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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Réflexion sur le langage

En premier lieu, il faut rappeler ce que nous avons dit des Saturniens : ce sont des êtres décrits comme des pensées, des formes ou des émanations. Leur langage n'est pas fait de mots, mais de sensations qui permettent de délivrer un message sans dénaturation. Nous ne reprendrons pas ici, le développement de la métaphore coïtale ; car elle ramènerait les Saturniens aux sensations électriques éprouvées lors de l'accouplement et serait donc impertinente sur une étude du langage.

L'étude de J-P Dubost repose sur un rapprochement entre l'argument saturnien de Diderot qui se trouve dans le Rêve de d'Alembert et la fiction saturnienne de Mirabeau. On relève beaucoup de références à Saturne dans la littérature du XVIIIe siècle ; la plus célèbre est sans conteste le Micromégas de Voltaire. Seulement, Diderot n'utilise pas Saturne pour en faire une fiction ; la référence à la planète lui permet d'introduire les effets des variations matérielles auxquelles chaque être vivant est soumis ; car « si une distance de quelques mille lieues change mon espèce, que ne fera point l'intervalle de quelques milliers de diamètres terrestres ?1 » Cette distance permet d'introduire le questionnement de d'Alembert qui se demande si le « flux général » de l'univers - chaque chose vivante est soumise en permanence au mouvement - aurait permis la création d'être pensant et sentant dans Saturne. La conformation générale de chaque être dépend de son environnement et de ses habitudes : plus il fera d'effort pour se mouvoir et répondre à ses besoins, plus son corps, avec le temps, lui facilitera la tâche en modifiant son enveloppe corporelle selon les stimuli. En postulant le monde comme un ensemble d'une même matière parcouru d'un seul flux procédant d'une transformation permanente de la matière 2 , son argument saturnien devient l'hypothèse du métamorphisme.

L'enjeu pour notre étude sur la spiritualité de Mirabeau est de taille, car il s'agirait de voir si l'Erotika Biblion poursuivrait le monisme matérialiste et athée de Diderot. Jean Pierre Dubost entrevoit dans la société saturnienne décrite dans le chapitre « Anagogie », un idéal de perfection que

1 Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot, publiés d'après les manuscrits confiés, en mourant, par l'auteur à Grimm, tome IV, Paris, Paulin, Libraire-éditeur, Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXXI, page 153.

2 Il a en quelque sorte devancé les découvertes d'Antoine Lavoisier qui a fixé l'équation élémentaire de la chimie moderne : « Rien ne se perd tout se transforme ».

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Mirabeau propose d'atteindre grâce à son projet anthropologique ; c'est-à-dire qu'il aurait pensé l'exercice des sens humains dans la vue de perfectionner ses sens et son corps autour de l'axiome « tout est en un flux perpétuel de jouissance ».

Pour Diderot, l'argument saturnien s'inscrivait dans la perspective d'un métamorphisme généralisé de la nature. L'idée qui soutenait son transformisme et que résumait la formule directement empruntée à Buffon selon laquelle « tout est en un flux perpétuel » subit chez Mirabeau une torsion majeure : « tous les êtres sont entre eux dans un flux perpétuel (de jouissance) ». La nature paradisiaque et originelle des « Saturniens » rassemble tous les attributs anthropologiques d'un état d'innocence où la jouissance est l'alpha et l'oméga du bonheur.1

De fait, la faible apesanteur de la planète permettrait aux saturniens de saisir les émanations des êtres environnants qui contiennent leur pensée, leur idée et leur sentiment ; cette connexion ne souffrant d'aucun équivoque interprétatif, le langage ne peut être qu'absolument transparent, voire même inexistant tel que nous le connaissons. Incapables d'oubli, les Saturniens ne nagent pas moins dans le bonheur : le volontariat est soutenu par la force du plaisir et la société vit dans le calme et l'harmonie. Seulement, si l'on suit l'idée de Diderot, c'est le monde matériel qui permet l'évolution. Et nous avons déjà étudié les rapports entre la Terre et Saturne dans le chapitre « Anagogie » pour montrer que le texte ne présente pas la proposition de moduler le physique de la Terre sur le modèle de Saturne, et que la comparaison entre les deux planètes est un procédé narratif visant à faciliter au lecteur la représentation de Saturne. Mirabeau ne présente donc pas le langage comme constitutif à l'évolution ; il ne fait aucune observation sur la concomitance ou l'antériorité du langage parfait à la société saturnienne. Mais pour Jean Pierre Dubost, le langage saturnien traduit tout de même la philosophie de Mirabeau.

En imaginant ce monde idéal où des êtres infiniment perfectibles communiquerait entre eux dans le bonheur sensuel par une transmission purement physique et naturelle de leurs pensées, sans la moindre nécessité d'avoir recours au langage, Mirabeau fait de façon radicale table rase de toute la réflexion linguistique et sémiologique de l'époque, qui va de Locke à Rousseau et Condillac. [...] Si cet étrange tableau par lequel le texte commence relève moins de quelque naïveté utopique que d'une ironie ouvertement affichée, il trahit tout de même la pensée profonde de Mirabeau, hanté par un empirisme radical, par un naturalisme sans nuance, où les sens, libérés totalement des entraves de l'équivocité, parleraient un langage absolument transparent, où toute communication humaine aurait lieu dans un « flux perpétuel de jouissance ».2

Il est vrai que le langage saturnien est décrit comme étant parfait et achevé, mais il n'y a pas plus de précisions et de développements dans le texte. Comme Mirabeau se contente de le rapporter à des phénomènes électriques, il n'a donc pas ressenti le besoin de décrire le rapport signifiant-signifié

1 Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.

2 Id, page 14.

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d'un tel langage. De plus, il n'a pas trouvé de pertinence à discerner dans le langage des Saturniens, l'élément formant la genèse : la pensée ou le signe. On peut ajouter que si Mirabeau avait bien compris le texte de Diderot et qu'il avait voulu l'illustrer d'une fable, il n'aurait pas décrit une société parfaite tout en sachant que le métamorphisme de Diderot ne peut théoriquement pas connaître de stade d'achèvement.

Si la description du langage saturnien ne peut pas faire office d'une sérieuse réflexion sémiologique, il faut le replacer dans l'organisation du chapitre. En l'occurrence, il s'avère que l'élément argumentatif qui ferait office d'une réflexion sémiologique se situerait juste avant la description du langage saturnien ; lorsque le texte aborde la Lettre sur les aveugles de Diderot pour évoquer la solution recherchée par les Philosophes pour décrire et définir un miroir à un aveugle [« Anagogie » ; page 16]. La réflexion se construit donc autour de la relation signifiant et signifié pour étudier le langage. Or, toutes les définitions du miroir que l'on peut faire à un aveugle sont absurdes, Mirabeau le dit bien ; elles démontrent juste la difficulté d'expliquer ce qui relève d'un sens inconnu de l'interlocuteur. Notons par ailleurs que le rapport au texte de Diderot se fait dans un rythme fracassant l'organisation du chapitre ; c'est le seul moment où le récit de Shackerley est écarté pour développer un point subalterne. Et ce n'est peut-être pas anodin. On peut penser que le fait d'avoir introduit la description des Saturniens par une anecdote autour d'un aveugle renvoie finalement à l'état figuré de tous ceux qui n'ont pas reçu la révélation anagogique et qui sont donc dans l'impossibilité de comprendre les propos de Shackerley. Sur ce point, il faudrait plutôt réduire la signification de la fiction des Saturniens dans l'économie interne du chapitre : au lieu d'incarner une utopie politique et un idéal anthropologique qui seraient fondés sur un langage parfait ou inversement, - Mirabeau ne le précise pas - la fiction des Saturniens serait simplement une illustration de la relativisation des rapports qu'entretient le langage avec la réalité dont dépend la compréhension. Le langage serait né de l'établissement de l'homme en société, et sa première fonction serait d'être intelligible ; ce qui rejoint ainsi la théorie sémiologique de Condillac. Quoiqu'il en soit, il ne peut pas s'agir d'une véritable réflexion sémiologique, car le récit de Shackerley qui renonce de lui-même à développer la description des Saturniens, apparaît plutôt comme une imitation de ceux - tel que St Jean - qui emploient un langage obscur et lacunaire pour relater des faits prémonitoires incroyables et trompeurs. Finalement, on y trouverait un nouveau principe pour constituer une bonne interprétation des textes sacrés : la lecture anagogique de la Bible, au même titre que la lecture tropologique et allégorique, ne pourrait pas constituer une méthode de compréhension fiable des textes sacrés car il requiert des moyens de compréhension possédés seulement par celui qui a reçu la révélation. Sachant que la Bible a été écrite pour tous et pour toutes les époques, l'anagogie doit être mise au rang des méthodes qui induisent en erreur. Avec les principes de simplicité et d'honnêteté que Mirabeau a définis implicitement pour constituer la bonne

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interprétation des textes sacrés, on peut y ajouter celui de la clarté.

En reprenant les résultats de cette étude, on peut s'apercevoir que Mirabeau définit au fil du texte trois principes d'une bonne interprétation de l'Écriture : elle doit relever de la clarté [« Anagogie »], de la simplicité [« L'Anélytroïde »] et de l'honnêteté [« L'Anoscopie »]. Et si à chaque fois, ses procédés littéraires pratiquent les raisonnements qu'il dénonce, ce serait tout simplement pour en montrer toute l'aberration et pour pousser au maximum leur absurdité. Ces trois principes sont extrêmement simplistes, aussi Mirabeau estimerait que les interprétations des théologiens catholiques doivent se contenter de lire la Bible sur des bases grammaticales et littérales. En somme, notre étude n'a pas relevé d'élément fiable qui nous permettrait de relier la spiritualité de Mirabeau à un monisme matérialiste et athée. Bien au contraire, il faudrait que la spiritualité et la croyance soient importantes à ses yeux pour qu'il définisse trois principes d'une bonne interprétation de la Bible.

Nous avons pu observer que le rapport de Mirabeau avec la Bible est bien plus qu'une simple inspiration dans laquelle il puiserait des anecdotes dans le but d'en montrer son caractère obscène. À l'évidence, sa lecture du texte sacré est grammaticale et littérale, elle ne montre pas la volonté de pénétrer l'herméneutique pour en délivrer un message ésotérique et impénétrable. En l'occurrence, nous avons vu que la forme de ses raisonnements et de ses fictions empruntait celle des raisonnements exégétiques, mais afin de s'en moquer et d'en montrer toute l'absurdité ; il s'agit d'une stratégie littéraire qui montre que ces types de lecture sont dans l'erreur et qu'elles ne peuvent pas délivrer de vérité morale, relative ou absolue à partir de l'Écriture. Bien que ses références et ses citations du texte sacré souffrent d'une hégémonie normative, elles montrent qu'il avait à sa disposition plusieurs types de texte qui relataient et commentait l'Écriture dont il se servait plus comme des manuels éducatifs sur la religion que comme des réservoirs à anecdote. En étudiant son processus de création, nous pouvons supposer qu'il écrivait son texte au fur et à mesure de ses découvertes, et qu'il n'avait peut-être aucune idée de la forme finale de son ouvrage en l'écrivant. Le moteur du processus n'est peut-être rien d'autre que la volonté de relier le projet anthropologique qu'il a déjà construit et développé dans ses traités politiques, avec la Bible. Il s'agit donc maintenant d'étudier les articulations philosophiques entre son rapport à la spiritualité et son projet anthropologique.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand