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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Les Références aux Livres des Rois

Grâce à un nouvel amalgame entre la Bible des Septante et la Vulgate, nous pouvons considérer sa maîtrise du grec. Il se trouve dans la contextualisation du manuscrit de Shackerley présentée plus haut ; il s'agit de sa note développant la référence aux anus d'or qui guérissent les hémorroïdes. Fléaux dispensés par Dieu lorsque l'Arche d'Alliance est volée par les Philistins, les hémorroïdes se propagent de ville en ville, tuant parfois instantanément la population locale ; pour s'en défaire, les devins conseillent aux responsables de la remettre aux juifs, accompagnée de cinq objets d'or figurant les plaies reçues. Cinq anus d'or ont donc été remis aux juifs en même temps que l'Arche.

Dans sa note, Mirabeau cite le premier Livre des Rois comme référence : « Hi sunt autem ani aurei, quos reddiderunt Philistiim pro delicto Domino. Rois, liv. I, chap. VI, v. 17 »3 [« Anagogie ; note 1, page 8] ; et comme nous l'avons dit, la citation se trouve en réalité dans le premier Livre de Samuel. Or, seule la Bible des Septante compte les deux Livres de Samuel dans les quatre Livres des Règnes dits des « Rois ». Dans cette version, ils sont donc les deux premiers des Livres des Rois à l'inverse de toutes les versions de la Bible postérieure à la Septante qui séparent les quatre livres en deux blocs distincts. Soit Mirabeau le savait, et fait dans ce cas une grossière erreur en ne le précisant pas ; soit il l'ignorait tout simplement, tout comme il ignorait que les Septante ont écrit en grec. Car il n'y a aucune explication à traduire le grec en latin sans l'indiquer. D'ailleurs, Mirabeau cherche à entretenir une tonalité savante, il lui est important et amusant de montrer ses capacités à traduire le grec en latin comme il le fait dans le chapitre « La Linguanmanie » sur des termes scabreux4. Mais il n'utilise que des termes en grec, jamais de phrase ; et dans le reste de l'ouvrage, il n'y a que quatre termes en grec qui se trouvent dispersés entre deux chapitres, sans contextualisation, sans référence

1 Dénonciation de l'agiotage au Roi et à l'Assemblée des Notables, par le conte de Mirabeau, 1787.

2 Suite à ses contacts avec l'Allemagne, Mirabeau regrette que le monolinguisme des Français empêche des avancées dans les sciences. Voir Interférences franco-allemandes et révolution française, Philippe Roudié, Presse Univ de Bordeaux, 1994, page 55.

3 Nous donnons les références de l'édition critique de J-P Dubost comme expliqué plus haut.

4 Voy. le dernier chapitre « La Linguanmanie », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, éd. cit, pages 186 à 189.

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et sans traduction1. Il est donc étonnant qu'il ait traduit une phrase entière du grec sans l'indiquer. De plus, le terme « Septante » n'apparaît que deux fois. Leur évocation ou citation est importante pour les démonstrations, car elles appuient à chaque fois l'interprétation que veut donner Mirabeau de l'Écriture. Pour la première occurrence, il s'agit, comme dans l'exemple vu plus haut, de l'anecdote des prépuces qui « est en vérité miraculeuse dans le texte des Septante » [« Anagogie » ; page 8]. La deuxième et ultime occurrence sert à démontrer la perfection de la femme dans la traduction grecque de la Bible, car « les Septante ont prétendu que par le mot uira le sens de l'hébreu n'était pas rendu, ils ont ajouté ago. » [« L'Ischa ; page 43]. Ce dernier exemple est décisif : Mirabeau pourrait avancer clairement que les Septante ont écrit en latin. N'étant pas au fait de l'état originel du texte des Septante, il n'a donc pas traduit la citation des anus d'or, n'a pas ouvert la Bible des Septante, et ne l'avait donc pas sous les yeux lors de la composition de l'Erotika Biblion.

Les Livres des Rois sont cités deux fois. Nous venons de voir la première en latin ; la seconde est en français : « Le Seigneur frappa ceux de la ville et de la campagne dans le fondement. Roi, I, c, v. 26 » [« L'Anoscopie » ; page 168]. Il manque le numéro du chapitre, il en est de même dans le manuscrit trouvé par J-P. Dubost2. Après vérification dans le Livre de Samuel et dans le Livre des Rois, il s'avère qu'aucun verset 26 ne correspond à cette citation. L'extrait le plus proche se trouve dans le premier Livre de Samuel, au chapitre 5, verset 9 : « Il [Le Seigneur] frappa les gens de la ville, du plus petit au plus grand, et des tumeurs leur poussèrent »3. Il semblerait que les références aux Livres des Rois utilisées par Mirabeau appartiennent à une version qui organise la Bible selon la version des Septante. Or, pour annoter ces citations, il n'y avait aucune pertinence à choisir spécifiquement la version des Septante pour référer aux anus d'or ou au fléau divin. Mirabeau ignorait donc tout simplement que ces références renvoient à la Bible grecque ; et vu la dernière référence qui est amputée du chapitre et qui indique un mauvais verset, peut-être n'avait-il même pas les moyens de les vérifier. Par ailleurs, les deux références concernent le même extrait biblique qui n'est rien d'autre que la vengeance de Dieu contre les Philistins ayant volé l'Arche d'Alliance au peuple d'Israël. Dans la première citation, Mirabeau expose ce qu'est réellement le fléau de Dieu contre les Philistins, c'est-à-dire les hémorroïdes ; mais dans la deuxième citation qui se situe presque à la fin de son ouvrage, il la ramène à la cristaline, une version plus létale de la syphilis. Ses deux interprétations de ce fléau divin ne se contredisent pas vraiment, puisqu'un traité de médecine du XVIIe siècle indique que la cristaline est un terme générique qui englobe toute sorte de maladie

1 « Kadesch » et « Béhémah » ; voy. notre retranscription des « Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe I.

2 Cf, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 101.

3 Trad. La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l'Ecole biblique de Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Les Editions du Cerf, 1998, page 379.

Ressources bibliques - 63

vénérienne résultant du péché de paillardise ; ce traité indique par ailleurs que les Juifs souffrent des hémorroïdes après avoir commis ce péché1. Il est possible que Mirabeau ait eu une version ultérieure de ce traité ; nous en établissons l'affiliation dans le chapitre suivant. Pour l'heure, on ne trouve aucune trace dans ce traité de médecine d'une référence au Livre des Rois ; le commentaire sur la cristaline est, à postériori, un ajout de Mirabeau. Et bien qu'il utilise une citation en latin, et une autre en français pour rapporter l'extrait biblique, il peut s'agir du même texte source ; même si les citations ne sont pas rapportées dans la même langue, Mirabeau aurait pu détenir un feuillet abîmé et tronqué d'un texte ; apparemment, une anthologie ou des commentaires dont l'analyse mélange plusieurs langues. C'est l'explication la plus simple d'une relative connaissance des Septante et dans lequel il aurait trouvé des informations générales sur les textes de l'Ancien Testament, et sur les propos des Septante sans connaître le grec2.

On peut distinguer plusieurs ouvrages qui ont servi de texte source à Mirabeau sans toutefois pouvoir les définir. Dans un autre chapitre, « L'Akropodie », Mirabeau cite par 5 fois le Livre des Règnes en utilisant des références exactes renvoyant à l'ordonnément de la traduction grecque. Ces références parcourent les 4 Livres des Règnes ; autrement dit, il avait sous les yeux, soit le texte source, soit un autre commentaire utilisant des références au Livres des Règnes. Il est à noter que ces références sont notées Reg dans le texte de Mirabeau, et non Rois comme précédemment, que l'annotation ne concerne qu'un passage restreint de « L'Akropodie », et qu'elles se situent toutes à proximité les unes des autres3. Reg peut renvoyer à « règnes » ou au latin, libros regum ? Quoiqu'il en soit, il est étonnant que Mirabeau change ainsi de système référentiel. Ici, il ne s'agit probablement pas du même texte source ; la concentration de l'utilisation des annotations aux Livres des Règnes à un seul endroit indique qu'il ne s'agit pas non plus d'un texte biblique, mais plus probablement d'un commentaire. Sans d'autres éléments, il nous est pour l'instant impossible de savoir s'il s'agit du même auteur.

À noter que Charles Hirsch recherchait la version de la Bible dont Mirabeau s'est servie pour composer l'ouvrage afin d'expliquer les entorses et les détournements que ce dernier fait au sens biblique4. Vu les références et les citations appartenant à plusieurs versions bibliques, en plus des

1 « [...] les Juifs, pour un tel péché, sont fort tourmentez des hemorroides, et des ulceres malins, et le tout à cause d'un tel peché de paillardise. ». Cf. Traicté de la Maladie noovvellement appelée Cristaline, diligemment disputée suivant la Doctrine nouuelle et ancienne, comme se verra par les authoritez mises pour plus grande preuue, Guillaumet T., Chirurgien du Roy, Doyen et Maistre Juré en la Cité de Nismes À Lyon, Chez Pierre Rigaud, ruë Merçiere, au coing de ruë Ferrandiere, M. DCVI, page 20.

2 Le commentaire de Jean Pierre Dubost confirme définitivement cette hypothèse par la découverte du douzième chapitre, « Zonah », dont « de nombreuses erreurs dans le texte montrent que Mirabeau ne savait visiblement que peu de grec, et de nombreuses citations latines sont déformées. » Cf, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 142, page 141.

3 Voy. notre retranscription de « L'Akropodie » en annexe I, « Évocations et allusions à un intertexte foisonnant ».

4 Erotika Biblion, dans OEuvres érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard,

64 - Inspirations et ressources

différentes lectures savantes que Mirabeau rapporte, on pourrait pencher plutôt pour un commentaire de l'Écriture écrit par un clerc particulièrement savant. Quant au texte biblique source, il est difficile de le déterminer sans connaître la raison des références tronquées et non vérifiées par l'auteur. On pourrait toujours supposer avec Charles Hirsch qu'il aurait eu accès à une version de la Bible en latin. Peut-être la Vulgate avec tous les défauts qu'elle présente, à savoir d'avoir été reçue comme un code pénal asseyant un pouvoir politique sur une base religieuse' ; mais Mirabeau n'avait probablement pas de texte intégral, plutôt des fragments de différentes versions de la Bible qui certainement, étaient réunis en un commentaire publié après 1701. Aussi, il serait vain de ramener l'essence de l'interprétation biblique de Mirabeau à un seul texte, voire à un seul commentateur ; tout comme, il est vain de réduire l'intention de Mirabeau à une lecture profane et anticléricale de la Bible. Il devait composer entre les ouvrages sacrés et profanes pour construire son propre commentaire malgré les lacunes d'une telle entreprise.

Sa pauvre maîtrise du grec nous permet de relativiser son investissement philosophique dans la Bible et nous permet d'avancer que sa culture religieuse n'était pas suffisamment approfondie pour rapporter de mémoire des extraits et des références bibliques ; comme en témoigne sa maîtrise de la langue des Septante. Il s'agit maintenant de déterminer jusqu'où Mirabeau peut s'aventurer dans l'interprétation de la Bible sans recourir à un commentateur.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo