WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Accès à  la terre et conflit au tchad: cas du <> (XXe au XXIe siècle).


par Dieudonné Kingué Kampété
Université de Maroua - Master II en Histoire Politique et des Relations Internationales  2016
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE II

ACCÈS À LA TERRE DANS LA SOCIÉTÉ MASSA

En pays Massa, la terre reste un élément essentiel de l'accumulation du capital le plus précieux, parce qu'elle sert de support irremplaçable de toute vie, où elle constitue le facteur de production et de survie le plus important. Depuis fort longtemps, la problématique autour de la question foncière a pris une place importante dans les débats relatifs au développement en Afrique. Par la suite, des Africanistes de différentes disciplines (ethnologues, géographes, économistes, politicologues) se sont de plus intéressés au foncier et, ont-ils ainsi, considérablement élargi le domaine d'étude foncière sur l'ensemble des rapports sociaux. (Delville, 2002:8). Généralement, on peut distinguer deux modes de penser l'espace. L'un est caractérisé par des conceptions foncières traditionnelles (ou autochtones ou endogènes) et l'autre par des conceptions modernes d'origine occidentale. L'introduction d'un modèle de société exogène par les autorités coloniales, imité largement par l'État postcolonial, a gravement bouleversé les rapports entre l'homme et la terre. De ce fait, le présent chapitre fait état de la conception ancestrale de la terre, autrement dit comment le peuple massa concevait la terre et quel était le mode d'accès ? Ensuite, ce chapitre va s'appesantir sur le régime foncier colonial, et celui en cour et enfin analyser les contradictions autour de la question foncière et son impact sur la société massa.

40

I- LES PRATIQUES FONCIÈRES AVANT LA COLONISATION

En Afrique, les droits fonciers coutumiers ne se réduisent pas à la seule réglementation des prérogatives qui naissent de l'appropriation ou de l'utilisation de la terre. Ils s'organisent autour des rapports qui ne sont pas nécessairement juridiques. Ces rapports sont de trois ordres : les rapports de l'homme au sacré par la médiation de la terre ; les rapports de l'homme aux différents groupes sociaux dont il est membre et qui définissent son statut juridique, social et fonctionnel ; les rapports de l'homme à la terre en tant que moyen de production (Karsenty et Assembe, 2010:6). Ce sont ces rapports qui, à travers leurs interactions réciproques, définissent les droits fonciers coutumiers et en constituent l'objet

1- La conception endogène de la terre en pays massa

Dans la mesure où les règles foncières varient d'une société à une autre, d'une culture à une autre et même à l'intérieur d'une société, d'une époque à une autre, il n'est pas aisé de faire un exposé exhaustif sur la pratique foncière chez les Massa. Toutefois il faut dire que la terre est restée depuis fort longtemps une question vitale pour toutes les sociétés. De l'analyse de la plupart des travaux sur la tenure foncière en Afrique, les différents groupes sociaux à l'époque précoloniale avaient quasiment la même considération de la terre, notamment celle qui trouve le fondement de la propriété foncière dans la religion et les croyances. Ainsi, le système foncier traditionnel revêt plusieurs caractères que l'on retrouve dans la quasi-totalité des régions africaines.

Pour elles, la terre au-delà de son rôle de support de toute activité, revêtait une dimension mystique (Armi, 2005:35). Dans la conception traditionnelle massa, la terre est la propriété de « Dieu22 », appelés Lawna. Elle est extrapatrimoniale, c'est-à-dire, non susceptible de propriété privée ou privative. La terre n'est pas susceptible d'appropriation car elle appartient à lawna. Elle est un bien dont la jouissance revient à tous les membres de la société, dans le respect de sa destination23. L'accès et l'usage de

22 Dans la tradition massa, la terre est le bien de Lawna, qui selon eux est un Dieu grand vivant dans les airs. Toute chose lui appartient et l'utilisation de cette dernière passait par le prêtre du village.

23Entretien avec le Chef de Canton Samma Tordina le samedi 26 juin 2017 à Bongor.

41

la terre s'effectue par la filiation, l'héritage, l'alliance, le prêt. Mais il peut être limité dans le temps et dans l'espace et être conditionné par sa mise en valeur. La terre appartient traditionnellement à ceux qui l'on cultivées (Cabot, 1965:23).

Pour pouvoir exploiter telle portion de l'espace, les hommes devront conclure un accord avec le Lawna. Dans son fonctionnement, ce droit est exercé par le boum nagada24 qui est l'intercesseur entre les hommes et les puissances naturelles liées à la terre. Il va de sacrifice et bénédiction agraire à la répartition des parcelles aux membres de chaque tribu. Il en résulte que les rapports entre l'homme et la terre sont sacralisés et que de nombreux interdits assujettissent les travaux agricoles au respect d'une divinité d'autant plus exigeante que les hommes attendent tout d'elle puisqu'ils vivent de sa fécondité.

Ainsi par ses sacrifices, il conjure le mauvais sort et les catastrophes naturelles et par ses bénédiction, il appelait le « Dieu » à accorder une bonne pluviométrie, à rendre la terre fertile en vue de bonne récoltes. Bref, le chef de terre de par ses fonctions, est considéré comme « le symbole vivant du lien sacrificiel contracté avec la terre nourricière [...], le médiateur entre le monde visible et le monde invisible [...], le seul garant et gérant du patrimoine commun et le plus apte à répartir l'espace cultivable entre sa population (Famargué Kaïtamba, 2002:34).

Cependant de l'analyse de la conception traditionnelle de la terre, celle-ci n'est plus le cas aujourd'hui. Avec la colonisation, l'idée que les hommes massa se faisaient de la terre a changé. La terre n'est plus la propriété du lawna et dont l'utilisation nécessitait le boum nagada, car dorénavant elle est le bien de l'État. L'entière jouissance passe donc par la procédure de l'immatriculation. Ici, l'homme massa n'a plus besoin du boum naga pour acquérir un espace mais plutôt d'un chef de canton et/ou Blama qui lui confère le droit de jouissance.

24Le boum nagata est un nom en, massa donné au prêtre de l'eau.

42

2- Les modes d'accès à la terre en pays massa

Les sociétés ont élaboré des règles écrites ou non pour préciser l'usage, le partage et la transmission de la terre entre tous. Cependant, dans la plupart des sociétés, la coutume exclut les femmes de l'accès à la propriété foncière bien qu'elles participent largement à l'exploitation de ces dernières.

Traditionnellement, le régime foncier en pays massa est essentiellement collective, inaliénable et imprescriptible. La terre est un bien communautaire. Mais cette appropriation collective n'empêche pas que des droits d'usage soient accordés sur la terre aux membres de la collectivité et éventuellement aux étrangers qui en font la demande selon les règles coutumières qu'ils s'engagent à respecter. Essentiellement agraire, l'ensemble de la société massa a une conception variée de la terre. Selon la coutume massa dans l'époque précoloniale, l'accès, l'utilisation de la terre passe automatiquement par une demande auprès du boum-nagata, le chef de terre ou père de la terre. C'est lui qui renseigne le demandeur sur la disponibilité et les conditions d'accès à la terre. À partir de ce moment, il se charge de clarifier les prescrits coutumiers et délimite l'espace faisant l'objet de la demande. Après consultation des génies par le chef de terre, coutumièrement la symbolique confère au demandeur et à ses descendants, la jouissance de la terre qui, dorénavant devient la propriété familiale25.

Dans la conception traditionnelle comme signalé ci-haut, les terres sont occupées au terme d'une alliance passée par le premier occupant avec les puissances de la terre et les esprits du lieu. Ces puissances ont des lieux spécialement réservés comme les collines, certains arbres ou les bois sacrés. Le Boum nagata est le garant du respect de l'alliance. Il est généralement le descendant du premier occupant26. Il est chargé des sacrifices nécessaires à l'obtention de l'accord et de la protection des possesseurs mythiques des lieux.

L'ensemble de l'espace en pays massa appartient aux agriculteurs, qui l'exploitent comme ils l'entendent. Le rapport de ces populations à l'espace est un rapport social mais aussi spirituel comme mentionné ci-haut. L'espace n'est pas un

25Entretien avec Dom Djaldi, agriculteur, le 22 juin 2017 à biliam-oursi I. 26Ibid.

43

bien, mais le siège de forces invisibles que l'on doit se concilier avant de l'investir. D'où l'importance des médiateurs nommés boom nagata. La terre appartient aux premiers occupants. Au sein de ces groupes, les terres sont réparties entre les familles pour qu'elles les cultivent. L'accès individuel à la terre est obtenu par la filiation patrilinéaire dans le cadre de la propriété collective de la terre. Une terre peut-être transmise aux enfants, à condition qu'elle soit mise en valeur et qu'elle soit maintenue en exploitation. C'est le principal mode d'accès à la terre, notamment au sein des communautés locales; transfert successoral de père à fils. Les droits des femmes n'ont pas progressé dans les pratiques locales (Bibiane Yoda, 2009:2). Celles-ci demeurent exclues de fait du droit d'héritier d'une partie des terres familiales.

Cette pratique exista jusqu'à l'arrivé des colonisateurs qui, changent la donne, avec un système quasi-inadaptable. Avec la colonisation, le pays massa et l'ensemble de tout le territoire qui allait devenir le Tchad connurent un changement brusque. L'ancien système coutumier foncier est dorénavant considéré comme caduc. Les terres sont vues comme n'appartenant à personne, elles sont désormais le domaine de l'État, donc la puissance colonisatrice. Toutefois, certaines de ces pratiques continuent d'exister bien que les terres sont dans certains endroits le domaine de l'État.

Les nouveaux arrivants peuvent obtenir le droit d'usage de la terre auprès du chef du village (blamana) (Cabot, 1965:23). Le prêt de la terre devient un mode d'accès aux fonciers utilisé par les étrangers installés dans un village donné. Ceux-ci sont assujettis au respect des us et coutumes locaux de la région. Dans le passé, le prêt de terres n'avait pas de contrepartie monétaire, il était surtout considéré comme un moyen de régulation des rapports sociaux locaux et d'organisation d'alliances familiales et inter-villageoises. De plus en plus, l'obligation sociale cède le pas à des exigences d'assistance, parfois abusives de la part des propriétaires fonciers coutumiers. Ceux qui ne se soumettent pas sont menacés de retrait des terres. Dans une certaine mesure, la location et la vente de terre sont des modes émergents de transactions foncières aujourd'hui observables dans de nombreuses régions et singulièrement en pays Massa. C'est une forme déguisée de prêt à court terme pratiqué surtout vis-à-vis des étrangers ou des familles en manque des terres agricoles. Les

44

ventes de terres sont liées à divers facteurs parmi lesquels on peut souligner le développement d'entreprises agricoles modernes comme c'est le cas à Bongor.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein