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L'Albanie, histoire de langue(s) : pour une approche sociodidactique de l'enseignement apprentissage du français en contexte universitaire albanais


par Amélie GICQUEL
Université Paris 3 La Sorbonne Nouvelle - Master 2 professionnel Sciences du Langage mention Didactique du Français et des Langues Etrangères 2014
  

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Annexe 13 - Interview informateur 05-F

Interviewer : Amélie Gicquel

Note de lecture : 1 personne interviewée. Les questions posées par l'enquêteur sont en italique et les réponses en caractères standards.

Profil de l'informateur :

Profession : enseignant masculin

Lieu d'activité : enseignement public universitaire et réseau associatif

Expérience à l'étranger : en France, M1 DFLE avec bourse

Formation initiale : post communisme

Informations relevées à partir de notes, désir exprimé de ne pas être enregistré.

1. J'ai le sentiment que l'Albanie vit actuellement un repli sur elle-même. J'ai formulé cette hypothèse selon laquelle les Albanais seraient dans cette période où ils auraient besoin de revoir leurs valeurs, d'asseoir les principes qui déterminent les caractéristiques de leur peuple du point de vue symbolique. Est-ce que tu trouves cette hypothèse justifiée ?

2. Absolument ! Enver Hoxha est mort en 1985 et c'est quelques années plus tard que le régime communiste est tombé. Dans les années 90, il y a eu cette ouverture fulgurante sur l'extérieur, sur les autres cultures et sur cet Autre que les Albanais ne connaissaient pas pour avoir vécu enfermés au sein de leurs frontières pendant près de la moitié d'un siècle. Ca a donné lieu à de massives vagues d'émigration. Maintenant, on est sur une période qui nous amène à réfléchir à ce qui constitue notre peuple : le drapeau, les frontières, la politique, la cuisine, les individus, le patrimoine et bien sûr, la langue ! Appartenances symboliques, nationales, valeurs... Je pense qu'en se valorisant soi-même, on va vers l'Autre pour partager ce qu'on a, avec l'Autre. Disons voilà, que la tendance jusque maintenant a été de regarder vers l'extérieur, ça nous a empêché de nous connaître. Et puis on ne veut pas seulement reconnaître et identifier nos valeurs, mais aussi nos défauts. Nous sommes dans cette période où nous nous devons d'accepter ce qui nous définit, à identifier une Albanie typique. Pendant le communisme, on a lissé les aspérités de nos principes. Et même du point de vue de cette culture balkanique à laquelle nous appartenons, on nous a incité, forcé à tout nous approprier, alors qu'il faut savoir admettre que tout ne nous appartient pas. Permettez-nous d'avoir des couleurs, des nuances.

3. Est-ce que les profs jouent un rôle dans cette redéfinition des valeurs ?

4. Eh bien, il y a une différence nette entre les profs de l'ancienne génération et les nouveaux. Les diplômés des années 70 / 80 sont les garants d'une certaine culture francophone, mais elle était valorisée à l'époque, ce n'est pas que les vieux profs sont meilleurs ou différents. C'est juste qu'ils ont suivi leur cursus dans cette atmosphère certes dictatoriale, mais qui cultivait un respect de la culture française, tandis qu'aujourd'hui, la France, on ne la voit pas.

5.

XLII

Je me pose aussi la question à savoir s'il n'y a pas un décalage entre la méthodologie utilisée par les anciens profs et celle à laquelle on essaie de former les nouveaux profs. Donc une méthodo très traditionnelle versus ce qui est prôné aujourd'hui dans pratiquement n'importe quel texte didactique, l'actionnel, l'approche communicative. Est-ce que les profs s'y retrouvent entre ce qu'ils ont connu, ce qu'on leur a demandé de faire et ce qu'on essaie de leur expliquer aujourd'hui ? Sans parler même des besoins des apprenants dans tout ça, en matière de connaissances linguistiques, leurs profils d'apprentissage et leurs capacités d'assimilation...

6. C'est clair qu'il y a beaucoup à faire en matière de méthodologie. Je peux te dire que oui, on subit des changements de méthodologie presque drastiques. La méthodologie change mais on a mal perçu son application. On essayait d'aller vers le résultat sans vouloir s'intéresser au chemin, je veux dire qu'il y a une certaine forme de négligence quant à la route à emprunter, on ne voit que la destination. Alors qu'avant, on accordait une trop grande importance à la méthodologie, et le résultat était important, bien sûr, mais les professeurs devaient avant tout s'assurer que leurs pratiques étaient conformes à l'idéologie du Parti. Maintenant, il y a cette vision binaire de (( tu sais ou tu ne sais pas », il n'y a pas d'évaluation des compétences, soit tu es dans le bon, soit tu ne l'es pas.

7. J'avais également cette hypothèse selon laquelle les Albanais accordaient une importance toute particulière à leur participation à une certaine forme de micro-histoire. Comme si leur engagement dans un projet ne serait scellé que s'ils acquièrent l'assurance de l'obtention d'une certaine notoriété locale.

8. Oui, c'est vrai, mais je dirais en particulier pour les étudiants qui ne sont pas originaires de la ville dans laquelle ils étudient, c'est à dire pour les étudiants des villages et des villes à l'entour. Si tu fais référence aux pièces de théâtre qui ont souvent été organisées par les différentes stagiaires FLE, c'est vrai qu'à travers leur engagement dans telle ou telle pièce, il y a une certaine forme d'audace aussi, tu vois, c'est (( je veux exister, j'ai des choses à donner, je veux m'identifier, j'ai des valeurs, voir jusqu'où je peux aller » ! C'est l'objectif qu'ils se fixent en participant à une pièce, ils ne le voient pas en premier lieu comme la possibilité de s'ouvrir à une expérience scénique, dramatique. C'est d'abord l'individu qui s'engage et ensuite c'est l'apprenant, mais bon, dans notre université, l'apprenant n'existe pas vraiment...

9. Donc tu dirais qu'ils utilisent le théâtre ou la langue étrangère pour s'inscrire dans cette expérience qu'on leur propose ?

10. Bah je dirais qu'ils font ça pour être proche de la prof, pour être à côté d'elle, tu vois ? Pour créer l'image du département de français, se distinguer, c'est aussi une certaine forme d'intelligence, hein ! Pour essayer, pour voir jusqu'où ils peuvent aller, et oui, pour entrer dans un historique. Mais est-ce que tu as remarqué que ce ne sont jamais les meilleurs étudiants qui participent aux activités de la Francophonie, ce sont souvent ceux qui ont des lacunes en français, ou bien ceux qui ne sont pas originaires de la ville où ils étudient...

11. Eh alors, prof, à ton avis, qu'est-ce qu'on apporte à nos étudiants de langues étrangères ?

12. Rien en grande partie, j'imagine une ouverture d'esprit pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à ce qui se passe en classe. Ca peut leur permettre

XLIII

de s'identifier, tu vois « oÙ est-ce que je suis dans cette gamme d'informations que je reçois ? Est-ce que ça m'aide à connaître l'autre et moi-même ? »

13. Moi j'ai le sentiment que nos étudiants ont de grandes capacités mais qu'on ne leur même jamais dit qu'ils étaient capables de grandes choses, comme des coquilles vides qui ne demandent qu'à apprendre, mais qui ne savent même pas comment s'y prendre...

14. La plupart ne savent même pas pourquoi ils sont à l'université, on ne leur a même pas expliqué qu'une formation universitaire serait intéressante, qu'elle leur serait bénéfique du point de vue personnel, et intellectuel. On leur a seulement dit qu'il fallait avoir le papier à la fin. Donc ils entrent à l'université, ils savent qu'ils auront leurs années, et ils attendent. Tu vois, je pense à cette étudiante, Xh. en deuxième année, c'est une question de maturité, d'éducation, tu penses, mais non ! Elle est fille de prêtre, donc tu peux penser que son éducation religieuse aurait pu la former à un certain nombre de valeurs, peu importe la religion, j'en sais rien, la tolérance, l'ouverture sur l'autre. Et bien non, elle dit qu'elle n'aime pas le français, comme ça, sans argument, c'est tout. Je lui ai demandé de ne plus dire un truc aussi idiot, elle n'aime pas le français, d'accord, mais si tu ne sais même pas dire pourquoi tu n'aimes pas quelque chose, ne parle pas ! L'incapacité de nos étudiants à s'approprier une langue étrangère ne tient pas seulement des compétences langagières, mais aussi de leur développement personnel et intellectuel. Et les étudiants qu'on a ici dans notre ville, ce sont des étudiants qui viennent des provinces, l'université est censée te permettre un certain développement mental, cognitif, mais ils ne sont pas dans cette recherche, ils sont dans la recherche d'un exemple. Mais je crois que c'est aussi quelque chose qui est spécifique à tous ceux qui sont nés après la chute du communisme. On cherche la sécurité, on ne cherche pas le développement de soi. Regarde les enseignants vacataires, ou les jeunes profs dans les écoles de niveau inférieur... Ils deviennent profs, ils signent leur contrat à durée indéterminée et c'est fini, ils sont tranquilles, ils ont un poste et un salaire fixe, ça s'arrête là. On est dans une recherche de confort, en fait.

15. J'ai aussi cette hypothèse selon laquelle les étudiants ne s'intéresseraient plus à telle ou telle langue pour le bagage péri et paralinguistique qu'elle entraîne automatiquement avec elle, mais juste pour s'approprier tel ou tel code linguistique qui permettrait à ces étudiants d'obtenir quelque chose, un travail, étudier à l'étranger... Je ne vois pas de passion pour une langue, ou même d'intérêt tout court, en réalité. Ils sont fixés sur la grammaire et sur les QCM quand on voit même la façon dont les profs évaluent leurs élèves.

16. Nos étudiants ne lisent pas. Lire amène à s'essayer à interpréter, à analyser, ou même la lecture, le loisir, ils ne voient pas ça. Tu regardes les jeunes femmes, elles ne vont pas lire de magazines, ou même sur Internet, leurs intérêts personnels, ce que tu veux, le maquillage, conseils beauté, hygiène, sexo, n'importe, ça leur passe au dessus de la tête ! Il y a un manque de curiosité total, c'est télé, café, facebook.

17. Oui, mais ils ont des cours de littérature, non ?

18. Ok, cette année, ils ont étudié Albert Camus. Ils ne parlent que de ça, mais ils aiment Camus parce que le prof l'aime, pas parce qu'ils aiment tel ou tel livre. Ils aiment quelque chose parce que l'autre l'aime aussi, ils le font sans le sentir. Il y a une volonté de conformisme, de conformité, de s'accorder à l'autre. Et moi je

XLIV

regrette autre chose, c'est qu'il n'y a aucun relais, aucun transfert d'informations. Regarde les étudiants qui font des séjours en France avec le Lion's Club, on en a plusieurs ici, mais ils sont incapables de dire ce qu'ils y ont vécu, ce qu'ils ont vu, ou même pourquoi ça vaut le coup d'y aller. Regarde maintenant, il y a des étudiants de troisième année qui veulent aller en France, ils ne savent pas pourquoi ils veulent y aller, c'est juste pour dire qu'eux aussi l'ont fait, ou pour être comme l'autre.

19. J'ai une autre question qui m'amène à te demander si toi, en tant que prof, tu te sens libre dans tes pratiques d'enseignement ? Est-ce que vous recevez des directives de la part du rectorat, du ministère quant à ce que vous devez faire, ou la manière dont vous devez le faire ?

20. Bon, il y a les programmes, bien sûr. Mais quant à la manière de le faire, non, pas vraiment ! Même pas du tout, en fait ! On donne nos programmes en début d'année vis à vis de ce qu'on va traiter en classe, mais la méthodologie que je vais employer, non, pas de contrôle, rien.

21. Et si tu avais des propositions pour conduire à un changement des perceptions tenues à l'égard des langues étrangères, une proposition, une remarque spontanée, qu'est-ce que ça serait ?

22. Moi je pense qu'il faudrait centraliser tous ces départements de langues étrangères, n'avoir qu'une seule université qui propose telle ou telle langue. Je pense aussi qu'il faudrait proposer des spécialisations aux étudiants dès leur troisième année de licence. Ca leur permettrait de faire des choix, plutôt que de se retrouver forcés à s'orienter vers telle ou telle filière. On aurait des étudiants de meilleure qualité, ça créerait une concurrence, la volonté de se battre un minimum pour obtenir telle ou telle branche dans le département au sein duquel tu étudies. Je pense aussi qu'il faudrait réintégrer le concours à l'entrée à l'université.

23. Est-ce que tu saurais me dire s'il y a une classe intellectuelle albanaise ? Les profs d'université, est-ce qu'ils sont aussi connus pour la recherche, leurs travaux ?

24. Oui, à Tirana. Mais il n'y a pas de diffusion des idées, d'esprit académique. Même le peu d'écrits qu'on trouve de la part des profs, c'est politisé, c'est pour se rendre visible sans pour autant que le contenu de ces articles soit même valable ! C'est une course au titre constante, à la reconnaissance extérieure, les gens se montrent, mais ils ne brillent pas par la qualité de leurs réflexions, c'est plutôt pour le nombre de fois où on a vu leur nom. Et une fois que les profs ont un bon poste, on n'arrive plus à les détrôner. Regarde Marushi, c'est le directeur de l'Albanologie depuis 8 ans, mais est-ce qu'on entend parler de lui ou de ce que cet institut fait ? Non. On n'encourage pas non plus les profs à diffuser leurs idées ou même à continuer à se former. On n'entend jamais parler de possibilités d'aller à l'étranger, de faire des stages ou peu importe. Ce sont toujours les mêmes qui en bénéficient. Moi, j'ai eu de la chance, mais j'espère que la chance va continuer. Et puis, le changement est long, c'est un je m'en foutisme complet ! Regarde, il s'est passé exactement la même chose à Elbasan et à Prishtine, et on a deux réactions différentes. Les recteurs des universités de ces deux villes ont été accusés et déclarés coupables de corruption. Ils n'ont pas voulu quitter leur poste. Les étudiants au Kosovo se sont soulevés, tu as entendu, il y a eu de grosses manifestations ! A Elbasan, le recteur est toujours dans son bureau, et tout le monde s'en fiche, c'est grave !

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"