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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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L'Obscénité des peuples antiques

L'ordre dans lequel Mirabeau développe son propos et qui structure un point particulier peut nous permettre de dessiner l'organisation d'une argumentation. C'est grâce à elle que l'on peut retrouver les textes sources qui lui ont servi d'inspiration ; notre étude compare deux ossatures similaires : celle de Mirabeau et celle des textes pour en établir des filiations pertinentes. Elle nous permettrait de vérifier si Mirabeau a effectivement puisé dans les oeuvres de Dom Calmet pour composer son ouvrage, afin d'identifier le ou les ouvrages en question.

En l'occurrence, le chapitre qui nous intéresse est « La Tropoïde ». Mirabeau y rapporte les obscénités des cultures antiques pour commenter les lois qui régissaient les peuples afin d'établir un parallèle entre les lois et les moeurs : il y développe un axiome faisant que l'évolution des lois contribue à l'évolution des moeurs. Les obscénités du peuple hébreux sont annotées par le Lévitique ; celles des peuples romains, grecs et égyptiens par La Cité de Dieu de St Augustin1. Les moeurs hébraïques sont très annotées ; il s'agit de 15 références au Lévitique en 3 pages2 qui proviennent apparemment d'une version de la Bible en latin, et nous avons déjà soulevé les difficultés qui apparaissent lorsque nous essayons de dégager un texte biblique source. Toutefois, Mirabeau utilise ces références pour reprocher au moralisme chagrin sa volonté systématique de référer au peuple de Dieu pour enseigner la bonne morale. C'est pourquoi il leur demande ce qu'ils penseraient « si des bois sacrés plantés auprès de nos églises comme autour de leurs temples [païens], étaient le théâtre de toutes les débauches » [« La Tropoïde », page 60] ; et ce, après qu'il ait évoqué la divinité juive Moloch et des atrocités que cette divinité inspirait au peuple juif [« La Tropoïde » ; page 57]. Ces deux éléments ouvrent et clôturent l'exposition de la dépravation liée à ces pratiques ; les deux références ne sont pas annotées et ne renvoient pas à la Bible qui, de toute façon, ne relie jamais les deux thèmes. Vu la culture religieuse de Mirabeau, on peut être surpris qu'il connaisse l'existence de

1 Nous proposons une édition antérieure aux commentaires de Dom Calmet, bien que rien n'indique que Mirabeau ait bien eu avec lui un exemplaire de La Cité de Dieu ; Cité de Dieu de Saint Augustin traduite en françois, et revue sur l'édition des Pères Bénédictins, et sur plusieurs Anciens Manuscrits ; Avec des Remarques et des Notes qui contiennent quantité de corrections importantes du Texte Latin, 2 tomes, À Paris, rue S. Jacques, Chez Pierre Debats et Imbert Debats, M. DCCI.

2 Cf. « Évocations et allusions à un texte foisonnant », annexe I.

Ressources bibliques - 69

ces bois sacrés ou Moloch, cette divinité liée à l'idolâtrie ; mais le fait qu'il les lie tous deux pour dénoncer l'obscénité du peuple hébreux apparaît difficilement comme une coïncidence puisque nous retrouvons ces deux thèmes disposés en miroir dans les argumentations de Dom Calmet.

Dans les deux ouvrages que nous avons cités, Dom Calmet parle des bois sacrés et de la statue de Moloch. Dans ses Dissertations, il les lie en évoquant l'idolâtrie. Ce qui lui permet de développer un récit autour de ces bois où « se commettoient ordinairement les abominations, que les Prophètes reprochent si souvent aux Juifs. »1 Notons que ce développement est contenu sur une même page, dans la « Dissertation sur les temples des Anciens »2. Bien que les références au Lévitiques rapportées par Mirabeau ne s'y trouvent pas, il faut attirer notre attention sur le fait que Mirabeau ouvre et clôture la présentation de ces moeurs par Moloch et les bois sacrés ; l'ossature de sa présentation est nettement délimitée par ces deux thème3. Il se pourrait très bien qu'une brève lecture de ce court passage des Dissertations ait pu lui donner l'idée de chercher davantage d'éléments sur les moeurs décrites par Dom Calmet, et qu'il s'en d'ailleurs inspiré ; ce qui expliquerait les similarités de l'organisation de l'argumentation. Dans le Dictionnaire de Dom Calmet, les entrées « MOLOCH »4 et « BOIS » 5 existent aussi ; elles rapportent à peu près les mêmes faits concernant le culte des Ammonites et la nature des activités que l'on pratiquait dans les bois. Seulement, toutes ces informations se trouvent au même endroit, sur la même page des Dissertations ; tandis qu'aucun des deux articles du Dictionnaire ne les contiennent toutes au même endroit. Si l'on admet que Mirabeau a apparemment une culture religieuse limitée, il fallait bien qu'il connaissance l'existence de ces bois avant d'en chercher l'entrée dans le Dictionnaire, ou du moins qu'il se doute de leur portée sacrée. Il faut noter que Dom Calmet a tendance à répéter les mêmes phrases à la lettre près dans ces deux ouvrages ; déterminer par le biais d'une étude stylistique l'ouvrage qui aurait servi de source à Mirabeau serait donc difficile. Mais vu l'objet du discours de Mirabeau sur cet extrait du texte, il s'avère que les Dissertations présentent une ossature argumentative plus proche de l'extrait de « La Tropoïde » que le Dictionnaire.

Il s'agit maintenant d'étudier la provenance de la profusion des références au Lévitique dans « La Tropoïde ». Nous nous concentrons sur deux éléments. L'un se trouve à l'introduction de la description des moeurs obscènes, juste avant les mentions à Moloch et aux bois sacrés ; et l'autre, celui qui nous intéresse à présent, est l'enchaînement des références du Lévitique dans l'annotation

1 Voir annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

2 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit, 1720, page 669.

3 « La Tropoïde », page 57 à 60 ; Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, éd. cit.

4 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, Tome II, page 724.

5 Idem, Tome I, page 349.

à 528.

70 - Inspirations et ressources

en bas de page qui suit l'ordre suivant1 :

- Page 56 : Lev. ch. VIII, v.24 ; Ibid. ch. XII, v.5.

- Page 57 : Lev. ch. XVII, v.7 ; Ibid. ch. XVIII, v.7 ; Id. ch. XX, v.3.

- Page 58 : Lev. ch. XVIII, v.22 ; Lévit ; ch. XXI, v.18.

On peut observer que le commentaire suit pas à pas l'évolution du Lévitique dans une logique de lecture allant du chapitre VIII au chapitre XXI avec pour seule entorse à cette logique, la présence du chapitre XVIII entre le chapitre le XX et XXI. Or, toutes ces références au Lévitique sont données dans le même ordre textuel (quoique sans l'entorse du chapitre XVIII) dans l'annotation que Dom Calmet déploie dans sa « Préface sur le Lévitique » dans le livre II de ses Dissertations, pages 40 et 412. Les notes de Mirabeau concernant les cérémonies de consécration [« La Tropoïde » ; note 1, page 56], celles des naissances [Ibid ; note 2], la fornication avec les chèvres [Idem ; note 1, page 57], les rapports incestueux [Ibid ; notes 2 à 8], les sacrifices des nouveau-nés [Ibid ; note 9] y sont toutes référencées sur les deux premières pages du commentaire de Dom Calmet. Bien que ce rapprochement ne constitue pas un fait suffisant pour établir la certitude que Mirabeau a effectivement puisé dans les Dissertations pour construire son tableau des aberrations, il offre néanmoins des similitudes frappantes pour considérer cette possibilité ; toute l'annotation de « La Tropoïde » est contenue dans deux pages des Dissertation. Aussi, vu la notoriété des ouvrages de Dom Calmet, il se pouvait que Mirabeau - s'il n'avait pas précisément cette « Préface sur le Lévitique » - ait pu détenir un ouvrage qui s'en servait déjà comme inspiration. Au reste, dans le Dictionnaire, ni l'article « LEVITE », ni l'article « LEVITIQUE »3 ne contiennent une telle profusion ; les articles ont des textes extrêmement courts qui survolent les moeurs que Mirabeau illustre dans « La Tropoïde ».

L'autre élément qui nous intéresse se situe avant le tableau des moeurs, et juste après que Mirabeau se propose de déterminer « si nos moeurs, et quelques-uns de nos usages comparés avec plusieurs grands peuples, doivent paroître si détestables. » [« La Tropoïde » ; page 55] Par ce biais, il introduit le Lévitique et précise que le nom du livre biblique provient du peuple Lévi. Il présente à la suite l'habit des lévites, le lévi, qu'il décrit comme un « habillement d'aujourd'hui qui porte ce nom, sans être un monument bien authentique de notre piété » [« La Tropoïde », page 55]. Or, l'article « LEVITE » du Dictionnaire précise « qu'ils ne portaient point d'habits distinguez du reste des Israëlites » jusqu'à ce qu'ils obtiennent du Prince Agrippa la permission de porter la tunique de

1 Se référer à notre annexe I : « Évocations et allusions à un texte foisonnant ».

2 Voy. l'annexe III : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome II ».

3 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, tome II, pages 525

Ressources bibliques - 71

lin des prêtres et de jouer des instruments de musique'. Il aurait pu connaître l'habit grâce à une gravure qu'il aurait eue à sa disposition, telle qu'on peut la retrouver dans l'article « LEVITE » entre la page 526 et 527 du Dictionnaire de Dom Calmet ; ou bien, comme nous l'informe le manuscrit trouvé par J-P Dubost qui contient quelques annotations du chevalier de Pierrugues (que Dubost identifie comme Auguis) datant de 1783 - soit 3 ans après la première publication de l'Erotika Biblion - il pouvait le connaître grâce à une mode qui consiste en une « espèce de robe de femme qui portait ce nom à Paris, en 1778-79 et 80. »2 Bien que Mirabeau ait été enfermé de 1777 à 1780, on peut considérer qu'il serait tout de même étonnant que cette mode lui ait échappée.

Les éléments que nous avons soulevés ne permettent pas d'affirmer que Mirabeau se soit directement inspiré de Dom Calmet. Néanmoins, nous avons pu détecter plusieurs éléments qui nous assurent que Mirabeau avait recours à un commentateur, surtout en ce qui concerne les notions et informations que nous avons dégagées de « La Tropoïde ». Sachant la pauvre culture biblique de Mirabeau, elle doit bien être redevable à ce type de commentaire pour que le texte soit parsemé de telles références. D'autres types de lacunes nous indiquent aussi le format sous lesquelles se présentaient les sources de Mirabeau. Certainement des feuilles ou feuillets déchirés, toutes les informations et les références au texte biblique devaient se trouver au même endroit, si possible sur la même page. En l'occurrence, les Dissertations de Dom Calmet sont rentrées dans cette exigence de format ; il est donc possible que Mirabeau eût avec lui un ou des extraits des dites Dissertations ou un texte qui s'en inspirait. Quoiqu'il en soit, nous pouvons avancer qu'il existe bien une inspiration indirecte des oeuvres de Dom Calmet, en l'occurrence des Dissertations, mais non pas du Dictionnaire. Nous allons maintenant examiner un deuxième passage de l'Erotika Biblion dont Jean Pierre Dubost assure qu'il est inspiré du Dictionnaire de Dom Calmet.

' Idem, page 526.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 39, page 125.

« La Tropoïde », page 55

72 - Inspirations et ressources

Article « Lévite », Dictionnaire historique f...], Dom Calmet, éd. cit, Tome II, page 526

« [...], l'habillement d'aujourd'hui qui porte ce nom, sans être un monument bien authentique de notre piété. »

Ressources bibliques - 73

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote