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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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La Circoncision

Une note de J-P Dubost dans le chapitre « L'Akropodie », commente le développement et la construction des propos de Mirabeau sur la circoncision. J-P Dubost y établit des rapprochements entre le texte de Mirabeau, le Dictionnaire philosophique de Voltaire, l'Encyclopédie, et le Dictionnaire de Dom Calmet1.

La question débattue à cette époque était de déterminer l'origine de la circoncision et d'identifier le peuple qui, le premier la pratiqua. En outre, les avis sont partagés ; et Voltaire est du côté de ceux qui veulent prouver que les Hébreux la tenaient des Égyptiens. Comme Mirabeau ne disserte pas sur cette question, J-P Dubost estime qu'il a suivi les commentaires du Dictionnaire de Dom Calmet dont le texte ne traite que légèrement de l'origine de la circoncision pour restreindre le propos à l'explication de la pratique chez les Hébreux et chez d'autres peuples, à la description du rituel juif qui enveloppe cette pratique, et à sa signification dans l'Écriture. Et il montre finalement que Mirabeau déplace la question, comme le fait Dom Calmet dans son Dictionnaire, à la circoncision des femmes. Ainsi, le texte du Dictionnaire philosophique de Voltaire est écarté comme possible source directe de « L'Akropodie », et il ne reste plus qu'à traiter de l'Encyclopédie dont il se sert pour aborder la pratique de la circoncision chez les peuples turcs, persans, malgaches et mexicains ; comme il recopie des extraits de l'article « CIRCONCISION »2, ainsi que le montre J-P Dubost, il n'y a pas de doute quant à la source de son texte. Ce n'est toutefois pas le cas pour les textes de Dom Calmet. On retrouve la dissertation de l'abbé « Sur l'origine de la circoncision » dans les Dissertation3 , dans lequel il développe toutes les raisons de penser que les Hébreux étaient les premiers à pratiquer la circoncision. Comme nous l'avons déjà dit, le Dictionnaire et les Dissertations de Dom Calmet présentent un texte similaire, reprenant les mêmes références, et parfois les mêmes développements à la virgule près.

Il s'agit donc de voir si Mirabeau a choisi de traiter de la circoncision des femmes en s'inspirant directement du Dictionnaire de Dom Calmet et par défaut d'autres textes ne traitant pas de l'origine de la circoncision, ou - s'il avait aussi les Dissertations avec lui - par choix littéraire. Le détournement de la question de la circoncision aux femmes impliquerait une volonté de sortir des carcans où s'inscrit une littérature savante pour tourner en dérision cet exercice d'érudition.

1 Idem, note 66, page 130.

2 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, Paris, Chez Briasson, David, Le Breton et Durand, 1751-1765, tome III, page 458.

3 Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit, 1720, page 411. Nous avons annexé les pages concernées des Dissertations pour notre étude. Voy. l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

74 - Inspirations et ressources

Que ce soit pour le Dictionnaire ou pour les Dissertations de Dom Calmet, Mirabeau n'y recopie aucun extrait ; il préfère utiliser leurs éléments argumentatifs et les exemples qui y sont déployés pour recomposer son texte. Il est vain de chercher dans l'Erotika Biblion des passages recopiés sur Dom Calmet ; il n'est donc pas exclu qu'il possédait les deux ouvrages. En l'occurrence l'ossature argumentative de « L'Akropodie » présente des similitudes avec le Dictionnaire. L'enchaînement de certains éléments se présente comme une lecture suivie de l'article « CIRCONCISION » du Dictionnaire de Dom Calmet1 que l'on rapporte ici dans l'ordre :

- L'âge d'Abraham lorsqu'il se fit circoncire :

o « L'Akropodie » ; page 109 (référé à la Genèse. XVII, 24).

o Dictionnaire de Dom Calmet ; page 433, premier chapitre (référé à la Genèse. XVII, 30).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La division des Pères de l'Église sur la signification de la circoncision :

o « L'Akropodie » ; page 110 (évocation de St Augustin, St Justin, Tertulien et St Ambroise, etc.).

o Dictionnaire ; page 434, neuvième chapitre (évocation de St Augustin, St Justin le Martyr, St Irenée, St Chrysostome, St Epiphane, d'Hilare Diacre, St Jérôme, St Jean Damascène, St Grégoire le Grand, Bède le Vénérable, St Fulgence, St Prosper, St Bernard).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La circoncision des égyptiennes :

o « L'Akropodie » ; page 111 (annotée par une citation de Huet sur Origenes).

o Dictionnaire ; page 435, treizième chapitre (Idem).

o Dissertation ; page 418.

- La cérémonie de la circoncision des apostats devenant juifs :

o « L'Akropodie » ; pages 111 et 112.

o Dictionnaire ; page 435, quatorzième chapitre.

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La pratique des juifs devenant apostats2 :

1 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, tome I, pages 433

à 436.

2 Il faut noter qu'à cette occasion, Mirabeau évite d'inverser les peuples juifs et philistins pour désigner ceux qui se sont fait des prépuces comme il a pu le faire dans le chapitre « Anagogie » ; toutefois, nous pensons que ce chapitre est si intimement lié avec « L'Akropodie » qu'il a dû les écrire ensemble.

1 Voy. les pages 417 et 418 de l'article « Sur l'origine de la circoncision » de l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».

Ressources bibliques - 75

o « L'Akropodie » ; page 112 (référée au Macchab. Liv. I, chap. I, 16).

o Dictionnaire ; pages 435 et 436, quinzième chapitre (référée au I. Macc. I. 16)

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- La crainte de St Paul devant cette pratique :

o « L'Akropodie » ; page 112 (référée au I. Cor. VII, 18)

o Dictionnaire ; page 436, fin du quinzième chapitre (référée au I. Cor. VII. 18).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- L'impossibilité d'effacer la circoncision :

o « L'Akropodie » ; page 112 (évocation de St Jérôme, Rupert et Haimon).

o Dictionnaire ; page 436, seizième chapitre (évocation de St Jérôme et annotée par Rupert

et Haimo [sic]).

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

- Les méthodes de Galien, Celse et Buxtorf le fils pour se défaire de la circoncision :

o « L'Akropodie » ; pages 112 et 113.

o Dictionnaire ; page 436, dix-septième chapitre.

o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision » des Dissertations.

Mis à part quelques incohérences de références au texte biblique et aux Pères de l'Église, on voit bien que l'argumentation de Mirabeau suit l'organisation du Dictionnaire de Dom Calmet, et non ses Dissertation. Un seul élément peut nous amener à penser que Mirabeau aurait pu aussi détenir le chapitre des Dissertations : la circoncision égyptienne. Dans ce texte, Dom Calmet regarde la pratique égyptienne comme un volet de sa démonstration, puisqu'il s'agit de la détacher des pratiques juives. Il y décrit donc les raisons de la pratique égyptienne dans les détails1. Ce qui constitue une grande différence avec le Dictionnaire où il se contente de la ramener aux usages et aux raisons naturelles. Or, Mirabeau revient par deux fois sur la pratique égyptienne de la circoncision afin de la ramener à une nécessité physique. En premier lieu, il apparaîtrait que la pratique favoriserait l'éjaculation lorsque le prépuce est très long [« L'Akropodie » ; page 108] ; et en second lieu, la circoncision des femmes devait permettre une meilleure « approche du mâle » [« L'Akropodie » ; page 111]. Il établit ainsi la reproduction comme la seule bonne raison qu'il y aurait à circoncire les hommes et les femmes ; et il semble donc donner raison aux Égyptiens, à l'inverse des peuples qui la pratiquaient suivant l'observation d'un principe religieux. Bien que les conséquences physiques

76 - Inspirations et ressources

de la non-circoncision ne se sont pas décrites dans les Dissertations (elles peuvent être inventées par Mirabeau), les raisons d'adopter cette pratique composent l'un des volets de l'argumentation de Dom Calmet dans ses Dissertations ; car cette différence constitue à ses yeux une preuve que les Hébreux n'ont pas reçu la circoncision des Égyptiens. Dom Calmet s'y attache donc à décrire savamment les différents protocoles de la circoncision, ce qui aurait pu de source à Mirabeau. Il y a aussi cette citation de Huet sur Origène qui appuie le fait que l'on circoncisait les Égyptiennes, et que l'on trouve sur les trois textes. Mirabeau en recopie une partie en latin dans sa note I de la page 111. Or, sa note comporte une précision en grec, ô?ò íõìö?ò (de la jeune fille) ; et ce terme grec ne se trouve que dans les Dissertations1, et non pas dans le Dictionnaire. Il serait étonnant que Mirabeau ait ajouté ce terme selon son bon plaisir ; il devait avoir sous les yeux cette citation comportant ce terme, et donc il devait avoir ce chapitre des Dissertations. Comme l'inspiration directe du Dictionnaire n'est plus à prouver, il aurait donc fait le choix de ne pas traiter de l'origine de la circoncision s'il possédait effectivement les deux textes.

Au reste, un dernier élément de « L'Akropodie » est encore à traiter. J-P Dubost relève une phrase raturée dans le manuscrit qui n'apparaît dans aucune édition de l'Erotika Biblion. Elle indique un début de phrase tronquée à la page 111 que nous mettons en italique : « Cette pratique subsiste même encore aujourd'hui s'il faut en croire l'histoire de l'église d'Alexandrie par le père Van Sleb : on leur coupe une partie du clitoris qui nuirait à l'approche du mâle [...] »2. L'indication de la prospérité de la circoncision en Égypte n'est rapportée que dans le Dictionnaire de Dom Calmet3, et non pas dans les Dissertations. Toutefois, Dom Calmet ne donne aucune référence, et il faut que Mirabeau ait trouvé quelque part l'ouvrage de Johann Michael Wansleb4. Ce qui nous fait penser qu'il avait avec lui d'autres ouvrages où il tirait des références ; peut-être notamment, l'article « Effets de la circoncision » du tome III des Dissertations que nous n'avons pas pu consulter, mais qui pourrait contenir l'ossature argumentative du Dictionnaire, en plus de la description des conséquences physiques qui résulteraient de la non-circoncision exposées par Mirabeau. Toujours est-il qu'il paraît évident que Mirabeau se soit inspiré de Dom Calmet et que le déplacement de la question de l'origine de la circoncision à la circoncision des femmes est dû à un choix de l'auteur. On peut donc penser que Mirabeau souhaite ridiculiser non seulement la pratique de la circoncision et la culture érudite qui s'exerce autour de son origine, mais aussi la signification sacrée que lui donne le peuple élu. L'alliance avec Dieu lui apparaît comme l'obéissance à l'ordre primitif qui consiste à croître à se

1 Idem, note (d), page 418.

2 Cf. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 74.

3 Dictionnaire historique, critique, chronologique, géographique et littéral de la Bible, éd. cit, tome I, pages 435.

4 Histoire de l'Église d'Alexandrie fondée par S. Marc, que nous appelons celle des Jacobites d'Égypte, écrite au Caire même en 1672 et en 1673, par le P.J.M. Vansleb, à Paris, chez la Vve Clousier, 1677.

Ressources bibliques - 77

multiplier ; c'est l'injonction de la procréation, et à ce titre, la circoncision n'est nécessaire que lorsqu'elle empêche l'accouplement.

À travers les différents exemples que nous avons soulevés, il nous a été possible de délimiter le corpus sur lequel Mirabeau aurait pu s'appuyer pour écrire l'Erotika Biblion. Son appareil biblique apparaît en grande partie redevable à un commentateur, Dom Calmet, qui lui fournissait non seulement de la culture biblique, mais aussi de la matière à réflexion. On ne peut toutefois pas dire que Mirabeau a écrit un ouvrage pieux et respectueux des dogmes chrétiens. Il y a ajouté beaucoup d'anecdotes et de détails provenant de la culture profane ou païenne pour construire son discours. Il s'agit alors de retrouver toutes ces ressources afin de compléter la définition de son corpus et de dessiner sa compréhension de la spiritualité.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery