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L'impact de la numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs. Le cas de Netflix et des séries tv en France

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par Sarra GADIRI
CELSA - Master 2 Professionnel Médias et Numérique 2016
  

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Chapitre II

La diversification des pratiques audiovisuelles : pour une sériephilie 2.0

1. L'hybridation des pratiques des spectateurs

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, au fil des années, l'apparition de nouveaux facteurs techniques a entrainé des changements non négligeable sur l'attitude des téléspectateurs face à la télévision en les mettant aux commandes de la programmation et en leur permettant de regarder les séries télévisées sur d'autres supports. Ainsi, la télécommande leur a donné la liberté de zapper, les cassettes VHS suivies par les DVD les ont encouragé à consommer davantage puis à stocker davantage tout en leur permettant de voir et de revoir leurs séries préférées et de se rattraper quand ils le souhaitent.

A partir de la moitié des années 2000, l'accès généralisé à l'Internet haut débit dans les foyers, conjugué à la multiplication des supports (ordinateur, smartphone, lecteurs numériques, etc.) et à la progression considérable des équipements des ménages (écran plat, home cinéma, haute définition, etc.) changent radicalement les conditions d'accès à la culture89. Aujourd'hui, la vitesse de diffusion que permet Internet couplée à cette évolution des supports a pour conséquence que les contenus vidéo se consomment n'importe quand, n'importe où et sur n'importe quel support. En témoigne, le succès quasi-immédiat de plateformes comme Youtube ou Dailymotion ou dans, le cas qui nous intéresse, la multiplication des plateformes de téléchargement peer-to-peer 90et de diffusion en streaming 91 qui permettent de télécharger et d'échanger rapidement des vidéos ou de visionner directement en ligne.

Le sériephile de la de deuxième moitié des années 2000 tire de cette voie d'accès alternative que constitue Internet plusieurs bénéfices. Le mode de consommation induit par Internet via ces plateformes de téléchargement et diffusion ont un rôle

89 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

90 Le peer-to-peer ou pair à pair est une technologie permettant l'échange direct de données entre ordinateurs reliés à Internet, sans passer par un serveur central.

91 Le streaming est une technique qui permet de diffuser des flux vidéo ou audio en temps réel et de manière continue.

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essentiel dans l'organisation des communautés de fans et dans le développement de l'engouement autour du genre.

2. Internet, l'allié incontournable des sériephiles

« L'Internet n'a pas inventé les groupes de fans ; ils ont prospéré bien avant l'apparition des ordinateurs. D'un autre côté, l'Internet les a modifié, et pour ceux disposant d'un accès internet, il a changé ce que signifie être fan »92

Le succès des séries télévisées américaines et l'enthousiasme dont elles font l'objet ne datent pas d'hier. Un phénomène que nous avons expliqué, par une élévation de la qualité de la production, attribuables à divers facteurs que nous avons détaillé plus haut. Cet engouement autour du genre, que l'on appelle plus communément sériephilie est caractérisé par une consommation intensive que la démocratisation de l'usage d'Internet a amplifié et structuré. Les études de fans ont démontré le besoin de l'aficionado de partager sa passion93. Dans ce sens, les sites de téléchargement pee-to-peer et autres sites de streaming permettent aux sériephiles de partager leur avis sur ce qu'ils ont regardé et de prolonger ainsi leur passion à travers de multiples échanges. Ces discussions trouvent également leur place sur les réseaux sociaux ainsi que sur des blogs et des forums créés exclusivement pour satisfaire ce plaisir. Et c'est en centralisant les pratiques des fans que Internet s'est naturellement imposé en allié du genre et de ses fans, favorisant l'apparition de spectateurs experts qui se chargent eux-mêmes de nourrir ces réseaux.

2.1. Un réseau de distribution alternatif

Des communautés expertes de fans se sont rapidement structurées sur le web pour répondre à leurs propres attentes et à celle d'autres fans désireux d'accéder à leurs séries télévisées de manière optimale : à savoir l'accès à l'épisode dès sa première diffusion et dans le cas des fans Français en version originale sous-titrée. Ainsi, des bénévoles se sont donnés pour mission de mettre les contenus à disposition aussi

92 BAYM, Nancy K. Tune in, Log on :Soaps, Fandom, and Online Community, SAGE publications, 1999, p. 215.

93 Christian Le Bart, Dominique Pasquier, Henry Jenkins, etc.

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rapidement que possible. Ces bénévoles sont relayés par des équipes de fansubbeurs94 qui mettent également à disposition leur expertise en matière de traduction pour produire les sous-titres français et les mettre en téléchargement sur les plateformes peer-to-peer ou les intégrer directement à l'épisode dans le cas des plateformes de streaming. De cette manière le contenu est disponible au plus tard 48h après la première diffusion sur les chaînes américaines.

Notons que la majorité de ces sites sont peu enclins à respecter les droits de propriété et de diffusion et que malgré la déclaration « d'une guerre numérique anti-piratage » en 2012, qui a conduit à la fermeture de plusieurs sites de partage comme MegaUpload95, d'autres plateformes et lecteurs de visionnage ne cessent de voir le jour depuis. Ces plateformes redoublent d'inventivité pour permettre aux internautes de visionner le plus facilement possible et de calquer leurs moments de visionnage sur la diffusion originale. De leur côté, les fans les plus inconditionnels n'ont pas énormément de difficultés à se familiariser avec ces plateformes et avec les tactiques de braconnage toujours plus innovantes qu'elles requièrent. Prenons l'exemple du site de streaming FullStream, nous remarquons que depuis quelques années maintenant ce dernier n'a cessé de changer d'adresse URL, passant de full-stream.net, à full-stream.me puis à full-stream.org. Nous pouvons supposer que ces manoeuvres ont pour objectif de tromper la surveillance des organismes anti-piratage.

Il est aussi intéressant de voir comment ce site requiert une certaine expertise des internautes pour visionner les différents contenus comme le montrent les figures ci-dessous :

94 Le fansubbeur est individu qui pratique un sous-titrage amateur des séries télévisées ou des animés japonais par exemple. Les fansubbeurs s'organise en « team » et travaillent bénévolement. La pratique s'est connaître du grand public avec la généralisation de l'Internet haut débit et le téléchargement illégal des séries US.

95 Source : « La fermeture de Megaupload en trois questions », France TV Info, [disponible en ligne : http://www.francetvinfo.fr/culture/la-fermeture-de-megaupload-en-trois-questions 52829.html], publié le 19 janvier 2012, consulté le 10 février 2016

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Figure 1 : Accès à l'ensemble des épisodes de la série

Figure 2 : Accès à un épisode

En effet, il est nécessaire de passer par plusieurs étapes avant d'accéder au contenu. Sur la figure 2, nous pourrions penser que le visionnage se déclenche en une seule action : appuyer sur le bouton « Regardez ». Cependant, il revient à l'internaute d'accomplir d'autres manipulations, souvent pas très apparentes, pour accéder au véritable lecteur : choisir l'un des 3 lecteurs et désactiver la publicité en

.

cliquant sur la croix rouge 96

En ce qui concerne les fans les moins aguerris, les sites de streaming tels que Full

96 Le bouton « Regardez » est un lien hypertexte qui renvoie à une page de publicité. Dans certains cas, il peut s'agir de logiciels malveillants. Les internautes qui consultent ce site sont généralement conscients des tactiques de visionnage à adopter.

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Stream, qui nécessitent une connaissance approfondie des plateformes de streaming et des tactiques de visionnage qu'elles requièrent, et les logiciels classiques de téléchargement tel que uTorrent97, qui présentent des interfaces souvent barbares malgré les efforts fournis pour les rendre plus pratiques, restent perçus comme étant trop compliqué à l'utilisation. Dans ce sens et pour séduire les utilisateurs néophytes, des logiciels à mi-chemin entre les plateformes de streaming et les sites de streaming98 comme Popcorn Time ont vu le jour.

Proposant de télécharger et de visionner des fichiers torrent en un temps record99, cette application, parue au printemps 2014, permet à l'utilisateur d'accéder à un catalogue extrêmement riche de séries télévisées et de films, et ce, sur une interface claire et ludique qui ressemble étrangement à celle de Netflix. D'ailleurs baptisé le « Netflix du piratage » ou encore le « Netflix du pauvre », les utilisateurs de cette application seraient estimé à plusieurs millions avant sa mise hors ligne le 23 octobre 2015 en raison d'une possible attaque en justice de la part des studios hollywoodiens, détenteurs des droits des nombreuses oeuvres accessibles sur Popcorn Time100. Dans cette guerre contre les ayants droit, Popcorn Time est devenu, aujourd'hui, une application open-source, permettant aux internautes de se lancer dans la création de nombreux clones pour remplacer la perte du site. D'ailleurs une solution encore plus optimale a vu le jour en 2016 pour offrir un visionnage toujours plus facile aux utilisateurs du réseau BitTorren, réduisant encore plus les manipulations compliquées. Popcorn Time Online 101 est une version navigateur, sous forme de plug-in qui permet d'intégrer un client torrent et un lecteur vidéo dans le navigateur Internet. Le célèbre Popcorn Time a été, de cette manière,

97 uTorrent est un programme qui permet de télécharger des fichiers torrent sur la plupart des sites torrent. Contrairement à d'autres logiciels comme BitSpirit, uTorrent offre une interface plutôt simple d'utilisation.

98 Ces logiciels ressemblent à des plateformes de streaming mais sont en fait des applications à télécharger sur ordinateur qui permettent d'obtenir par une simple recherche dans le catalogue des fichiers torrent qui se téléchargent instantanément.

99 Popcorn Time permet de faire des recherches parmi les vidéos disponibles sur le réseau BitTorrent et de les visualiser instantanément. L'innovation réside dans le fait que le temps d'attente de téléchargement est estimé à 30 secondes au maximum. Source : Popcorn Time », Wikipédia, [disponible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Popcorn_Time], consulté le 06 septembre 2015

100 Source : « Popcorn Time, les déboires du Netflix du piratage », Le Monde, [disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/27/popcorn-time-les-deboires-du-netflix-du-

piratage 4797615 4408996.html#8LlT7eDxy5APpoJ8.99], publié le 27 octobre 2015, consulté le 11 février 2016.

101 Source : « Popcorn Time online, une version directement dans le navigateur », L'informaticien, [disponible en ligne : www.linformaticien.com/actualites/id/39442/popcorn-time-online-une-version-directement-dans-le-navigateur.aspx], publié le 04 février 2016, consulté le 11 février 2016.

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ressuscité sous une nouvelle forme, démontrant que ce réseau de distribution alternatif, fort de ces communautés soudées, arrive à trouver des solutions toujours plus performantes (en s'appuyant sur les avancées techniques constantes) pour répondre à la demande considérable.

3. Les séries américaines sur les chaînes de télévision françaises

3.1. Le questionnaire

Pour comprendre les raisons de la migration des publics sériephiles vers le web, nous avons administré un questionnaire en ligne en direction de publics très éclatés : sur Facebook, à travers le groupe Wanted Bon Plans102, et sur Twitter où il a été retweeté par plusieurs comptes notamment celui du publicitaire Mathieu Flaig qui compte 46 200 abonnés à la date de notre étude103. Sur les 402 réponses collectées, nous avons pu faire ressortir un nombre de tendances que nous mobiliserons à plusieurs endroits, quand cela nous semblera pertinent. Il est également important de signaler que nous n'avons ici aucune prétention à la représentativité de notre échantillon et que nous aspirons seulement à mieux appréhender les publics sériephiles, cible et utilisateurs potentiels de Netlfix104 , par rapport auxquels nous avons formulé certaines présuppositions. Afin de corroborer notre discours, nous nous appuierons sur l'enquête réalisée par Olivier Donnat en 2008 sur les pratiques culturelles des français105.

3.2. La place des séries américaines dans la grille de programmation des chaînes généralistes

« Dès les années 1975 et donc bien avant l'introduction de chaînes commerciales, la production nationale de fiction a traversé un long désert. Il faut attendre les années

102 Wanted Bons Plans est un groupe Facebook d'entraide dont l'objectif est de mutualiser les offres et les demandes de chacun. Le groupe compte 178 000 membres. Les villes les plus représentées sont Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Londres et New-York et la moyenne d'âge se situe entre 25 et 30 ans.

103 Ce compte a été consulté le 21 janvier 2016.

104 Source : « Interview de Xavier Albert, Netflix France », E-marketing, [disponible en ligne : www.e-marketing.fr - "[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des sentiers battus""], publié le 30 juin 2015, consulté le 02 mars 2016.

105 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

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1988-1989 pour assister à une relance de la fiction d'abord sous l'impulsion de TF1, très vite suivie par Antenne 2 »106.

La production de séries télévisées françaises a toujours été faible en comparaison à la production américaine et la France n'a jamais hésité à faire appel aux achats à l'étranger pour combler ce déficit. Très diversifiée et disponible à faible coût, la production américaine devient très vite l'achat privilégié des chaînes généralistes françaises qui trouvent en ces fictions un moyen de résister à des chaînes financées comme Canal + par exemple107. Même aujourd'hui, il est facile de remarquer la nette préférence des chaînes généralistes françaises (TF1, M6, France 2, etc.) pour les « séries itératives » qui proposent des épisodes indépendants et permettent un visionnage dans le désordre à travers de courts récits ayant un début et une fin. La raison est que ce type de série s'insère facilement dans leur grille de programmation et leur permet quelques libertés qui sont loin d'être au goût des sériephiles.

Que ce soit directement sur le site des chaînes ou sur les forums de discussions, les téléspectateurs se plaignent souvent de la diffusion des épisodes d'une série dans le désordre. C'est le cas par exemple de ce commentaire publié sur le site de la chaîne TF1, mytf1.fr :

« Pourquoi diffusez-vous les épisodes des séries comme "The Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le désordre ? Nous, téléspectateurs, sommes confus ! »108

Pour justifier ce traitement, TF1 invoque l'indépendance narrative des épisodes de séries telles que The Mentalist ou Esprits Criminels et se retranche derrière son obligation vis à vis du CSA. En effet, la loi oblige à limiter les épisodes interdits aux moins de 12 ans avant 22h. C'est ainsi que lors des soirées de diffusion en bloc, initiée par la fameuse « Trilogie du samedi soir » en 1997 qui a fait ses preuves

106 CHANIAC, Régine, Europe : vers la convergence ?, dans Médiamorphoses, INA, Bry-sur-Marne, 2007, [Disponible en ligne : http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/23573, publié le 23 mars 2009, p. 3.

107 Ibid. p 4.

108 Source : « Réponses à vos questions : Pourquoi diffusez-vous les épisodes des séries comme "The Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le désordre ? Nous, téléspectateurs, sommes confus », TF1 et vous, [disponible en ligne : http://www.tf1.fr/tf1-et-vous/reponse-a-vos-questions/diffusion-des-series-pourquoi-diffusez-vous-les-episodes-des-5710275.html], publié le 14 octobre 2010, consulté le 30 mars 2016.

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d'audience, deux épisodes de Les Experts par exemple, pourront se succéder dans la diffusion, même s'ils ne se suivent pas.

En plus du non respect de la chronologie des épisodes, les chaînes généralistes françaises109 sont adeptes de la censure des scènes violentes ou dérangeantes et de la diffusion en bloc qui accapare le téléspectateur, désirant suivre sa série, jusqu'à des heures tardives.

Nous pensons également que le doublage des épisodes en langue française, tant bien même il drainerait une audience plus importante que la diffusion en version sous-titrée110, présente de nombreux mauvais côtés pour les sériephiles : notamment sa qualité souvent médiocre et des dialogues qui ne correspondent pas exactement à la version originale. Par ailleurs, les fans véritables, qui vont chercher leurs séries préférées sur le web, se sont vite habitués à visionner en version originale sous-titrée. Car le visionner en version française implique une attente de six mois, voire un an, d'où la prolifération des communautés de fansubbing qui raccourcissent, à leur manière, cette attente.

3.3. Les raisons potentielles d'une migration des publics sériephiles vers le web

Notre questionnaire fait apparaître en effet que les interrogés ont eu nette préférence pour les séries américaines qu'ils privilégient en raison de leur qualité (au niveau de la narration et de la production111) et de leur abondance en comparaison aux autres productions.

D'autres part, l'enquête menée par Olivier Donnat fait apparaître que les Français ayant le plus rapidement adopté l'utilisation d'Internet à des fins personnelles ont moins de 45 ans avec une propension plus importante de jeunes issus de milieux

109 Nous nous mettons pas la chaîne Canal + dans cette catégorie en raison de sa nature de chaîne à péage. En effet pour justifier de l'abonnement de ses téléspectateurs, la chaîne s'évertue à proposer un catalogue attractif en diffusant des séries de qualité et en se mettant à la création originale dès les années 2000, avec des séries à gros budgets comme Braquo et Engrenages.

110 «Le doublage est une évidence si on veut que les programmes soient vus par le plus grand nombre. Une étude a démontré en 2007 que la diffusion d'un programme en version sous-titrées pouvait entrainer une chute d'audience d'environ 30%*. Ça veut dire que près d'un tiers des téléspectateurs ne peuvent pas comprendre un programme en VO.» Christel Salgues, responsable du doublage aux acquisitions de TF1. Source « Pourquoi la France double-t-elle tout le monde ? » Slate, [disponible en ligne : http://www.slate.fr/story/18195/pourquoi-la-france-double-t-elle-tout-le-monde], publié le 04 mars 2010, consulté le 20 mars 2016.

111 « Si vous préférez les séries américaines, quelles en sont les raisons ? » - Questionnaire et réponses en annexes.

,5%)113.

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favorisés112. En effet, les jeunes de moins de 30 surtout, les digital natives, sont davantage imprégnés par la culture numérique et ont développé ce que l'on appelle une culture de l'écran. Cette génération a naturellement développé des capacités à comprendre et à interagir avec les outils TIC, mais aussi une capacité à gérer les flux d'informations, d'images et de vidéos auxquels elle est exposée. Sa capacité d'adaptation supérieure aux générations précédentes pourrait expliquer l'expertise des sériephiles sur Internet et leurs aptitudes à facilement appréhender les tactiques de visionnage sur le web, en se réappropriant les tactiques de braconnage sans cesse renouvelées. D'ailleurs 87,5 % de nos répondant ont moins de 30 ans et affirment regarder le plus souvent en streaming (71,4%) ou après avoir téléchargé illégalement les contenus souhaités (52

En analysant le traitement que les chaînes généralistes réservent aux séries télévisées et à travers l'étude de certaines réponses des interrogés, nous pensons que les sériephiles ont davantage tendance à se tourner vers les sites de streaming ou de téléchargement illégal parce qu'ils présentent une solution plus performante qui respecte leur passion. C'est à dire :

- La politique éditoriale des chaînes révèle un certain irrespect des oeuvres sérielles, notamment concernant la chronologie des épisodes

- Le désir de se détacher de l'agenda télévisuel, parfois contraignant et d'aménager ses propres rendez-vous et de visionner selon ses envies

- Le temps relativement long entre la diffusion US et celle sur la télévision française, dû aux contraintes d'achats des droits de diffusion

- La nécessité d'attendre longtemps un doublage des épisodes, souvent médiocre

4. La démocratisation du binge-viewing et du spoiling

Si l'émergence des tactiques de visionnage sur le web a permis aux sériephiles d'optimiser leur consommation des séries télévisées de bien des manières, visionner sur Internet a également démocratiser certains pratiques et en a amené d'autres sur le terrain des séries télévisées. Nous nous sommes intéressés à deux pratiques en

112 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles des Français, 2008 : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf

113 « Où regardez-vous vos séries télévisées préférées ? » A la télévision ; Je suis abonné Canal Play ; Je suis abonné Netflix ; Je regarde en streaming ; Je télécharge illégalement ; autre -- Questionnaire et réponses en annexes.

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particulier en supposant que ces dernières ont eu pour vecteur principal Internet. Elles nous semblent intéressantes à étudier en raison de la popularité dont elles font l'objet de nos jours, particulièrement depuis l'utilisation généralisée des réseaux sociaux et l'arrivée de Netflix dans le paysage médiatique.

4.1. Le binge-viewing ou binge-watching

« On peut constater que l'éditorialisation croissante des séries en DVD et Blu-ray ainsi que l'essor du téléchargement et du streaming (légaux et surtout illicites) permettent en effet de visionner rapidement des téléfictions sur quelques semaines sinon quelques jours, transformant l'horizon temporel de réception étendu de la programmation télévisée »114.

Dans son travail sur les séries télévisées (le même que nous avons mobilisé dans le premier chapitre de ce travail), Clément Combes soutient que le visionnage se distingue entre deux modes spectatoriels ; le premier est caractérisé par le principe du rendez-vous, fixé par le diffuseur, le second, quant à lui, s'appuie sur des dispositifs de délinéarisation, donnant lieu à des consommations « plus ramassées » dans le temps. Cette délinéarisation a commencé à être observable dès l'apparition du magnétoscope, puis des DVD et s'est amplifiée avec l'apparition de formes immatérielles de visionnage de contenus (téléchargement, streaming, VOD, S-VOD). Cette consommation plus ramassée peut être également favorisée par la nature insoutenable de certains cliffhangers et l'addiction que peuvent développer les sériephiles pour leurs fictions préférées. Dans ce sens, 53,5 % des interviewés affirment qu'ils peuvent enchainer plusieurs épisodes si la série capte leur attention et 99% d'entre disent avoir déjà regardé plus de 3 épisodes à la suite115.

Ce mode diffusion en « ramassé » que l'on appelle plus communément binge-watching116 a surtout était popularisé en raison de la mise en disposition de saisons entières sur les plateformes de téléchargement illégal et de streaming.

Il est également important de noter que 78% de nos répondants affirment regarder le plus souvent seul117. En effet, cette consommation démesurée ne peut qu'être

114 COMBES Clément. La pratique des séries télévisées : une sociologie de l'activité spectatorielle. [Disponible en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document] Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2013, p.169.

115 Questionnaire et réponses en annexes.

116 L'expression binge-watching ou binge-viewing qui a été déjà utilisée vers la fin des années 1990 pour décrire les réunions de fans pour regarder plusieurs épisodes à la suite d'une même série sur DVD.

117 Questionnaire et réponses en annexes.

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solitaire, sachant qu'il serait difficile pour un fan d'accorder son agenda avec celui de son entourage, quand bien même ces personnes soient aussi fans que lui.

Cette pratique, qui avait encore il y a quelques années des connotations négatives est aujourd'hui de moins en perçue comme le propre d'une niche d'individus paresseux ou dépressifs et est même au coeur de la stratégie de Netflix (comme nous le détaillerons par la suite) dont la politique est de mettre en ligne une saison entière d'un coup.

4.2. Le spoiling

« Le mot « spoiling » remonte loin - aussi loin, du moins, qu'on puisse remonter - dans l'histoire de l'Internet. Il est né des écarts de temporalité et de spatialité entre les anciens et les nouveaux médias. Au début, on a commencé à diffuser des émissions sur la côte est des États-Unis trois heures avant qu'elles ne le soient sur la côte ouest. Puis des émissions sous licence ont été diffusées différents soirs de la semaine sur différents marchés. Enfin, on a diffusé les feuilletons aux États-Unis six mois avant de le faire à l'étranger. Tant que les spectateurs de ces différents espaces géographiques ne communiquaient pas, chacun vivait une expérience inédite. Mais, à partir du moment où les fans se sont réunis en ligne, ces écarts de temporalité ont commencé à peser lourd. Une personne vivant sur la côte est pouvait mettre en ligne tout ce qu'elle savait de tel ou tel épisode d'un feuilleton, tandis qu'on s'irritait, en Californie, de voir ainsi « gâchée » sa série favorite. Alors les spoilers ont mis le mot « spoiler » dans l'objet même de leur message, permettant à chacun de décider ou non de le lire.118 »

Comme l'explicite parfaitement Henry Jenkins, l'avènement de la sériephilie en ligne a rendu visible les écarts de temporalité entre les différents spectateurs. Et la possibilité de visionner en ligne sur le réseau alternatif a exacerbé ces écarts, même dans le cas d'individus du même pays ou sur un même fuseau horaire. Plusieurs profils apparaissent : ceux qui téléchargement dès le lendemain de la diffusion américaine, ceux qui sont abonnés à un service S-VOD qui permet un visionnage US+24, ceux qui attendent patiemment la fin d'une saison pour binge-watcher, et

ceux qui se calquent sur la diffusion française.
La liberté d'aménager ses propres rendez-vous est confrontée à l'anxiété de se voir « gâcher » le plaisir du visionner sa série préférée par d'autres fans qui tiennent un rythme plus soutenu.

118 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 50.

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Plus personne ne visionne au même rythme et le spoil est devenu une partie intégrante de la vie des fans qui ont développé des tactiques sur le web éviter la frustration, voire la colère qu'il engendre : plusieurs applications ont, dans ce sens, vu le jour (Spoiler Shield, Silencer, l'Exil, etc.). Et de plus en plus de médias en ligne et même les chaînes (via les comptes et les pages de leurs séries télévisées sur les réseaux sociaux) adoptent la mention « spoiler alert » en début de titre des articles qui peuvent contenir des spoilers. En ce qui concerne Netflix, nous avons relevé une position intéressante par rapport au spoil. A travers ses campagnes de communication et de publicité, Netflix montre qu'il a intégré le caractère inévitable de ce dernier dans la vie des fans surtout que sa politique de diffusion, « le tout d'un coup » le nourrit encore davantage. Au lieu de s'en inquiéter, le diffuseur prend le spoil de contre-pied faisant le choix de le dédramatiser et de rendre la pratique ludique.

Le site « spoilers.netflix.com » :

En septembre 2014, Netflix lance Spoil Yourself, un site qui réunit des scènes de fin de saisons, de fin de séries et même des scènes cultes de films. En entrant sur ce site, le fan entre dans une zone dangereuse. D'ailleurs, le design du site parle de lui-même et si l'internaute ne trouve pas cela suffisant, la tonalité dramatique du texte en ajoute une couche : « What you are about to see cannot be unseen119 ». Le site propose, entre autre, de se faire spoiler en visionnant des séquences

« dangereuses » ou de faire le test « quel spoiler es-tu ? ».
Tout fan devrait trouver la démarche détestable mais ce coup de publicité pour le moins surprenant génère de la conversation sur le web, entre fans mais aussi dans

119 « Ce que vous êtes le point de voir, ne peut être oublié. »

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la presse : The Guardian, Le New York Time, Le Telegraph, The Verge120... pour ne citer que les médias anglophones.

La campagne de communication « The Rat »:

Le credo de tout sériephile qui se respecte peut être formulé de la manière suivante : « tu ne spoileras point ». Et si la peur de la majorité des fans est de se faire spoiler (43,5% de nos répondants sont énervés par cette pratique), subsiste un nombre non négligeable de fans qui trouvent l'exercice de cette activité amusant ou du moins qui avouent que le spoil éveille leur curiosité (20%)121. A travers une vidéo interactive122, Netflix surfe encore une fois sur le phénomène en le détournant avec humour. Le message de la vidéo est adressé aux spoilers, individus de la pire espèce ; des rats. La séquence met en scène le personnage de Bobby. Ce dernier est ligoté et couvert de miel et est sur le point d'être donné en pâture aux rats par son bourreau. Le crime de Bobby : avoir spoilé la mauvaise personne. A la fin de la séquence, l'internaute se voit donner le choix d'épargner Bobby ou de le jeter aux rats.

A travers ces deux exemples, nous nous avons voulu montrer la compréhension de Netflix des publics sériephiles et de certaines de leurs pratiques. Nous reviendrons sur cette connaissance de la cible, de façon à montrer comment cet acteur mobilise ce savoir et s'inspire des modes de consommation pour mettre en place des stratégies pertinentes.

120 Mentions parues dans les médias cités :

http://www.nytimes.com/2014/09/22/business/media/those-dreaded-spoilers-that-can-torpedo-dramatic-plot-take-on-a-new-meaning.html?_r=2 http://www.theverge.com/2014/9/22/6826631/netflix-has-a-spoiler-widget-dare-yourself http://www.theguardian.com/film/filmblog/2014/sep/23/netflix-effect-spoilers-show-film-timeshifted-viewing http://www.telegraph.co.uk/culture/tvandradio/11115366/Netflix-launches-new-site-specifically-for-spoiling-shows.html

121 Le pourcentage restant est indifférent à la pratique ou ne sait pas en quoi elle consiste - Questionnaire et réponses en annexes.

122 Pour visionner la vidéo de la campagne : « Campagne de communication The Rat », Compte Youtube Netflix US & Canada, [disponible en ligne :

https://www.youtube.com/watch?v=N8t6L lje E&feature= youtu.be], publié le 10 novembre 2015, consulté le 20 novembre 2015.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld