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Les opérations d'aménagement olympique : intéret général ou intérêt de classe ? le cas de la complétude de l'échangeur Pleyel en vue des jeux olympiques de Paris en 2024


par Aristide Miguel
Université Sorbonne Paris Nord - Master 1 Politiques Publiques et Territoire 2021
  

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Partie 2 : De l'intérêt général « local » à l'intérêt général « individuel »

Section 1 : La notion d'intérêt général local comme partie prenante du discours des militants de la démocratie locale

L'intérêt général local comme réponse à une crise de l'intérêt général

Dès la fin du XXe siècle commencent les premiers questionnements à propos de l'intérêt général et le Conseil d'Etat tentera d'expliquer la crise de l'Etat par la crise de cet intérêt. Si cette explication fait suite à l'interrogation des professionnels du droit quant à l'existence de cette notion, l'ensemble du corps étatique ne paraît pas moins douter de cette existence.

Cette crise de l'intérêt général est le fruit d'une construction sémantique reposant sur le rôle central de l'Etat dans l'exercice de l'intérêt général. Alors que pendant longtemps l'intérêt général a justifié l'action de l'Etat, il en est aussi devenu un instrument de légitimation. Toutefois, ce monopole étatique dans la définition de l'intérêt général a quelque peu été critiqué, notamment suite à la mise en exergue de la réelle capacité de l'Etat à définir efficacement et de manière objective l'intérêt général. Plus encore, l'intégration européenne a introduit une approche concurrentielle de l'intérêt général alors même que la décentralisation invitait les acteurs locaux à développer une action publique d'intérêt locale en concertation avec les citoyens. Cette crise de l'intérêt général a ainsi d'autant plus été affirmée par les oppositions contre certains projets d'aménagements - la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, par exemple - pourtant jugés d'intérêt général.

Aujourd'hui, l'intérêt général local semble revêtir une légitimité qu'il n'avait pourtant pas quelques années auparavant. Effectivement, François Rangeon nous explique que la notion d'intérêt général local aurait été perçue comme un « contresens » il y a quelques années de cela101. En effet, alors que l'intérêt général garanti par l'Etat est de l'ordre du national, la question d'un intérêt général local renvoie, elle, à l'intérêt de l'individu. Mais cette déclinaison locale de l'intérêt général n'est pas si récente. Si elle trouve certainement ses racines dans la territorialisation de l'intérêt général évoquée plus tôt dans le chapitre, c'est avant tout l'émergence d'un pouvoir local résultant des volontés de décentralisation qui a permis son développement.

101 Rangeon, François. "Peut-on parler d'un intérêt général local?." (2005): p-45.

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Toutefois, cette construction est lente et près de vingt ans sont nécessaires pour que la notion devienne partie prenante du discours des professionnels du droit, des élus locaux ou des militants de la démocratie locale.

Alors qu'au départ la notion se confondait avec d'autres concepts tels que « le bien commun local », « l'intérêt général territorialisé », ou encore « l'intérêt public territorial », elle devient au fil des approches tentant de la définir, une notion à part entière.

Les tentatives de décentralisation n'ont pas seulement accru le pouvoir des collectivités, elles leur ont aussi permis de revendiquer la légitimité de leur définition de l'intérêt général. Ainsi, alors qu'historiquement l'intérêt général est du ressort de l'Etat, les collectivités ont pu, se saisir d'un intérêt général national qui « (...) ne récapitule pas tous les intérêts généraux qui peuvent exister dans notre pays »102.

Le développement de l'intérêt général local s'explique par une crise de l'intérêt général principalement marqué par une délégitimation de l'action publique centralisée et technocratique. Mais cette délégitimation n'est pas le seul facteur de cette émergence puisque la consécration de la France en tant que « République décentralisée » suite à la révision constitutionnelle de 2003 a considérablement effrité le principe de suprématie de l'Etat sur ses collectivités locales.

C'est de cette manière que l'intérêt général local diffère de l'intérêt général territorialisé. L'intérêt général local ne renvoie pas à une « (...) une fraction territorialement située de l'intérêt général tel que défini par le pouvoir central », puisque la décentralisation « (...) consacre juridiquement l'existence d'intérêts locaux distincts de l'intérêt de la généralité des citoyens ».

L'intérêt général local : porte d'entrée sur la démocratie de proximité

L'intérêt général local, en tant que résultat de la décentralisation, a participé à promouvoir « (...) les vertus d'écoute démocratique et d'efficacité de la gestion locale de la proximité ». François Rangeon explique que l'intérêt général local et la proximité sont liés en plusieurs points. Premièrement, parce que l'intérêt général local diffère de l'intérêt général « national

102 Rangeon, François. «2. Peut-on parler d'un intérêt général local ?». Le Bart, Christian, et Rémi Lefebvre. La proximité en politique : Usages, rhétoriques, pratiques.Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2005. (pp. 45-65) Web. < http://books.openedition.org/pur/9692>.

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»103, qui, lui, renvoie davantage à la transcendance et la hauteur. Ainsi, l'intérêt général local, par sa proximité au citoyen, se voit conférer davantage de légitimité de par son rapport aux réalités locales. Cette relation contiguë se présente alors comme la caution d'une intervention publique non seulement juste, mais aussi légitime.

Hélène Bertheleu et Catherine Neveu se sont elles aussi penchées sur la question de la proximité au sein de la démocratie. Elles indiquent que c'est la loi de février 2002 relative à la démocratie de proximité qui a introduit le développement de mécanisme participatif au niveau des localités104. Mais cette introduction d'outils de participation n'est pas anodine puisqu'elle vient façonner la démocratie à une échelle relativement plus restreinte que celle nationale. Alors que la localité n'est historiquement pas encline à une action collective, l'institution de mécanismes participatifs - notamment les Conseil de la vie locale - traduit une volonté des collectivités locales de consacrer l'intérêt général à travers l'intérêt particulier. C'est ainsi que François Rangeon affirme que « (...) légitimant l'intérêt général local, la proximité est en retour légitimée par l'intérêt général local qui lui retire son caractère étriqué et particulariste, et lui permet d'opérer une montée en généralité ».

Aujourd'hui, l'idée de débat démocratique est centrale dans les dogmes de l'aménagement urbain, puisqu'il doit permettre de dépasser ce que Tapie-Grime présentait comme étant les biais en faveur des groupes dominants.

Alors que les principes de délibération ont été importés suite à la crise de la légitimité de la décision technocratique, l'intérêt général local était vu comme le moyen de faire émerger un « aménagement urbain participatif» dans lequel seraient exprimées les opinions des groupes dominés. C'est cette idée même qui fondait l'intérêt général territorialisé comme la recherche d'un consensus résultant d'une opposition, puis de la recherche de mesures d'ajustement devant faire naître une action collective.

Mais finalement, en plus d'avoir présenté ses limites, l'idée d'un aménagement participatif a aussi mis en lumière la mésentente entre la justice et la démocratie, créant ainsi une dichotomie dans le discours étatique et faisant émerger l'expérience personnelle des individus comme un instrument de délégitimation de l'intérêt général.

103 L'intérêt général national n'est nul autre que l'intérêt général. Le terme «national» vise à différencier l'intérêt général - tel que porté par l'Etat pour l'ensemble de la société - de l'intérêt général local.

104 Bertheleu, Hélène, et Catherine Neveu. "De petits lieux du politique: individus et collectifs dans des instances de «débat public» à Tours." Espaces et sociétés 4 (2005): 37-51.

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Section 2 : L'expérience individuelle comme nouvel outil de légitimation de l'intérêt général « individuel»

La complétude de l'échangeur Pleyel : l'intérêt général « individuel » comme traduction des limites de l'intérêt général local ?

Le projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel permet non seulement de comprendre les limites dans la conception de l'intérêt général, mais aussi d'observer les limites dans l'émergence d'un intérêt général local dont la mission principale est de concourir à la satisfaction d'un besoin propre à la localité.

Si nous avons vu plus tôt que l'intérêt général local ne s'exclut pas d'un intérêt général plus global, nous verrons ici que l'intérêt général individuel, lui, tend à s'évincer des deux concepts auxquels il devrait normalement se rattacher.

La première partie de ce chapitre avait été l'occasion de comprendre en quoi l'échangeur Pleyel témoignait d'une territorialisation de l'intérêt général, notamment par une opposition entre des intérêts environnementaux et des projets économiques.

Alors que l'intérêt général local renvoyait davantage à une idée de co-construction avec les citoyens, la question d'une indissociabilité de ce dernier à un intérêt général national, défini par l'Etat, a largement effrité le principe par lequel l'intérêt général local entendait pourtant tirer sa légitimité par son approche plus accessible.

Parce qu'en effet, alors que originellement le contresens de l'intérêt général résidait notamment dans son identification à l'intérêt particulier - contrairement à l'intérêt général national qui dépasse l'intérêt particulier -, la déclinaison locale de l'intérêt général n'aura pas empêché de faire émerger des oppositions à des projets pourtant « d'intérêt général local ».

La complétude de l'échangeur Pleyel met en exergue, par la construction d'un intérêt général individuel, la délégitimation de l'appareil étatique dans son entièreté - les collectivités locales incluses - dans la qualification de l'intérêt général. Cette délégitimation est d'autant plus certaine que le FCPE Pleyel avenir déclarait que « (...) Paris 2024 est une manifestation extra-légale et extra-démocratique » et plus encore, que le projet d'aménagement démontre « (...) à quel point les habitants de Saint-Denis sont négligeables face à un « intérêt général» qui reste totalement à démontrer ».

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Mais cette remise en question de l'intérêt général est d'autant plus intéressante qu'elle vient aussi remettre en question les mécanismes démocratiques par lesquels sont décidés les projets. Ainsi, auprès de qui l'Etat est-il garant de l'intérêt général si le bien commun auquel l'action publique aspire à répondre n'est lui-même pas reconnu par les individus sur lesquels repose toute la légitimité de l'intervention publique ?

L'expérience de l'injustice comme outil de délégitimation de l'intérêt général

Pierre Zémor avait présenté au combien il est difficile de parvenir à une concorde dans l'intérêt général, parce qu'en effet, l'opposition à l'intérêt général n'est pas simplement une simple critique d'une définition qui lui serait imputée, mais aussi la traduction d'un « (...) conflit (...) de plus en plus intériorisé dans chaque individu, entre intérêt personnel et intérêt collectif »105.

Alors que l'intérêt général individuel semble être la réponse aux limites de l'intérêt général national et local, il est aussi, par l'expérience à laquelle il renvoie, porteur d'une certaine légitimité.

En effet, puisque le rôle de la nation est d'assurer à l'individu les conditions de son développement et puisque la frustration de l'intérêt de l'individu ne peut s'opérer que dans l'utilité publique, l'individu ne peut-il pas contester l'utilité publique quand cette dernière met en péril les conditions de son développement ? C'est la toute l'idée de l'expérience de l'injustice comme d'un outil de délégitimation de l'intérêt général.

Proudhon présentait les limites de la pensée rousseauiste dans sa conception des individus comme subordonnés à la loi qui serait, elle, légitimée par une volonté générale. En effet, cette conception de la loi comme volonté de tous les individus, et de l'action publique comme expression de la volonté des individus, légitimerait alors l'intérêt général par son fondement reposant sur le contrat social.

Mais la critique proudhonienne nous intéresse pour une raison principale : parce qu'elle affirme que la légitimité se trouve « (...) dans l'individu dont la volonté est déjà entièrement déterminée et qui a fait son choix »106.

105 Zémor, Pierre. La communication publique. Presses Universitaires de France, 2008

106 Édouard JOURDAIN, « Intérêt général, intérêt individuel et raison collective : perspectives à partir de l'oeuvre de Proudhon », Astérion [En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le 20 novembre 2017, consulté le 12 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/asterion/3050

Par cette logique, l'expérience d'injustice tient sa légitimité n'ont pas dans l'individu dont la volonté aurait été déterminée, mais plutôt dans l'individu dont la volonté n'a pas été déterminée.

L'expérience de l'injustice entend alors questionner la justice dans son rapport à une action publique perçue comme étant injuste. Mais la question d'injustice ne renvoie pas seulement à une situation qui serait perçue comme injuste, elle porte aussi sur un contenu cognitif permettant à l'individu de qualifier une situation comme étant injuste107.

Dans le cas de la complétude de l'échangeur Pleyel, l'expérience d'injustice résulte d'une part, de la capacité des individus à identifier les attentes normatives - ici l'annulation du projet pour des motifs environnementaux et sanitaires -, et d'autre part, de la dérogation de la décision finale - confirmant le caractère d'intérêt général du projet d'aménagement de l'échangeur Pleyel - aux principes de justices établis.

C'est en ce sens que l'expérience de l'injustice constitue un outil de délégitimation de l'intérêt général, parce qu'elle soulève une situation injuste non seulement à partir d'une appréciation personnelle, mais aussi à partir d'une série d'attentes normatives découlant de la loi, qui constitue, elle, le fondement de la justice.

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107 Renault, Emmanuel. L'expérience de l'injustice: reconnaissance et clinique de l'injustice. La découverte, 2013

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984