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Les opérations d'aménagement olympique : intéret général ou intérêt de classe ? le cas de la complétude de l'échangeur Pleyel en vue des jeux olympiques de Paris en 2024


par Aristide Miguel
Université Sorbonne Paris Nord - Master 1 Politiques Publiques et Territoire 2021
  

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Partie 1 : L'intérêt général territorialisé

Section 1 : Vers une définition de l'intérêt général territorialisé

A la genèse de l'intérêt général territorialisé

Comme expliqué par Jean-Eudes Beuret, l'intérêt général territorialisé est né d'une opposition dans laquelle des intérêts environnementaux se confrontaient à des projets économiques. Mais cette territorialisation ne met pas nécessairement en exergue une dichotomie entre des velléités environnementales et velléités économiques92. Elle révèle aussi des manières différentes de concevoir l'intérêt général au sein d'une échelle territoriale donnée.

L'exemple qui suit va nous permettre de mieux saisir le concept évoqué: imaginons que sur un territoire donné, la volonté d'un groupe d'individus s'articule autour de la défense d'une espèce animale - quelconque, dans ce même territoire, la volonté d'un autre groupe d'individus viserait, quant à elle, à préserver le territoire en question. De fait, les différentes conceptions de l'intérêt général au sein de même territoire crée une opposition qui réside dans l'idée, soit, de préserver une espèce au détriment du territoire, soit, de préserver le territoire au détriment d'une espèce. Mais cet exemple n'est qu'une approche permettant de saisir le concept de l'intérêt général territorialisé.

L'intérêt général territorialisé est ainsi défini comme étant « (... ) un compromis entre des intérêts généraux et des intérêts territoriaux représentés au sein du territoire (...) construit via des processus visant l'adaptation, l'ajustement de l'intérêt général aux enjeux territoriaux ».

Alors que l'intérêt général constitue en partie le discours des élus, différentes observations ont permis de relever que l'intérêt général qu'ils défendent diffère parfois des perceptions que l'on peut en avoir à différentes échelles du territoire.

92 Beuret, Jean-Eudes. "La confiance est-elle négociable? La construction d'un intérêt général territorialisé pour l'acceptation des parcs éoliens offshore de Saint Brieuc et Saint Nazaire." Géographie, économie, société 18.3 (2016): 335-358.

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Lascoumes et Le Bourhis avaient déjà évoqué l'idée d'un « bien commun territorial »93. En effet, ces derniers nous expliquent que la confrontation des modèles d'actions par les différentes parties d'un territoire tend à faire émerger une conception territoriale de l'intérêt général dans laquelle « (...) la prise en compte des intérêts supra-territoriaux reste peu considérée (...) ». Les élus se retrouvent alors, soit, porteurs d'un intérêt général national, soit, porteurs d'un intérêt général à une échelle territoriale moindre.

Mais cette question de territorialisation de l'intérêt général est sous-jacente à la question de la légitimité de l'action publique, et plus encore, à la légitimité des définitions imputées à l'intérêt général.

En effet, Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et Hélène Rey-Valette ont pris comme exemple celui de l'installation des éoliennes pour tenter de comprendre en quoi la légitimité de l'Etat dans la définition de l'intérêt général était parfois largement remise en doute94.

Alors que l'Etat a initié des projets de parcs éoliens pour amorcer une transition énergétique et lutter efficacement contre le réchauffement climatique, l'installation des parcs éoliens s'est fortement heurtée au rejet des populations locales. Ainsi, bien que l'intérêt général, tel que conçu par la législation, légitime l'installation des éoliennes dans une volonté de lutter contre le dérèglement climatique, la perception du caractère d'intérêt général de ces éoliennes à l'échelle du territoire n'est pas absolument pas admise. Plus encore, ce type d'oppositions pose à la fois la question de la territorialisation de l'intérêt général, mais aussi celle de la territorialisation du développement durable.

En effet, si Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et Hélène Rey-Valette indiquent que l'intérêt général territorialisé résulte d'une opposition entre des enjeux environnementaux et globaux, cette appropriation de l'intérêt général à différents niveaux du territoire n'est pas singulière et s'accompagne aussi d'une territorialisation du développement durable.

De l'intérêt général territorialisé au développement durable territorialisé

Puisque la lutte contre le dérèglement climatique crée, au sein d'une société, un certain nombre de divergences concernant la manière de répondre aux différentes problématiques

93 Lascoumes, Pierre, et Jean-Pierre Le Bourhis. "Le bien commun comme construit territorial. Identités d'action et procédures." Politix. Revue des sciences sociales du politique 11.42 (1998): 37-66.

94 Beuret, Jean-Eudes, Anne Cadoret, et Hélène Rey-Valette. "Développement durable en zones côtières: comment territorialiser l'intérêt général environnemental? Un cadre d'analyse." Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie 7.3 (2016).

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soulevées, le développement d'un programme de développement durable à l'échelle des territoires et répondant aux spécificités des territoires en question, a été perçu comme une réponse pertinente au problème énoncé plus tôt.

Alors que la question du développement durable est aujourd'hui largement admise par le champ politique national et international, la conciliation entre une croissance économique soutenue et une protection de l'environnement suffisante reste malgré tout relativement complexe.

Cette difficile conciliation est d'autant plus forte qu'elle vient mettre en opposition une conception utilitariste de l'intérêt général face à la nécessité de répondre, dans une urgence socio-climatique, à un certain nombre d'objectifs adossés au développement durable.

La question de la territorialisation du développement durable est particulière parce qu'elle soulève un paradoxe. Alors que le développement durable est le résultat d'un consensus qui entend répondre à une urgence climatique globale, qu'entend-on réellement par sa territorialisation ? La territorialisation du développement durable est l'idée selon laquelle les objectifs du développement durable ne sont atteignables que par une déclinaison des moyens pouvant y répondre à différentes échelles territoriales. Cette déclinaison met en exergue l'évidence présentée plus tôt, à savoir l'application d'une politique publique générale dans au sein d'une société hétérogène. Cette territorialisation permet alors la prise en compte de la multiplicité des actions locales.

Au surplus, la territorialisation du développement durable exige un certain nombre de précautions, notamment la nécessité d'adopter un compromis à l'échelle des territoires par la participation d'acteurs divers, qu'ils soient des habitants ou des élus. La territorialisation du développement durable entend alors répondre aux spécificités locales tout en tenant compte des objectifs globaux.

Toutefois, ce débat autour de la territorialisation, alors même qu'il supposait une réflexion sur la légitimité de la définition de l'intérêt général, pousse aussi à interroger les mécanismes par lesquels les acteurs expriment leurs opinions. Parce qu'en effet, la territorialisation interroge le rapport entre développement durable, intérêt général et démocratie, alors même que

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Tapie-Grime souligne l'existence de phénomènes performatifs favorisant l'expression des acteurs les plus habitués à ces pratiques95.

Section 2 : La complétude de l'échangeur Pleyel comme outil de construction d'un intérêt général territorialisé ?

La territorialisation de l'intérêt général : la complétude de l'échangeur Pleyel comme compromis entre des intérêts généraux et des intérêts territoriaux ?

L'entretien avec la Mairie de Saint-Denis avait permis de révéler toute la complexité qui existe dans la mise en place d'un projet d'une telle ampleur.

En effet, le milieu urbain se confronte « (...) en permanence à des conjonctions multiples d'ambitions, d'objectifs qui, parfois, sont difficiles à conjuguer »96. C'est d'ailleurs cette problématique des intérêts environnementaux face à des projets économiques que Jean-Eudes Beuret a présentée dans son étude.

Dans notre cas, la territorialisation de l'intérêt général est d'autant plus affirmée par la confirmation du projet du système d'échangeur Pleyel malgré « (...) des insuffisances tendant à l'absence de prise en compte de l'ensemble du projet d'aménagement de Saint-Denis (...)

»97.

La complétude de l'échangeur Pleyel témoigne d'un compromis entre des intérêts généraux et des intérêts territoriaux pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que conformément à la décision de justice de la CAAP du 22 octobre 2020, il est possible de constater ce que Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et Hélène Rey-Valette avaient dénommé « (...) l'ajustement de l'intérêt général aux enjeux territoriaux ».

En effet, le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, bien qu'inscrit au sein du « (...)contrat de développement territorial 2014-2020 conclu le 22 janvier 2014 entre l'État et l'établissement public territorial Plaine Commune », était en quête de financement depuis plusieurs années. L'opportunité des Jeux Olympiques a alors constitué un moyen de financer un projet qui « (...) qui préexistait et dont la finalité n'est pas l'accueil des Jeux olympiques

95 Blatrix, C., Patrick Moquay, et M. Tapie Grime. "Développement durable et démocratie participative: la dynamique performative locale." (2007): 174.

96 Entretien avec la Maire de Saint-Denis, réalisé le 21 mars 2022.

97 Décision n°20PA00254 du 5 mai 2020 de la Cour administrative d'appel de Paris

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et paralympiques de 2024 »98. De fait, la tenue d'un événement sportif porteur d'un intérêt général a permis de financer et d'ajuster le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel à la problématique urbaine du quartier Pleyel, longtemps marquée par des problèmes de trafic routier.

Ensuite, la question de l'opposition entre des intérêts environnementaux et des projets économiques est d'autant plus visible au regard de la décision de la CAAP qui affirme qu'en tenant compte des avantages socio-économiques du projet, « (...) les inconvénients relevés par les requérants, en particulier en ce qui concerne les nuisances sonores et la qualité de l'air pour certains riverains, qui sont inhérents à de tels travaux de voiries, ne peuvent être regardés comme excessifs par rapport à l'intérêt que l'opération présente et ne lui retirent pas son caractère d'intérêt général ».

Mais cette décision est d'autant plus intéressante qu'elle nous invite à comprendre comment s'effectue le passage d'une territorialisation de l'intérêt général à une acceptabilité du projet. Parce qu'en effet, au coeur de l'acceptation se trouve d'abord l'idée d'un « contrat social territorial »99 par lequel les projets sont consentis par les individus puisqu'ils sont portés par une administration composée de représentants qu'ils ont élus conformément aux dispositions démocratiques.

La complétude de l'échangeur Pleyel : entre oppositions et ajustements ?

La territorialisation de l'intérêt général est basculée entre une opposition au projet et des ajustements devant permettre de rendre ce dernier acceptable par la communauté.

En effet, la question de territorialisation s'insère dans une logique dans laquelle les questions de l'intérêt général et du développement durable reposent sur des principes démocratiques. C'est ainsi que la participation constitue un des principales caractéristiques de l'action publique territoriale.

Dans le cas du projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, la décision de justice de la CAAP du 22 octobre 2020 présente plusieurs éléments témoignant de l'opposition et des ajustements ayant permis de faire naître un projet construit par les différents acteurs du

98 Décision n°20PA00219 du 22 octobre 2020 de la Cour administrative d'appel de Paris

99 Farah avait défini le contrat social territorial comme la convention tacite consentie entre les individus d'un territoire. Sa définition entend alors faire émerger l'administration territoriale comme l'organe suprême d'une société à l'échelle territoriale.

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territoire conformément à l'idée de bien commun territorial développé par Lascoumes et Le Bourhis .

Premièrement, la CAAP indique que « (...) l'avis relatif à la concertation publique sur le projet a été publié sur Internet le 16 novembre 2017 et modifié le 23 novembre 2017, que cette concertation s'est déroulée du 20 novembre au 22 décembre 2017 et que le public a pu accéder aux informations relatives au projet, notamment au travers d'un site Internet dédié au projet, de 650 exemplaires du dossier du maître d'ouvrage, 5 500 plaquettes d'information, 4 500 tracts distribués en boîtes aux lettres quelques jours avant les réunions publiques, 40 affiches et 3 jeux de panneaux d'exposition ». Elle ajoute aussi que les « (...) circonstances que le calendrier d'une partie des travaux ait évolué entre la phase de concertation et l'enquête publique et que les études relatives à la qualité de l'air n'aient été communiquées au public que dans le cadre de l'étude d'impact ne suffisent pas à priver la concertation d'un effet utile» .

Ensuite, alors que Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et Hélène Rey-Valette nous parlent de la nécessité du compromis entre les revendications locales et l'intérêt général d'un projet donné, la décision de la CAAP affirme que « (...) deux réunions d'ouverture, deux ateliers, une réunion thématique sollicitée par les habitants afin de présenter les variantes portées par le collectif des habitants (...) ont été organisées» et que « (...) conformément aux engagements pris par le maître d'ouvrage et les partenaires du territoire, les variantes proposées par les riverains au cours de la concertation ont été étudiées au cours du premier trimestre 2018 et ont été l'objet de deux ateliers les 23 janvier et 8 mars 2018, avant la réunion de restitution du 27 mars 2018 »100.

Ainsi, alors que la CAAP défend que les concertations ont été menées conformément aux dispositions juridiques « (...) pendant une période suffisante », il est possible de retrouver, au sein du projet du système d'échangeur Pleyel, des éléments d'oppositions et d'ajustements caractéristiques d'une territorialisation de l'intérêt général.

100 Décision n°20PA00219 du 22 octobre 2020 de la Cour administrative d'appel de Paris

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe