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Etudes littéraires sur l’Erotika Biblion. Quand l’ironie sème le doute.


par Sylvain Haure
UNIVERSITE PAUL VALERY, Montpellier III - MASTER II Littérature française et comparée 2019
  

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Conclusion

Il est difficile de définir la confession de Mirabeau après la lecture et l'étude de l'Erotika Biblion. Mirabeau est croyant, peut-être un théiste comme Voltaire. L'idée de l'âme, de l'immortalité et de Dieu implique un schéma politique universel, car tout le monde pense que Dieu et l'âme existent. Ce sont ces constations qui poussent Mirabeau à recevoir ces croyances comme vraies et avérées. Comme le maintien de l'ordre nécessite que tout le monde veuille participer à la société, il ne faut pas qu'elles se contredisent ou rejettent les croyances étrangères. On peut d'ailleurs regarder de près son sermon sur St Paul1 comme un texte inspiré prônant la tolérance.

Peut-être Mirabeau cherche-t-il à prouver que Dieu existe ? Il ne serait passé ni par le raisonnement, ni par les supputations métaphysiques, mais par la nécessité d'admettre son existence en vue de produire une société idéale pour le bien de tous. Par cette proposition, il théorise une société, un projet anthropologique qui répondrait aux besoins de tous les peuples pour tous les temps. S'il faut composer avec la Bible et les confessions qui y sont tirées, alors pourquoi ne pas s'en servir ? Mirabeau tire de la Bible des preuves que les moeurs et les goûts ont évolué, et ce, grâce à la législation. Finalement, il cherchait à adresser son projet à l'universalité : il a pensé que la sexualité et la spiritualité sont deux domaines partagés par tous et que, par conséquent, son ouvrage parlerait à n'importe quel lecteur.

Il ne faut pas non plus oublier que, tout comme son roman pornographique Ma Conversion, l'Erotika Biblion est un texte non fini. Nous avons décelé des problèmes avec la fiction : elle est rarement assumée sinon Mirabeau aurait écrit une utopie. Et il a préféré l'argumentation à la fiction pour présenter ses théories. En revanche, ses traductions des textes latins et ses traités politiques ont bien été finis ; l'Erotika Biblion étant un assemblage, on pourrait penser que Mirabeau avait dans la perspective d'écrire une fiction en premier lieu, puis qu'il se serait détourné de ce projet littéraire. Il faut d'ailleurs rappeler que le premier chapitre, « Anagogie », nuit à la cohérence de son essai ; c'est le seul chapitre qui commence par une fiction ; c'est aussi le seul où son projet anthropologique n'est pas présenté et il n'y articule pas la démonstration à ses traités politiques. Peut-être que sa pensée n'était pas encore mûre et qu'elle était en train de se faire. C'est pourquoi l'ouvrage nous semble si désordonné et qu'il a pu l'écrire en quelques semaines seulement : il n'est pas fini. En outre, l'intérêt de cet ouvrage est d'éclairer la pensée de Mirabeau, ses articulations, ses axiomes, ses raisonnements et ses argumentations qui ont peut-être accompagné le tribun lors de ses discours à l'Assemblée Nationale, neuf ans plus tard. Aussi, ce texte présente en brut, plusieurs procédés de création bien

1 Un Sermon inédit de Mirabeau sur la nécessité de l'autre vie, volume 31, Revue des Deux mondes, 1916.

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visibles car l'intention d'écriture flotte encore et ne paraît pas viser un but bien défini. Bien que l'exercice de lecture en soit freiné, l'ouvrage aurait toute sa place dans un corpus dédié aux études génétiques en littérature. Car on peut facilement y trouver un réseau intertextuel que le dispositif énonciatif et éditorial tort, subvertit, et détourne de leur visée initiale. On peut donc apprécier, à la fois la compréhension de Mirabeau des textes et idéologies de son temps, mais aussi sa considération sur ses propres textes et sur la façon dont il les intègre aux courants de pensée contemporaine ; et ce, grâce à sa volonté de retourner les textes contre ceux qui l'ont écrit avec leurs propres raisonnements. C'est particulièrement significatif au premier chapitre « Anagogie ».

Pour rester dans la comparaison entre ses propres ouvrages, on peut rapporter l'Erotika Biblion à Ma Conversion. Les points significatifs sont nombreux : au début de son roman, sa lettre à Satan montre que plus personne n'a plus peur de l'enfer, de la punition et du péché, et finalement de Dieu. On retrouve un Dom Juan qui provoque Dieu : c'est le retour à un libertinage intellectuel. Le seul effroi véritable se situe dans le passage où le Père Ambroise énonce les conséquences de l'irrespect des religions et des punitions temporelles qui attendent l'athée. C'est d'ailleurs la seule occurrence de la tradition de l'imposture des religions dans la production littéraire de Mirabeau.1 Or, la nécessité de croire en Dieu et en l'âme est au carrefour des conceptions anthropologiques, philosophiques et politiques de l'Erotika Biblion. Bien qu'il ne reconnaissance que Dieu et l'âme ne sont rien d'autre que l'idée de Dieu et de l'âme, il intègre ces croyances comme un principe d'universalité, et regarde de même la sexualité. Aussi, le péché est notion bien commentée dans l'Erotika Biblion, et Mirabeau montre que ce n'est qu'un manquement, et non pas une faute ; car il ne faudrait pas que la loi du pouvoir temporel de l'Eglise remplace la loi du législateur. La grande différence entre ces deux ouvrages vient du fait que le moteur de la narration de Ma Conversion est l'argent2 : Auri sacra fames, l'exécrable soif de l'or. On peut s'en étonner, l'Erotika Biblion a été écrit seulement trois mois après Ma Conversion, on ne peut pas y voir une autocontradiction gratuite : l'épigraphe serait en complète contradiction avec les propos de l'Erotika Biblion. Le protagoniste de Ma Conversion n'est motivé que par l'argent ; il cherche donc à se préserver. C'est la loi de la conservation qui rythme l'ouvrage. Il visite tous les personnages féminins, des prototypes des romans pornographiques d'époque (la dévote, la marquise, etc...), et s'accouple avec elles selon l'importance de leur patrimoine. Or, comme nous l'avons montré, la loi naturelle pour Mirabeau est la loi de la propagation, la loi divine est la conservation de l'espèce. Le protagoniste suivrait donc l'impulsion divine qui vise à se

1 Nous omettons volontairement tous les romans non revendiqués par l'auteur dans sa correspondance et qui lui sont parfois attribués.

2 Voy. la page de titre du Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites par lui-même, à Stamboul, Imprimerie des Odalisques, 1784.

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conserver plutôt que le désir de propagation réservé pourtant exclusivement à l'acte sexuel ; ce qui explique d'ailleurs pourquoi il n'a pas peur de finir en Enfer. Pourtant, la juste punition pour Mirabeau consiste à le rendre sujet d'une maladie vénérienne à la fin du récit, représentant ainsi une sorte de justice divine. Toutefois, Ma Conversion est, comme l'Erotika Biblion, un ouvrage non fini.

Pour revenir au processus de création de Mirabeau, nous rappelons qu'il écrit à partir de fragments de texte car il ne possédait que des oeuvres partielles. Il avait une compréhension limitée de leur unité, de leur pensée et de leur construction intellectuelle. Pourtant Mirabeau parvient à produire une oeuvre plus ou moins cohérente et autonome. Il croyait que son oeuvre échapperait à la censure car il pensait avoir épargné la matière religieuse ; et il est vrai que sa stylistique empêchait qu'il ne formulât explicitement des thèses contraires à la religion. Sa force littéraire réside justement dans sa dénonciation des grandes lectures des textes sacrés qui aspirent aux vérités transcendantales et absolues. C'est ce qu'on a pu lire dans le premier chapitre, « Anagogie » : toute construction littéraire aspirant à une quelconque autorité ne sera jamais audible et compréhensible. L'Erotika Biblion représente tout l'inverse ; cet écrit est parcellaire, informe, parfois bâclé, mais il n'est pas incohérent. D'ailleurs, le titre, Erotika Biblion, que l'on peut traduire par de l'érotisme dans le livre pourrait nous donner l'image d'un corps : on prend les plus beaux morceaux des ouvrages qui nous inspirent quelques idées et on les assemble pour former le corps le plus séduisant possible. Chercher de l'érotisme dans les livres se fait surtout par l'imagination, tel un rêve dont on prend autant de plaisir à le produire qu'à le déchiffrer ; et il ne sera peut-être jamais question de rendre l'Erotika Biblion uniforme et entier. Tous ces morceaux de textes apparaissent comme autant de charme et d'atout qui participent à la séduction générale. Et si nous pouvons ramener le livre à la femme, Mirabeau nous dit bien que seul le sot chercherait à décrire et énumérer tous les charmes de sa belle1. Peut-être même que la démarche initiale de Mirabeau ne serait pas dans la volonté intellectuelle de situer ses idées philosophiques et politiques à l'égard d'une sexualité et d'une spiritualité exacerbées, mais plutôt dans la volonté d'atteindre un plaisir de l'écriture, ou même de répondre à un besoin d'écriture. Ce besoin ou ce plaisir d'écriture consisterait à créer un texte à partir de petits fragments d'autres textes pour nourrir le plaisir de penser, le plaisir d'imaginer, et de créer du sens tout en donnant une vie et une visée propre aux écrits des autres pour construire un dialogue, souvent tronqué ou déformé. L'Erotika Biblion n'est peut-être simplement qu'un jeu d'imagination qui ne serait pas sans rapport avec l'érotisme.

1 « On ne calcule point les charmes qu'on adore ; on s'enivre, on brûle, on les couvre de baisers ; ce n'est qu'alors qu'on est intéressant ; la belle qui verroit compter par ses doigts les attraits dont elle est ornée, prendroit le calculateur pour un sot, & feroit elle-même une pauvre figure. » ; « L'Anandryne », page 99, », Errotika Biblion, `Åí ?áéñ? ??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII.

- Le Père Berrhuyer ; à propos de son accord avec les Jésuites, de plus il accuse Luther et Isaac le

Maître de Sacy d'hérésie, idem.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius