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Etude des parcours de vie polyamoureux


par Clémence Gay
Université d'Evry - Maîtrise de sociologie parcours Image et Société: documentaire et sciences sociales 0000
  

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Partie II

Les parcours de vie polyamoureux

A. Les profils des enquêtés Profil et angle mort

Pour débuter cette analyse, intéressons-nous d'abord au profil des enquêtés7. Les 12 personnes interrogées sont de nationalité française, et ont entre 25 et 47 ans (parmi lesquelles

6 ont entre 29 et 32 ans). Ce fait est d'ailleurs un des angles morts que je détaillerai un peu plus loin dans cette partie.

Le niveau d'étude des personnes interrogées est globalement élevé. 4 des personnes interrogées ont ou sont en train d'effectuer une thèse et 7 d'entre elles ont entre le BAC+3 et le BAC+5. Une personne a elle commencé à travailler après un BAC+2.

Les professions des enquêtés sont d'ailleurs assez similaires, ayant pour la plupart des affinités avec les secteurs créatifs, littéraires et des nouvelles technologies. 3 personnes exercent ou ont exercé le métier d'infographiste dans le secteur du jeu vidéo (à noter que ces profils n'ont pas de liens entre eux). Il est intéressant de noter aussi que 4 des personnes interrogées ont été ou sont actuellement pleine reconversion et sont donc à ce jour dans une redéfinition de leur profession et de leur perspective d'avenir (permaculture, charpentier de marine, professeur de musique et gestionnaire d'un café rural itinérant).

Les origines familiales des enquêtés sont également diverses. Relevons quand même que leurs parents sont en grande majorité en couple monogame exclusif, sinon divorcés, issus pour la quasi-totalité de la classe moyenne. Les pratiques religieuses et affinités politiques sont, elles, très variées (allant de «catholique pratiquant» à «athée»; «d'anarchiste» à «concervateur»).

Sur les 12 personnes interrogées, 8 personnes se déclarent cisgenres (5 hommes et 3 femmes), 2 transgenres (1 femme et 1 homme), et deux se disent explicitement non-binaires, préférant être genrées au masculin neutre dans les deux cas, l'un privilégiant l'utilisation du pronom «iel» que j'utiliserai donc pour ce mémoire. L'orientation sexuelle définit est hétéroclique : 8 personnes se revendiquent bisexuelles, 1 pansexuelle et 3 hétérosexuelles (à noter que ces trois dernières personnes sont tous des hommes cisgenres). En outre, deux des enquêtées se déclarent ouvertement neuroatypiques, l'une ayant été diagnostiquée avec un TSA (trouble du

7 Voir en annexe le document «Présentation Sociodémographique» pour une présentation plus exhaustive du parcours relationnel et sociodémographique des enquêtés.

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spectre autistique) et l'autre avec un TDAH (troubles de l'attention avec ou sans hyperactivité). La revendication de ces troubles cognitifs différant de la norme aura d'ailleurs un lien tout particulier avec l'expression du polyamour. Nous le verrons dans la suite de ce mémoire.

Au niveau géographique, 6 des profils interrogés résident à Paris, ce fait étant directement en lien avec l'utilisation du site de rencontre Ok Cupid comme moyen de prise de contact. Au total, 4 des enquêtés parisiens ont été rencontrés via ce site de rencontre (qui se base sur le positionnement géographique de ses utilisateurs), les deux autres profils sont respectivement une des relations d'un des enquêtés parisiens et un contact personnel issu de mon entourage. Les 6 autres répondants quant à eux sont des «amis d'amis» ou des «relations d'amis d'amis» que j'ai pu rencontrer au cours de mon enquête. L'avantage amusant qu'il y a à étudier cette communauté étant que les personnes polyamoureuses ont généralement plusieurs autres connaissances polyamoureuses dans le cercle de leur relation, facilitant ainsi les prises de contact :

Nicolas : «Si tu as besoin d'un entretien avec eux, ils ont vraiment beaucoup bossé sur la question. C'est sûr que ce qui est pratique c'est que si tu as besoin d'échantillons il y en a !

Tu en vois un tu en as plein !»

Ce qui nous conduit à un autre point qu'il me semble important d'aborder ici : les liens présents entre les différents participants. Certains des enquêtés interrogés sont, à la base, des contacts qui m'ont été transmis lors de mes entretiens. Ainsi, afin de clarifier le statut de chacun de ses enquêtés, voici une présentation succincte des relations établies : Lilou, Jérémy et Camille sont dans une relation à trois, ou «trouple», Léna et Nicolas relationnent ensemble, et Roxane et Antoine relationnent ensemble. Au-delà de ces relations, les personnes interrogées ne se connaissent pas entre elles. Ainsi, de par l'existence de ces différents liens, certains discours et vécus entrent en résonance les uns avec les autres, bien que la proximité relationnelle ne soit pas la seule cause de ce fait.

En outre, ce panel, bien qu'exploitable dans le cadre de ce mémoire, reste réduit vis-à-vis de la population étudiée et contient certains angles morts. Bien que cela n'invalide pas l'intégralité de ces recherches, il est nécessaire de replacer cette étude dans son contexte. Soulever ses limites permettra de clarifier l'interprétation de ces données tout en offrant un cadre de réflexion clair et explicite.

Trois angles morts sont discernables dans cette enquête. L'un étant lié à l'âge des enquêtés (se regroupant entre 25 et 47 ans), l'autre à leur race8 (quasi exclusivement caucasienne) l'autre à leur orientation sexuelle (majoritairement hétérosexuelle ou bisexuelle). Au cours de

8 L'utilisation ici de la notion de race n'est bien évidemment pas liée au sens biologique du terme, mais comme étant une construction sociale ayant des effets sociaux, notamment en termes d'inégalités sociales et de discriminations (Fassin D., Fassin E.).

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mon enquête, j'eu beaucoup de difficultés à contacter des polyamoureux sortants de ces différents cadres, la situation sanitaire n'ayant pas facilité les choses, m'obligeant à ne prendre contact que par le biais des réseaux sociaux. Pour autant, la tenue de «cafés poly racisés» ainsi que d'une littérature consacrée à l'aspect intersectionnel du polyamour et la racisation (Patterson, 2018) montre bien l'existence de ce fait :

Camille : «Je comprends très bien pourquoi il y a des groupes non mixtes hein, c'est pas un mystère. C'est le même racisme systémique qui s'implique, j'imagine que ça évite aussi d'être

objectifié. [...]. Après j'imagine que les gens qui ressentent ça sont probablement les gens qui auront pas particulièrement envie de parler à une chercheuse blanche (rire) !»

Bien que selon Lévesque (2019) la communauté polyamoureuse soit décrite comme regroupant une majorité d'individus « white, well-educated, and middle to upper-middle class » (Sheff, 2014), en plus de n'être que faiblement représentée par ceux « in exclusive/y same-sex relationships » et les « working-class people » -ce qui pourrait en soi expliquer la récurrence de certains profils- l'étude des parcours de vie polyamoureux sera donc nécessairement à confronter à ces différentes limites.

Des événements déclencheurs de la non-exclusivité

L'apparition du polyamour s'inscrit dans une époque marquée par de nombreux bouleversements : «la désynchronisation entre le début de la vie sexuelle, celui de la vie en couple et l'arrivée d'enfants [ne cesse] de se renforcer depuis plusieurs décennies au profit de l'apparition de relations plus ou moins inédites : cohabitations de courtes durées, relations amoureuses non cohabitantes, polyamour, déclaration croissante de rapports avec des personnes de même sexe, etc.» (Rault et Régnier-Loilier, 2019). Pourtant si les nouvelles générations semblent plus mouvantes et moins déterminées dans la réalisation de leur identité (amoureuse, sexuelle, relationnelle), elles évoluent néanmoins dans une société encore très fortement marquée par des normes hétéronormatives et mononormatives, que ce soit via les anciennes générations ou d'autres instances de socialisation comme la familles, les médias ou l'école (on remarquera d'ailleurs que dans deux entretiens Benjamin et Soan citeront les dessins animés (et notamment les Walt Diney) comme étant vecteurs de normes). Le contexte actuel français invite à penser et construire son avenir amoureux à travers ces normes :

Soan : «Que ce soit conscient ou inconscient ça reste compliqué, et de toute façon culturellement tu peux le voir. Le truc c'est que même en ayant pas connu mes parents ensemble, bah j'ai regardé les Walt Disney comme beaucoup. J'ai grandi avec « Quand Harry rencontre Sally », les comédies romantiques et tout ça qui idéalisent beaucoup le... «Ouais c'est cette personne avec qui on est destiné». Donc j'ai grandi avec ces idées en tête.»

Benjamin : «Ily a 10 ans je découvrais le couple. Y'a 10 ans j'étais en couple depuis 2 ans. J'avais appris ce que papa maman m'avait dit, ce qu'on m'a appris dans les films à l'école et

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c'est tout. Mais je connaissais rien du couple en fait. [...] Moi on m'a dit «un couple c'est deux personnes c'est comme ça», bon bah je me suis dit «ben c'est comme ça, je vais faire ça»

Pourtant, c'est aussi au cours de l'enfance que se posent pour la première fois des questions sur la pertinence de certaines normes qui pouvaient, parfois, entrer en contradiction avec certaines réalités vécues :

Soan : «Quand j'étais petit, donc c'était un peu avant d'être adolescent, dans les années 80, j'avais vu une émission à la télé sur les couples, et j'avais entendu un témoignage qui m'avait vachement marqué. Le gars racontait qu'il n'avait plus de désir pour sa femme, et qu'il était allé voir ailleurs, et quand il est allé voir ailleurs en fait son désir pour sa femme est revenu. Et ça, ça m'est arrivé ce truc, et franchement... je ne comprends pas. Mais c'est une réalité.»

Pour Agathe, il s'agissait surtout de ne pas croire à «l'amour éternel, à une relation qui restera toujours la même jusqu'au mariage, jusqu'aux enfants, jusqu'à la retraite». Bien que ses parents soient mariés et qu'il n'y ait «quasiment aucun divorce dans la famille», elle ne s'est jamais sentie proche de cette orientation relationnelle.

La construction de cette morale polyamoureuse semble prendre racine jusque dans l'enfance. Pourtant, c'est à la suite d'un événement bien défini que va se définir le «nouveau couple». Un des points communs existant chez un part des enquêtés (7 profils sur les 12 interrogés), c'est que leur polyamour s'est construit alors qu'ils étaient en situation de couple. Ces couples, auparavant définit comme étant une relation «classique» (c'est-à-dire monoamoureuse exclusive : être en relation avec un seul partenaire) vont connaître plusieurs événements majeurs qui vont transformer leur relation et impacter durablement leur vision des relations amoureuses, voire des relations en général.

Pour Soan et Léna, l'ouverture du couple va arriver à un moment bien précis de leur relation, à savoir l'arrivée d'un enfant.

Soan : «Notre sexualité après l'accouchement a vraiment chuté. C'est quelque chose qui est assez répandu, mais elle le vivait pas bien. Et donc c'est elle qui a amené le sujet. Il était pas évident à amener, mais c'est aussi parce qu'on a pu en parler avant qu'elle m'a dit «ça peut pas continuer comme ça, j'ai besoin d'air, j'aimerais qu'on puisse être libre d'aller voir où on veut»... Et puis j'ai dit oui !»

Léna : «Quand j'ai été enceinte, j'ai éprouvé un besoin de ouf de me sentir désirée, de me

sentir aimée de bla-bla-bla. J'avais un copain qui me disait «hey ça peut-être cool qu'on ouvre ensemble» et moi je me disais «ah bah ouais ça serait franchement cool que je découvre quelqu'un d'autre».

Ici, c'est la paternité et la maternité qui a été le moteur de l'ouverture. Dans les deux cas, il s'agit dans un premier temps d'ouvrir son couple à une non-exclusivité sexuelle uniquement, afin de pallier un besoin ou un manque affectif et sexuel.

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L'ouverture du couple peut également être liée à la mise en place (volontaire ou non) d'une relation à distance, liée au travail ou aux études. Pour Benjamin9, Alex et Antoine, l'ouverture du couple s'est faite avec la mise à distance du couple. Commencer cette ouverture à distance a «facilité» la non-exclusivité pour Antoine. Le fait que de nombreux étudiants entretiennent des liens avec des partenaires amoureux ne vivant pas dans la même zone géographique (Waterman, 2017) pourrait également corréler avec le fait que la plupart des personnes polyamoureuses interrogées aient fait de longues études. Cette «obligation» de la relation à distance se retrouve également au niveau professionnel, notamment au niveau académique :

Jérémy : «Au niveau académique c'est assez fréquent les relations à distance parce qu'il a des problèmes de trouver du travail et ne pas avoir de postes permanents forcément et de ne pas choisir forcément où il sera, si tu l'as un jour.»

Privilégier la relation à distance est également une première expression d'une volonté d'autonomie, mettant en avant la carrière plutôt que le couple, en ne faisant «jamais de concessions [...] surtout pour les études» (Agathe). Pour elle, la construction d'une relation non-exclusive s'est également faite à distance, mais cette fois-ci à travers la rencontre par son partenaire d'une tierce personne. De la même manière, la rencontre d'une nouvelle relation pour un des membres du couple «toucha à l'essor du polyamour» pour Camille, car cela l'a ammené à se questionner sur la notion d'infidélité :

Camille : «J'avais fini par lui dire «mais écoute finalement ça fait plus d'un an qu'on est ensemble que ça marche bien et que en fait tu flirtes avec d'autres personnes quoi donc si tu veux on dit que c'est ok. On décide qu'est-ce que c'est la limite pour nous et puis on dit que c'est ok parce que de toute façon c'est ça qu'on fait! Finalement pour moi ce sera moins de stress de savoir que c'est ok.»

Ainsi, on remarque qu'il y a toujours pour les couples une raison, un élément déclencheur -la parentalité, la relation à distance ou la rencontre d'un autre partenaire- justifiant cette décision, sans que pour autant le couple soit obligatoirement dans une mauvaise passe, car comme l'a précisé Benjamin, son libertinage a été pensé alors que «tout allait bien dans [son] couple».

Selon Conley et Moors (2014), cette configuration relationnelle permettrait d'alléger le couple, puisque la responsabilité de combler les besoins sexuels et affectifs d'une personne n'incomberait plus seulement à un·e partenaire. Pour Roxane, cette réflexion s'est posée avant sa rencontre avec Antoine, car cela «faisait un petit moment que d'un point de vue sexuel [elle] ne s'y retrouvait pas» avec son partenaire. Elle a donc commencé par lui parler de «relations libres d'un point de vue sexuel». Pour Soan, accepter l'ouverture du couple était un moyen pour sa partenaire de «chercher ailleurs ce qu'elle n'avait pas avec [lui]».

9 Le fait «d'avoir une vie sexuelle avec d'autres gens» a d'ailleurs été pour Benjamin le début de ce qu'il nomme le «libertinage».

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Lilou : «J'ai un peu déconstruit ce truc de «je dois être absolument parfaite pour cette personne, lui apporter tout». Donc là du coup je pense que tout ça m'a un peu libéré. Je ne peux pas lui apporter tout, mais en fait je peux lui apporter «moi», et c'est bien moi en fait !»

D'ailleurs dans le cas de Soan, la décision du couple libre vient d'une réflexion assez profonde qu'il a pu mener bien avant cette prise de décision, à la fois personnellement, mais aussi avec sa partenaire :

Soan : «Donc en fait quand j'ai rencontré ma compagne, assez rapidement -je pensais que j'étais discret, que ça se voyait pas- mais elle me disait «ouais tu mattes beaucoup quand même». Je me suis dit «oh merde! Pourtant je fais beaucoup d'effort», et bah du coup je lui ai dit «je vais être sincère avec toi», on était pas du tout encore en mode couple libre mais je lui ai dit: «je trouve que c'est normal de mater et en fait tu devrais faire pareil». Parce que si t'y réfléchi bien est-ce que tu crois que quand tu te mets avec quelqu'un toutes les autres personnes vont devenir moches ? [...] le fait que je trouve d'autres personnes belles, mais que je sois avec toi, c'est aussi ça qui te donne ta valeur.»

Les premières réflexions amorçant le polyamour peuvent donc se réaliser en couple. Mais ce n'est pas pour autant une constante. Il peut s'agir également de rencontrer un autre partenaire qui, lui, est déjà polyamoureux. Lorsque Jérémy, puis plus tard Lilou, feront la connaissance de Camille, celui-ci se présentera à eux «très tôt» comme étant non-exclusif (en «gardant ses amants») ou polyamoureux. Pour Jérémy la mise en place du couple libre n'a «pas posé de problème» et n'a «jamais vraiment [été] remis en cause», bien qu'il désirait «rapidement une relation qui était romantique». Lilou s'est aussi rapidement «sentie à l'aise avec ça». La mise en place d'une relation ouverte peut également être le fruit d'une réflexion théorique, en accédant à un certain «savoir» qui permettra de construire une relation «en expérimentant et en se donnant beaucoup de marges et en réadaptant les normes» (Vincent). Si sa construction se fait à contre-courant des normes et valeurs «dominantes», elle est également le fruit de rencontres qui vont amener l'individu à repenser son système de normes et de valeurs, ainsi que les règles construisant au préalable sa relation ouverte. Pour Benjamin, cela se fera par la rencontre avec des «filles avec qui ça a collé beaucoup beaucoup plus», ce qui lui fera comprendre qu'il n'y a «pas de barrières strictes» entre l'amitié et l'amour et «qu'il n'y a que des curseurs». Cette réflexion fera également prendre conscience à Soan qu'il agissait contre sa façon de penser :

Soan : «J'ai effectivement rencontré une personne, et ça a été assez perturbant pour moi parce que ça a changé beaucoup de choses dans ma vision d'amitié. Bon je vais être un peu cru là mais au début j'étais dans le délire «je vais tirer mon coup ouais yes !» (rire). Mais en fait quand j'ai rencontré la personne je me suis rendu compte que c'était impossible pour moi. Je me suis dis... je suis pas comme ça en fait.»

Ainsi, ici le polyamour est le fruit d'une déconstruction par étape. Tout d'abord, avec la mise en place d'une relation libre, faisant généralement suite à un événement ou rencontre venant bouleverser le couple et/ou les normes de l'individu. Puis, suite à cette remise en question de l'exclusivité sexuelle, s'impose petit à petit l'idée d'une non-exclusivité relationnelle, en ne

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cherchant pas ou plus à «essayer de décider ce qui est romantique et ce qui n'est pas romantique» (Camille). Ici la pensée «polyamoureuse» succède à la pensée «libre». :

Agathe : «J'ai l'impression qu'à chaque fois le début du polyamour c'est un peu un truc un peu bouleversant. [...] Le polyamour, ça arrive très tard je trouve dans l'expression d'un type relation. On va toujours dire au début que c'est genre un couple ouvert.»

Le premier pas en dehors de la boîte

Une étude guida une partie de mes recherches sur le polyamour et alimentera même l'une de mes hypothèses. Réalisée par Elisabeth Sheff et publiée en 2014, cette recherche affirme la chose suivante : «polyamory is not the first step outside of the box». En effet, il existe à ce jour plusieurs analyses liant les communautés polyamoureuses à d'autres identités, notamment BDSM, asexuelles, transgenres, queer, anarchistes ou féministes (Bauer, 2010). Cette «affinité» pour les modes de vie, relations et orientations «hors normes» semble ici complètement se retrouver à travers le discours des enquêtés.

Ainsi, pour Léna, la déconstruction des différentes normes liées au genre, à la sexualité et au couple a commencé très tôt au lycée. La découverte de sa bisexualité en «tombant amoureux d'une fille» a été «une espèce de bouleversement» et a «peut-être marqué la première réflexion». Pour Lilou, le hors norme serait la norme dans le polyamour : les véganes et bisexuels étant «plutôt majoritaires». L'influence du véganisme dans le choix de vie polyamoureux est «assez clair» pour Camille, car pour lui «le végétarisme a été la première grosse sortie de la norme» en l'invitant à «repenser [sa] relation à la norme en général» et à se «politiser». Il renchérit d'ailleurs en expliquant avec ironie que c'est «peut-être aujourd'hui le truc le moins bizarre chez [lui]» : «C'est le végétarisme qui m'a fait me poser des questions sur le féminisme, aussi bizarre que ce soit dit comme ça.»

Pour Agathe, les premières déconstructions furent liées à son rapport à son corps et à sa féminité. Ayant «fait du vaginisme10 pendant des années», elle apprit à «construire la relation sans forcément penser à la sexualité». Cette «sorte d'asexualité» l'a fait délier «très tôt» sexe et amour. Pour autant, le polyamour est arrivé «un peu plus tard après ces démarches de déconstruction». Il s'agissait, là aussi, d'une «réflexion sur [elle-même]». Les réflexions féministes sont également vectrices de nouvelles normes pour Camille, en cela qu'elles engagent «une réflexion et un processus pour essayer de changer et de mieux comprendre les choses», ce qui impactera de fait «toutes [les] relations amoureuses et amicales, et donc

10 Le vaginisme est une contraction involontaire des muscles qui entourent l'orifice vaginal chez la femme ne présentant aucune malformation des organes génitaux. La contraction des muscles rend le rapport sexuel ou toute activité sexuelle impliquant une pénétration douloureuse ou impossible. ( msdmanuals.com)

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forcément aussi les relations polyamoureuses». Nicolas, lui, inscrit comme premier palier dans ses étapes de déconstruction le «moment où [il a] fait sauter cette première relation normée», «dynamitant» l'idée de construire une relation «en couple standard".

En suivant cette logique, la remise en question d'une norme revient alors pour Léna à mettre le doigt dans l'engrenage et à «se questionner sur ces normes là, au fur et à mesure». Son questionnement sur son «genre» est très «lié à [son] polyamour et au fait [qu'iel] soit bisexuel, car «tout s'imbrique quand tu questionnes toutes les normes sociétales qui sont là de base. Tu finis par te questionner sur tout». Ce qui d'ailleurs amène pour Camille à un «cumul» de l'hors-norme : «je me dis «mais il peut pas y avoir un truc où je rentre bien dans la norme quoi !» [...] la personne trans, végan avec deux +1 !» :

Camille: «En fait, une fois que tu as remis en cause un truc des grosses normes de la société et que tu as fait tout ce boulot, tu es vachement plus enclin à envisager de remettre en question d'autres trucs. Et donc tu peux prendre plein de choses dans ta vie, peut-être des choses qui te contraignent ou des choses où tu ressens de la dissonance cognitive, ou des choses dont tu as l'impression que ça mérite réexamen.»

Cette déconstruction est perçue d'ailleurs comme étant «de plus en plus facile» pour Agathe. Même s'il ne semble pas y avoir pour elle de «cause primordiale" venant se placer avant toutes les autres :

Agathe: «Par exemple moi je suis pas spécialement végétarienne, j'ai découvert le BDSM après le polyamour. Ce que je veux dire c'est que c'est pas forcément des causes qui m'ont amenée là, mais plus une déconstruction de notre société.»

Pourtant, bien qu'il ne soit perçu pour beaucoup comme étant le premier engrenage de cette chaine de déconstruction, Roxane et Lilou perçoivent le polyamour comme un espace privilégié d'exploration des normes, qu'elles soient sexuelles ou de genres. Pour Roxane, son attirance pour les femmes s'est toujours vécue «de manière assez ténue et refoulée» du fait de son éducation. Mais le fait de n'être plus coincée «dans une relation monogame exclusive hétérosexuelle» l'invite à penser que «c'est quelque chose [qu'elle va] pouvoir explorer par la suite». Lilou décrit ses questionnements sur son «expression de genre» comme «une révolution dans [son] cerveau», expliquant que le polyamour a eu «un énorme rôle à jouer» du fait qu'une «relation à trois est souvent une relation bisexuelle».

Toutefois, ces réflexions semblent avoir certaines exigences en termes de temps et de motivation notamment. Pour Roxane, il est primordial d'avoir des «convictions fortes pour pouvoir s'assumer et se lancer dans ce schéma du polyamour qui n'est pas du tout cautionné par notre société actuelle». Il y aurait donc «un lien», «pas forcément direct», avec les autres idéologies et convictions, comme le fait «d'avoir une sexualité qui est justement aussi hors norme». Nicolas insiste, lui, sur la notion de «temps» et de «motivation» pour «développer toutes ces idées floues qui traînent dans la tête».

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Ainsi, la remise en question de certaines normes -que ce soit sur les pratiques alimentaires, l'hétéronormativité, les normes de genres ou de cisnormativité- peuvent rendre plus facile la remise en question de la monogamie obligatoire (Bauer, 2010). De plus, l'existence d'un certain nombre de valeurs culturelles partagées entre ces différentes communautés conduisent plus facilement à repenser cette norme.

L'influence des groupes

L'existence de groupes de socialisation «alternatifs» dans lesquels s'inscrivent les individus a une réelle influence sur leur orientation relationnelle. Barker (2005) et Bauer (2010) ont ainsi suggéré que les communautés polyamoureuses et BDSM partagent des valeurs similaires de consensualité, de communication et de sécurité, ainsi que des transgressions similaires des modes de relation standard. Carlström et Andersson (2019) nous le résument ainsi : «cela constitue des espaces queer -des pratiques de création de lieux et de communautés étroitement liées aux sujets queer- mais pas de manière essentielle». Dans une culture fortement marquée par les normes monogames, ces communautés peuvent signifier une plus grande liberté car leurs activités ne sont pas considérées comme de la monogamie (Carlström, Andersson, 2019). Nicolas précise également que de par sa rencontre avec les communautés féministes, gays et BDSM, il commencera à «avoir accès à un savoir» qui lui permettra de «commencer une relation avec une personne qui est ok [...] pour une relation ouverte».

En outre, la métaphore de Benjamin liant polyamour et végétarisme est particulièrement intéressante, puisqu'il en vient à lier deux normes différentes qui pourtant disposent des mêmes contradictions (avoir de l'affection pour un animal mais pourtant manger de la viande; devoir exprimer ses sentiments et être honnête avec soi même mais se forcer à n'avoir de désir que pour une seule et même personne) :

Benjamin : Pour le végétarisme y'a pas d'expérience particulière qui m'ont poussé à être végétarien, si ce n'est que quand j'étais petit je regardais des Disney et que j'avais du mal à me dire qu'on pouvait aimer «Rox et Rouky» et qu'en fait Rox et Rouky on les a peut-être bouffé à midi quoi. Et c'est pareil en fait, moi dans la vie on m'a appris que c'était bien d'aimer les gens, que il faut pas se cacher des choses et enfouir des choses tout au fond de soi, et bien ces principes de base m'ont amené à devenir polyamoureux.

Pour Lilou, l'arrivée du végétarisme est d'ailleurs directement liée à son arrivée dans un «groupe de potes où tout le monde était végétarien, où il y avait plein de trucs en dehors de la norme». La présence d'un «fond écologique très très fort» et le fait de partager des repas ensemble -«c'est un truc très social»- l'ont conduite à changer ses normes :

D'autres fois, l'influence vient directement de la rencontre avec une personne qui sera porteuse de nouvelles normes et de nouveaux mots. C'est par exemple l'amie d'enfance de Camille qui lui a introduit de nouvelles idées «improbables» dans lesquelles il se «retrouvait bien». C'est elle qui lui parla en premier du végétarisme et de la non-exclusivité :

Camille : «On a une dynamique un peu comme ça où elle a toujours une idée à la con, et après moi ça me tombe dessus et au début je me dis «c'est quoi ce truc, n'importe quoi !» et

trois ans plus tard je suis à fond dedans six fois plus qu'elle ne l'a jamais été.»

Ces rencontres vectrices de nouvelles normes sont également rassurantes pour les personnes car elles rendent tangibles et valides leurs ressenties et leurs expériences. Agathe décrit ainsi son premier pas dans le «milieu des relations libres» grâce à une discussion avec un ami et son «copain». Ce fut pour elle une prise de conscience qu'il «existait vraiment une communauté dans les relations libres, dans le libertinage», et que «la sexualité n'était effectivement pas forcément liée à l'amour et [qu'elle] n'était pas la seule à le penser»: « En fait il y avait vraiment une histoire du «tu n'es pas seule».

Pour Léna, ce fut sa relation avec son conjoint (mari et père de son enfant) qui lui a permis de «beaucoup grandir» en «déconstruisant plein de choses tous les deux en même temps», comme «le couple, les relations, les rapports hétéronormés, le genre».

Léna : «En l'accompagnant dans ce mouvement-là moi aussi je me fluidifie; du coup y'a vraiment ce truc où on se renvoie en miroir assez facilement. Je pense que ma construction

elle s'est beaucoup faite avec lui en fait.»

Lilou quant à elle, soutient que le fait de sortir avec deux hommes «qui sortaient déjà ensemble» l'a «complètement libéré au niveau de la déconstruction de genre».

L'influence des groupes pourrait également être étendue à un niveau plus large. Ainsi, l'arrivée dans la ville de Paris a progressivement permis à Agathe de se créer un réseau polyamoureux. Elle voit la capitale comme étant le foyer des luttes «tous milieux militants confondus», permettant une grande mixité sociale et culturelle, notamment du fait de la multitude de sites de rencontres : «alors que quand il n'y a que des petits bourgs à des centaines de kilomètres à la ronde bah pour date c'est pas facile». Sa première approche du terme «polyamour» se fit d'ailleurs à Paris, au travers de discussions.

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B. Trajectoires et diffusions des valeurs

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Diffusion du polyamour : Internet et La salope Ethique

Ce n'est un secret pour personne, l'influence d'internet sur notre quotidien et notre rapport au monde est colossale. «Internet a bouleversé la vie quotidienne et la gestion des entreprises, a transformé les relations économiques et sociales, a modifié les rapports entre les pays et les hommes, il est devenu le média qui a connu la plus forte croissance de l'histoire de tous les moyens de communication» (Niel, Roux, 2012). En outre, il changea profondément notre accès à l'information, au savoir et à notre rapport aux autres. L'analyse de Sheff fait écho à ce phénomène en arguant que «The Internet has revolutionised things for sexual minorities in general. It offers people a way to find out about it, and it offers people a way to find partners.» (citation dans Pappas, 2013).

Ainsi, si avant le début des années 90, le manque de repères polyamoureux pouvait mener des individus non-monogames à se revendiquer sous une pluralité de termes11, ce manque semble aujourd'hui comblé «avec le développement d'Internet ainsi que l'émergence d'une multitude de plateformes d'échange (sites, blogs, groupes de discussion, etc.) ayant contribué à la consolidation de l'identité et de la communauté polyamoureuse». (Lévesque, 2019).

Au cours de notre enquête, au-delà de l'usage d'internet, la moitié des personnes interrogées citèrent également au cours de leur entretien, le nom de «La Salope Éthique». Co-écrit par Dossie Easton et Catherine A. Liszt, l'ouvrage parut en anglais en 1997 sous le nom «The Ethical Slut: A Guide to Infinite Sexual Possibilities» et ne fit son entré en France qu'en 2013, sous le titre «La Salope Éthique : Guide pratique pour des relations libres sereines». L'ouvrage, destiné aux néophytes, explique comment fonctionnent les relations non exclusives à long terme, tout en donnant des conseils pour les mettre en pratique. Décrit comme étant «le» livre de référence (Noël, 2006), ou tout du moins, la première étape vers la découverte et la théorisation du polyamour, son utilisation s'observe de différentes manières à travers les témoignages des répondants.

Pour Léna par exemple, la lecture de «La Salope Éthique» fut une mine d'information, leur permettant d'apprendre l'existence de différents mots de l'univers polyamoureux, tels que la «compersion12». C'est aussi ce livre qui amorça la mise en place d'un nouveau mode de relation, passant du «libertinage»13 et de «l'échangisme» à l'expérimentation de relations «chacun de [son] côté». Nicolas s'intéressa au polyamour «à force de discussions politiques» et de côtoyer les milieux BDSM, gays et féministes. La combinaison de cet ouvrage et de forums de discussions polyamoureux a constitué les bases de sa documentation. Pour Océane,

11 Tels que «utopian swinging», «modern polygamy», «waterbrotherhood» (Alan, 2007) ou «camaraderie amoureuse» pour citer un exemple francophone.

12 La communauté «Compersion» présente sur le site internet «Livejournal» définit cette émotion comme étant: «Le sentiment de ressentir de la joie dans la joie que les personnes que vous aimez partagent entre elles. Surtout le fait d'apprécier savoir que vos bien-aimés expriment leur amour les uns pour les autres» (modérateurs, Livejournal, 2003)

13 Le mot «polyamour» lui fut révélé pour la première fois par des amis avec lesquels iel et son conjoint avaient libertiné.

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l'apprentissage de la non-exclusivité se construisit à travers la lecture et les discussions qu'elle avait sur le sujet avec une de ses relations :

Océane: «On avait un peu un fantasme, on lisait un peu trop de Simone de Beauvoir et du coup il y avait des histoires d'amour multiples, des relations transatlantiques et des trucs comme ça qui flottaient dans l'air. C'est elle qui m'a parlé de «La Salope Éthique» par exemple, en disant qu'il y avait des ressources et qu'on pouvait réfléchir dessus.»

Pour Antoine, l'ouvrage a également eu un usage pratique pour diffuser et faire connaître le polyamour à ses proches. Transmis d'abord par une amie ouverte sur le couple libre, il en fit la lecture avant de le transmettre à son tour à Roxane pour lui faire connaître l'existence de ce type de relation. Plus tard, il partagea aussi ce livre à sa famille, notamment à sa mère, afin qu'elle puisse le comprendre, même si selon ses mots, «elle n'est pas du tout dans le délire». Dans le cas d'Alex, c'est son colocataire qui apporta ce livre pour pouvoir «entre autres parler de relations amoureuses autres qu'exclusives». Le livre fait alors ici figure de point d'accroche pour ne pas aborder le sujet de but en blanc. Il est d'ailleurs amusant de noter que cet entretien lui-même a servi d'amorce pour de potentielles futures discussions.

Alex: «J'ai aussi fait : «bon alors j'ai mon entretien c'est sur le polyamour !». Du coup ça va aussi lancer des conversations (rire) !»

Alex utilisa également ce savoir théorique pour construire son rapport à la sexualité et aux relations. C'est par l'intermédiaire d'un «blogs BD» qu'il se rendit compte qu'il y avait un mot pour dire «je suis non binaire» et qu'il n'était pas «anormale par rapport à tout ce qu'on dit». La lecture des différents articles et témoignages où l'auteur expliquait comment iel vivait le polyamour, la non-binarité et l'exploration dans le genre et dans les relations, lui a fait prendre conscience de l'existence de ces termes et de ces normes alternatives :

Alex : «Je ne savais pas que pour d'autres personnes j'existais. Quand je me suis rendu compte de ça, je n'avais pas de relation amoureuse car je n'avais pas le droit, je me suis dit que c'était le modèle relationnel qui me correspondait le mieux. Je ne comprenais pas la manie de l'exclusivité alors que pour moi l'amour il est très communicatif et vraiment ça ne s'arrête pas à une seule personne.»

Comment se rencontrer ?

Au cours de mes recherches, très peu d'études faisaient l'analyse des modes de rencontre polyamoureux. De fait, ceux-ci sont assez variés et les besoins en termes de rencontre sont également divers. L'usage des outils numériques semble néanmoins très poussé pour organiser des rencontres, que ce soit via les sites de rencontre, les réseaux sociaux (comme facebook) ou les forums de discussions. Des myriades de sites deviennent le point de

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rassemblement de communautés diverses et contribuent à asseoir la reconnaissance sociale d'orientations sexuelles et relationnelles alternatives et réprouvées (Combessie, Mayer, 2013). Même si il est assez difficile de mesurer l'évolution de la pratique polyamoureuse (restant très marginale), le développement de ces sites permet aux individus -souvent isolés- de se faire connaître, de se découvrir, voire d'organiser des rencontres collectives ou individuelles. Internet permet ainsi le développement de «pratiques marginales qui peinent à asseoir leur légitimité» (Combessie, Mayer, 2013).

Parmi les réseaux sociaux utilisés, un site de rencontre semble avoir une prépondérance chez les enquêtés désirant faire des rencontres polyamoureuses : Ok Cupid. Bien que ce site soit également celui qui a servi à contacter plusieurs enquêtés, force est de constater que quasiment tous les enquêtés (10 sur tous les entretiens) connaissent voir utilisent ce site. L'utilisation privilégiée de ce site est due pour Camille à la grande diversité «d'options», ce qui permet de facilement préciser ses préférences ainsi que son identité. Parmi les répondants, Antoine, Océane et Agathe en sont les utilisateurs les plus assidus. Antoine voit dans ce site de rencontre un moyen d'avoir «des conversations de ouf avec des gens», même si cela a «très rarement concrétisé» sur des relations «qu'elles soient sexuelles ou juste romantiques». Océane, elle, a «beaucoup de relations rencontrées sur Ok Cupid», tout en multipliant les autres formes de réseaux en ligne tels que l'application de messagerie instantanée Discord ou les groupes sur Facebook. Agathe utilisa ce site de rencontre «pour voir»: «des fois ça passait pour le sexe et y'a juste des fois c'est juste comme ça entre potes». Elle se constitua ainsi petit à petit un groupe d'amis sur Paris. Jérémy considère de la même manière Ok Cupid avec un «côté plus social qu'un côté date». L'utilisation d'Ok Cupid peut même avoir un but «pédagogique», comme pour Roxane, qui y chercha avant tout un moyen de «discuter avec des personnes, plutôt que pour rencontrer des gens». Il s'agissait d'assouvir une «curiosité personnelle», mais également de recueillir des informations, des «best practice» : «comment je dois faire moi, comment vous faites avec tous vos partenaires, est-ce qu'il y a des choses à éviter...».

Un autre lieu est également cité pour rencontrer et discuter avec des personnes polyamoureuses : les cafés poly. Beaucoup moins cités cette fois-ci14 dans les entretiens, les cafés poly sont des espaces de rencontres et de discussions organisés dans différents lieux publics (restaurant, bar, local associatif). Pour Léna, il s'agit également d'une activité militante, étant donné qu'iel est l'organisateur de différents cafés poly ou des «collectifs sex-positive». Cela lui a permis de «côtoyer des personnes qui avaient les mêmes problématiques» et «avec qui iel pouvait communiquer en toute bienveillance», ce qui l'a «beaucoup aidé». Selon Daniel Welzer-Lang (2018) ce ne serait donc pas un hasard «si des multiples groupes polyamoureux ou « cafés poly » sont apparus. Ils assurent une interface

14 La crise sanitaire due au Covid 19 a très certainement eu un impact considérable sur l'utilisation de ce moyen de rencontre, même si depuis les premiers confinements liés au Covid 19, ces rencontres se font généralement en ligne.

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publique permettant que tout-e un-e chacun-e puisse se renseigner, intégrer ses expériences dans une possible problématique polyamoureuse».

Cependant, beaucoup de critiques se sont fait entendre vis-à-vis d'Ok Cupid et des sites de rencontres en général. Tout d'abord, du fait de ne pas avoir d'affinités particulières avec les réseaux de discussions en ligne, comme l'avoue Nicolas :

Nicolas: «Déjà je suis pas très bon en internet. Genre j'ai pas facebook, les applis et sites de rencontre genre Ok Cupid tout ça... je suis pas très bon. Je suis quand même vachement plus à l'aise avec un concert, un café poly, un «munch BDSM», mon groupe d'amis qui faisaient des soirées S+. Et du coup ça ça sort, l'internet n'était pas une bonne ressource pour moi.»

Cette difficulté à utiliser les réseaux sociaux comme vecteur de rencontres et de discussions est également partagée par Alex. Expliquant qu'il a «du mal» pour rencontrer des gens sur Ok Cupid, il lui préfère «le hasard et l'aléatoire» : «Je vais sur une appli pour aller rencontrer des gens alors que des gens il y en a de l'autre côté de ma porte du coup je peux aller les rencontrer en direct». Pour Camille, Ok Cupid est «pas mal pour les trucs poly», mais il «n'arrivait pas à rencontrer des gens avec qui [il] pouvait avoir des atomes crochus». A cette difficulté de se lier avec de nouvelles personnes s'ajoute parfois les échecs cuisants de certaines rencontres :

Camille: «Il y a une relation que j'ai un peu essayé quelques mois et ça a été une cata en fait parce que tu peux dire tout ce que tu veux dans ton profil Ok Cupid, tu vends tout ce que tu aimerais être, mais ça veut pas du tout dire que tu vis tes relations comme ça.»

Les cafés poly ne sont également pas exempts de critiques. Ici c'est la difficulté à exprimer sa parole au sein d'un groupe qui fait défaut. Agathe souligne par exemple la complexité des dispositifs mis en place pour générer un espace «de communication non violente», un «safe space» qu'elle trouve «très chargé et très lourd». Pour elle qui «aime bien avoir des discussions spontanées», ces dispositifs ont été «beaucoup d'infos d'un coup», car elle «n'avait pas l'éducation qui venait avec» du fait que dans son précédent lieu de résidence (qui n'était pas Paris) «on a pas du tout la culture poly». Alex est également peu enclin à fréquenter les cafés poly car il a «un peu de mal à parler en public de base».

Ainsi, même si l'utilisation d'Ok Cupid est très marquée parmi les enquêtés15, ce sont majoritairement les rencontres via les réseaux d'amis qui sont avant tout privilégiées. Cette conception des rencontres polyamoureuses ressemble d'ailleurs à celle valorisée par Veaux et Rickert (2017) qui semble suivre les schémas du développement des relations amicales.

15 Ce qui peut également être due à leur âge, La tranche d'âge la plus représentée sur le site étant celle des 25-34 ans, suivis par les 18-25 ans, selon le site stat-rencontres.fr.

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Léna : «Ce sont toujours des personnes de mon entourage en fait. Tu as toujours un poly qui connaît un poly qui connaît un poly... 1...] Typiquement Nicolas c'est le meilleur pote de toute ma bande de potes.

Pour Camille, de son expérience, rencontrer une personne via un site de rencontre «ce n'est pas du tout pareil que de construire une relation avec quelqu'un que tu connais déjà un peu». Pour lui, «tous les trucs qui ont marché c'étaient toujours des gens [qu'il connaissait] déjà un peu, qui étaient déjà des amis et avec qui [il se rendait] compte qu'il y avait une attirance ou un truc un peu plus fort». Lilou, elle, n'a jamais cherché à «rencontrer des gens» et ne s'est jamais «mise sur une appli de rencontre». Pour Alex, les rencontres polyamoureuses ne sont d'ailleurs «pas forcément conscientes". Elles se font au fil des discussions à travers des réseaux de relations :

Alex : «Ouais en fait j'ai des potes dont une était l'une de mes relations amie/amour entre mes deux relations longues, qui elles sont en couple fixe depuis des années mais avec des amants/amantes autour. 1...] Du coup ça fait aussi rencontrer pas mal de personnes dans le milieu polyamoureux et qui connaissent au moins le polyamour. Et du coup on devient tous potes et on a de plus en plus de potes qui se connaissent et qui sont déjà dedans.»

Ainsi, les rencontres polyamoureuses se font surtout via des réseaux de relations plus ou moins fermés. Ce qui est privilégié ici, c'est avant tout d'avoir d'un niveau minimal d'entente mutuelle et de partage de valeurs et de normes, polyamoureuses ou non (d'où le fait d'utiliser Ok Cupid, réseau privilégié par les communautés polyamoureuses pour la potentielle précision de ses profils de rencontre).

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