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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Une Spiritualité indéterminée

Nous avons déjà vu que l'ouvrage est bâti autour d'un projet anthropologique et d'une lecture des livres sacrés. Dans l'Erotika Biblion, l'un ne va pas sans l'autre ; et il apparaît évident que la façon dont Mirabeau comprend la spiritualité justifie son projet anthropologique. Il s'agit donc d'étudier la logique qui les relie, et qui donne une certaine cohérence à toute son oeuvre. Nous avons déjà tenté au chapitre précédent, une réunification de l'ouvrage par une étude thématique et nous avons abandonné l'ambition de le réduire à une seule et même signification. C'est pourquoi nous proposons ici une étude limitée à certaines notions traitées par Mirabeau, et qui nous semblent être les clefs d'une compréhension satisfaisante de l'intention de l'ouvrage.

En philosophe, Mirabeau traite dans l'Erotika Biblion de certains points appartenant à la matière religieuse. Que ce soit des questions dogmatiques, comme l'androgynie d'Adam, l'âme, ou des anecdotes historiques appartenant à quelques ordres religieux, il les relève dans son texte comme des traits particuliers et curieux qu'il s'agit de commenter pour développer une philosophie autour d'un projet anthropologique. On sait qu'il était en possession d'un corpus savant très élargi traitant de différentes confessions, et de différentes philosophies ; pourtant ses propres commentaires ne s'inscrivent pas vraiment dans une offensive contre le moralisme chagrin, le despotisme et l'imposture de l'Eglise qui sont pourtant des thèmes très débattus pendant le XVIIIe siècle. Comme nous l'avons vu, beaucoup de références sont inventées, détournées ou amputées ; notre analyse cherchera maintenant à les rétablir pour saisir la logique de composition de l'Erotika Biblion et déterminer les grandes lignes de son interprétation des textes sacrés.

78 - Inspirations et ressources

Invention et recomposition

Il semble évident que Mirabeau prend un grand plaisir à ridiculiser le monde religieux ; on entend par là, certaines sociétés, les jansénistes et les jésuites notamment, et certains Pères dont les noms sont encore à vérifier. Ces moqueries sont disséminées à travers les chapitres ; toutefois, on peut distinguer parmi elles, trois occurrences dans lesquelles elles sont plus qu'une évocation ou une allusion ; elles prennent toutes l'apparence d'une anecdote qui fait office de moteur d'argumentation. La première occurrence se situe dans le chapitre « Anélytroïde », lors de la démonstration autour de la fille imperforée [« Anélytroïde » ; page 34], c'est un passage que nous avons déjà relevé ailleurs ; la deuxième constitue la méthode inventée par les Pères Conning et Coutu pour se faire des prépuces [« Akropodie » ; page 113] ; et la dernière est l'aventure narrée en vers des missionnaires jésuites envoyés en Chine [« L'Anoscopie » ; page 163]. À l'inverse des autres, ces occurrences font intervenir plusieurs acteurs prenant part à la démonstration ou à la fiction. Il s'agit de vérifier chaque référence et d'étudier leur articulation dans le texte. Nous nous concentrons sur la première et la troisième occurrence, car la méthode des Pères Conning et Coutu a été analysée par J-P Dubost, et elle montre une déformation des noms de deux auteurs de traité de théologie du XVIIe siècle, Aegidus de Coninck et Antonio de Couto1.

« L'Anélytroïde » contient un point important de l'Erotika Biblion. Mirabeau y formule la volonté de réinterpréter la Bible, car il juge que la compréhension de l'Écriture a toujours été soumise à l'orgueil des commentateurs ; et que par conséquent, si l'on use de sa raison pour réfléchir sur les livres saints, on ne trouvera dans les commentaires que des absurdités et des aberrations. Son projet est donc de proposer une lecture saine de la Bible dénuée de tout préjugés et de toute considération tenant à la bienséance et qui seraient prescrites par une norme morale, par les goûts et par l'éducation d'une époque.

Une des sources du discrédit où les livres saints sont tombés, ce sont les interprétations forcées que notre amour-propre, si orgueilleux, si absurde, si rapproché de notre misère a voulu donner à tous les passages que nous ne pouvons expliquer. De là sont nés les sens figurés, les idées singulières et indécentes, les pratiques superstitieuses, les coutumes bizarres, les décisions ridicules ou extravagantes dont nous sommes inondés. [« L'Anélytroïde » ; page 28]

Ce point est important parce qu'il détermine un fil conducteur logique de son appréciation de la spiritualité. En somme, il propose de comprendre l'Écriture et d'adorer Dieu non pas par la foi, mais par la raison ; ce qui constitue le coeur d'un raisonnement philosophique initié un siècle plus tôt par

1 Voy. Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, bas de la note 66, page 131.

1 Cf. Chap. VII du Tractatus Theologico-Politicus, Spinoza, Hamburgi, apud Henricum Künrath, CI? I? CLXX, 1670. Et nous rappelons ici que notre étude ne cherchera pas à rétablir les fondements théologiques de l'ouvrage.

Une Spiritualité indéterminée - 79

Spinoza qui s'essaye déjà à soumettre la foi à la raison1. Pour Mirabeau, Dieu est bon ; et par conséquent, il aurait donné la raison à l'homme pour qu'il ait une meilleure connaissance de son créateur. Donc, comme pouvaient le faire les anciennes communautés religieuses, telles que les Basiliciens, les Carpocratiens et les Adamites, la parole et la volonté de Dieu sont à comprendre dans leur sens littéral, sans chercher des inventions qui résistent à la raison. Ces sociétés témoigneraient d'une jouissance d'essence divine, car elles « regardaient la jouissance des femmes en commun comme un privilège de leur rétablissement dans la justice originelle », et qui appliquaient à la lettre, l'injonction divine « Croissez et multipliez » [« L'Anélytroïde » ; page 33]. On peut dès lors avancer que le fil logique de l'argumentation est de considérer la pérennité d'une société religieuse comme l'indice d'une bonne interprétation de l'Écriture ; plus une société a perduré dans le temps, plus elle était proche de la vérité et de la bonne conduite à adopter selon les textes sacrés.

Bien que le texte de Mirabeau compare les anciennes sociétés religieuses avec les contemporaines, il s'emploie surtout à décrédibiliser la Compagnie de Jésus. Sa connaissance des anciennes sociétés lui provient de la lecture du Dictionnaire de Bayle, et de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert ; tandis que les anecdotes concernant les jésuites proviennent en partie de son imagination. Il semble donc décidé à leur refuser un jugement positif sur leur compréhension de l'Écriture, et pour ce faire, il parsème son texte d'anecdotes se moquant de leurs actes et de leur entendement des textes sacrés. Mais comme il ne peut nier que, bien qu'elle ait été mise à mal au XVIIe siècle suite aux conflits avec les Jansénistes, la Compagnie de Jésus perdure, bien qu'expulsée d'Europe, et qu'elle n'est pas prête à disparaître, il lui faut inventer des raisons de son prochain effondrement. Notre étude dissèque la démonstration autour de la femme privée de vulve, éléments après éléments, afin de définir ce qui ferait défaut à la Compagnie de Jésus aux yeux de Mirabeau ; ainsi, nous pourrons délimiter une philosophie et en ressortir plusieurs points sur son appréciation de la spiritualité.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand