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L'influence des groupes d'intérêt privé auprès des institutions européennes: le cas du glyphosate

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par Celia BAUVAIS
Université de Reims Champagne Ardenne - MASTER 2 Spécialiste de l'intégration communautaire et de la politique européenne de voisinage 2018
  

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INTRODUCTION

Introduction à la problématique

Les décisions prises par les institutions européennes ou les gouvernements nationaux, sont le résultat d'influences extérieures, notamment portées par de grandes entreprises à travers les groupes d'intérêt qu'elles recrutent. Ces groupes d'intérêt, ou lobbies, désignent des réseaux de personnes dont le but est de défendre des intérêts publics ou privés en exerçant une pression sur les instances législatives. Ils usent pour cela de leurs ressources financières, sociales et sociétales. Leur rôle est essentiel car ils apportent une expertise aux décideurs politiques dans des domaines précis et techniques que ces derniers ne pourraient affronter seuls. Ainsi, ils se sont développés au fil des années de manière très importante, à Bruxelles notamment.

Cependant, un déséquilibre s'est formé entre le secteur privé et public. Les représentants d'intérêts privés sont plus nombreux, ils ont notamment davantage de moyens financiers et de facto plus d'influence que les représentants d'intérêts publics. Cet écart de représentativité est vivement critiqué par de nombreux observateurs, en plus des méthodes modernes employées par certains et du manque de transparence entourant les actions de lobbying. En effet, les stratégies utilisées ont évolué au fil du temps. Elles sont aujourd'hui remises en question dans la mesure où elles sont élaborées au profit d'intérêts privés et ne prennent pas ou peu en considération l'intérêt général. Les critiques sont d'autant plus renforcées par la multiplication de scandales liés à ces pratiques, comme celui du « Dieselgate » de Volkswagen, celui de la reconversion de Manuel Barroso, ancien président de la Commission européenne, recruté par Goldman Sachs ou encore celui du glyphosate.

Nous avons d'ailleurs saisi l'opportunité de cette crise actuelle autour du glyphosate pour analyser le jeu des lobbies à l'échelle européenne. Elle permet en effet de mettre en avant l'évolution du rôle des groupes d'intérêt privés au fil du temps et d'en faire ressortir les vecteurs principaux, à savoir les personnes impliquées dans cette crise, les différentes pratiques employées, les réactions institutionnelles, les conséquences à l'échelle locale, européenne et internationale. En outre l'étude du cas du glyphosate permettra d'éclairer la

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problématique actuelle liée au poids des groupes d'intérêts privés et leur influence sur le processus d'élaboration des textes européens à travers l'exemple du géant industriel qu'est Monsanto.

Dans un premier temps, afin de mieux comprendre l'exercice de cette pratique du lobbying à Bruxelles, il est intéressant d'analyser son apparition et sa reconnaissance dans l'Union européenne (UE). D'après Daniel Guéguen1, le phénomène du lobbying s'est développé en quatre étapes :

? Étape de construction : le lobbying fusionnel entre 1957 et 1970 avec l'émergence de la Politique Agricole Commune (PAC) et la Politique commerciale.

Le mastodonte du lobbying européen est né en 1958, peu de temps après la création de la Communauté économique européenne : d'abord sous le nom de UNICE, l'Union des Industries de la Communauté européenne, pour devenir BusinessEurope, la Confédération des entreprises européennes, à partir de 20072. Depuis les premières années de la construction européenne, ce groupe d'entreprises européennes défend les intérêts de ces dernières dans les domaines de la croissance et la compétitivité à l'échelle de l'UE.

? Étape de reflux : entre 1971 et 1987, dans une période forte de définition et de partage des compétences nationales et communautaires.

Dès les années 1980, certains réseaux d'influence ont émergé, notamment la Table ronde des industriels européens (ERT) qui regroupait une quarantaine de leaders du marché économique. Plusieurs directeurs des plus grandes entreprises européennes se sont ainsi réunis pour rédiger des rapports sur les changements éventuels à apporter dans l'UE. C'est ainsi que l'avènement de l'UE en tant que grand marché est née d'une décision influencée par l'ERT. D'ores et déjà, certains dénonçaient des pressions exercées par les lobbies sur la mise en oeuvre du marché unique.

? Étape de lobbying stratégique : Age d'or du lobbying

1 GUEGUEN Daniel, Le Lobbying Européen, Edition Europolitique, Avril 2007

2 BusinessEurope, le plus puissant lobby de Bruxelles, Corporate Europe Observatory, Novembre 2017

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C'est entre 1985 et 1993 que le lobbying s'est vu développer une importance croissante suite au Livre blanc sur l'achèvement du marché intérieur de Jacques Delors. L'Acte Unique européen signé en 1986 et la mise en oeuvre du programme annexé au Livre blanc sur la gouvernance européenne de 2001 ont intensifié le lobbying auprès de la Commission et du Parlement. En effet, plus l'Union européenne acquérait de nouvelles compétences dans des domaines techniques (environnement, consommation, affaires sociales...), plus les institutions européennes avaient besoin d'informations et de données techniques. Après la signature du Traité de Maastricht, les activités de lobbying ne visaient plus seulement à contraindre les décideurs mais à développer une présence accrue au niveau des instances européennes pour amplifier l'influence sur le long terme. Cette période correspond à la mise en place des grandes techniques de lobbying encore employées aujourd'hui.

? Étape de lobbying transversal : depuis 2006

Les différents élargissements ont mené à un changement de la notion même du lobbying qui est devenu plus sophistiqué, plus concurrentiel et multidimensionnel. La politique d'élargissement de l'UE a d'ailleurs favorisé le lobbying.

L'auteur précise en outre que les stratégies ne se sont pas succédées dans le temps, elles se sont superposées. Les deux dernières étapes ont mené à des pratiques misant sur la coalition, la communication, les relations avec la presse, plutôt que sur la représentativité.

Bien sûr, les institutions européennes ont participé à l'évolution du lobbying dans ces différentes étapes. En 2008, en inscrivant le rôle du lobbying dans une communication, le Parlement donne l'accréditation à des milliers de groupes d'intérêts. Il reconnaît ainsi officiellement que ces derniers influent sur la prise de décision au sein de l'UE. Pour ce qui est de la Commission européenne, à partir de 1993, elle a souhaité la mise en place d'un dialogue ouvert et structuré avec ces groupes d'intérêt. Elle a ainsi juridiquement intégré la notion de « contre-pouvoir » dans les processus de décision communautaire, c'est pourquoi les comités consultatifs se composent de représentants de la société civile et d'un grand nombre d'experts qui donnent leurs points de vue. De plus, dans le Livre vert sur l'initiative européenne en matière de transparence de 2006, la Commission considérait que le lobbying « est une activité légitime dans le cadre du système démocratique, qu'elle soit menée par des

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citoyens ou des entreprises, des organisations de la société civile et d'autres groupes d'intérêts ou par des entreprises travaillant pour le compte de tiers »3.

Ainsi, le Parlement comme la Commission reconnaissent l'utilité et la légitimité de ce processus d'influence extérieure dans le cadre du système démocratique. Il s'agit donc d'une pratique institutionnelle reconnue au niveau des institutions européennes, disposée à améliorer la qualité des processus décisionnels en fournissant aux législateurs et aux décideurs publics une expertise sur des questions techniques. D'après une enquête menée par Transparency International, en 2013, 89% des 600 fonctionnaires et parlementaires européens interrogés ont convenu qu'un « lobbying éthique et transparent est bénéfique à l'élaboration des politiques »4. La notion reste toutefois assez floue de manière générale, dans la mesure où les appellations définissant la pratique sont très diverses : le Parlement européen utilise le terme « Lobbying » ou « représentant d'intérêts publics ou privés », mais de nombreux autres termes sont utilisés comme « affaires européennes », « affaires publiques », « relations institutionnelles », ou encore « relations extérieures » 5 . Par ailleurs, le lobbying est en constante évolution, il est donc nécessaire que la législation qui l'encadre évolue en conséquence. A titre d'exemple, le lobbying a pris récemment une nouvelle forme avec la généralisation des réseaux sociaux. Le but étant d'exercer une nouvelle influence en ligne permettant de toucher non plus seulement les grands décideurs politiques mais d'une manière générale le plus grand nombre.

Si l'on peut voir des mises en place encourageantes concernant l'encadrement du lobbying, elles restent toutefois inabouties et insuffisantes. Pour en prendre un exemple, le registre de transparence de l'UE, initialement instauré par le Parlement en 1996, reposait sur l'accréditation des groupes d'intérêt, sur la base du volontariat. Tous les groupes d'intérêts qui cherchaient à influer sur l'élaboration des politiques et des processus décisionnels des institutions européennes étaient invités à s'y inscrire. Cette initiative visait à encourager les représentants d'intérêt à rendre publiques leurs activités, l'argent consacré, les stratégies d'influence, le personnel employé ainsi que les domaines politiques d'intervention. En 2011, ce registre est devenu commun avec la Commission européenne. On ne peut nier qu'il s'agit là d'une grande avancée mais ce registre étant facultatif, il ne permet pas de retranscrire véritablement l'affluence que représentent les lobbies. De plus, il ne permet pas de garantir

3 Livre vert sur l'Initiative européenne en matière de transparence, 2006

4 Lobbying en Europe : Influence cachée, accès privilégié, Transparency France, Mars 2015

5 DELACROIX Xavier, Influencer la démocratie, démocratiser l'influence, Edition Chiron, Février 2005

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une transparence totale des activités dans la mesure où les informations contenues ne sont pas vérifiées. En effet, les informations qui y sont présentées « sont fournies par les organisations enregistrées elles-mêmes et relèvent de leur seule responsabilité »6. Cela remet en cause la précision et la véracité des informations dévoilées. Ce sont alors des ONG comme Corporate Europe Observatory (CEO) ou LobbyControl qui complètent le cadre législatif en instaurant des mesures complémentaires telles que la mise en place d'un site permettant de filtrer et de classer les informations les plus fiables du registre7. Dans le même esprit, un allemand, Richard Gutjahr, a mis en place un portail internet en tant qu'outil de surveillance de l'influence des lobbies sur le vote des lois au sein du Parlement européen8.

Toutefois, la principale controverse qui subsiste repose sur le but même de ces lobbies, car cette pratique implique une confrontation directe des différents intérêts. Si l'on part du constat que plus les groupes privés ont de capitaux et de contacts, plus leur influence est grande, il est légitime de se questionner sur le fondement de leur influence. Dans le système actuel, fondé sur une distribution des richesses inégale, une prise de décision influencée par un petit nombre de personnes dans leur propre intérêt et sans consultation des citoyens n'est pas démocratique. Le lobbying est pourtant dans sa définition lié au principe démocratique car étroitement lié à des valeurs universelles comme la liberté d'expression. Les pratiques de lobbying inéquitables et opaques constituent par conséquent l'un des plus grands risques de corruption pesant sur l'Europe, non pas seulement au niveau communautaire mais au sein de chaque État membre. La majorité des pays de l'UE ne possèdent pas de réglementation spécifique au lobbying. Selon Transparency International, sur 19 pays évalués, seulement sept d'entre eux disposent d'une telle réglementation (Autriche, France, Irlande, Lituanie, Pologne, Royaume Uni, Slovénie)9. En conséquence, l'Europe affiche un retard certain face au Canada ou aux États Unis. Ces faits se ressentent d'ailleurs à l'échelle des citoyens européens pour lesquels le terme « lobbying » n'est pas vu de manière positive. Et cela peut s'expliquer en partie notamment par les différents scandales liés à des faits de corruption qui ont pu éclater durant les dernières années.

6 COM (2007) 0127 final - Livre vert Initiative européenne en matière de Transparence

7 LUNDY David, Petit guide de la lobbycratie à Bruxelles, Corporate Europe Observatory, Octobre 2017

8 Lobbyplag : plateforme utilisant la bonne volonté des internautes pour lire des dossiers et comparer les textes de lois avec les propositions des lobbies.

9 Lobbying en Europe : Influence cachée, accès privilégié, Transparency France, Mars 2015

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Au-delà de la menace démocratique, le lobbying met en question la déontologie, la transparence et l'éthique au sein de l'Union européenne. Effectivement, l'absence de code unique entourant la profession de lobbyiste conduit à une déontologie basée sur le principe de l'autorégulation. De nombreuses ONG se mobilisent pour évincer ces failles. L'association Alter UE (Alliance for Lobbying Transparency and Ethics Regulation) par exemple, réunit plus d'une centaine d'ONG, syndicats et universitaires dans une lutte pour un lobbying responsable et un renforcement de la déontologie européenne. Par ailleurs, s'il existe des codes de conduite mis en place par le Parlement et la Commission, ils ne sont pas toujours respectés. Les fonctionnaires européens, tout comme les lobbyistes, sont tenus de respecter certaines règles afin d'éviter tout conflit d'intérêt. Or, à maintes reprises, ces règles ont été ouvertement enfreintes.

Alors qu'en 2006, il a été démontré que 80% des amendements présentés par des parlementaires à l'occasion de l'examen de projets législatifs avait une origine de lobbying, il est fondamental de connaître les limites de cette pratique. Ainsi on en vient à se demander quel est le poids de ces groupes d'intérêt dans le processus d'élaboration des réglementations européennes ? Jusqu'où peuvent-ils aller ? Quelles sont les stratégies employées ?

Ce travail de recherche est centré sur l'analyse d'un cas concret : celui du glyphosate. Celui-ci permettra alors de répondre aux questions posées à travers l'étude des différentes stratégies utilisées et les répercussions visibles de ces dernières dans l'Union européenne. Il en ressortira une comparaison intéressante entre le pouvoir des institutions européennes et le contre-pouvoir des lobbies, ainsi qu'un panorama de la capacité de réaction des institutions pour limiter les failles perceptibles. Enfin, afin d'avoir une vision plus générale de cette pratique et de ne pas s'enfermer dans un secteur particulier qui n'est pas forcément généralisable, les pratiques de lobbying utilisées dans d'autres secteurs clés seront analysées. Une stratégie globale du lobbying pourra ainsi être proposée en reprenant les stratégies les plus couramment utilisées dans chaque secteur étudié.

Approche conceptuelle

Dans un premier temps, il est important de définir les termes clés de cette problématique et d'en circonscrire les concepts. Pour cela, nous nous reposerons sur une revue de littérature primaire, secondaire et tertiaire afin de dégager une information précise et complète,

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notamment à travers les travaux intéressants de Christian Marcon, Nicolas Moinet ainsi que Pierre Bardon qui mettent en lumière les différents aspects de cette pratique que nous allons étudier. Des sources plus officielles, comme des documents émanent de la Commission européenne et de l'Assemblée Nationale française, seront également utilisés pour poser les bases terminologiques de ce mémoire.

Lobby / groupe d'intérêt / groupe de pression :

Il existe diverses appellations pour caractériser ces groupes d'influence présents sur une échelle relativement étendue. Si l'on revient sur la création même du terme « lobby », plus fréquent car plus largement utilisé à l'échelle européenne, il s'agit d'un mot d'origine anglaise (signifiant « couloir » en français). Il est apparu au XIXe siècle, à la chambre des communes britannique et désignait le grand hall dans lequel les groupes de pression circulaient et tentaient de rencontrer les parlementaires.

Lobbying :

Bien qu'il y ait une généralisation du terme lobbying dans la majorité des pays, cela n'implique pas pour autant l'existence d'une définition générale le concernant. En effet, il existe un flou conceptuel entourant la définition même du lobbying, ce qui en fait une notion complexe et controversée. Si certains organismes formulent une définition claire sur cette pratique, on constate qu'elle n'est pas unanime. La notion renvoie à une pratique changeante en fonction des mécaniques institutionnelles, du contexte sociopolitique, des positions de l'opinion publique, des ressources disponibles, etc.

Tout d'abord, la France étant dépourvue d'une définition officielle du lobbying, l'ONG Transparency France propose la suivante depuis 2008 : « toute communication, écrite ou orale, entre un représentant ou un groupe d'intérêts et un décideur public dans le but d'influencer une prise de décision »10. Cette définition s'inspire d'une loi québécoise.

10 Transparence et intégrité du lobbying, un enjeu de démocratie : État des lieux citoyen sur le lobbying en France, Transparency France, Octobre 2014

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Ensuite, si l'on prend la définition de Christian Marcon et Nicolas Moinet, dans leur ouvrage sur l'Intelligence économique11, le lobbying consiste « à influencer une décision en présentant de manière ouverte les clés d'analyse d'un problème, ses tenants et ses aboutissants ».

Du côté américain, le Sénat définit le lobbying comme étant « la pratique visant à persuader le législateur de proposer, adopter ou s'opposer à la législation ou modifier les lois existantes »12.

Enfin, la définition communautaire officielle du lobbying est la suivante : le lobbying représente les « activités qui visent à influer sur l'élaboration des politiques et les processus décisionnels des institutions européennes »13.

Lobbyiste :

Le lobbyiste est l'acteur qui influe sur les décisions politiques d'un gouvernement (lois, réglementations, normes) au bénéfice des intérêts d'une entité qu'il défend. Cette fonction requiert des capacités en communications et une aisance dans les relations publiques. On rencontre des profils variés parmi les lobbyistes : ils peuvent travailler pour des entreprises, privées, des groupes de lobbying patronaux ou sectoriels, des ONG, des syndicats, des sociétés de conseils, des cabinets d'avocat, des think tanks, etc.

Toutefois, ici aussi, les définitions sont variables. Pour n'en donner qu'un exemple, en France, le Livre bleu du lobbying de janvier 2008 posait la définition suivante de la profession de lobbyiste : « le lobbyiste représente une personne morale, privée ou une catégorie spécifique d'acteurs publics, au nom desquels il informe le monde politique »14.

Différents types de lobbies :

Il existe différents types de lobbying dont le lobbying diplomatique (au niveau des états), le lobbying juridique, le lobbying de communication, le lobbying financier ou de projet ou encore le lobbying normatif ou décisionnel. C'est d'ailleurs ce dernier qui va nous intéresser

11 MARCON Christian, MOINET Nicolas, L'intelligence économique, 2ème Edition Broché, Septembre 2011, 128 pages

12 BARDON Pierre, le Lobbying, Dunod, Septembre 2012, 128 pages.

13 COM (2007) 127 final - Livre vert Initiative européenne en matière de Transparence

14 Rapport d'information sur le lobbying, déposé en application de l'article 145 du Règlement, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 janvier 2008.

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tout au long de ce mémoire. Il intervient à l'occasion de l'adoption ou de la modification d'une directive et intègre une intervention dans un processus décisionnel avec apport d'expertise.

En outre, l'importante confrontation à mettre en évidence ici est celle qui oppose le lobbying mené par des professionnels au lobbying mené par des citoyens engagés dans un activisme politique. L'argent constitue leur principal point de divergence et cela change énormément la donne. Pour mener un lobbying efficace en continu, il faut des moyens financiers importants.

Objectifs du lobbying :

Les objectifs diffèrent selon le type d'acteur qui anime son programme de lobbying et le type de lobbying. Pour en citer quelques-uns :

- Défendre les intérêts de l'entreprise (protéger l'environnement juridique, politique,

économique de l'environnement national ; promouvoir les intérêts de l'entreprise

auprès des pouvoirs publics)

- Favoriser les liens avec les décideurs publics

- Anticiper les problématiques des affaires publiques

- Valoriser l'image de l'entreprise

- Réagir aux décisions politiques et publiques

Conflit d'intérêt :

« Toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant impartial et objectif d'une fonction »15.

Approche théorique

Dans cette partie, nous allons définir quelques théories entourant le sujet de ce mémoire afin de rendre compréhensible l'étude de cas qui suivra. Cette partie vise à mettre en perspective le positionnement du concept du lobbying, son rôle et ses mécanismes d'influence, ainsi que le modèle de gouvernance et d'interaction entre les forces en présence au sein de l'UE et les lobbies. Pour ce faire, le travail de John Stauber et Sheldom Rampton ainsi que celui de Hans

15 Article 2 de la LOI n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

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Magnus Enzensberger mettra en avant l'approche controversée de la pratique à travers diverses théories. Puis dans un second temps, les sites officiels de documentation de l'UE permettront de détailler le processus législatif européen.

Théories sur le lobby :

Le lobbying est contesté dans ses méthodes. Pour les américains John Stauber et Sheldom Rampton, il représente l'industrie du mensonge qui est le titre de leur ouvrage publié en 2004.16

Selon Hans Magnus Enzensberger, « on peut supposer que les lobbyistes actifs à Bruxelles ont plus d'influence sur les décisions de la Commission que tous les députés. »17

Le rôle des lobbies :

Les informations transmises par les lobbyistes sur des sujets techniques que les législateurs ne maitrisent pas forcément sont utiles et essentielles. Ils jouent ainsi un rôle important et croissant dans l'élaboration des décisions publiques.

Le processus de décision :

La prise de décision législative européenne, dont le processus varie en fonction des domaines, fait généralement intervenir quatre institutions : le Conseil de l'UE, le Parlement européen, la Commission européenne, le Conseil européen. Il s'agit d'un processus complexe car les procédures dépendent des domaines politiques concernés.

La procédure législative ordinaire est la manière la plus courante de voter des textes législatifs au sein de l'UE. Elle se déroule de la façon suivante :

1. La Commission européenne présente une proposition législative au Parlement européen.18

16 RAMPTON Sheldon, STAUBER John, L'Industrie du mensonge. Relations publiques, lobbying & démocratie, Marseille, Agone, coll. « Eléments », 2012

17 ENZENSBERGER Hans Magnus, Le doux monstre de Bruxelles ou L'Europe sous tutelle (traduit de l'allemand au français par Bernard Lortholary), Edition Gallimard, Novembre 2011

18 Le Parlement peut demander à la Commission de présenter une proposition législative, tout comme le rassemblement d'un million de citoyens à travers une initiative citoyenne peut demander à la Commission d'étudier une proposition.

2. 14

Première lecture :

- Le Parlement européen se prononce en première lecture en donnant son avis sur la proposition.

- Après le Parlement européen, le Conseil de l'UE se prononce en première lecture. Si le Conseil de l'UE modifie le texte revu par le Parlement, on procède à une deuxième lecture. Si le Conseil de l'UE adopte le texte revu par le Parlement, le texte peut être officiellement adopté.

3. Dans le cas d'une deuxième lecture :

Trois hypothèses pour le Parlement .
·

- Soit le Parlement accepte le texte revu par le Conseil et l'acte est réputé adopté.

- Soit le Parlement rejette le texte revu par le Conseil, dans ce cas le texte est rejeté.

- Soit le Parlement ajoute des amendements à la position commune adoptée par le

Conseil qui retourne alors vers le Conseil.

Hypothèse pour le Conseil .
·

Le Conseil de l'UE se prononce sur les amendements ajoutés par le Parlement qui ont préalablement fait l'objet d'un avis de la Commission. Si le Conseil approuve les amendements à la majorité qualifiée, l'acte est adopté. Dans le cas contraire, le comité de conciliation est convoqué dans un délai de 6 semaines. Cette procédure de conciliation vise à trouver un compromis entre des représentants du Conseil de l'UE et du Parlement avec l'aide de la Commission qui se positionne en tant que médiateur. Si, à terme, les différents acteurs ne parviennent pas à trouver un accord, le texte est rejeté et abandonné. S'ils adoptent un texte commun, l'acte est soumis au Parlement et au Conseil pour une troisième lecture d'approbation.

4. Dans le cas d'une troisième lecture :

Deux hypothèses .
·

- Le Parlement puis le Conseil approuvent le texte commun. Il est donc adopté.

- Le Parlement ou le Conseil ne se prononcent pas ou rejettent le texte. Il est alors rejeté.

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Une fois le texte adopté, les États membres doivent encore l'appliquer dans leur législation nationale. S'il s'agit d'un règlement, celui-ci est directement applicable dans les États membres. S'il s'agit d'une directive, la transposition est obligatoire mais les États membres disposent d'une marge de manoeuvre. Enfin, s'il s'agit d'une décision, le texte est directement applicable dans les États membres concernés.

Il existe par ailleurs des procédures législatives spéciales dans des cas particuliers comme l'adhésion de nouveaux États membres, dans le cadre de la politique fiscale ou de la conclusion d'accords internationaux. Dans ces procédures, le Conseil de l'UE légifère seul. Le Parlement voit son rôle limité à la consultation ou l'approbation.

Approche méthodologique

Dans cette partie, nous allons mettre en avant la méthode choisie pour constituer ce mémoire. La démarche a été empruntée en fonction du sujet choisi, à savoir un sujet d'actualité très controversé. Afin de ne pas sombrer dans la critique et de rester dans une optique objective et constructive, la méthode de l'étude de cas comme méthode de recherche paraissait être la plus adaptée et intelligible.

Étude de cas :

L'étude de cas est une méthode courante utilisée pour analyser en profondeur un phénomène spécifique dans son contexte. Le recours à cette méthode qualitative permet alors de mettre en évidence certains aspects pouvant paraître complexes. Il s'agit donc de décomplexifier l'information à travers un cas concret, ici en l'occurrence, la crise contemporaine autour du glyphosate qui a secoué le système décisionnel européen. L'approche est intéressante car elle permet une flexibilité dans la hiérarchisation des faits et une emphase sur certains aspects clés et techniques. Il faut garder à l'esprit tout de même qu'une étude de cas n'est pas généralisable, c'est pourquoi une étude comparative sectorielle sera élaborée dans la dernière partie de ce mémoire.

Justification du choix :

Le souhait était d'appréhender l'influence des groupes d'intérêts à travers une approche nouvelle car nombreuses sont les recherches effectuées à ce sujet. Dès lors, traiter le sujet par

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l'étude d'un fait d'actualité semble être une méthode adaptée pour apporter une nouvelle réflexion.

Comment en tirer des leçons :

Il est intéressant de pouvoir comparer les différents types de lobbying selon les secteurs et leur influence respective. Cette comparaison va constituer la troisième partie de ce mémoire. Il s'agira de procéder à une conclusion par induction en vue des leçons tirées lors de l'étude et la comparaison des autres secteurs de lobbying.

Obstacles :

Le fait de traiter un sujet d'actualité accroit la quantité d'informations. Il est difficile de maintenir un axe directeur face à la multitude de sources disponibles à ce sujet. Ainsi, afin de maximiser la pertinence des informations, la variabilité des types de sources a été préconisée. Par ailleurs, la question de l'objectivité est importante dans un sujet comme celui-ci. Les différents auteurs ont tendance à laisser entrevoir leur opinion favorable ou non à l'influence des groupes d'intérêts. Dans ce travail de recherche, il a été nécessaire de passer outre la subjectivité de chaque auteur afin d'apporter la vision la plus impartiale possible, le but n'étant pas de critiquer la pratique du lobbying mais d'en analyser l'influence.

Étude de cas : le glyphosate

I. Mise en perspectives de l'affaire du glyphosate

La crise qui a éclatée au sujet du glyphosate est d'envergure mondiale. A l'heure où l'agriculture biologique est de plus en plus favorisée, dans une situation internationale de dégradation environnementale, cette crise s'inscrit dans un contexte de changement de société. Alors que l'usage de produits phytopharmaceutiques19 est important dans le secteur de l'agroalimentaire, ils représentent néanmoins un danger pour la santé de l'environnement et des consommateurs qui se nourrissent des aliments traités. Ainsi depuis quelques années

19 Les produits phytopharmaceutiques sont des pesticides principalement utilisés pour protéger les cultures et empêcher leur destruction par une maladie ou une infestation. Ils comprennent les herbicides, les fongicides, les insecticides, les acaricides, les régulateurs de croissance et les répulsifs. Ils contiennent au moins une substance active. Le terme « pesticide » est souvent utilisé comme synonyme pour les produits phytopharmaceutiques bien qu'il couvre un concept beaucoup plus large.

(Source : EFSA - https://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/pesticides, consulté le 10 juin 2018)

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maintenant, les milieux agricoles s'efforcent de protéger l'écosystème et tiennent davantage rigueur de la qualité des produits commercialisés à travers une agriculture plus biologique.

En outre, au sein de l'Union européenne, la commercialisation, l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et le niveau de résidus dans les denrées alimentaires sont régis par une législation datant de 1991. A travers cette législation, l'Union européenne vise à harmoniser les règles dans les différents États membres. Il existe notamment des règlements européens encadrant la production et l'importation de produits biologiques.

Par ailleurs, tout produit phytosanitaire utilisé dans un État membre doit bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché qu'on appelle A.M.M, qui est délivrée pour une durée maximale de 10 ans dans la limite de validité de l'autorisation de la substance active20. Il existe un système en deux étapes21 : dans un premier temps, l'Union européenne se charge d'évaluer et d'approuver chaque substance active utilisée dans les pesticides selon des critères précis. En effet, les substances sont soumises à un processus approfondi d'évaluation, notamment au sein de l'EFSA avant d'être validées par la Commission européenne et les États membres. Dans un second temps, les États membres sont libres d'évaluer et d'autoriser au niveau national les produits phytopharmaceutiques eux-mêmes. A noter que, depuis les années 1980, le nombre de substances actives autorisées dans les pesticides a été divisé par deux.

Pour en revenir au glyphosate, le nom correspond à la substance active présente dans le Roundup, produit phytopharmaceutique mis sur le marché en 1974. La molécule N-glycine, qui correspond au glyphosate, a été synthétisée dans les années 1950 par un chimiste suisse, Henri Martin, puis reprise par des scientifiques de la firme américaine Monsanto. Au début des années 2000, cette molécule pourvue de propriétés herbicides puissantes, s'est retrouvée dans le domaine public, permettant à d'autres sociétés de s'en emparer. On retrouve ainsi le glyphosate dans divers produits phytopharmaceutiques, utilisés partout dans le monde. En effet, outre le Roundup, on trouve la molécule du glyphosate dans plus de 750 produits commercialisés par plus de 90 fabricants répartis dans le monde. Ce produit bon marché et rentable, sert avant tout aux agriculteurs, étant principalement utilisé pour les récoltes de

20 Une substance active est un produit chimique, un extrait de plante, une phéromone ou un micro-organisme (y compris des virus) qui agit contre les « parasites » ou sur les plantes, les parties de plantes ou les produits végétaux. (Source : https://ec.europa.eu/food/plant/pesticides_en, consulté le 10 juin 2018)

21 Cf. Annexe 1

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céréales, de vignes, de fruits, de légumes et d'olives, mais aussi aux particuliers qui peuvent l'utiliser dans leurs potagers ou jardinières.

Depuis quelques années maintenant, la question de la toxicité du glyphosate fait débat. En effet, alors que le produit était présenté sans danger pour la santé et l'environnement lors de son apparition, des études ont montré que la substance active pourrait finalement s'avérer être cancérigène.

a) Monsanto : une multinationale connue de tous

Monsanto est une entreprise américaine, créée en 1901 par John Francis Queeny22, un membre des Chevaliers de Malte, vétéran de la pharmaceutique. Elle s'est d'abord spécialisée dans les produits chimiques et les médicaments industriels, en devenant notamment la plus grande productrice au monde d'aspirine dans les années 1920.

En 1930, elle a créé sa première semence hybride de maïs et poursuivi son expansion de détergents, de savons, de produits de nettoyage industriel, de caoutchouc et matières plastiques synthétiques, plus ou moins toxiques les uns des autres.

A partir de 1940, elle a débuté des recherches sur l'uranium et s'est penchée sur le projet Manhattan, portant sur la constitution de la première bombe atomique. Elle continuait en parallèle le développement de pesticides pour l'agriculture, principalement à base de dioxine, substance mortellement toxique.

En 1950, Monsanto a créé plusieurs attractions pour Disney à base de plastique non biodégradable, contrairement à ce que la firme avait affirmé. Disney a par la suite décidé de détruire les attractions en question.

22 Né en 1859, décédé en 1933. John Francis Queeny était un homme d'affaire américain et le fondateur de l'entreprise Monsanto, qui porte le nom de sa femme, Olga Monsanto.

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En 1960, la firme a produit conjointement avec DOW Chemical23, l'Agent orange à base de dioxine, qui a servi d'arme chimique dans l'invasion du Vietnam par les États Unis. Plus de 3 millions de personnes ont été contaminées, un demi-million de civils vietnamiens ont perdu la vie, un demi-million de bébés vietnamiens sont nés avec des malformations congénitales, des milliers d'anciens combattants de l'armée américaine souffrent encore aujourd'hui des effets de ces substances. Monsanto avait vendu au gouvernement une substance qu'elle savait toxique, en fournissant des études concluant que la dioxine ne présentait pas de risque pour la santé.

En 1970, alors que Monsanto a introduit avec d'autres entreprises partenaires, l'aspartame, une neurotoxine mortelle dans la chaine alimentaire, des questions ont fait surface quant à la toxicité de cette substance. De nombreuses études ont été fournies, prétendant que l'aspartame était sans danger alors que des recherches prouvaient le contraire. Pour atténuer les accusations, Monsanto a racheté des entreprises, constitué de nouvelles filiales ou tenté de corrompre des instituts nationaux scientifiques. Elle est finalement parvenue à semer le trouble au sein des services gouvernementaux comme la Food and Drug Administration (FDA)24.

En 1990, ce sont des millions de dollars qui ont été dépensés par Monsanto pour combattre les législations fédérales et nationales, ce qui représente peu face aux milliards de dollars de bénéfices dont ils disposent.

En 1994, une nouvelle hormone de croissance bovine synthétique a été introduite par Monsanto, nommée rBGH, produite à partir d'une bactérie génétiquement modifiée, ce qui représentait déjà un risque. Ces produits génétiquement modifiés ne nécessitent d'ailleurs d'aucune intervention naturelle car les cultures peuvent « s'auto-polliniser ». Ainsi, leurs produits sont conçus de manière à ce que les oiseaux ou les abeilles ne puissent s'en approcher sous peine de mourir d'empoisonnement.

23 Société et multinationale américaine créée en 1897. Géant mondial dans le domaine de la fabrication et de la distribution de produits chimiques. Son siège se situe à Midland, au Michigan. (site officiel : https://www.dow.com/en-us, consulté le 10 juin 2018)

24 Il s'agit d'une agence américaine, créée en 1906, sous la présidence de Théodore Roosevelt. Elle a pour responsabilité la pharmacovigilance, c'est à dire l'étude, le contrôle et la réglementation des médicaments avant leur commercialisation. (site officiel : https://www.fda.gov, consulté le 10 juin 2018)

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Au milieu des années 1990, la société a décidé de s'orienter vers le contrôle de l'approvisionnement alimentaire mondial par le biais de la biotechnologie artificielle. Elle s'est donc focalisée sur son herbicide Roundup et a racheté des compagnies de semences pour éliminer les concurrents. C'est ainsi qu'en 2000, Monsanto avait le contrôle de la plus grande part du marché mondial des OGM. Elle ne s'est pourtant pas arrêtée là. Elle a fusionné en 2000 avec Pharmacia & Upjohn et a formé un partenariat avec DuPont25, son grand rival.

Aujourd'hui, Monsanto est une compagnie à vocation essentiellement agricole qui souhaite investir dans la recherche pour une agriculture durable. Pourtant, comme on a pu le voir, à ses débuts, elle produisait des produits assez diversifiés comme de l'aspirine, des savons et détergents industriels ainsi que du phosphore, des produits plastiques contenant des PCB (Polychlorobiphényle) ou encore des engrais à base de dérivés pétrochimiques. Sans prendre en compte les antécédents de production de Monsanto, il reste difficile d'accorder le statut d'ambassadeur de l'agriculture durable à la firme en raison de certains éléments qui ont fait et font encore polémique.

En effet, la société semble ne se soucier que très peu des risques présentés par les produits qu'elle commercialise. Les polychlorobiphényles, par exemple, qui ont connu un grand succès pour leur composition imperméable à la dégradation et autres nombreux avantages, sont considérés aujourd'hui comme l'une des plus graves menaces chimiques pour la planète alors qu'ils ont été utilisés pendant plus de 50 ans jusqu'à leur interdiction. S'ils sont interdits aujourd'hui, il n'en reste pas moins qu'ils sont toujours présents dans le sang et les tissus cellulaires d'un nombre élevé d'animaux et d'humains à travers le monde. Des documents présentés par Monsanto ont révélé que cette dernière était au courant des effets mortels et les a volontairement dissimulés face au succès des produits.

Or, alors même que le premier produit26 commercialisé par la firme était critiqué et remis en question sur sa toxicité, Monsanto est toujours parvenue à contourner les plaintes déposées à son encontre et à s'en sortir « indemne ». A partir du moment où elle a constaté que la

25 Son nom complet est : E.I. du Pont de Nemours et compagnie. C'est une entreprise américaine, fondée en 1802. A l'origine, elle était spécialisée dans la fabrication de poudre à canon, puis elle est devenue l'un des plus grands groupes industriels de chimie. (site officiel : http://www.dupontdenemours.fr consulté le 10 juin 2018)

26 Il s'agissait de la saccharine chimique, vendue à la marque Coca-Cola comme édulcorant artificiel (selon l'ONG Combat Monsanto)

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dissimulation de documents et la commercialisation de produits soupçonnés comme étant toxiques ne donnaient pas lieu à des répercussions fatales, la firme a poursuivi cette même méthode tout au long de son histoire, notamment pour le cas du glyphosate.

b) Le point d'ancrage de la crise : bataille d'experts

Alors qu'il est utilisé dans plus de 700 produits pour l'agriculture, la foresterie, les usages urbains et domestiques, l'emploi du glyphosate s'est multiplié avec l'arrivée notamment des cultures OGM. La majorité des plantes génétiquement modifiées cultivées dans le monde sont résistantes au glyphosate. Ainsi, cela permet de tuer toutes les plantes à l'exception des OGM.

Le 26 décembre 2015, Anthony Jack McCall, âgé de 69 ans, est décédé des suites d'un cancer du sang rare, appelé lymphome non hodgkinien. Ce fermier n'utilisait que très peu de pesticides, à l'exception du célèbre Roundup, dont la toxicité était revendiquée comme étant extrêmement faible et biodégradable. Ainsi, Teri McCall, la veuve du défunt a décidé de poursuivre Monsanto. Elle n'est d'ailleurs pas la seule, nombreux sont les plaignants qui accusent l'entreprise d'actes répréhensibles. Des procès ont été intentés en Californie, en Floride, au Missouri, au Delaware, à Hawaï. Comme McCall, nombre des plaignants travaillaient dans le milieu agricole et étaient exposés régulièrement au glyphosate. Toutefois, Monsanto continue de nier toute association entre le glyphosate et des maladies comme le lymphome non hodgkinien.27

Il est cependant difficile de s'appuyer sur les études scientifiques pour connaître la véritable toxicité de la substance car ces dernières se contredisent. En effet, la question de la toxicité du glyphosate a donné lieu à une véritable bataille d'experts scientifiques. Nous nous contenterons de citer les principales études émanant d'organismes d'envergure européenne ou internationale, mais il en existe bien d'autres encore.

L'étude à l'origine de la polémique actuelle est celle réalisée par le Centre international de Recherche contre le Cancer (CIRC), rattaché à l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), en mars 2015. En effet, l'agence a classé le glyphosate comme « cancérogène probable » pour

27 GILLAM Carey, What Killed Jack McCall? A California Farmer Dies and a Case Against Monsanto Takes Root, Huffingtonpost, Juin 2016

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l'Homme en se reposant sur des études scientifiques publiées dans des revues internationales et établies à partir d'expériences sur des animaux. A noter que l'ensemble de ces études appartient au domaine public.

En novembre 2015, l'Agence européenne de la sécurité des aliments (EFSA) a pourtant conclu que le glyphosate n'était pas nocif pour l'homme mais refusait de divulguer ses études. L'agence s'appuyait essentiellement sur des études confidentielles expérimentales réalisées par la firme industrielle de Monsanto qui ne sont accessibles qu'aux agents.

L'Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques (BFR), chargé de l'évaluation pour toute l'Union européenne des produits chimiques, ainsi que l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), avaient quant à eux également affirmé que le glyphosate n'était pas cancérigène. C'est notamment sur la base de cette étude que la Commission a relancé le 16 mai 2017 une procédure en vue de réautoriser pour 10 ans la substance.

On constate que seul le CIRC a travaillé sans consulter Monsanto, en se fiant uniquement à des résultats obtenus en laboratoire, suite à des expériences effectuées sur des rats. L'accès des trois agences à des données confidentielles de la firme remet en question leur fiabilité, car il s'agit d'études qui ne relèvent pas du domaine public. C'est d'ailleurs ce que des organisations indépendantes comme Générations Futures ou Greenpeace et des élus comme l'eurodéputée Europe Écologie, Michèle Rivasie28 leur reprochent. Les experts de l'EFSA, recrutés à travers l'Europe, doivent en outre remplir des « déclarations publiques d'intérêts » dans lesquels ils renseignent leurs éventuelles collaborations avec des firmes privées. L'ONG Corporate Europe Observatory29 et la journaliste d'investigation Stéphane Horel30 se sont penchées sur ces documents et les conclusions étaient les suivantes : 60% des experts étaient en situation de conflit d'intérêt.

28 Femme politique française, membre du parti Les Verts, députée européenne Europe Écologie sur la circonscription Sud Est depuis 2009.

29 Il s'agit d'un groupe de recherche dont la mission est d'analyser et de dénoncer l'accès privilégié et l'influence dont jouissent certaines entreprises et leurs groupes de pressions dans l'élaboration des politiques européennes.

30 Journaliste indépendante et documentariste. Depuis 2012, elle enquête sur le lobbying autour de la réglementation des perturbateurs endocriniens par la Commission européenne. Ce travail est raconté par écrit dans son ouvrage Intoxication (La Découverte, 2015 ; nominé au prix Albert Londres 2016) et dans le rapport A Toxic Affair (avec Corporate Europe Observatory, Mai 2015, en anglais).

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Les problèmes qui se posent ici sont donc : dans un premier temps, le non-respect de l'impartialité des organismes qui sont supposés éclairer la Commission européenne sur les substances à autoriser. Cette impartialité provient du fait que les scientifiques ne peuvent se contenter de financements publics pour leurs recherches et se tournent alors vers des allocations privées auxquelles elles deviennent dépendantes. A noter que l'EFSA et l'ECHA sont initialement des organismes indépendants. On assiste donc à l'apparition d'un véritable conflit d'intérêt. Dans un second temps, les lobbies industriels sèment le doute scientifique. Aux États-Unis, la charge de la preuve de la toxicité d'un produit revient au fabriquant, tandis qu'en Europe, le principe de précaution est prédominant. Pourtant, le CIRC a annoncé que le produit était potentiellement cancérigène pour l'homme et le principe de précaution ne s'est pas appliqué.

c) Les pratiques douteuses de Monsanto ? Controverse médiatique

Les spots publicitaires et les étiquettes d'emballages de l'herbicide Roundup mentionnaient initialement les termes « biodégradables » et « respect de l'environnement », laissant penser qu'il s'agit d'un produit écologique sans danger. Or, plusieurs études ont démontré que le glyphosate, substance active du produit, n'est pas biodégradable et présente des effets fortement nocifs pour la santé et l'environnement.

Suite à ces découvertes, de nombreuses plaintes ont été déposées pour publicité mensongère, notamment en provenance du procureur général de l'État de New York en 1997. En conséquence, la firme de Monsanto s'est vu contrainte de retirer de ses annonces les allégations « biodégradables » et « écologiques » et de payer 50 000 dollars de frais de justice à l'État. Par ailleurs, en 1998, 225 000 dollars ont été réclamés à la firme pour avoir imprimé 75 mentions inexactes sur les étiquettes des produits Roundup. Les étiquettes déconseillaient l'entrée dans les zones traitées pendant quatre heures, au lieu de douze heures minimum selon les lois américaines sur les pesticides et la sécurité du travail. Il ne s'agit que d'un mince aperçu de la série de condamnations encourues par Monsanto aussi bien aux États Unis que dans les pays du monde entier.

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? La désinformation autour du glyphosate

Plus récemment, Monsanto a dû faire face à un l'important scandale des « Monsanto Papers » en 2015, après la première divulgation de documents internes (courriels, notes, rapports relatifs au glyphosate...), révélant les manoeuvres douteuses de la firme pour défendre son herbicide. Le géant de l'agrochimie a de ce fait été contraint de rendre public ces documents suite à des procédures judiciaires engagées aux États Unis. De nouveaux documents sont dévoilés progressivement par séries et les derniers ont levé le voile sur des pratiques jusqu'alors méconnues de Monsanto.

L'une des grandes pratiques utilisées par Monsanto est le ghostwriting, qui consiste à agir en « auteur fantôme ». Autrement dit, les employés de Monsanto rédigent des textes et études, puis demandent à des scientifiques sans lien de subordination avec la société de les endosser en les signant. Par cette simple signature, les scientifiques apportent le prestige de leur réputation au texte en question.

Une autre pratique commune de la firme est le recours à des consultants extérieurs. Ces derniers sont rémunérés pour rédiger des travaux sur mesure. C'est ainsi qu'en 2016, plusieurs articles rédigés par des consultants du cabinet Intertek et stipulant que le glyphosate n'est pas cancérigène, ont été publiés dans la revue Critical Reviews in Toxicology. Ces consultants ne sont aucunement des scientifiques, ils sont simplement missionnés par Monsanto pour divulguer des informations en échange d'une certaine somme d'argent.

Par ailleurs, il a également été révélé à travers un mail datant de 2015 que Monsanto était en contact avec un expert de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), Jessie Rowland, qui aurait tenté d'aider celle-ci à dissimuler les études en cours sur le glyphosate au sein du département de la santé et des services sociaux. Ces travaux n'ont d'ailleurs effectivement jamais vu le jour.

d) Acteurs de l'interaction dans la crise

Si l'affaire du glyphosate a fait débat dans le monde entier, c'est parce que son envergure est mondiale. Elle a en effet des répercussions au niveau de la société civile, c'est d'ailleurs pourquoi des ONG et des associations luttent pour l'interdiction du glyphosate ; au niveau

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national puisqu'il revient au 28 États membres de l'Union européenne d'adopter une décision concernant l'approbation de la substance ; et également au niveau international car la santé de la population mondiale et le commerce international sont en jeu.

On retrouve donc une pluralité d'acteurs dans cette crise. D'abord l'acteur privé, avec bien évidemment la multinationale Monsanto et les lobbies qui la représentent ; ensuite, l'acteur public qui est présent à travers les ONG et les associations ; et enfin l'État.

En parallèle avec cette multiplicité d'acteurs, il existe actuellement une véritable situation d'impasse concernant le glyphosate car il ne s'agit pas là d'un simple conflit d'intérêt mais de multiples conflits d'intérêts concernant ce même sujet.

Si l'on se positionne d'un point de vue du respect de l'environnement et de la santé des consommateurs, on tend à adopter une position défavorable envers les substances actives présentant des risques potentiels, et donc envers le glyphosate. Selon des analyses effectuées par Génération Futures31, il est fréquent que des résidus de glyphosate se retrouvent dans les aliments du quotidien tels que les céréales pour petit-déjeuner, les légumineuses et les pâtes. En effet, l'ONG a acheté en supermarché 30 produits alimentaires et demandé à un laboratoire spécialisé d'en examiner les résidus de glyphosate et éventuellement de son métabolite. Au total, 16 échantillons sur 30 contenaient du glyphosate. Il n'y a cependant pas de quoi tomber malade mais à terme, d'après l'association, cela pourrait contribuer à contaminer le tube digestif. Par ailleurs, l'ONG Amis de la Terre Europe a notamment réalisé une enquête révélant la présence de traces de glyphosate dans des urines collectées auprès de volontaires dans 18 pays européens.32

Pourtant, il est important de prendre également en considération le point de vue des utilisateurs de pesticides, soit les agriculteurs majoritairement, qui vivent de leurs récoltes agricoles grâce à ces produits. En effet, il y a une importante dépendance aux pesticides qu'on ne peut ignorer. Il est compliqué d'interdire du jour au lendemain un pesticide sur lequel reposent des rendements importants qui profitent autant aux agriculteurs qu'aux consommateurs. Dans un premier temps, il faut donc trouver des substituts durables aux

31 Générations Futures est une association de défense de l'environnement agréée par le ministère de l'Écologie depuis 2008 (renouvellement obtenu en 2014), et reconnue d'intérêt générale.

32 BERTRAND Marie Noëlle, Les secrets bien gardés du glyphosate, L'Humanité, Septembre 2016

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pesticides et encourager l'agriculture biologique, il faut former les utilisateurs de ces substances à une utilisation prudente et responsable. Le conflit d'intérêt qui s'impose ici est d'envergure importante. La santé de l'environnement et des consommateurs relève d'une nécessité vitale et rend urgent le besoin d'assainissement ; d'autre part la production agricole des utilisateurs est mise en péril face à une interdiction brutale de substances toxiques.

Néanmoins, la santé des agriculteurs rentre également en jeu car ils sont largement exposés à ces substances. Cela créé donc un second conflit d'intérêt entre les agriculteurs plaignants et les agriculteurs favorables aux pesticides.

Enfin, comme cité précédemment, les autorités sanitaires internationales et européennes ont abouti à des résultats différents concernant la toxicité du glyphosate, créant alors un troisième conflit d'intérêt dans cette crise. Alors que le CIRC accuse l'EFSA de s'être mise au service des industriels, cette dernière critique la prise en compte d'études non évaluées par le CIRC. Si la dernière critique reste à prouver, la première a été confirmée par certaines enquêtes du Corporate Europe Observatory révélant qu'il existe au sein même de ces organismes des conflits d'intérêt entre les experts et les industriels.

II. Les répercussions de l'affaire dans l'UE

Alors qu'on entend souvent que les régulations européennes sont les plus strictes au monde, les études réalisées pour l'approbation de certaines substances actives sont pourtant très controversées. Le cas du glyphosate en est le parfait exemple. Si l'on tient compte du fait que le nombre de substances actives approuvées dans les pesticides a été divisé par deux au sein de l'UE, il en reste toutefois plus de 500 parmi lesquelles certaines présentent des risques.

a) L'impasse décisionnelle

Les différents conflits d'intérêts ont rendu particulièrement difficile la décision des États membres concernant le renouvellement de l'approbation de la substance active du glyphosate au sein de l'Union européenne. Effectivement, ce renouvellement nécessite un accord de la majorité des États membres pour être validé. Alors que la licence d'autorisation de la

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substance expirait en décembre 2017, après les quinze années d'autorisation habituelles des substances actives, les pays se sont retrouvés dans une situation inconfortable face à l'hostilité de l'opinion publique, y compris les scientifiques et les ONG, et la pression des agriculteurs.

Le 27 novembre 2017, la décision a finalement été prise. Avec une très faible majorité qualifiée de 65,7% et 9 pays ayant voté contre, la dernière proposition de la Commission est finalement passée, à savoir un renouvellement de l'approbation pour cinq ans. Cette question a été examinée de manière rigoureuse par la Commission et notamment au sein de collèges de commissaires afin de trouver une décision qui recueille le plus large soutien possible de la part des États membres. De plus la Commission a suivi une procédure scientifique dans le cadre de laquelle des évaluations scientifiques ont été rendues publiques. Toutefois, cette décision n'a pas été prise facilement, ni rapidement en raison du désaccord des pays au sujet du glyphosate. En effet, le vote a été repoussé à plusieurs reprises, les États membres ne réussissant pas à se mettre d'accord à la majorité sur la durée de renouvellement de la licence d'autorisation du glyphosate.

Communément, la Commission propose une durée d'autorisation de quinze ans des substances actives, lorsque tous les critères d'approbation sont remplis. Or, le glyphosate représente un cas inhabituel, c'est pourquoi des facteurs légitimes ont été pris en compte lors de la détermination de cette période de renouvellement ainsi que les résolutions non contraignantes adoptées par le Parlement européen et les études du CIRC. De plus, l'initiative citoyenne européenne, intitulée « Interdire le glyphosate et protéger la population et l'environnement contre les pesticides toxiques »33 lancée en janvier 2017, a également été prise en considération pour la décision finale.

Par ailleurs, il faut garder à l'esprit qu'on ne peut enlever de la circulation un produit utilisé par un grand nombre d'usagers. Hormis l'impact très négatif sur le commerce international, cela aurait également un impact sur les rendements nationaux. Un délai est nécessaire pour trouver des alternatives. Concernant le glyphosate, il en existe certaines mais elles nécessitent plus de travail et un changement de paradigme agricole. En outre, si l'alternative est la

33 Une initiative citoyenne européenne (ICE) est une invitation faite à la Commission européenne de présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l'Union européenne (UE) est habilitée à légiférer. Celle-ci concerne l'interdiction du glyphosate et la protection de la population et l'environnement contre les pesticides toxiques (selon le registre officiel du site de la Commission européenne).

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création d'un nouveau pesticide aussi puissant que le Roundup de Monsanto, l'histoire risque de se répéter car il sera probablement aussi nocif pour la santé que son prédécesseur. La meilleure alternative réside finalement dans l'adoption d'une agriculture durable, traditionnelle ou innovante qui nécessitera davantage de temps et d'argent.

? Situation de blocage institutionnel

Toutefois, si l'on revient quelques années en arrière, en 2002, suite à une évaluation de l'EFSA et la ECHA établissant le glyphosate comme non toxique pour la santé humaine et animale et l'environnement, le glyphosate a été autorisé pour une durée de quinze ans, conformément aux règles européennes sur les pesticides. En raison de l'ajout de nouveaux critères dans la législation sur les pesticides de 2009, une nouvelle étude a été menée, pour vérifier que le glyphosate était conforme aux nouveaux critères imposés, prenant compte des études antérieures. Le bilan était toujours le même : le glyphosate ne présentait pas de risque cancérigène pour l'humain. Sur ces conclusions, la Commission avait proposé aux États membres, en 2016, de renouveler la licence d'autorisation du glyphosate mais aucune majorité n'a été obtenue en raison de l'étude du CIRC de 2015 pointant du doigt les effets cancérigènes probables du glyphosate. Il a alors été demandé à l'ECHA de trancher entre les deux études en apportant son avis. Cette dernière a conclu, en se basant sur les informations disponibles, qu'il n'y avait aucune preuve que le glyphosate soit cancérigène. Elle s'est donc alignée sur l'avis de l'EFSA.

En mars 2017, en se fondant sur ces dernières études de l'EFSA, la Commission a réengagé la discussion sur l'approbation du glyphosate avec les États membres. Le point de blocage persistant étant la durée de renouvellement de la substance, la Commission a proposé de réduire la durée de quinze ans réglementaire à une durée de dix ans. En octobre, alors qu'aucune majorité n'avait encore été dégagée, le Parlement européen s'est prononcé en faveur d'une élimination progressive du glyphosate dans l'UE d'ici 2022. La résolution qui a été votée à 355 voix pour et 204 contre avec un total de 111 abstentions, n'était pas contraignante, mais elle avait pour but de mettre une certaine pression sur la Commission européenne afin que cette dernière trouve un compromis rapidement. Après plusieurs sessions de discussions et de révisions de la proposition, en novembre, les États membres se sont finalement accordés en faveur de la dernière proposition faite par la Commission, à savoir un

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renouvellement de cinq ans. Le 12 décembre 2017, la Commission a officiellement adopté l'acte de renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour cinq années.

? Union européenne ou États membres : qui est responsable de quoi ?

Aujourd'hui, le glyphosate est autorisé dans l'Union européenne mais chaque pays est responsable de l'autorisation et l'utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active. Seule l'approbation des substances actives est décidée au niveau de l'Union européenne. Cette répartition des responsabilités est fondée sur le principe de subsidiarité. Ainsi, les États membres ont des plans d'actions nationaux différents concernant les pesticides. L'Union européenne les accompagne toutefois, à travers une directive sur l'utilisation durable des pesticides notamment qui donne des objectifs et recommandations aux États membres pour promouvoir une gestion des pesticides minutieuse et donner la priorité aux méthodes non chimiques. La Commission travaille par ailleurs avec les États membres à diffuser des exemples de bonnes pratiques au sein de groupes de travail et de formations.

Néanmoins, si les pays peinent à s'accorder sur de telles décisions aujourd'hui, cela n'est pas sans lien avec la Politique Agricole Commune (PAC) qui n'est plus adaptée aux enjeux actuels de l'agriculture. Cette politique, prévue par le Traité de Rome et entrée en vigueur en 1962, n'a pas été conçue pour la mise en place d'une agriculture durable mais pour augmenter les rendements et assurer l'autonomie alimentaire européenne. Ainsi les objectifs sont désormais différents. Bien que la PAC soit régulièrement réformée, elle manque d'efficacité et empêche le passage de nouvelles réformes visant à protéger l'environnement aux niveaux nationaux.

b) L'influence des lobbies dans l'élaboration des textes européens

? Le lobbying de Monsanto

Au sein de l'Union européenne, la firme de Monsanto a su créer son réseau d'influence à Bruxelles afin de persuader au mieux les parlementaires, les fonctionnaires, les scientifiques et les journalistes. Si elle est parfois représentée par des associations ou des groupes de

lobbying peu connus du grand public comme l'International Life Science Institute (ILSI) ou la Glyphosate Task Force34 (GTF), son influence n'en est pas moindre. Les lobbies sont présents à tous les niveaux institutionnels et à travers de multiples canaux.

Concernant la GTF, depuis 2012, le groupe a su faire preuve d'habileté pour défendre les intérêts du glyphosate. Il multiplie en effet les communiqués pour démontrer le caractère inoffensif du produit et prône la transparence pour renforcer sa crédibilité. L'ILSI, quant à lui, a eu un impact important sur les régulations européennes en matière d'OGM, notamment de par le lien étroit que l'institut entretient avec l'EFSA. Cet institut possède des bureaux aux États Unis, en Asie, en Amérique du Sud, en Europe et il est avant tout financé par les sociétés membres telles que Monsanto, Coca-Cola, McDonald, etc. Sa présence au niveau mondiale décuple sa force d'influence.

La bataille acharnée livrée pour tenter de convaincre l'opinion publique et les décideurs est en fait menée par deux camps : les lobbies industriels et les ONG qui représentent respectivement l'intérêt privé et l'intérêt public. Le combat est cependant inégal tant les industriels bénéficient de moyens plus importants. Les industries telles que Monsanto n'hésitent pas à dépenser des sommes considérables pour parvenir à leurs fins. A titre d'exemple, la firme emploie quatre cabinets de communication et débourserait ainsi près d'un million d'euros par an pour ses activités de lobbying. Si l'on prend comme point de comparaison Greenpeace qui est la plus importante ONG de Bruxelles : elle compte quinze salariés et un budget de 1,6 millions d'euros en 2015, soit presque autant que les dépenses de lobbying de l'industrie de Monsanto (dont le chiffre d'affaires était de 15 milliards de dollars en 201535). En outre, les choses ne se jouent pas au niveau des campagnes d'influence, mais au niveau des comités d'expertises où les industries sont les seules à pouvoir siéger tant le coût du billet d'entrée est élevé. La balance n'est donc pas équilibrée dans la mesure où les ONG ne peuvent se permettre les mêmes dépenses que les industriels.

? Les stratégies d'influence

34 Le GTF est un consortium composé d'une vingtaine de compagnies privées de l'agrochimie, présidé par Monsanto en la personne de Richard P. Garnett, responsable des affaires juridiques.

Source : Le lobbying de Monsanto : une attaque contre notre planète et la démocratie, (traduit de l'anglais), Corporate Europe Observatory, Novembre 2016.

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35 RABREAU Marine, Qui est Monsanto, ce géant américain aussi puissant que décrié, Le Figaro, Mai 2016

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Étant donné qu'il n'existe pas d'obligation de transparence concernant le lobbying au sein de l'Union européenne, les grandes firmes peuvent aisément exercer leur influence par des stratégies plus ou moins douteuses. Les stratégies les plus fréquentes sont les suivantes : la stratégie de persuasion des fonctionnaires européens, la stratégie de diversification des canaux, la stratégie de « l'essuie-glace » aussi appelée stratégie des « portes tournantes » (de l'anglais « revolving doors »), la stratégie d'ingérence dans les études scientifiques, la stratégie de décrédibilisation ou encore la stratégie de rachat.

Parmi les stratégies citées ci-dessus, la plus traditionnelle consiste à aller rencontrer les fonctionnaires européens en charge du dossier concerné - les commissaires dans un premier temps, les parlementaires dans un second. Les lobbyistes doivent trouver les interlocuteurs clés en fonction de l'objectif visé. En premier lieu, ils cherchent les fonctionnaires en charge du texte de préparation à la Commission afin d'intervenir le plus tôt possible dans le processus de décision, au stade embryonnaire de la réflexion. Ensuite, ils repèrent les personnes capables de faire remonter leurs revendications au Parlement qui, depuis le traité de Lisbonne, a gagné en pouvoir. Un lobby peut être porteur d'amendement à chaque étape du processus législatif en proposant celui-ci à un député européen. D'après l'ouvrage de Pierre Bardon sur le lobbying36, les personnes suivantes représentent les « portes d'entrée » à Bruxelles : députés et assistants, commissions parlementaires et comités consultatifs et d'experts, groupes politiques, rapporteurs, coordinateurs. Cette stratégie repose avant tout sur une capacité de persuasion du lobbyiste qui doit apporter des arguments techniques. Une autre voie possible est de devenir attaché parlementaire d'un député européen pour avoir un accès permanent au Parlement. En complément à cette stratégie traditionnelle, les plus gros lobbies ont pour habitude de diversifier leurs canaux de lobbying. Le fait de trouver parmi ses défenseurs d'intérêts une fédération, un expert, ou encore une ONG peut multiplier l'influence d'une entreprise sur la prise de décision. Il s'agit d'un véritable jeu des alliances. On compte ainsi autant de fonctionnaires européens que de lobbyistes à Bruxelles.

Beaucoup plus controversée, la stratégie la plus répandue dans le monde du lobbying est celle de l'essuie-glace, aussi appelée le « système des portes tournantes ». Cette méthode consiste à passer d'un poste de haute responsabilité dans la fonction publique à un poste dans un cabinet

36 BARDON Pierre, Le Lobbying, 2012.

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d'influence tout en continuant à suivre les mêmes dossiers. De ce fait, les cabinets héritent du savoir-faire des initiés et d'un accès privilégié à certains contacts clés. L'ONG Corporate Europe Observatory a d'ailleurs créé un site Internet37 afin de recenser tous les cas de hauts fonctionnaires qui se sont orientés vers un poste privé. L'exemple le plus emblématique dans le cas de Monsanto est celui de Michael Taylor. En effet, à quatre reprises, ce lobbyiste a alterné des postes publics et privés durant sa carrière. Il a tout d'abord intégré la Food and Drug Administration (FDA) avant de devenir avocat pour Monsanto. En 1991, il a de nouveau travaillé à la FDA puis a intégré le Ministère de l'Agriculture des États-Unis (USDA) de 1994 à 1996. Au sein des deux postes, il traitait le même sujet, à savoir la régulation des aliments génétiquement modifiés. En 1996 et jusque 2000, il a de nouveau travaillé pour Monsanto en tant que Vice-président des politiques publiques. Finalement, en 2009, sous l'administration d'Obama et la nomination de ce dernier, il a réintégré la FDA, en tant que Conseiller Supérieur de l'organisation.

Une autre stratégie utilisée couramment est celle qui consiste à s'ingérer dans les études menées par les agences scientifiques indépendantes, afin d'en modifier leurs résultats concernant l'évaluation de ses substances. Ces agences sont la proie idéale pour les sociétés prêtes à tout pour parvenir à leurs fins. L'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) sur laquelle se repose l'Union européenne pour l'autorisation de substances actives, ne fait pas figure d'exception à cette coutume. Elle souffre d'un net manque de transparence et d'indépendance. Selon une étude menée en 2013 par le Corporate Europe Observatory, presque 60% des experts de l'EFSA ont ou ont eu un lien avec une société de biotechnologie, de pesticide ou d'agroalimentaire. Pourtant tous les experts se doivent normalement de remplir une déclaration de conflit d'intérêt et déclarer toute relation qu'ils pourraient entretenir avec une quelconque organisation ou entreprise. En outre, l'indépendance des structures publiques est menacée par l'utilisation d'études d'évaluations de risques sanitaires réalisées par les industries elles-mêmes. Protégées par le secret des affaires et de la protection des brevets, ces études restent alors dans le domaine privé. Effectivement l'agence prend en compte toutes les études scientifiques existantes, y compris celles qui n'émanent pas de l'industrie en question, toutefois la charge de la preuve repose sur l'entreprise qui veut introduire son produit sur le marché : cette dernière doit donc fournir toutes les preuves qui

37 « Revolving Door Watch » est le nom de cette base de données ( https://corporateeurope.org/revolvingdoorwatch)

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montrent que le produit n'est pas dangereux, mais rien ne garantit que ces preuves soient fiables.

Par ailleurs, si les multinationales ne parviennent pas à s'ingérer dans ces études, elles s'acharnent contre les agences scientifiques. La méthode est plutôt brutale. Les lobbyistes utilisent ainsi tous les moyens à leur portée pour défendre l'intérêt en jeu et décrédibiliser l'organisme visé. Dans le cas de Monsanto et du glyphosate, c'est le CIRC qui a été sujet à ces pratiques et par conséquent l'OMS, sa maison mère. Les hostilités ont été ouvertes le 20 mars 2015, date de publication des conclusions d'enquête du CIRC concernant la toxicité du glyphosate. Dès lors, afin d'obtenir des données sensibles sur le fonctionnement et les financements du CIRC, des lobbyistes n'ont pas hésité à se faire passer pour des journalistes, des chercheurs ou des avocats pour approcher le personnel de l'agence. Depuis, les experts sont dénigrés par des rumeurs et harcelés par des avocats, les financements de l'agence ont été réduits, tout comme sa crédibilité et son intégrité.

Finalement, la méthode la plus simple pour les multinationales, en vue de leurs capacités financières, consiste à racheter des sociétés de semence locales afin d'élargir leur degré d'influence au sein des associations de semaines nationales. A titre d'exemple, Monsanto a racheté des entreprises de semences végétales aux Pays Bas telles que De Ruiter.

c) Les mesures correctives adoptées

? Le Règlement REACH

Face aux nombreux scandales survenus, relatifs aux substances chimiques, l'UE a mis en place un règlement, le REACH, qui s'applique sans transposition dans tous les États membres de l'Union européenne et dans les 3 pays appartenant à l'espace économique européen, à savoir le Lichtenstein, l'Islande et la Norvège. Le dispositif, entré en vigueur en 2007, vise à protéger la santé humaine et l'environnement contre les risques liés aux substances chimiques, en favorisant la compétitivité de l'industrie chimique de l'UE. Ainsi toutes les substances chimiques fabriquées, importées et mises sur le marché européen doivent être recensées, évaluées et contrôlées selon ce règlement. Les étapes à suivre sont les suivantes :

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- L'enregistrement préalable obligatoire dans le registre pour les substances produites ou importées en quantité égale ou supérieure à une tonne par an et par entreprise auprès de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA). La date limite réglementaire de la dernière phase d'enregistrement étant fixée au 31 mai 2018, après cette date, les producteurs et importateurs qui n'ont pas enregistré leurs substances ne pourront pas les introduire sur le marché européen.

- L'évaluation par l'ECHA et par les autorités nationales des informations figurant dans les dossiers soumis par les entreprises. Ce sont au total plus de 21 000 substances qui ont été soumises depuis 2008.38

- L'autorisation ou la restriction selon l'évaluation.

Le problème qui ressort de ce règlement se trouve dans le fait de déléguer aux acteurs industriels cette responsabilité de fournir des informations sur les risques chimiques pour l'humain et l'environnement. Les industries sont-elles réellement les mieux placées pour juger objectivement des risques encourus ? Il est à noter par ailleurs que cette implication des industries empêche le fonctionnement du principe de transparence car l'ECHA ne peut révéler ses études protégées par le domaine privé.

? Les réactions de la Commission européenne

La nouvelle Commission Juncker a annoncé en 2015, un projet d'accord interinstitutionnel avec le Parlement européen et le Conseil de l'UE visant la création d'un registre des représentants d'intérêts couvrant les trois institutions. Toutefois, ce registre resterait facultatif. Cette nouvelle Commission a notamment opéré des changements concernant la transparence des fonctionnaires européens : depuis le 1er décembre 2014, les commissaires, membres de leurs cabinets et directeurs généraux doivent publier des informations relatives aux rencontres avec des représentants d'intérêts en précisant les dates, lieux, ainsi que les sujets abordés. Pour être réellement efficace, cette mesure devrait impliquer notamment les entreprises et/ou directeurs généraux qui emploient ces représentants d'intérêts.

Les initiatives en faveur de davantage de transparence au niveau des institutions européennes restent tout de même peu fréquentes, elles se présentent généralement en réponse aux pressions de la société civile. En décembre dernier par exemple, la Commission européenne a

38 REACH registration result since 2008 selon le site de l'ECHA.

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répondu à l'initiative citoyenne européenne élaborée en 2016 à l'heure où les débats autour de la réautorisation du glyphosate dans l'Union européenne ont débuté. Elle a ainsi annoncé des mesures visant à rendre plus transparent le processus d'autorisation, de restriction ou d'interdiction de l'utilisation des pesticides. Sur cette base, la Commission doit présenter incessamment sous peu une proposition législative en vue de renforcer la transparence et la qualité des études utilisées aux fins de l'évaluation scientifique de substances. En attendant, le Parlement européen a mis en place au début de l'année une commission spéciale sur le système de validation des pesticides par les instances européennes.

En outre, tandis que l'UE est accusée par Foodwatch39 de ne pas suffisamment résister aux lobbies et de ne pas appliquer le principe de précaution, la Commission tente de trouver de nouvelles solutions pour faire face aux lobbies de l'industrie qui sèment le doute scientifique. Le Président de la Commission, Jean Claude Juncker, a d'ailleurs décidé de renforcer le code de conduite qui s'impose aux commissaires européens ainsi qu'à lui-même le 1er février 2018. Les changements concernent les délais de carences avant de reprendre une activité professionnelle, allongé de 18 mois à 2 ans pour les commissaires européens et de 3 ans pour le président. En cas de reprise d'activité, ils doivent le signaler à la Commission. A noter que les professions en lien avec le lobbying sont proscrites afin d'éviter tout type de conflit d'intérêts.

La Commission a, par ailleurs, décidé d'interdire aux employées de Monsanto l'accès au Parlement européen en septembre 2017, alors que l'entreprise avait décidé de ne pas se présenter devant l'institution suite à une convocation de cette dernière en lien avec les Monsanto Papers. La multinationale reprochait alors à l'UE de politiser le sujet. Cette interdiction reste toutefois symbolique puisque Monsanto restera présent par le biais des nombreuses organisations professionnelles dont l'entreprise est membre ou de cabinets de conseil qu'elle rémunère pour défendre ses produits.

d) Les préoccupations européennes et internationales

39 Critique faite par la Directrice générale de l'ONG Foodwatch, Karine Jacquemard.

Source : Glyphosate : "L'Union européenne ne résiste pas suffisamment aux lobbies" estime Foodwatch, par France Info, Octobre 2017.

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La difficulté de prise de décision des États membres concernant le renouvellement de la licence du glyphosate traduit clairement le désaccord de ces derniers à ce sujet. Tandis que certains voudraient le voir totalement interdit, comme l'Italie, d'autres souhaiteraient une disparition plus progressive afin de trouver un produit de substitution. Au total, ce sont 18 pays qui ont voté pour, 9 pays qui ont voté contre et un pays s'est abstenu40. Mais le problème va bien au-delà car le désaccord n'est pas seulement entre les États membres eux-mêmes, il est aussi présent à l'intérieur de ces États. D'un côté les agriculteurs militent pour la prolongation de l'homologation du glyphosate, de l'autre, la population est de plus en plus sensible aux risques sanitaires des pesticides.

Il en ressort ainsi que le lobbying qui s'exerce auprès des institutions communautaires est notamment le fait d'intérêts nationaux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une Initiative citoyenne européenne a été lancée pour faire davantage entendre la voix des citoyens européens plutôt que celle des représentants des États membres. Ce texte appelle à l'interdiction du glyphosate mais aussi à des changements dans les procédures européennes d'évaluation scientifique des pesticides. De plus, au-delà de l'échelle européenne, cette crise entraine des conséquences à l'échelle mondiale, notamment en Amérique du sud où Monsanto investit énormément mais également dans tous les continents du globe.

Ainsi nous allons analyser dans un premier temps la position démarquée de trois pays face au vote de renouvellement de la licence du glyphosate : La France car elle s'est fermement opposée dès le début de la crise et jusqu'au vote final à ce renouvellement ; l'Allemagne car elle a fait basculer le vote final en changeant d'avis et le Portugal car il figurait seul dans la liste des abstentions du vote final. Dans un second temps, nous verrons l'impact engendré par la crise à une échelle plus poussée, autrement dit au niveau mondial.

? France

Tout d'abord, la France est le premier pays utilisateur de pesticide au niveau européen et le troisième au niveau mondial, l'agriculture étant fortement dépendante des produits phytosanitaires. Ce sont au total 9 000 tonnes de glyphosate pulvérisées chaque année. Pourtant, l'hexagone faisait partie des pays opposés à la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dix ans la licence du glyphosate. Il s'avère en effet que depuis

40 Cf. Annexe 3

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des décennies, le pays cherche à réduire l'usage des pesticides. En 2008, par exemple, le ministre de l'Agriculture français, Michel Barnier, présentait au gouvernement un plan ambitieux41 visant à réduire de moitié l'usage des pesticides et à introduire un nouveau modèle agricole. Le bilan n'est pas positif : entre 2009 et 2013, l'utilisation de ces produits a augmenté de 5%. Ceci peut s'expliquer en partie par le fait que ce plan soit basé sur un principe de « bonne volonté » et que l'agro-business freine les possibilités de changement et d'évolution.

Concernant le renouvellement du glyphosate, suite au vote de renouvellement de la licence pour cinq ans, Emmanuel Macron avait promis qu'il serait interdit en France dès que des alternatives seraient trouvées, au plus tard dans 3 ans. Les traités européens autorisent en effet les États membres à refuser ou émettre des restrictions quant à la commercialisation de certains pesticides en fonction des circonstances agricoles et environnementales nationales42. La France pourra ainsi bannir l'utilisation sur le sol français en ciblant les produits contenant la substance active et en faisant prévaloir le principe de précaution.

Il est à noter toutefois que l'utilisation du glyphosate en France est partiellement encadrée depuis le 1er janvier 2017 conformément à la loi relative à « la transition énergétique pour la croissance verte ». Ainsi les il est interdit pour les collectivités territoriales, les établissements publics et l'État d'utiliser des produits phytosanitaires pour l'entretien des espaces verts, des forêts, de la voirie ou des lieux publics. Cette loi semble bien reçue par les communes, certaines ayant même décidé d'aller jusqu'à adopter une démarche « zéro phyto ». L'utilisation par les particuliers quant à elle sera interdite à partir du 1er janvier 2019. En effet, cette autre mesure reposera sur l'interdiction de commercialiser et de détenir des produits phytosanitaires à usage non professionnel.

? Allemagne

Le contexte politique allemand fin 2017 n'étant pas favorable en raison d'une division au sein du gouvernement entre la CDU et les sociaux-démocrates du SPD, l'Allemagne n'avait pas

41 Le plan « Ecophyto 2018 » élaboré à la demande de Nicolas Sarkozy.

42 En France, la procédure d'autorisation est menée par l'Anses qui vérifie que les produits soient composés de substances autorisées pour l'usage qui va en être fait. L'organisme contrôle notamment leur efficacité et leur innocuité sur la santé humaine et animale et sur l'environnement. Depuis le 1er juillet 2015, selon les dispositions de la loi d'orientation agricole de 2014, l'Anses est également responsable de la décision de mise sur le marché. (cf. Annexe 1)

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émis d'avis définitif au sujet du glyphosate et s'était jusque-là abstenue au cours des séances de vote. En décembre dernier, elle s'est finalement ralliée à la dernière proposition de la Commission européenne, en imposant toutefois un certain nombre de conditions sur l'usage privé du produit et le respect de la biodiversité. Selon l'eurodéputée Europe Ecologie les Verts, membre de la Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire au Parlement, Michèle Rivasi, le changement de position de l'Allemagne a été déterminant dans ce vote. Ce changement de position n'est sans doute pas sans lien avec la fusion de Monsanto et Bayer, société chimique et pharmaceutique allemande, qui va former un nouveau géant de l'agrochimie. Il se peut également qu'il y ait des raisons politiques derrière ce choix dans la mesure où il y avait précédemment une coalition entre le CDU et le Parti des Verts qui n'est plus d'actualité.

Cependant cette décision a été vivement critiquée au sein même du gouvernement allemand. La ministre de l'environnement Barbara Hendrick, qui s'était entretenue avant le vote avec son collègue ministre de l'agriculture Christian Schmidt, accusait ce dernier de ne pas avoir respecté la décision qu'ils avaient convenue au préalable, à savoir une nouvelle abstention de la part de l'Allemagne.

? Portugal

Le Portugal, qui représente 2,02% de la population européenne, avait maintenu une position de réserve en s'abstenant lors des votes sur la réautorisation du glyphosate, à l'instar de l'Allemagne. Le Ministre de l'Agriculture portugais a cependant interdit l'usage de la substance dans les espaces publics, notamment les espaces liées à l'alimentation.

Toutefois, le pays n'échappe pas au désordre populaire engendré par le débat sur le glyphosate. Le Parti Vert portugais (PEV) a déclaré ne pas soutenir le choix d'abstention du gouvernement. Quant à l'Association nationale de l'industrie pour la protection des plantes (Anipla) qui défend l'usage du glyphosate, la position neutre du Portugal est « préoccupante et injuste pour l'ensemble du secteur agricole portugais »43.

? Préoccupation internationale

43 D'après un tweet de Remo Hess, correspondant suisse à Bruxelles. Ce dernier a également comptabilisé sur Twitter les pays ayant voté pour et les pays ayant voté contre.

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Par ailleurs, si ce débat européen a pris une envergure mondiale, ce n'est pas sans raison. Le commerce international s'en est retrouvé menacé, c'est pourquoi le renouvellement de l'autorisation du glyphosate en Europe est suivi de près par l'ensemble des puissances agricoles du monde. Effectivement, le bannissement de cette substance active qui, pour rappel, est le principal actif de l'herbicide le plus utilisé au monde, aurait un impact conséquent pour les grands exportateurs de matières premières agricoles. C'est la raison pour laquelle le Brésil, l'Argentine, le Canada, le Chili, la Nouvelle Zélande ou encore l'Australie ont interpellé Bruxelles pour faire part de leur inquiétude44. Le Ministre de l'agriculture argentin est même allé jusqu'à s'adresser directement aux commissaires européens à l'Agriculture et à la santé pour partager ses craintes concernant les exportations de soja.

Pourtant ces pays sont parmi les plus affectés par les effets négatifs des pesticides et par les pratiques douteuses de Monsanto. En effet, ne bénéficiant pas d'un climat adapté à l'agriculture, ces pays favorisent les plantations génétiquement modifiées qu'ils abreuvent d'engrais chimiques et de pesticides toxiques. Par ailleurs, entre 2010 et 2011, Monsanto a apporté son soutien financier à certains pays comme le Brésil, l'Indonésie, le Mexique, le Kenya, le Paraguay. La question est de savoir si la multinationale a versé ces fonds par solidarité ou pour profiter de la défiscalisation qui en découlait. La réponse penche sans doute davantage vers la deuxième option. En 2012, Monsanto a été suspendue à deux reprises du Registre national argentin des Céréales car cette dernière ne payait pas les taxes nationales. En outre, l'entreprise avait déclaré verser des sommes d'argent fictives à des sociétés installées dans des paradis fiscaux (Monsanto Panama, Monsanto Bermudes) dans le but de payer moins d'impôts sur ses bénéfices45. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres machinations opérées par Monsanto pour préserver ses bénéfices.

Par ailleurs, les nouveaux accords de libre-échange en cours de finalisation comme l'Accord de commerce entre l'Union européenne et le Canada (CETA) se sont trouvés freinés par le sujet. Le CETA vise à harmoniser les normes sanitaires, sociales et environnementales des parties prenantes et à soumettre au préalable les différents projets aux autorités de

44 MARKS Simon, PARAVICINI Giulia, Fears grow that EU glyphosate ban could disrupt global trade, Politico, Octobre 2017.

45 NOISETTE Christophe, OGM en Argentine : l'enfer du décor, Inf'OGM, Décembre 2014

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réglementations. Cependant il n'apporte aucune garantie spécifique en matière de respect du principe de précaution. Les pays signataires de cet accord se sont engagés pour que les évaluations soient fondées sur des preuves scientifiques et qu'elles ne soient pas maintenues sans preuves scientifiques suffisantes. Dans le cas du glyphosate, nombreuses sont les preuves scientifiques garantissant que la substance n'est pas dangereuse. Ainsi, puisque l'interdiction pure et simple du glyphosate relève des compétences communautaires, si l'un des États membres prend une telle décision, il donnera la possibilité aux investisseurs canadiens de les poursuivre pour exiger des compensations à hauteur du manque à gagner estimé. Le Canada est d'ailleurs déjà sur la défensive, accusant l'Italie d'utiliser le dossier du glyphosate à des fins de protectionnisme. Utilisant le blé canadien pour la fabrication des pâtes, l'Italie est le premier importateur du Canada, donc son plus gros client. En somme, en vue des conséquences majeures d'une interdiction éventuelle du glyphosate dans l'un des États membres, notamment sous les accords de libre-échange en cours, peu de pays sont susceptibles de s'engager dans cette voie.

III. Les autres secteurs du lobbying

L'Union européenne oriente l'évolution des industries européennes dans divers secteurs avec la mise en place de taxes, d'impôts, de la concurrence, de standards européens qui peuvent s'avérer être une source de contrainte ou entrainer une baisse de chiffre d'affaires. C'est pourquoi, dans chaque secteur, des milliers de lobbyistes sont engagés pour influer sur les décisions européennes.

Les plus grandes firmes globales de relations publiques oeuvrent en effet pour des multinationales de différents secteurs. Par exemple, Fleishman Hillard, possédant un réseau de 111 bureaux dans le monde, compte parmi ses clients plusieurs géants du secteur bancaire dont BNP Paribas, du secteur pétrolier, dont Total, du secteur de l'agroalimentaire, dont Monsanto, du secteur agro-alimentaire. Au niveau européen, on peut citer BusinessEurope, la plus grande confédération des entreprises européennes, implantée dans 34 pays européens. Elle représente une quarantaine d'organisations et d'entreprises nationales qui sont elles-mêmes des lobbies et des entreprises privées telles que Bayer, BMW, BP, Google, Microsoft, Total, Shell, Volkswagen... D'après le CEO, certaines positions adoptées par l'Union européenne (concernant les échanges commerciaux, la politique industrielle, la politique

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numérique et la protection des données, la politique énergétique...) ressemblent très souvent à des documents d'orientation politique émanant de BusinessEurope, ce qui démontre l'influence importante du groupe à l'échelle européenne. Ainsi les négociations TTIP, TAFTA, CETA se sont menées avec BusinessEurope à la table des législateurs.

Il est par ailleurs intéressant de noter que certaines grandes rencontres organisées par BusinessEurope, telle que la grande messe annuelle avec la Commission européenne, se déroulent dans des lieux institutionnels, le cas échéant il s'agissait du siège de la Commission, au Berlaymont. C'est encore là une preuve de l'omniprésence des lobbies dans le milieu institutionnel européen. Il reste à vérifier si dans les faits, les commissaires, tenus de chercher à trouver un équilibre et une représentativité adaptés dans leur rencontre avec les différentes parties prenantes, respectent cet engagement.

Parmi les plus importants lobbyistes européens, sont fortement représentés à Bruxelles les secteurs de la pharmacie, de l'énergie, de la finance et de la banque, du tabac, de la défense. Chacun de ces secteurs a traversé ou traverse actuellement une crise comparable à celle du secteur de l'agroalimentaire que nous avons étudié : le secteur pharmaceutique s'est vu menacé par les scandales sanitaires et les scandales liés aux médicaments ; le secteur de l'énergie a dû affronter les crises du pétrole, du nucléaire et des énergies renouvelables ; le secteur de la banque a dû faire face à la fameuse crise financière de 2008 ; le secteur du tabac a traversé diverses crises, dont la plus récente est celle du « Filtergate » ; enfin le secteur de la défense se développe avec la crise liée au terrorisme. Voyons à présent, si les stratégies employées dans ces autres secteurs diffèrent de celles opérées par Monsanto.

a) Le secteur pharmaceutique

La réglementation sanitaire est l'une des plus délicates car elle concerne notre santé et notre survie. Pourtant les industriels n'hésitent pas à faire prévaloir leurs intérêts privés. En effet, les firmes pharmaceutiques ne lésinent pas sur les moyens humains et financiers quand il s'agit d'influencer les décisions européennes. En 2014, leurs dépenses en lobbying se sont élevées à 40 millions d'euros46. L'industrie pharmaceutique n'est toutefois pas la seule à agir :

46 DE VULPILLIERES Eléonore, Lobbies pharmaceutiques et Commission européenne : l'amour fou, Le Figaro, Septembre 2015

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toute la chaine du médicament, de la production des molécules à la commercialisation fait l'objet d'un lobbying important à Bruxelles pour améliorer sa rentabilité.

La menace pesant sur le secteur pharmaceutique depuis l'entrée des brevets principaux dans le domaine public, la concurrence des médicaments génériques, les évolutions technologiques et l'épuisement de la pharmacie traditionnelle, ont d'ailleurs contribué à renforcer ce lobbying. Pour faire face aux dangers grandissants, les lobbies employés dans ce secteur ont mis en place une stratégie redoutable consistant à s'infiltrer à tous les niveaux du système public de santé, leurs contacts privilégiés étant les médecins. On peut par exemple citer l'industrie Big Pharma qui finance à elle seule l'OMS, la formation continue des médecins après l'obtention de leur diplôme, l'ANSM soit l'organisme sensé vérifier l'efficacité des médicaments en France, les universités, les revues médicales, etc.47 Cette omniprésence intègre en outre la stratégie des portes tournantes, impliquant des allers retours entre l'industrie pharmaceutique et les organismes d'autorité publique.

A travers ce large spectre d'influence, certaines grandes firmes auraient été jusqu'à inventer des maladies à soigner pour relancer l'industrie pharmaceutique. Dans cette même stratégie, les industries mettent en oeuvre les moyens nécessaires pour conserver une image de sauveur de l'humanité en finançant des fondations, des associations humanitaires, des ONG par exemple. En réalité, elles s'appuient sur ces organismes publics pour faire pression sur les décideurs publics et la société civile.

Selon Claire Séverac, il existerait même un complot mondial entre le secteur pharmaceutique et le secteur agroalimentaire. En effet, les industries de l'agroalimentaire qui fabriquent des engrais et pesticides se déversant sur nos sols participent à la détérioration de la santé de la population à travers ces produits chimiques. La santé humaine étant menacée, l'industrie pharmaceutique peut ainsi produire et commercialiser des médicaments. L'auteur dénonce également le fait que les acteurs provenant de l'industrie agroalimentaire sont parfois les mêmes acteurs que ceux de l'industrie pharmaceutique.

b) Le secteur de l'énergie

47 SEVERAC Claire, Complot Mondial contre la santé, Edition Elie & Mado, 2010

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Alors que l'UE s'est fixée comme objectif d'assurer l'approvisionnement énergétique du continent, de maintenir des prix abordables et de réduire la consommation d'énergie, les lobbies tentent de faire prévaloir les intérêts privés des entreprises qu'ils défendent. Si aujourd'hui la question énergétique se trouve à la tête de l'agenda européen, cela s'explique par l'urgence de la situation. Et c'est dans cette urgence que l'on voit se multiplier des sommets et rencontres afin de trouver des solutions face aux enjeux actuels, auxquels les lobbies de l'industrie de l'énergie tentent de participer à tout prix. Durant les dernières années, les quelques milliers de lobbyistes de l'industrie gazière ont multiplié les rendez-vous auprès des commissaires européens du secteur de l'énergie pour les convaincre de privilégier l'énergie fossile et de financer les grandes infrastructures pour irriguer l'Europe. L'entreprise Total quant à elle, a dépensé plus de 2,5 millions d'euros de frais de lobbying et agit directement auprès de la Commission européenne. Les lobbies sont parvenus, à travers ces liens instaurés au niveau institutionnel, à faire valoir leurs positions au plus haut niveau. Face à leurs moyens déployés, les ONG telles que le CEO, les Amis de la Terre ou Attac France sont désemparées.

En outre, la réalité géopolitique oblige l'UE à penser à des moyens de réduire la dépendance énergétique à l'égard de la Russie. Le déploiement d'infrastructures gazières semble être la solution choisie par l'UE sous l'influence des lobbies, pour remédier à cela en vue des nombreux projets mis en place tels que le projet MidCat reliant l'Espagne et la France ou encore le projet Galsi reliant l'Algérie à l'Italie.

Par ailleurs, le secteur de l'énergie n'échappe pas à la stratégie des « portes tournantes ». Selon un document intitulé « Revolving doors and the fossil fuel industry »48, publié par le groupe politique parlementaire des Verts : à travers 13 pays étudiés, 88 cas de « portes tournantes » ont été recensés. Pour n'en prendre qu'un exemple, en 2005, l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder a été embauché par le géant russe Gazprom pour conduire le projet du gazoduc Nord Stream. Il est difficile de mesurer l'impact des portes tournantes sur les politiques européennes, mais il est toutefois nécessaire de les réguler et les encadrer. C'est d'ailleurs ce que réclame le groupe politique des Verts : un code de bonne conduite renforcé applicable à tous les décideurs publics qui obligerait ces derniers à présenter le détail de leurs fonctions passées dans le privé.

48 The Greens/EFA Group in the European Parliament, Revolving Doors and the Fossil Fuel Industry: Time to tackle conflicts of interest in climate policy-making, Mai 2018

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c) Le secteur de la banque et de la finance

Les lobbies bancaires et financiers sont parmi les plus influents49 : l'Union européenne à sa création était une communauté avant tout économique. Selon le CEO, plus de 700 entités employant plus de 1700 lobbyistes représentent le secteur de la finance à Bruxelles pour des dépenses allant jusqu'à 120 millions d'euros par an50. S'il s'agit de l'un des plus puissants lobbies, il s'agit aussi de l'un des plus critiqués par les ONG qui les accusent de ne pas figurer dans le registre de transparence de l'UE ou de déclarer des chiffres erronés dans ce dernier. Pourtant, selon les règles européennes en vigueur depuis le 1er décembre 2014, les rencontres entre sociétés et hauts fonctionnaires européens ne sont autorisées que si les sociétés en question sont inscrites dans le registre. Cette règle a contraint les lobbies à faire preuve de plus de transparence.

Dans ce secteur, l'une des stratégies courantes est de s'ingérer dans les groupes consultatifs qui conseillent la Banque centrale européenne. La BCE a besoin d'une expertise externe pour mener à bien la politique monétaire de l'UE, c'est pourquoi 22 groupes consultatifs sont chargés de fournir des conseils et des recommandations aux décideurs de la BCE. Selon Wikistrike, sur 517 sièges disponibles dans les groupes, 508 ont été affectés à des représentants d'institutions financières privées, soit plus de 98% des sièges. La question de l'acceptabilité de l'ingérence des industriels dans les institutions européennes se retrouve au-devant de la scène une nouvelle fois. Le CEO a d'ailleurs demandé à la Commission des affaires économiques et monétaires de mettre en place des règles sur la composition et le travail des groupes consultatifs.

Par ailleurs, on retrouve dans ce secteur, l'usage répétitif des portes tournantes. L'ancien président de la Commission européenne, Manuel Barroso, a été recruté en 2016 par la banque Goldman Sachs, la plus grande banque d'investissement au monde, après la période des 18 mois imposés par le code de conduite des commissaires européens. Son rôle est de conseiller la banque d'affaires américaine dans la mise en oeuvre du Brexit. Si cette décision a été

49 Cf. Annexe 4

50 The Fire Power of the Financial Lobby, Survey of the Size of the Financial Lobby at the EU Level, Corporte Europe Observatory, Avril 2014

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fortement critiquée, c'est surtout en raison du fait que Goldman Sachs était l'un des établissement phares responsables de la crise des subprimes ou encore qu'elle ait aidé la Grèce à cacher ses comptes publics au début des années 2000. Certains fonctionnaires européens ont d'ailleurs lancé une pétition de protestation qui a recueilli plus de 150 000 signatures. De nombreuses ONG accusent en outre l'ancien président de ne pas avoir respecté le code de conduite des commissaires européens. La médiatrice européenne, Emily O'Reilly, s'est saisie de l'affaire ainsi que le Comité d'éthique de l'exécutif européen qui a finalement conclu que M. Barroso n'avait pas violé les règles en vigueur. Par le passé, d'autres responsables européens comme Mario Draghi51 ou Peter Sutherland52, avaient déjà travaillé chez Goldman Sachs avant ou après leur prise de fonction dans l'UE.

d) Le secteur du tabac

L'influence du lobby de l'industrie du tabac auprès des institutions européennes est très controversée. Il n'en est pas moins l'un des plus puissants. Alors que ce marché représentait en 2011 un chiffre d'affaires de 742 milliards de dollars, ce sont au total six millions de victimes chaque année dans le monde des conséquences de la consommation de tabac ou du tabagisme passif d'après l'OMS53. S'il emprunte les mêmes codes que les autres secteurs, ce lobby est un cas à part car la dangerosité du tabac sur la santé humaine n'est un secret pour personne. Pourtant, l'industrie du tabac a longtemps délibérément caché certaines informations dans le but de protéger ses rendements.

Diverses pratiques ont été menées par l'industrie du tabac, relativement similaires à celles de Monsanto qui s'en est vraisemblablement inspirée. En effet, l'industrie, avec l'aide de ses lobbies, s'est organisée pour semer le doute sur la nocivité du tabac en rémunérant des scientifiques influents pour publier des rapports réfutant les recherches et découvertes d'experts reconnus. Elle s'est de cette manière attaquée à l'EPA (organisme de protection de l'environnement américain) ou encore l'OMS (Office Mondiale de la Santé). En vue de la

51 Économiste, banquier italien et 3ème président de la Banque centrale européenne depuis novembre 2011. Il a été entre 2002 et 2005 vice-président pour l'Europe de Goldman Sachs.

52 Homme politique et d'affaire irlandais, commissaire européen à la concurrence entre 1985 et 1989, président de Goldman Sachs International entre 2005 et 2015.

53 GUERNE-HAMEAU Katia, NIELSEN Elise, SENOUCI Hacène, TONI Daniel, ESSEC School, Analyse des pratiques de Guerre de l'information utilisées par l'industrie du tabac pour assurer sa survie et sa pérennitéì , Février 2013

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difficulté de défendre cette cause, les industriels ont finalement opté pour un changement de stratégie : Philip Morris a ainsi tenté de convaincre la République Tchèque, en 1998, de ne pas suivre la législation de l'Union européenne avec une étude prouvant que les décès précoces de fumeurs permettaient une économie de plus de 17 millions d'euros à l'État sur les retraites, les dépenses sociales, les logements, etc. Par ailleurs, les industriels se sont lancés dans des initiatives pour garantir leur responsabilité sociétale et se sont érigées en donateur auprès d'oeuvres caritatives afin exercer des pressions indirectement. Toutes ces méthodes visent au même résultat : délégitimer les lois anti-tabac et renforcer une image de gardien de la liberté de choix des consommateurs.

Face à l'influence colossale de l'industrie du tabac, l'Union européenne tente de poser des réglementations. En 2002, le Parlement européen a voté pour l'interdiction partielle de la publicité du tabac. En outre, une directive européenne adoptée en 2014 54 , devant être transposée dans les législations au plus tard en mai 2016, établit des règles sur la fabrication, la présentation et la vente du tabac et des produits dérivés. Cependant, certains États membres se sont vu freinés dans la mise en oeuvre de telles mesures par l'action des lobbies au niveau national. Ces derniers se positionnent alors en victime face aux gouvernements qui tentent de limiter la consommation du tabac à travers l'augmentation de taxes sur les produits. Ils mettent alors le doute sur la cohérence des législations à travers une guerre de l'information ou s'adonnent à des pratiques de corruption. C'est ainsi qu'en 2012, selon une enquête menée par l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), le Commissaire à la santé de l'époque, John Dalli était prêt à affaiblir la directive sur le tabac en échange de 60 millions d'euros55. Ce scandale est plus connu sous le nom de « Dalligate ».

En outre, les preuves sont de plus en plus nombreuses concernant l'implication de l'industrie du tabac dans le trafic illégal. Mais il s'avère que ce commerce illicite fait partie de la stratégie commerciale de l'industrie du tabac pour s'implanter sur des nouveaux marchés. Cette contrebande représente une perte énorme pour l'Union européenne et elle alimente les flux internationaux qui contribuent au financement du terrorisme. La question d'une

54 Directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes.

55 KNAEBEL Rachel, A Bruxelles, les lobbies ne jouent pas tous dans la même cour, Alternatives Economiques Février 2017

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traçabilité indépendante est en cours au niveau européen pour régler ce problème depuis septembre 2017.

e) Le secteur de la défense et de la sécurité

Alors que le lobbying européen de l'industrie de la défense a concouru à la création de structures opérationnelles et institutionnelles visant à construire peu à peu une Europe de la Défense, il a notamment contribué à se créer un solide réseau d'influence lui permettant aujourd'hui d'influer sur les décisions relatives à la politique de sécurité extérieure de l'Europe. A partir de 2008, le poids des groupes d'intérêts du secteur de la défense s'est accentué avec la mise en place une Politique étrangère de sécurité commune par le Traité de Lisbonne, élargissant le cadre d'action extérieure de l'Union européenne.

Aujourd'hui, les lobbies de l'industrie de la défense partent à la conquête de l'Europe avec l'annonce récente de la création d'un fonds européen de la défense. Alors qu'il y a quelques années, cela aurait paru scandaleux, l'industrie de l'armement devient acceptable aujourd'hui grâce au travail d'influence exercé par les lobbies et au contexte international. En effet, les lobbies ont su utiliser l'argument de la sécurité intérieure et de la protection des frontières au bon moment car il allait de pair avec la menace grandissante du terrorisme. Un véritable changement de mentalité s'est opéré en quelques années seulement car le terrorisme engendre une crainte de la population qui souhaite voir des mesures prises pour lutter contre ce phénomène aussi bien au niveau national qu'au niveau européen. Entre 2012 et 2017, le budget du lobbying des dix plus grandes entreprises d'armement en Europe, dont Safran, Thales, Naval Group ou Airbus, a doublé pour atteindre 5,6 millions d'euros56 (ce chiffre ne couvrant que les dépenses déclarées dans le registre). En outre, les salons de l'armement se font de plus en plus nombreux, les conférences se sont multipliées à ce sujet.

A l'instar de certains autres secteurs, le secteur de la défense est un grand bénéficiaire de fonds européens. Dans le cadre du programme de financement de l'innovation et de la recherche Horizon 2020 par exemple, les géants français comme Airbus, Safran, Dassault et Thalès touchent des dizaines de millions d'euros. Ces fonds dont bénéficient les industries

56 SIMPERE Anne Sophie, Comment l'Europe s'apprête à déverser des milliards d'argent public en faveur des industries de l'armement, L'Observatoire des multinationales, Avril 2018

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leur permettent notamment de financer leur lobbying. Avec la création du nouveau fonds européen pour la défense, il est vraisemblable qu'une nouvelle vague de lobbies va apparaître à Bruxelles pour défendre ce secteur en plein essor. D'ailleurs, la feuille de route pour le lancement des premiers fonds pour la défense a été inspirée du rapport d'un groupe de personnalité créé en 2015, dans lequel on trouvait parmi les membres, des représentants d'industries de l'armement ainsi que des membres d'instituts de recherche privés. La Commission a notamment rencontré à plusieurs reprises les entreprises d'armement pour élaborer le plan d'action préparatoire. Cela prouve que les lobbies de l'armement sont déjà bel et bien impliqués dans les différentes étapes du processus.

f) Les convergences et divergences de pratiques de lobbying selon les secteurs

Selon la littérature contemporaine sur les phénomènes de lobbies, on peut voir plusieurs stratégies similaires ressortir entre les différents secteurs. Afin de représenter de manière plus compréhensible les similarités et différences de pratiques, voici un tableau élaboré en fonction des recherches menées dans cette troisième partie.

SECTEUR

Stratégie
traditionnelle

Stratégie des
portes
tournantes

Stratégie

d'influence

(corruption)

Stratégie de
communication/
marketing

Stratégie

d'ingérence

dans les études
scientifiques

Stratégie de
décrédibilisation

Stratégie de
rachat

AGROALIMEN-
TAIRE

?

?

?

?

?

?

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PHARMACEU-
TIQUE

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ENERGIE

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BANQUE -
FINANCE

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TABAC

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DEFENSE

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CONSIDERATIONS :

D'une manière générale et dans chaque secteur, les lobbies travaillant pour le compte d'intérêts privés ont tous un budget gigantesque pour mener à bien leur travail d'influence, dépassant les millions d'euros à l'année. Grâce à ces capacités financières importantes, ils dépassent largement la représentation des groupes de citoyens et représentants d'intérêt général et peuvent faire prévaloir leurs intérêts privés. La palette d'action de ces lobbies industriels est par ailleurs extrêmement riche et leurs permet de façonner la législation européenne au quotidien.

Il est toutefois préoccupant de constater que les secteurs les plus offensifs dans leurs pratiques semblent être les secteurs liés à la santé : agroalimentaire, pharmaceutique, tabac. Ils figurent par ailleurs parmi les plus puissants. Les industries dans ces secteurs sont en effet prêtes à élaborer des stratégies redoutables pour influencer des décisions susceptibles de mettre en danger la santé et le bien-être de la population : désinformation, manipulation, chantage, trafic d'influence... L'ordre des priorités semble bouleversé.

Finalement, si l'on s'attelait à dresser une stratégie globale et commune à chacun de ces secteurs, les critères de l'omniprésence, de la capacité de persuasion et de l'argent seraient les principaux facteurs d'influence. Les recherches effectuées démontrent par ailleurs que les industries les plus voraces, les plus présentes, prêtes à tout pour maximiser leurs rendements, sont les plus puissantes et les plus influentes auprès de l'Union européenne. Leur souhait ne s'arrête pas à la simple défense de leurs intérêts, elles désirent obtenir une influence à la fois sur les autorités publiques et sur l'opinion publique pour s'assurer du soutien de l'opinion publique à laquelle les décideurs sont souvent attentifs.

49

`

50

MISE EN PERSPECTIVES

La crise de l'affaire du glyphosate a eu pour principale conséquence de remettre en cause le droit fondamental de sécurité alimentaire et la capacité des États membres et de l'Union européenne à assurer la protection des citoyens européens. A travers ce mémoire, il est possible de comprendre que l'Union européenne, qui régule le marché unique, n'est pas un acteur indépendant. Les forces externes qui influent sur les normes et les décisions européennes sont pourtant bel et bien présentes et importantes, aussi bien en nombre qu'en degré d'influence : on parle bien sûr des lobbies. On ne peut reprocher aux lobbyistes d'effectuer ce travail pour lequel ils sont rémunérés, cependant le point préoccupant dans cette influence exercée sur les règles, les lois, les directives européennes se rapporte au fait qu'il vise avant tout à s'assouvir l'intérêt de leurs membres et non l'intérêt des 500 millions de citoyens européens.

On décèle en effet une forte remise en cause de la démocratie représentative tout au long de ce mémoire. Les institutions européennes ont été créées pour permettre l'expression des attentes particulières et collectives. En ce sens, les entreprises doivent pouvoir également exprimer leurs voix. Il existe d'ailleurs des institutions économiques telles que le MEDEF, le Conseil économique, social et environnemental, dont le rôle est de faire entendre les revendications des entreprises. Ce sont les canaux officiels de retranscription des intérêts des entreprises. A partir du moment où les intérêts privés sont représentés par d'autres groupes privés, à savoir les lobbies, on sort des canaux officiels de représentation des intérêts. Les méthodes utilisées sont différentes et tendent à rendre les actions de lobbying illégitimes.

En outre, l'étude de cas de l'affaire du glyphosate menée dans le cadre de ce travail de recherche, met en évidence le fait que les industries, grâce à leurs moyens financiers, humains et leur capacité d'influence, sont invincibles. Monsanto illustre en effet parfaitement ce phénomène. Les différentes stratégies douteuses utilisées par la firme montrent la nécessité pour l'UE de favoriser la transparence afin de diminuer les cas de corruption et trafics d'influence. En parallèle, il est essentiel de renforcer les règles de procédure exigées pour les lobbyistes et les fonctionnaires européens et de mettre en place une vérification plus poussée de leur application, avec la création par exemple d'un organisme indépendant spécialisé en la matière.

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En somme, l'étude du lobbying faite dans ce mémoire retranscrit clairement une nécessité de transparence, de lutte contre la corruption, de défense et de protection de la démocratie.

CONSIDERATIONS RECENTES :

L'évolution à venir n'est toutefois pas des plus rassurantes. Le 21 mars 2018, la Commission européenne a accepté, sous condition, le projet de rachat de Monsanto par le groupe allemand Bayer pour 63 milliards de dollars, qui deviendra alors son seul actionnaire. Alors que cette société non épargnée par les scandales notamment sur les pilules contraceptives, l'aspirine et autres produits pharmaceutiques, multiplie les points de ressemblance avec Monsanto, il s'avère évident qu'il s'agit ici d'une refonte stratégique. La fusion entre ces deux géants controversés donne naissance à un géant de l'agrochimie qui contrôlera un tiers du marché des semences, des engrais et des pesticides. C'est un leader mondial absolu qui voit le jour. Alors que Bayer a décidé de faire disparaître le nom « Monsanto », entaché par de nombreuses controverses, les produits de la firme seront vendus à l'identique, notamment le fameux RoundUp, dont le principal actif est le glyphosate. Il semblerait ainsi que ce rachat soit une stratégie réfléchie permettant à Monsanto de repartir sur un nouveau départ avec les mêmes produits, sans les scandales qui leurs sont liés. Alors que les différentes recherches menées au cours de ce mémoire ont montré que les grandes entreprises étaient capables de dicter les règles du marché aux consommateurs et aux institutions supranationales, cette émergence des oligopoles ou des monopoles ne fera vraisemblablement pas évoluer la situation.

En outre, récemment, les préoccupations autour du glyphosate se sont intensifiées. Alors que l'Union européenne a décidé d'interdire, en avril dernier, trois pesticides néonicotinoïdes pour les cultures en plein air, les apiculteurs et défenseurs de la biodiversité en réclament davantage. En effet, suite à la découverte de traces de glyphosates dans le miel, un syndicat agricole français a décidé de porter plainte contre Monsanto pour « administration de substances nuisibles »57. Ce sont quelques 900 kilos de miel qui ont été détruits suite à cette découverte, une perte considérable pour l'industrie française de l'apiculture qui est déjà relativement sinistrée par l'épandage de substances chimiques. A titre d'exemple, en 20 ans

57 TOMASOVITCH Geoffroy, Glyphosate dans du miel : des apiculteurs portent plainte contre Monsanto, Le Parisien, Juin 2018

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seulement, la production de miel a été divisée par trois58. Les défenseurs de la biodiversité espèrent alors qu'une enquête sera ouverte afin de déterminer le taux de glyphosate retrouvé dans ce miel et si cette contamination s'avère dangereuse pour la santé des consommateurs. Ces incidents ont mené à plusieurs manifestations dans le pays afin de réclamer des aides exceptionnelles et un environnement plus favorable aux abeilles. Malgré ces protestations, la situation du pays ne semble pas beaucoup évoluer. Alors qu'Emmanuel Macron promettait d'interdire le glyphosate en France dans les trois années à venir, les amendements proposés au Parlement n'ont pas l'unanimité le 29 mai dernier. L'un des derniers amendements prévoyant une échéance au 1er mai 2021 avec des dérogations possibles jusqu'en 2023 a été repoussé, tout comme l'amendement voté le 29 mai 2018, visant à inscrire dans la loi la sortie du glyphosate en 2021.

SCENARIOS ENVISAGEABLES :

Certains scénarios peuvent être envisagés à propos de l'évolution du cadre légal autour du glyphosate.

? Scénario 1 : Une interdiction du glyphosate dans 5 ans

Les enjeux ici concernent l'avenir de l'agriculture reposant actuellement sur l'utilisation de cette substance chimique et l'émergence d'un nouveau système de production alternatif. Les pays de l'UE doivent trouver des solutions pour remplacer l'herbicide RoundUp en respectant les attentes des agriculteurs et des consommateurs. Parmi les alternatives envisageables, la plus communément mentionnée est la technique du labour consistant à retourner la terre au tracteur pour enlever les mauvaises herbes. Les agriculteurs sont très réticents face à cette technique qu'ils qualifient de désavantageuse en raison de l'utilisation de carburant, impliquant une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et de l'érosion des sols. La seconde alternative reposerait sur la viticulture et la culture sous terre, autrement dit le bio contrôle. Cette pratique moderne repose sur le recours à un ensemble de mécanismes naturels de protection des végétaux. Le frein ici se trouve dans le coût élevé et les incertitudes liées au rendement.

? Scénario 2 : Une interdiction du glyphosate dans 3 ans en France

Alors qu'aucune alternative au glyphosate n'a été trouvée pour le moment, son interdiction dans trois ans semble compromise, si l'on prend en compte le fait que dix années sont

58 GOLLA Mathilde, La production de miel français à l'arrêt, Le Figaro, Octobre 2017

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nécessaires pour mettre au point un produit phytosanitaire ou pharmaceutique, de sa conception à son autorisation de mise sur le marché. Le président français, conscient de la difficulté de tenir sa promesse, a d'ailleurs intégré une dérogation à cette interdiction dans trois ans, dans le cas où il n'y aurait pas d'alternative pour les agriculteurs.

Plusieurs critères sont à prendre en compte dans ce scénario et le premier concerne le fait que la France est un pays importateur. Ainsi va-t-elle stopper l'importation de produits contenant du glyphosate au détriment de l'économie française et des relations avec ses fournisseurs étrangers ? Va-t-elle envisager des réglementations sur les importations ?

Les représentants nationaux des entreprises françaises du secteur de l'agroalimentaire vont pouvoir se saisir de ce contexte pour tenter de limiter l'importation de produits étrangers et mettre en avant leurs produits locaux. Les citoyens vont également jouer un rôle dans ce scénario car leur voix va permettre de faire pencher la décision : les consommateurs sont-ils prêts à consommer davantage de produits locaux et à renoncer à certains produits importés ? Cependant, un nouveau critère entre en compte ici : celui de la hausse des prix liés à l'abandon du glyphosate. Les enjeux ici sont donc avant tout sociaux et économiques dans une crise à la fois environnementale et économique.

Cette recherche a mobilisé l'attention autour de la problématique sur le glyphosate et les nombreux lobbies prêts à agir pour faire évoluer les décisions dans leur sens. Toutefois, quelques questions restent en suspens :

- Quel est l'avenir du glyphosate et de la sécurité alimentaire en France ? dans l'Union européenne ?

- Quelles sont les conséquences économiques, environnementales et sociales d'une interdiction totale du glyphosate ?

- Pouvons-nous réellement nous reposer sur les structures européennes indépendantes chargées d'évaluer les substances chimiques ?

- L'influence des groupes d'intérêts va-t-elle se poursuivre dans cette évolution croissance ?

- Les institutions européennes vont elle renforcer l'encadrement du lobbying et les codes d'éthique des fonctionnaires européens ?

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote