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Etude des parcours de vie polyamoureux


par Clémence Gay
Université d'Evry - Maîtrise de sociologie parcours Image et Société: documentaire et sciences sociales 0000
  

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E. Protocole d'enquête

Comme nous avons pu l'annoncer précédemment, nous allons, dans le cadre de ce mémoire, nous intéresser à la réalisation d'entretiens récit de vie afin de pouvoir répondre à notre problématique. Afin de permettre une bonne approche de ce sujet, nous allons au cours de cette partie définir notre terrain d'enquête, les notions et approches que recouvre le terme de «récit de vie» ainsi que les moyens mobilisés pour contacter et rencontrer les enquêtés (lieu, anonymisation et moyen de contact). Enfin, je définirai dans un dernier temps mon positionnement au sein de ce sujet de recherche.

Les entretiens «récits de vie»

Étant donné la nature de notre problématique, traitant de la notion de parcours de vie, les entretiens réalisés sont des entretiens dits «semi directif» ou «narratif» (Bertaux, 1997). Ces entretiens sont des interactions au cours desquels mes interrogations se sont adaptées à l'échange en cours, permettant de faire émerger des thèmes précis au fil de la conversation. Les reformulations et «relances miroir» (Demazière, 2007) permettent de reprendre les propos de l'enquêté sans pour autant réorienter de façon trop abrupte les récits en cours en imposant aux personnes des catégorisations du monde préconçues.

Ma position théorique se rapproche de ce que Passeron définit comme un cadre d'analyse «ni déterministe ni individualiste», cherchant à « saisir la structuration des biographies à la fois comme un effet des structurations longitudinales » déterminantes sous-jacentes « et comme le produit [...] que l'action sociale des individus inscrit, en aval, dans [...] ces structures longitudinales » (Nossik, 2011; Passeron, 1990). Cette opposition aux approches purement déterministes et individualistes permet de saisir les éventuelles récurrences biographiques des parcours de vie, tout en les inscrivant comme étant le produit des interactions sociales des individus au sein de ces structures : «Le fait que ces récits servent à mettre en relation trajectoires individuelles et structures sociales apparaît comme acquis : la fonction des récits de vie est de permettre un recueil d'informations sur le parcours social des enquêtés.» (Nossik, 2011).

La direction de ces entretiens consista à croiser les positions objectives des enquêtés, leurs points de vue subjectifs exprimés, ainsi que leurs pratiques observées (Beaud, 1996). Il ne faut en effet pas oublier que «les récits de vie sont des «produits collectifs» (Mondada 2001) : co-construits par les interactants en présence, ils s'élaborent autour des «relations que la personne construit sous nos yeux, avec nous et pour nous, entre elle-même et son univers

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social» (Deprez, 1996). En bref, «recueillir la parole de l'interview, c'est recueillir une parole façonnée par l'interaction des l'interview» (Bres, 1999). En permettant à l'enquêté de ré-évaluer et de se réapproprier son histoire, en le co-construisant avec l'action et l'interrogation du chercheur, «le récit de vie nous rappelle tout simplement que subjectivité et lien social sont les deux pôles d'une dialectique fondatrice de l'individu.» (Nossik, 2011).

Présentation du terrain

Notre terrain d'enquête s'est concentré sur l'étude des communautés polyamoureuses en France métropolitaine, majoritairement situées à Paris. La limitation de l'enquête à cette ville n'était pas stricte, il s'agit surtout d'une limitation technique due à la survenue de la crise sanitaire et à ma condition d'étudiante. Au total 12 entretiens récit de vie ont pu être réalisés, d'une durée de 1h30 à 2h30 pour le plus long. Initialement, il était également question de réaliser une enquête de terrain au sein d'un «café poly» (réunion organisée généralement dans des cafés, où sont conviés polyamoureux ou simple curieux). L'idée aurait été de suivre les organisateurs de ces évènements, et d'observer les interactions, discussions et relations se tissant entre les individus. Malheureusement, la situation sanitaire n'a pas semblé très prompte à me laisser accéder à ce terrain là. J'ai donc concentré la base de mon travail d'enquête uniquement sur les entretiens narratifs. De part l'attachement de ma problématique à la notion de parcours de vie, j'eus à effectuer un nombre significatif d'entretiens permettant une analyse transversale des données qualitatives.

La prise de contact avec les enquêtés, du fait de la pandémie, s'est faite majoritairement en ligne, via les sites de rencontre (mon choix c'est porté sur Ok Cupid, choix que je détaillerai par la suite) ou des contacts de proches (étant souvent des «amis d'amis», ils constituent un réseau intéressant, même si peu diversifié sur le plan sociologique) ou des contacts d'enquêtés (qui constituent un réseau intéressant et riche de personnes interconnectées).

Ok Cupid est une application de rencontre américaine existant depuis 2004. La raison du choix de cette application réside dans sa grande diversité dans le choix des orientations sexuelles, relationnelles et des identités de genres, permettant ainsi de cibler plus facilement les personnes ayant des profils «non-monogamous» auto-identifiés. En outre, sa popularité grandissante -elle accueillait en 2020 plus de 50 millions d'utilisateurs- permet une plus grande diversité dans les profils rencontrés.

A l'image de l'étude «Perceptions of primary and secondary relationships in polyamory» réalisée par Rhonda N. Balzarini, l'utilisation de cette méthode de collecte de données m'a permis d'atteindre des personnes vivant dans des communautés et des relations marginalisées. Si la taille de cet échantillon ne peut permettre de justifier méthodologiquement des généralisations radicales, rappelons que «de sept à douze entrevues permettent généralement d'atteindre la saturation des données pour une étude exploratoire et qualitative (Mongeau, 2011, p. 92) comme la nôtre» (cf Lévesque, 2019).

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Les lieux des entretiens

Sur les 12 entretiens réalisés, 5 d'entre eux ont été réalisés en présentiel, sur Paris (soit au domicile des personnes, soit à mon domicile), les autres se sont fait en distanciel via la plateforme de discussion Zoom. Si le fait de mener les entretiens au domicile des personnes était un idéal, la conduite d'entretiens en ligne n'a pas constitué en soi un obstacle conséquent pour saisir la parole des enquêtés dans leur intimité6. Il faut rappeler également que si l'exercice de l'entretien peut être difficile en soi, il l'est encore plus lorsqu'il s'agit de dévoiler certains détails, parfois intimes, de son parcours de vie (d'autant plus sur un sujet aussi sensible que celui du polyamour) d'où l'importance de l'anonymisation.

Le problème de l'anonymisation

Une des problématiques fondamentales qui se pose pour tout entretien, c'est la question de l'anonymisation. À la fois catalyseur et inhibiteur, le chercheur tient un rôle ambivalent au sein des entretiens : il permet de libérer la parole tout en risquant l'écueil de l'autocensure. Or cette autocensure est d'autant plus forte lorsque les groupes ou personnes interrogés sont marginalisés et que le risque que la parole ait des répercussions néfastes est grand, ce qui est le cas des personnes polyamoureuses (souffrant de ce qu'on appelle la polyphobie). Ces craintes ont néanmoins été tempérées avant et pendant les entretiens en précisant que ceux-ci seraient anonymisés et que l'enregistrement de la prise de parole ne profitera qu'au chercheur. Il a été également très rassurant pour les enquêtés de pouvoir répondre à leurs éventuelles questions en leur assurant un total anonymat dans ce mémoire, ainsi définissant clairement auprès d'eux les objectifs de l'entretien (par téléphone ou par mail). Ainsi, tous les noms composant ce mémoire ont été modifiés afin de garantir l'anonymat des individus. Le choix des prénoms de substitution a été pensé en respectant les contraintes de générations, d'origine sociale et ethnique. De plus, certains enquêtés ont des prénoms d'origine volontairement mixtes (par volonté de ne pas s'enfermer dans un genre binaire «homme/femme»), j'ai donc respecté cette volonté en choisissant également des prénoms attribuables aux «deux» genres.

Positionnement du chercheur

Enfin, avant de débuter l'analyse de ces données, il me semble primordial de définir ici l'intérêt que je porte à ce sujet. Notamment du fait que dans le cas de la littérature polyamoureuse, les frontières entre les genres sont souvent floues. Si les premières

6 Bien que le fait d'interroger les personnes chez elles nous permet d'avoir un aperçu de leur univers, et que le cadre assez chaleureux et familier permet aussi une mise en confiance et une introspection plus facile et sereine.

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publications sur le polyamour étaient généralement fortement militantes, avec des écrits basés sur l'expérience (Anderlini-D'Onofrio, 2004), les oeuvres sociologiques plus académiques apparues ces dernières années sont, elles aussi, rédigées en majorité par des auteurs ayant personnellement des liens étroits avec les communautés polyamoureuses (Barker et Landgridge, 2010).

Étant moi aussi polyamoureuse et ayant appris l'existence de ce terme assez récemment, je m'inscris également dans cette mouvance tendant à comprendre les mécanismes qui animent ces relations. Bien que mon mémoire ne soit en aucun cas une oeuvre militante, il est nécessaire de souligner qu'il fut l'objet d'un long travail introspectif pour définir le plus justement possible ma place au sein de ce projet de recherche. Notamment du fait que mon travail d'enquête sera exclusivement composé d'entretien narratif, s'inscrivant dans un dialogue auprès des enquêtés, il était important pour moi de ne pas teinter mes questions et mon analyse de biais de jugement ou de raisonnement. Mon travail exploratoire et de cadrage fut d'ailleurs un ressort primordial pour affiner non seulement ma compréhension du sujet et ma problématique, mais aussi ma position en tant que chercheuse et que personne polyamoureuse.

Pour autant, comme l'a souligné Laplantine (1996), le premier outil de l'enquête ne peut être que le chercheur. Mon influence sur mon terrain était donc inévitable, mais c'est ce qui donna, à mon avis, de la richesse à cette enquête. Une des caractéristiques importantes de mes entretiens est qu'ils n'étaient pas unilatéraux : un véritable dialogue s'instaurait entre moi et l'enquêté. Mes questions, mes réflexions et mes expériences ont non seulement permis de dégager une parole plus libérée, mais aussi de faire naître de nouveaux thèmes et de nouvelles questions qui ne se seraient pas posés si je n'avais pas fait part de mes expériences et interrogations personnelles. D'un point de vue purement éthique, je trouve également que les entretiens narratifs, en cela qu'ils impliquent que l'enquêté se «mette à nu» -en racontant aussi bien ses expériences que ses échecs, ses doutes et ses erreurs- gagnent en intérêt et en profondeur lorsque l'enquêteur est capable d'atteindre le même niveau d'introspection. Il ne s'agit pas ici de remplacer ou de supplanter le discours ou la réflexion de l'enquêté, ni de se forcer à se dévoiler entièrement à lui, mais j'ai pu constater qu'ouvrir sa parole et dévoiler mon regard de «chercheuse polyamoureuse» a permit non seulement de rassurer les personnes sur les véritables intentions de mon enquête, mais aussi de creuser davantage «ensemble» nos réflexions et nos interrogations qui, même si elles divergeaient dans leur nature et sur leur origine, trouvaient néanmoins en leur sein des horizons communs.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery