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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Morale du bonheur

Nous avons dit que Mirabeau recherche l'harmonie, mais il s'agirait maintenant de bien définir le Souverain Bien vers lequel tend sa société idéale. Rappelons qu'il y a un lien de nécessité entre le beau et le bien. Les vues de la nature sont belles, car elles sont bonnes ; et si elles sont bonnes, c'est parce qu'elles sont belles. C'est le principal axiome de Mirabeau sur lequel s'étend sa conception anthropologique et son projet politique. Mais la Nature supporte difficilement toutes sortes de conceptions sur la moralité ; c'est la loi du plus fort qui prime. De même, nous avons vu que les lois pouvaient interdire le mal, mais non pas l'empêcher. Et les forfaits non soumis à la justice sont autant d'infractions qui ne seront jamais punies. À noter que Voltaire traite de ce problème dans son Dictionnaire philosophique avec l'article « Bien (Souverain bien) », d'ailleurs situé sur le même feuillet que l'article « Bêtes » que Mirabeau aurait pu détenir lors de la conception de l'Erotika Biblion.

Une Utopie évolutive - 129

Nous avons la belle fable de Crantor : il fait comparaître aux jeux olympiques la Richesse, la Volupté, la Santé, la Vertu ; chacune demande la pomme. La Richesse dit : « C'est moi qui suis le souverain bien, car avec moi on achète tous les biens. » La Volupté dit : « La pomme m'appartient, car on ne demande la richesse que pour m'avoir. » La Santé assure que sans elle il n'y a point de volupté, et que la richesse est inutile. Enfin la Vertu représente qu'elle est au-dessus des trois autres, parce qu'avec de l'or, des plaisirs et de la santé, on peut se rendre très misérable si on se conduit mal. La Vertu eut la pomme. La fable est très ingénieuse, mais elle ne résout la question absurde du souverain bien. La vertu n'est pas un bien, c'est un devoir ; elle est d'un genre différent, d'un ordre supérieur. Elle n'a rien à voir aux sensations douloureuses ou agréables. L'homme vertueux avec la pierre et la goutte, sans appui, sans amis, privé du nécessaire, persécuté, enchaîné par un tyran voluptueux qui se porte bien, est très malheureux ; et le persécuteur insolent qui caresse une nouvelle maîtresse sur son lit de pourpre est très heureux.

Si la vertu n'est pas une valeur absolue et détachée du reste, elle reste un principe de fonctionnement social qu'il faut encourager pour établir une société idéale. Le bonheur et le malheur, ramenés ici à des cas de conscience, ne suffisent pas à l'encourager car elles ne fonctionnent pas sur le principe de la récompense.

Aux yeux de Mirabeau, le principal et unique bien, de nature divine et naturelle est la liberté de procréer. Il ramène le mal moral à une invention imaginée par les rigoristes, et le mal physique, à un argument fantoche qui prouverait l'existence du mal moral. Par exemple, l'onanisme si décrié par les sermonneurs, n'est pas un mal car « il n'y a point eu de mal physique à ce penchant, et la morale en certains cas aurait pu lui montrer quelque indulgence. » [« Le Thalaba » ; page 73]. Ce que Mirabeau appelle « morale » n'est encore que l'idée que se font les hommes de la morale, mais elle n'est aucunement la volonté divine. Il a réduit à un principe unique afin de ne pas s'en encombrer : Mal est ce qui nuit... à la conservation de l'homme aux yeux de Dieu. S'il s'agit bien d'un principe divin, il ne répond pas aux problèmes des hommes qui veulent s'établir en société.

Le principe général et peut-être unique de morale, est que mal est ce qui nuit. L'adultère n'est pas si loin de la nature, et est un beaucoup plus grand mal que l'onanisme. Celui-ci ne saurait être dangereux qu'à la jeunesse, quand il altère sa santé ; mais il peut souvent être très utile à la morale ; la perte d'un peu de sperme n'est pas en soi un plus grand mal, n'en est pas même un si grand que celle d'un peu de fumier qui eût pu faire venir un chou La plus grande partie en est destinée par la nature même à être perdu. [« Le Thalaba » ; page 79]

En définitive, le mal physique que Mirabeau pourrait admettre serait la dégénérescence liée à l'inceste. Et dans l'exemple ci-dessus, l'adultère est mal lorsqu'il nuit à son prochain, notamment s'il cause de la peine à son ou sa partenaire. Il s'agit de la règle d'or adoptée à la fois par les religions et par les morales athéistes ; on peut aussi bien la traduire par « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse », ou bien dans une perspective plus chrétienne : « aime ton prochain comme toi-même ». Cette piste, bien qu'elle ouvre sur la notion de la réciprocité, ne nous permet pas d'établir l'origine de la réflexion de Mirabeau. Admettons seulement qu'il existerait un hiatus entre

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la morale humaine et la volonté divine à résoudre, voire à théoriser dans l'Erotika Biblion. Car Mirabeau ne disserte nulle part sur la nécessité d'établir des règles morales pour une société. Il faut donc rappeler que son projet se situe dans une évolution, et qu'il regarde l'établissement d'une société comme étant déjà réalisé : les individus partagent à priori les mêmes goûts pour les mêmes choses et c'est à ce moment que la réflexion de Mirabeau prend du sens. L'utopie de Mirabeau n'est donc pas absolue, autonome et détachée de l'Histoire.

On peut aisément partir du principe que Mirabeau pense sa société idéale en vue du bonheur. Mais en ne théorisant pas les comportements amoraux pouvant déséquilibrer la société, il partirait du principe que l'homme heureux est vertueux, que la femme pourrait éduquer l'homme à aimer son prochain et quand bien même un homme voudrait nuire à son prochain, il n'aurait pas l'énergie suffisante pour mettre en péril l'ordre et l'harmonie. Sa perspective diachronique le pousse à étudier la pérennité de certaines sociétés, et l'amène à conclure que les erreurs ne perdurent pas dans le temps. Par conséquent, l'amoralité ne serait pas un problème dans la mesure où la volonté divine ne permettrait pas qu'elle perdure. Il ne ressent donc pas le besoin de construire la morale de sa société idéale puisqu'elle est suppléée par la loi naturelle et la volonté divine.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld