme Breaking Bad, démontre que l'on peut aussi captiver le téléspectateur par l'image, comme au cinéma, et non seulement à travers une médiation verbale comme le veut le traitement des soaps opera de l'époque.

Malgré un court passage à la télévision : trente épisodes sur un peu plus de 2 ans75, Twin Peaks s'est s'impose comme une série culte en devenant un véritable phénomène médiatique et culturel qui continue de faire parler de lui aujourd'hui. Twin Peaks est oeuvre hybride. Reposant principalement sur le genre soap-opera, elle a la singularité d'y inclure une dose de fiction policière, de comédie satirique, de fantastique... un métissage des genres, novateur pour l'époque. La série met également en scène des personnages excentriques qui évoluent dans un univers onirique sur le rythme de mélodies entêtantes qui ouvrent d'une manière quasi-systématique la plupart des scènes. Et c'est cet univers troublant, nourri par les multiples intrigues tissées sans cesse pour semer vrais et faux indices sur le meurtre de Laura Palmer76, qui a contribué fortement à l'engouement autour de la série et à la naissance du « forum de discussion le plus actif des débuts de l'ère d'Internet77 ». Ce forum de discussion apparaît dès la diffusion du premier épisode de la série et rassemble une communauté de fans estimée à 25000 lecteurs78.

Cette communauté, qui suit assidument les multiples intrigues de Twin Peaks, remplit plusieurs fonctions :

« Les fans travaillaient ensemble pour dresser la liste des événements de la série ou des extraits de dialogue jugés particulièrement importants ; ils partageaient entre eux tout ce qu'ils réussissaient à trouver sur la série dans la presse locale ; ils utilisaient le web pour stocker des vidéos à l'intention des fans qui avaient manqué un épisode, ils passaient au crible la grille complexe des références à des films, des feuilletons télévisées, des chansons, des romans et d'autres textes célèbres que contenait la série, et comparaient leurs informations avec les leurres que plaçait, d'après eux, l'auteur pour les entraîner sur une fausse piste79 ».

74 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 57.

75 Twin Peaks est programmée pour la première fois entre le dimanche 8 avril 1990 et le mercredi 10 juin 1991.

76 Twin Peaks raconte l'enquête menée par l'agent spécial du FBI Dale Cooper pour découvrir l'assassin de Laura Palmer, retrouvée morte emballée dans du plastique.

77 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 74.

78 Ibid.

79 Ibid.

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La profondeur de l'univers de Twin Peak et sa complexité narrative donnent énormément de matière à cette communauté engagée qui trouve plaisir à mettre en commun les différentes ressources et à jouer au jeu de l'interprétation. D'ailleurs, l'expertise naissante de ces fans, rassemblés sur la toile, et qui « découvraient avec fascination l'intérêt du travail collectif pour donner du sens à ce qu'ils regardaient80 » peut être vu comme un premier présage de l'appétence des publics et leur enthousiasme pour des séries élaborées et des intrigues complexes.

Malheureusement, la révélation tant attendue du meurtrier de Laura Palmer n'est pas assez bien orchestrée. Les producteurs de ABC, inquiétés par un David Lynch qui n'a nullement l'intention de « clôturer » car passionné par ce format sériel qui permet de dérouler indéfiniment l'histoire, en déterrant continuellement « des choses sous des choses », font pression pour dévoiler l'assassin à l'issue du 15ème épisode81. Ce dénouement précipité « qui marque le début de la fin aux yeux du cinéaste82 », n'est pas du goût des fans qui se sentent trahis et frustrés par une révélation qui ne pouvait en aucun cas rivaliser avec toutes leurs analyses et les théories qu'ils avaient élaborées et partagées sur le forum83.

Henry Jenkins voit dans cet intérêt intense pour l'exploitation des informations d'un univers donné, « le signe avant-coureur que des tensions étaient à venir entre les producteurs et les consommateurs des médias 84 », replaçant l'expérience du spectateur au centre des préoccupations. En effet, en 1990, un cinéaste à la télévision était encore perçu comme un intrus et bien que Twin Peaks ait été une initiative de ABC de redorer le blason artistique du réseau, elle était surtout un moyen de résister à l'offensive des séries du câble et de répondre aux exigences commerciales. La tension cinéma/télévision dans laquelle se développait la série ainsi que la rigidité de la filière audiovisuelle pour les libertés créatives ont fait de l'explosion en plein vol de Twin Peaks une chose inévitable.

80 Ibid. p. 75.

81 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 24.

82 Ibid.

83 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 75.

84 Ibid.

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3.2. Le traitement de l'image dans Breaking Bad

Dans Introduction à l'analyse de la télévision, François Jost discrimine la fiction télévisuelle en raison de son traitement esthétique. Il cite à titre d'exemple un analyste de la série Dallas qui affirme que l'on peut suivre un épisode entier de la série sans regarder en permanence l'écran85. Il est certain que les conditions de réception d'une série télévisée, insérée dans une grille de programmation, et ayant pour intention de convenir à la ritualité d'un foyer, ne sont pas les mêmes que celles d'un film que l'on va voir au cinéma, cependant, nous pensons que si cela a affecté la conception de séries traditionnelles comme Dallas, en reléguant au second plan le travail de l'image, cela est moins le cas des néo-séries qui ont vu le jour à partir des années 1990.

Un entretien donné à Arnaud Viviant pour Libération en juin 1992, lors de la sortie française de Fire Walk With Me, a été l'occasion pour lui de situer sa position sur la supposée différence cinéma/télévision.

A la question : « Quelle différence faites-vous au juste ? », il répond : « Jusqu'à la diffusion, aucune, Après quoi, à la télévision, contrairement au cinéma, on a une mauvaise petite image et un mauvais petit son. Mais les processus de fabrication restent les mêmes. On a pareillement filmé, monté, mixé le film et la série »86

Dans une interview donnée à Arnaud Viviant pour le journal Libération, le réalisateur David Lynch affirme avoir filmé la série Twin Peaks et son adaptation cinématographique Fire Walk With Me de la même manière. La seule réserve qu'il émet concerne le mode diffusion des deux contenus, reprochant au média télévision une image et un son de mauvaise qualité. Il est vrai qu'une diffusion en salle obscure et silencieuse et qui répartit harmonieusement le son dans la salle de façon à immerger le spectateur dans une contemplation absolue de l'écran n'est absolument pas comparable à un visionnage chez soi. Cependant, il est aujourd'hui possible, grâce à des équipements Home Cinema (son Dolby Digitale et image HD) d'obtenir de bonnes conditions de visionnage, sans tomber dans une expérience visuelle mauvaise et plate. Le journaliste Martin Brett est encore plus optimiste quant à cette nouvelle génération de technologie cathodique qui a libéré, selon lui, les réalisateurs de la télévision comme les directeurs de la photographie des contraintes imposées par l'obsolète et le granuleux écran en boîte : « Désormais, ils pouvaient travailler

85 JOST François, Introduction à l'analyse de la télévision, Edition Ellipses, Paris, Collection INFOCOM, 2004, p. 107

86 CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier du cinéma, 2007, p.121.

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avec le clair-obscur, une profondeur de champs hypnotique, de splendides plans larges s'étendant à l'infini, des plans à l'épaule de haut vol - toute la caisse à outils qui était autrefois l'apanage du seul grand écran.87 ».

Pour ces raisons, nous nous sommes donné la liberté d'appréhender de manière cinématographique le traitement de l'image dans Breaking Bad, une série remarquable dans sa manière de dérouler le récit, qui passe autant par la médiation verbale que par la médiation visuelle.

Dans son ouvrage « l'art des séries télé 2 », Vincent Colonna traite de la notion « d'écriture visuelle » dans les séries télévisées et se rapporte au travail de Michael Slovis, directeur de la photographie sur la série Breaking Bad, pour expliquer comment celui-ci a utilisé une « esthétique cinématographique » pour raconter visuellement l'histoire. En effet, certaines scènes sont si incompatibles avec une écoute radio qu'il est difficile, presque impossible, de retirer l'intégralité du bénéfice symbolique en ne prêtant pas une attention soutenue à l'image. Pour soutenir cet argument, nous reprenons cette séquence de Breaking Bad, extraite de l'ouvrage « L'art des séries télé 2 : l'adieu à la morale » de Vincent Colonna88. En effet, en se fiant au texte ci-dessous, il est évident qu'une écoute aveugle est insuffisante pour comprendre ce qu'il se passe dans cette scène et encore moins pour percevoir le comique de celle-ci :

Le beau-frère et la belle-soeur de Walt, Hank et Marie Schrader, dialoguent sur le perron de leur maison. Hank insiste pour que Marie n'oublie pas sa séance avec un thérapeute qui l'aide à soigner sa kleptomanie. (Oui, la femme du policier est kleptomane ! tout comme son beau-frère deviendra le plus grand fabricant de stupéfiant du Nouveau Mexique ; la série regorge d'ironies de cette espèce.)

Devant son véhicule, Marie est prête à partir ; autour d'eux un enfant du quartier joue avec une voiture télécommandée, source insupportable de bruit, pour cette délicate conversation. Marie monte dans sa voiture et s'en va, non sans au passage écrabouiller le jouet de l'enfant. Très gêné, Hank va alors vers lui, et sans qu'une parole soit échangée, sort un billet, puis deux, dont le jeune garçon s'empare. En écoute aveugle, impossible de saisir cette partie de la scène ; on entend bien un son strident qui dérange la conversation du couple, puis un choc assourdi quand la voiture écrase le jouet, mais c'est tout. Le comique de la scène échappe à l'audition, n'est perceptible qu'à la vision ; aucun concept lexical ne permet de l'appréhender ; pour en saisir le sel, il faut en passer par les percepts de la scène, par son caractère figuratif.

87 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction française, 2013, p. 3435.

88 COLONNA Vincent, L'art des séries télé 2 : l'adieu à la morale, Editions Payot & Rivage, Paris, 2010, p.81-82.

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C'est avec un traitement proche de celui-ci, que certaines néo-séries, en empruntant les techniques et les outils du cinéma ont contribué à hisser le genre à son rang actuel. Et bien que le traitement de l'image soit différent d'une série à une autre : narration visuelle ou simple esthétisme (l'esthétisme des plans séquences de séries comme True Detective ou de American Horror Story par exemple), cette place donnée aujourd'hui à la réalisation est le signe d'un rapprochement entre les séries télévisés et le cinéma.

Tout au long de ce premier chapitre, nous nous sommes intéressé à l'histoire de la télévision américaine et donc à celle des séries télévisées pour comprendre le contexte de leur apparition, de leur évolution et de leur élévation. En raison d'un paysage audiovisuel privé depuis sa création, la concurrence incessante est caractéristique de la filière audiovisuelle américaine. Cet environnement compétitif est la raison derrière des chaînes et des studios de production tout aussi compétitifs. Leurs préoccupations économiques ont contribué fortement à faire évoluer le genre sériel et à faire apparaître une télévision de qualité. Dans ce sens la politique de MTM et celle encore plus audacieuse et novatrice de la chaîne HBO ont fait apparaître de nouveaux modèles de production que le reste de la filière s'est empressé d'imiter.

Ce retour historique nous a également permis d'appréhender la diversité sérielle et les hybridations qui n'ont cessé de caractériser le genre, conséquences directes de la politique des acteurs et de leur besoin impératif de trouver de nouvelles solutions narratives pour coller aux attentes de publics plus exigeants et volatiles. Car ces derniers ont également vu leurs pratiques de visionnage et donc leur rapport aux séries télévisées évoluer grâce à l'apparition de technologies comme la télécommande et le magnétoscope.

Dans le chapitre suivant, nous nous intéresserons aux conséquences de la généralisation de l'Internet au débit sur les pratiques des spectateurs et comment cette voie d'accès alternative aux contenus audiovisuels a eu pour effet de transformer radicalement la sériephilie.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera