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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

« Osée, prends une fille de joie, et fais-lui des fils de fille de joie. [...] Ce n'est pas tout, dit le Seigneur au troisième chapitre : va-t'en prendre une femme qui soit non seulement débauchée, mais adultère. Osée obéit. [...] » Mais savez-vous ce que tout cela signifie ? - Non, lui dis-je. - Ni moi non plus, dit le rabbin.

« Ezéchiel », Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire.

Essayons d'imiter l'attitude du rabbin qui regarde ces passages bibliques sans préjugés, sans connaissances autres que celles du texte. Cette attitude constitue la seule condition pour saisir la consistance de l'Erotika Biblion. Considéré comme une somme savante sur des sujets érotiques traités et dissertés de façon à bousculer les idées communes, l'ouvrage d'Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau [1749-1791], est souvent perçu comme le résultat impudique d'un esprit fiévreux. Comme il l'écrivait en détention dans les cellules de Vincennes, on l'a imaginé brisé, souffrant et oppressé entre quatre murs incarcérateurs étouffant sa raison et sa flamme vitale ; on a réduit l'ouvrage à une aberration, une distraction, un griffonnage pour s'abriter du souffle de la mort qu'il sentait sur sa nuque. Pour justifier cette discrimination perpétrée dans sa production littéraire, on pointait du doigt son compagnon d'infortune : le marquis de Sade et l'hypothétique conseil qu'il lui aurait susurré alors qu'ils partageaient le même quotidien, le même destin, enfermés dans le donjon de Vincennes. Rien n'est moins sûr tant ces deux hommes se détestaient, bien qu'ils partageassent plus d'une idée.

Écrit en octobre 1780, huit mois après le roman -pornographique Ma Conversion1 , l'Erotika Biblion est la dernière oeuvre du comte produite dans les fers. Elle mobilise un savoir relatif à la Bible et à ses commentaires, aux histoires apocryphes concernant les prophètes et les personnages mythologiques, aux anecdotes de la vie des casuistes et des jésuites, et à la littérature antique. On y examine la constitution des préjugés et des bienséances en ce qui regarde la sexualité ; aussi, on y étudie les bornes dans lesquelles certaines pratiques sexuelles doivent être tolérées. Mirabeau est alors détenu depuis trois ans à Vincennes, et il serait prodigieux que les citations en langues anciennes sortent à la virgule près de sa mémoire. Il devait certainement avoir à sa disposition des travaux pour constituer une telle recherche ; on peut en retrouver des traces dans sa correspondance où il sollicite quelques ouvrages. Mais il demande rarement un titre spécifique ; il désire seulement de la littérature pour y puiser de l'inspiration.

2 - Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau

C'est un écrit sulfureux, inspiré par d'étranges muses. Il fait montre d'une grande érudition, et traite, à la manière des casuistes, des sujets bibliques les plus scabreux ; de facto, il attire l'attention de la Congrégation en 18041. L'intertexte fastidieux déployé témoigne d'une lecture détournée des textes exégétiques, d'un engouement pour les contes philosophiques, et d'un grand intérêt pour la littérature idéologique. Les écrits de nombreux auteurs et savants apparaissent en filigrane ; de Buffon à Dom Augustin Calmet, en passant par l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Le Dictionnaire portatif de Voltaire et Le Dictionnaire historique de Pierre Bayle ; tous ont été repris, relus et incorporés dans l'ouvrage, parfois plagiés à la virgule près. On peut retrouver par exemple, un passage du Candide de Voltaire qui a dû suffisamment lui plaire pour qu'il le recompose dans un discours paraissant savant : les contes voltairiens lui servent alors d'inspiration pour créditer ou saper les écrits exégétiques. Rien d'étonnant, c'était dans la tradition d'écriture, mais à ceci près que les circonstances dans lesquelles Mirabeau écrit l'empêchent d'avoir tous ces titres sous les yeux ; comment peut-il plagier sans avoir les sources originales ? En lui-même, le titre de l'ouvrage questionne : Errotika Biblion. La faute n'est pas du fait de l'éditeur : Jean Pierre Dubost a retrouvé un manuscrit de la main de Mirabeau2 avec le titre orthographié « Errotikos Biblion [sic] » ; et vu les nombreuses anecdotes sur la civilisation grecque, les citations de la Bible des Septante, les sous-titres en grec et en hébreux, comment Mirabeau, qui ne savait apparemment pas le grec, a pu concevoir un ouvrage de cette consistance ? De plus, l'inventaire de sa bibliothèque vendue à sa mort en 17913 confirme l'ignorance de ces langues : plus de 2800 ouvrages, dont près d'un tiers sont en latin et traitent de médecine. Sa bibliothèque est impressionnante et montre un goût certain pour les langues anciennes, mais aucun titre en grec ou en hébreux. Quant à son instruction, son précepteur nous en apprend la contenance en accusant son élève du vol des traductions latines de Tibulle lors de leur parution dans La Décade Philosophique4 ; du latin lui était donc enseigné et il le maîtrisait parfaitement, mais toujours pas de grec, pas d'hébreux. Au sortir de son éducation, entre ses fréquentes détentions et ses nombreuses frasques, on ne voit ni où, ni comment Honoré Gabriel aurait pu trouver le goût et le temps pour l'apprentissage de ces langues. Il semble même peu probable qu'il ait lu la plupart des auteurs savants réinjectés dans l'Erotika Biblion avant sa détention au donjon de

1 Pour lire le rapport de la Congrégation, voy. La Lettre clandestine, n°25, dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, Paris, Classiques Garnier, 2017.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris, Honoré Champion, 2009. L'orthographe du titre constitue un objet de contradiction avec Guillaume Apollinaire qui n'y voit qu'une faute d'impression persistant dans quelques exemplaires ; et lui-aussi s'appuie sur un manuscrit : vendu à un certain M. Solar pour 150 francs, le manuscrit serait un in-4°. Pour éclaircir l'affaire, il faudrait retrouver le manuscrit en suivant les registres de vente ou les actes notariats et remonter la piste. Voir L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque des curieux, 1921.

3 Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.

4 La Décade philosophique littéraire et politique, par une société de républicains, Paris, bureau de la Décade, an IV de la République Française, page 165.

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Vincennes ; il faut donc que ces ouvrages y aient été à sa disposition pour expliquer la précision et la profusion des citations.

Mirabeau a conçu l'Erotika Biblion comme une série de dissertations divisées en chapitre visant à démontrer, par des récits tantôt fictifs, tantôt avérés, les bénéfices d'une libération sexuelle. Il appuie son argumentation sur des références savantes, il ponctue ses démonstrations par des allusions aux textes d'autrui, et cite les pères de l'Église et autres autorités spirituelles dans chacun des chapitres ; toutefois, il tronque les citations, les déforme, et son subterfuge ne s'arrête pas là. En certains endroits, il travestit des éléments fictionnels pour les confondre dans l'argumentation. Ces éléments sont difficilement repérables car implantés dans une cohérence d'ensemble ; c'est un jeu d'auteur, où il s'agit moins de fausser les représentations scientifiques et mythiques du lecteur que de rechercher différentes façons d'acter ou de saper toute forme de vérité tirée d'une interprétation littéraire. On en serait presque à une singerie des argumentations casuistes sans cette cohérence d'ensemble, appréhendable par la consistance du projet anthropologique développé dans l'ouvrage : un système politique fondé sur une interprétation originale des Écritures. Tantôt justifiées par la tradition rabbinique, tantôt tirées de citations tronquées de La Bible, ses considérations théologiques entretiennent un rapport complexe avec la fiction qui dépasse la singerie comique. Car en d'autres endroits, Mirabeau revendique clairement la fiction1 comme moyen d'instruction ; il nourrit ainsi l'ambiguïté dans ses propos pourtant conçus pour paraître savants. Dans une certaine mesure, ces différents rapports avec la fiction se retrouvent dans sa correspondance. Incapable de sentir la solitude peser sur ses épaules, il maintient l'intérêt de ses correspondants sur son sort carcéral en développant des intrigues fictives qui auraient retardé sa libération. Si l'on y recherche des similitudes avec sa production littéraire, il faudrait regarder les corrélations inventées par Mirabeau entre la consistance de ces intrigues et les protagonistes qui créditeraient son invention. La règle, la seule contrainte de ce jeu d'auteur est la cohérence. C'est pourquoi le soin de prendre en compte le contexte dans lequel Mirabeau a conçu l'ouvrage doit être automatique ; à l'article de la mort, il avait certainement dans l'idée que cette production serait la dernière, non pas comme une énième énigme à laisser derrière lui2, mais plutôt comme un dernier soubresaut idéologique vivace et plein de ferveur.

1 Telle pourrait être la fonction du premier chapitre « Anagogie » qui se place dans la tradition des romans philosophiques de Voltaire : les qualités des Saturniens sont si semblables à celles décrites dans Micromégas que cette fiction devient un topos idéologique qui bousculerait l'anthropocentrisme de l'homme pour considérer la Création.

2 Trouver de la cohérence dans la vie de Mirabeau est une gageure sans arrêt relevée par les historiens. Son action politique par exemple, est jalonnée de comportements contradictoires. Élu à l'Assemblée du Tiers-Etats en 1789, il en défendait naturellement les causes, tout en devenant secrètement le serviteur du Roi. L'armoire de fer et la brigade qu'il envoie en province pour discréditer l'Assemblée à la suite du décret obligeant les ecclésiastiques à prêter serment, sont des symptômes de l'ambigüité de ses positions politiques. Pour un aperçu romancé de sa vocation politique, voir Les Grandes Enigmes de l'Histoire, Genève, édition Magellan, 1998.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote