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Le patrimoine ouvrier: entre affirmation et oubli, enjeux d'une reconnaissance


par Agnès GHONIM
Université Sorbonne-Nouvelle - Paris III - Master Musées et Nouveaux Médias 2020
  

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UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 UFR Arts & Médias

Département de Médiation culturelle

LE PATRIMOINE OUVRIER

Entre affirmation et oubli, enjeux d'une reconnaissance GHONIM Agnès

Mémoire de M2 dirigé par Fabien VAN GEERT
Soutenu à la session de juillet 2020

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Déclaration sur l'honneur

Je, soussigné(e) GHONIM Agnès, déclare avoir rédigé ce mémoire sans aides extérieures ni sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes préexistants, publiés ou non, y compris en version électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n'a été soumis à aucun autre jury d'examen sous une forme identique ou similaire, que ce soit en France ou à l'étranger, à l'université ou dans une autre institution, par moi-même ou par autrui.

Fait à Paris, le 28 juin 2020

Signature de l'étudiant

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Remerciements :

Je remercie toutes les personnes qui m'ont accompagnées dans la préparation de ce mémoire. Plus spécifiquement mon directeur de recherche, monsieur Fabien Van Geert, qui en confiance m'a laissé libre d'emprunter tous les chemins de recherche qui s'offraient à moi. Je remercie également monsieur François Mairesse qui nous a soutenu mes camarades de promotion et moi-même dans l'accomplissement de cette dernière année de master.

Plus particulièrement, je remercie Cristiana Pace, Fanny Bertho et Madeline West pour leur amitié qui m'a fait passer toutes les difficultés des plus aisées au plus difficiles depuis 5 ans.

Je remercie également Louise Vigner, qui m'encourage dans tout ce que j'entreprends, et sans qui je n'aurai certainement pas réussi à m'épanouir autant dans la rédaction de ce mémoire.

Une très forte pensée à mes camarades et amis, Sarah, Emeline, Dune, Noémie, Hannah, Camille, Florine, Mathilde T&R, Benjamin, Manon, Agathe, qui m'ont soutenue avec une réelle complicité et une profonde bienveillance.

Sans oublier Camille Gavois qui m'a appris à ne pas avoir peur d'une rédaction de mémoire.

Je remercie Maximilien Pelletier pour son soutien et sa sagesse.

Je remercie ma mère, Rozenn Fernandez, bien qu'elle ait souhaité s'échapper à certain moment, a toujours su revenir vers ma recherche. Je la remercie, sans elle, je n'aurai pu écrire ce mémoire.

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Liste des Abréviations

AFP Agence France Presse

CILAC Comité d'Information et de liaison pour l'archéologie, l'étude et la mise en valeur du patrimoine industriel

EPV Entreprise du Patrimoine Vivant

FACE Fondation Agir Contre l'Exclusion

ICOM International Council of Museum

INA Institut National de l'Audiovisuel

PCF Parti Communiste Français

TICCIH The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage

UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture WORKLAB International Association of Labour Museums

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Résumé :

Le patrimoine ouvrier dans son appellation possède une dimension politique qui empêche son affirmation. Il est pourtant présent et s'inscrit dans les patrimoines industriels, urbains et des sciences et techniques. Une analyse de ces différents patrimoines est proposée pour comprendre la manière dont il est réapproprié. Une présentation de lieux et d'événements vient préciser sa présentation et son utilisation. En comprenant les obligations auxquelles doit se soumettre tout objet dans le but d'un qualificatif de patrimoine nous montrerons que le patrimoine ouvrier s'oppose à certaines étapes, ce qui peut freiner sa reconnaissance. De plus, la mémoire mise en scène dans les musées vient nous éclairer quant à la difficulté de présentation de ce patrimoine. C'est dans cette continuité que le musée de l'Histoire Vivante à Montreuil s'inscrit, seul musée à se revendiquer d'une histoire politique du mouvement ouvrier en France. Aussi, l'Arbejdermuseet à Copenhague constitue un bon élément de comparaison et fait surgir le modèle en recherche d'un musée de patrimoine ouvrier. La valeur économique qui fait surface lors d'une patrimonialisation encourage le tourisme ce qui fait inscrire le patrimoine ouvrier dans une nouvelle pratique.

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Sommaire

Introduction 7

Chapitre 1 - Les fondations d'un patrimoine ouvrier . 17

a- Ouvrier, un groupe particulier . 17

i- Etude de la catégorie socioprofessionnelle 17

ii- La disparition des ouvriers ... 19

iii- Un objet politique 21

b- Le patrimoine et l'ouvrier ... 24

i- Le patrimoine industriel, relation à l'ouvrier . 25

ii- Le patrimoine urbain, zone d'application . 29

iii- Les sciences et techniques, outils théoriques du patrimoine ouvrier .... 34

Chapitre 2 - Cas Concrets . 43

a- Les réhabilitations des lieux ouvriers .. 43

i- Réhabilitation lucrative (non touristique) : Station F, magasin Uniqlo .. 44

ii- Réhabilitation lucrative dans un but touristique : Le Lieu Unique ....... 46

iii- Réhabilitation non lucrative, affirmation du patrimoine ouvrier . 47

b- Les destructions .. 49

i- Le cas de l'usine de Javel .. 49

ii- Les raisons historiques des destructions ... 51

iii- Détruire pour ne pas affirmer de propriété .. 53

Chapitre 3 - Histoire d'une notion, description théorique . 55

a- Une construction culturelle . 55

i- Au prisme politique du patrimoine 55

ii- Les nouveaux patrimoines 57

iii- Une affirmation symbolique de la détention du pouvoir . 58

iv- L'Unesco et la valeur universelle, rôle économique et global product . 59

b- Un schéma appliqué 62

i- Le processus de patrimonialisation 62

ii- 6

Une application au patrimoine ouvrier, points de convergence et limites

65

iii- Le bassin minier du Nord-Pas-De Calais : raisons d'un classement 68

c - Entre mémoire et esthétique, le difficile consensus ... 73

i- Fonction du musée et esthétisation du patrimoine ouvrier 73

ii- Le paradoxe de la mémoire .. 79

iii- L'absence ou la disparition 84

Chapitre 4 - Les musées de patrimoine ouvrier, limite et compréhension de leur objet 88

a- Un objet en recherche . 88

i- Une culture vivante 88

ii- Un musée de patrimoine ouvrier en mouvement .. 91

iii- Le Workers Museum - Arbejdermuseet (Copenhague), un confrère

européen 95

b- Architecture d'une structure muséale . 99

i- Une similarité des origines 99

ii- La recherche d'un modèle .. 102

iii- La difficile présentation des collections, perception et discours ....... 106

Chapitre 5 - Un impact touristique et économique 109

Préambule 109

a- Les nouvelles qualifications du patrimoine ouvrier .. 110

i- Label d'Entreprise du Patrimoine Vivant 110

ii- Le tourisme industriel . 112

b- Tourisme industriel, visite d'entreprise : limites et obstacles 114

i-Les rapports d'échanges touristique et économique . 114

ii- Tourisme et territoire : Authenticité et identification . 119

Conclusion .. 124

Annexes . 130

Bibliographie 168

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Introduction

« C'est un vaisseau rouillé surgit du fleuve. Un monstre en sommeil, à moins qu'il ne soit mort. Depuis qu'elle ne produit plus rien l'usine de

1

Boulogne-Billancourt attend patiemment sa renaissance. », c'est avec ces mots que s'ouvre le reportage du soir du journal télévisé de France 3. Nous sommes en 2002 et cela fait maintenant dix ans que l'île Seguin s'est vidée de ses petites mains. C'est sur ce petit bout de terre à la limite de Paris que l'ancienne usine de Renault a accueilli jusqu'à 38 000 ouvriers, de jour comme de nuit. En ce vendredi matin du 27 mars 1992, une Supercinq sort de l'usine. C'est la dernière. Plus une voiture ne sortira, plus aucun ouvrier n'entrera. Il est 11h20, l'usine n'est plus. Comment va-t-elle alors renaître ? Plusieurs projets font surface. Forte d'un passé important, elle est un des hauts lieux de contestation de mai 1968, symbole des ouvriers ayant rejoint le mouvement étudiant. C'est aussi dans cette usine que les syndicats d'alors, ayant négocié avec le tout jeune secrétaire d'état à l'emploi, encore inconnu, Jacques Chirac, font les annonces des négociations ayant menées aux accords de Grenelle. En arrivant dans l'usine de Billancourt la fleur au fusil, ils avaient fièrement annoncé l'augmentation des salaires de 35%, la reconnaissance des sections syndicales et une quatrième semaine de congés payés. Réaction inattendue, ils se font huer par les ouvriers. La grève continuera. Que reste-t-il de ce passé lorsque l'usine ferme ses portes en 1992 ? Un projet de musée d'art moderne, et finalement la création d'un espace de concert. La « Seine Musicale » se construira en lieu et place de l'usine. C'était sans compter sur les ouvriers, qui se battent alors pour que soit encore présentes sur cette île leur mémoire et leur vie. Quand l'usine est finalement rasée, on leur confie un container dans lequel ils présentent des objets, des photographies, quelques outils aussi. Ce bâti de tôle sera la dernière présence des ouvriers de l'Usine de Billancourt. Présent durant toute la durée des travaux, ce petit espace sera enlevé,

1 France 3, 28 mars 2002, Institut National de l'Audiovisuel (INA), disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=vrl9WZattko , consulté le 14 décembre 2018

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et plus rien aujourd'hui sur l'Île Seguin ne raconte l'histoire de l'usine de Renault et de ses ouvriers.

Pourtant, les mémoires restent vives. En 1998 les anciens ouvriers ont créé l'ATRIS, l'Association des Anciens Travailleurs de l'Ile Seguin. Leur but est de collecter des témoignages vidéos, photographiques, audios, dans le but de faire vivre les mémoires ouvrières qui ont accompagné ce lieu. Partant du constat qu'après la destruction de l'usine plus aucun témoignage du passé n'est resté visible, entretenir ces mémoires et les collecter apparaissait comme le seul moyen de faire vivre ce lieu et plus généralement de rendre hommage aux Hommes y ayant travaillé. Aujourd'hui, le travail sur les mémoires ouvrières constitue une discipline d'étude assez répandue. De nombreux livres ou articles portent sur le sujet. Pourtant, il y a quelques années j'avais été frappée par le principe d'immatérialité que les mémoires ouvrières soulevaient. Au détour de lectures je comprenais que la dimension matérielle s'établissait dans le patrimoine industriel. Comprenant que l'industrie possédait son appellation de patrimoine, je me posais la question de l'établissement de ce même type de nom pour les ouvriers. Partant du constat que les mémoires ouvrières était un champ établi, la question du patrimoine ouvrier s'ouvrait alors. Pourquoi n'était-il pas nommé ? Un article d'Anne-Françoise Garçon nous met sur la voie : « L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de faire se rejoindre mémoire du travail et

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archéologie industrielle » . Plusieurs pistes sont alors évoquées, la première repose sur le fait que parler d'un patrimoine ouvrier enfermerait une seule vision, vision qui ne pourrait être globale. Cette vision particulière soulèverait en symétrie la question d'une vision patronale, qui ne pourrait être prise en compte en ce qui concerne l'appellation de « patrimoine ouvrier ». Une autre raison soulevée dans cet article repose sur le fait que traditionnellement le patrimoine est associé à un monument. Le patrimoine ouvrier ne contient pas dans son

2 Anne-Françoise Garçon, L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de faire se rejoindre mémoire du travail et archéologie industrielle , L'archéologie industrielle en France, Revue du CILAC n°36, p.48-59, 2000

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appellation de référence à du bâti. Finalement, pas assez englobant, trop particulier, le patrimoine ouvrier ne saurait faire rassembler. De ce rassemblement naît l'appellation d'un patrimoine. De fait, dans son essence le patrimoine porte en haut lieu la reconnaissance d'une spécificité. Il ne saurait être enfermé. Un patrimoine, pour être qualifié, accueille toutes les visions afin que chacun puisse se l'approprier. L'appellation de patrimoine ouvrier ne répondant pas à ces critères, il ne peut être établi.

Pourtant, les revendications se font de plus en plus forte comme en témoigne une

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proposition de loi déposée en 2017 sous l'appellation « patrimoine ouvrier ». Cet exemple peut nous interroger quant à l'article d'Anne Françoise Garçon : peut-être que les raisons d'une non qualification de « patrimoine ouvrier » sont révélatrices d'une volonté politique de ne pas le nommer ? A ce titre, Laurajane Smith met en avant l'idée qu'un patrimoine est patrimoine s'il répond à un

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discours officiellement admis : authorized heritage discourse (AHD). Cela montre le caractère politique sous-jacent quant à la notion et à l'établissement d'un patrimoine. Par ailleurs, Laurajane Smith, en examinant la liste du patrimoine mondial, explique que le patrimoine relevant des « lieux de la douleur et de la honte» (Logan et Reeves 2008) ou de « dissonance » sont en fait présentés comme un ajout primaire aux merveilles du patrimoine. Le fait est que le patrimoine consacré relève selon Laura Jane Smith, de considérations sociales et culturelles propres à une seule classe. Le patrimoine devient alors un outil de distinction sociale. Il conforte et répond aux exigences de la classe dominante.

Le patrimoine industriel s'inscrit en lien avec le patrimoine ouvrier. Les ouvriers et l'industrie s'étant développés en même temps. En ce sens, il nous faut comprendre précisément ce qu'il qualifie dans le but d'établir des convergences et des divergences. Un état des lieux est présenté par Jean-Yves Andrieux dans son

3« Réhabilitation de l'histoire populaire, ouvrière et révolutionnaire en tant que patrimoine culturel » , Alexis Corbière, le 20 septembre 2017

4 Laurajane Smith, Heritage, Labour and the Working Classes, Routledge, 2011

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5

ouvrage « Le patrimoine industriel » . On comprend que sa discipline l'archéologie industrielle a favorisé son émergence et sa reconnaissance. Nous développerons précisément ce que définit le patrimoine industriel par la suite. En ce sens, Laurent Bazin propose dans son ouvrage « Anthropologie, patrimoine

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industriel et mémoire ouvrière, vers une recontextualisation critique » une vision d'ensemble. Nous apprenons que l'anthropologie industrielle est très développée au Royaume-Uni avec l'école de Manchester et aux Etats-Unis avec l'école de Chicago, cependant, en France, son champ d'étude reste à définir clairement. Cet ouvrage nous permet d'appréhender la question des mémoires en lien avec le patrimoine bâti, ce qui pourrait constituer le sens du patrimoine ouvrier. L'ouvrage

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« La mémoire de l'industrie » nous permet de préciser ce lien conflictuel qu'entretiennent mémoires ouvrières et patrimoine industriel. De nombreux exemples sont avancés comme le cas de la grue Gusto, qui devait pour les uns être patrimonialisée car présentant de manière emblématique les chantiers navals de Saint-Nazaire, et pour d'autres être éliminée car soulevant des problématiques financières et posant aussi la question du « beau » qui doit émaner d'un objet de patrimoine.

Aussi, cette question mémorielle autour de sites pose des regards conflictuels. Comme précédemment énoncé par Anne-Françoise Garçon, une patrimonialisation s'accompagne d'un discours. Or, en ce qui concerne notre objet d'étude, ce discours est très difficile à appréhender. De fait, le patrimoine ouvrier propose avant toute chose une manière de voir et donc une manière de dire . En ce sens, Patrice Béghain précise que « Le patrimoine peut-être un instrument de

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manipulation ou du moins une source de confusion mémorielle. ». La fonction du

5 Jean-Yves Andrieux, Le patrimoine industriel , Paris, Presses Universitaires de France, « Que-sais-je ? » , 1992

6 Bazin Laurent, « Anthropologie, patrimoine industriel et mémoire ouvrière. Vers une recontextualisation critique », L'Homme & la Société , 2014/2 (n° 192), p. 143-166.

7 Jean-Claude Daumas, La mémoire de l'industrie, Introduction - l'Usine, la mémoire et l'histoire, Les cahiers de la MSH Ledoux, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2011

8 Patrice Béghain, Patrimoine, politique et société , La bibliothèque du citoyen, Presses de Sciences Po, p.136, 2012

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discours s'accompagne donc nécessairement d'analyses historiques mais aussi

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sociales. Maurice Halbwachs dans Les cadres sociaux de la mémoire précise même :

« Insistons sur ce point. La porte de l'usine représente assez exactement aux yeux de l'ouvrier la ligne de séparation entre les deux parties de sa vie quotidienne. Si elle reste entr'ouverte, c'est plutôt après la journée de travail qu'avant : une partie des habitudes de penser ou de ne pas penser, qu'entraîne le contact exclusif avec la matière, reflue dans la zone de la société où vit l'ouvrier hors de l'atelier. Quand il retourne dans les locaux de travail, il sent bien qu'il laisse derrière lui un monde pour entrer dans un autre, et qu'il n'y a entre les deux aucune communication. Mais, lorsqu'il entre au Palais, le juge ou l'avocat ne se sent point exclu et séparé, même pendant les audiences, pendant toutes les heures directement consacrées à sa fonction, des groupes au sein desquels se passe le reste de ses journées. Leur présence réelle n'est pas en effet nécessaire pour qu'il pense et se comporte encore, même loin d'eux, comme membre de ces groupes, pour qu'il évoque les jugements qu'on y porte, les qualités qu'on y apprécie, les personnes, les actes et les faits auxquels on s'y intéresse. Ainsi, invisiblement, la fonction, envisagée comme un ensemble d'activités et de pensées techniques, baigne dans un milieu d'activités et de

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pensées non techniques, mais purement sociales. »

Cela confirme ce que Julien Bondaz, Cyril Isnart et Anaïs Leblon développent dans leur article « Au-delà du consensus patrimonial- Résistances et usages

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contestataires du patrimoine » . Les questions que soulèvent les mémoires sont en

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effet à usage politique .

9 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, 2011 [première édition 1925]

10 Ibid. p.246

11 Julien Bondaz, Cyril Isnart et Anaïs Leblon, « Au-delà du consensus patrimonial-Résistances et usages contestataires du patrimoine » , Civilisations, Revue Internationale d'anthropologie et de sciences humaines, pp. 9-22, 2012

12 « Toutefois, c'est bien la combinaison entre patrimoine, identité et territoire comme miroir des enjeux politiques présents qui fait de ces processus mémoriels des objets de luttes et de conflits. Depuis quelques décennies déjà, les collectivités territoriales, les producteurs agricoles, les comités de tourisme, les acteurs des territoires frontaliers, les communautés transnationales et certains médias se transforment en entrepreneurs

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En considérant ces différentes recherches et analyse, nous pouvons nous demander s'il existe un patrimoine ouvrier aujourd'hui en France. Au regard de cette question, comment se constitue-t-il au sein d'autres sphères patrimoniales ? Dans le but d'y répondre nous émettons les hypothèses suivantes :

- Le patrimoine ouvrier existe mais n'est pas conceptualisé tel quel.

- Le patrimoine ouvrier se retrouve dans différentes sphères patrimoniales, et peut donc être qualifié de patrimoine diffus.

Pour avancer les premiers éléments de réponse, nous développerons les éléments officiels de ce qui fait l'ouvrier. Mais aussi le caractère politique qui se dégage de cette dénomination. Nous proposerons également un état des lieux des patrimoines où il est accueilli. Le deuxième chapitre nous permettra la présentation de cas existant. Cela nous permettra l'analyse des discours qu'ils soient clairs ou symboliques. Un accent particulier sera proposé en ce qui concerne les réhabilitations et destruction des lieux du travail ouvrier. Cela pour permettre une analyse autour de la propriété que sous-tend la notion de patrimoine, et les usages qui en sont faits.

Par les patrimoines industriel, urbain, et ceux des sciences et techniques nous proposerons de premiers éléments de réponses, tenant à la diffusion du patrimoine ouvrier. Pour cela, nous nous appuierons sur des ouvrages traitant de manière globale du patrimoine, mais aussi des articles de presse relatant des faits d'actualité qui nous permettront de mettre en lumière le caractère actuel que peut constituer cette recherche. Au travers de différents lieux institués : La Station F à Paris, le magasin Uniqlo du Marais, le Lieu Unique à Nantes, le musée de la Métallurgie Ardennaise à Bogny-sur-Meuse ou encore la station de métro Javel André-Citroën à Paris, nous proposerons une description de l'utilisation qui est

culturels susceptibles de proposer eux-mêmes des contenus patrimoniaux ou d'en contester les versions officielles. », Ibid.

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faite du patrimoine ouvrier, cela dans le but d'apprécier ou non la manière dont il est présenté.

Nous remarquons que les patrimoines dit difficiles sont la plupart du temps source de conflit, conflit dont la reconnaissance patrimoniale opère quasiment comme excuse historique que les pouvoirs publics doivent fournir dans le but d'une paix sociale. C'est pourquoi, nous analyserons les ressorts politiques dans la constitution du patrimoine. Un rapide historique des politiques patrimoniales en France permettra la compréhension du patrimoine ouvrier dans ce nouveau paradigme. De plus, l'étude du processus de patrimonialisation que nous appliquerons au patrimoine ouvrier nous permettra d'en saisir les points de convergences et de divergences. Le Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais inscrit sur la liste du patrimoine mondial nous donnera également un bon aperçu du seul patrimoine ouvrier admis mondialement, il nous permettra d'observer les limites de cette inscription à la vue de sa présentation et des critères de sélection qui ont été retenus pour son classement.

Toujours dans le but d'une analyse globale nous questionnerons l'esthétique présente dans les musées qui exposent le patrimoine ouvrier. Cela pour nous permettre d'interroger la notion du beau , qui, dans notre cas se substitue à la mémoire applicable aux objets. Cet effacement au profit de l'intérêt visuel semble problématique dans l'exposition du patrimoine ouvrier.

C'est dans cette continuité que nous poserons le cadre d'analyse de l'utilisation de la mémoire dans les musées de façon global, puis dans les musées de patrimoine ouvrier plus particulièrement. Cela nous permettra d'affirmer la notion de patrimoine vivant, nous en expliquerons la notion et son application.

Nous poursuivrons avec une analyse plus spécifique des musées où le patrimoine ouvrier est affirmé et revendiqué. Pour ce faire, nous étudierons le musée de l'Histoire Vivante à Montreuil et le Workers Museum - Arberjetmuseet de

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Copenhague. Nous y exposerons une similarité des origines et interrogerons l'idée des prémisses de ces collections comme génératrice d'une identité muséale. Cela nous permettra d'évoquer la recherche d'un modèle de patrimoine ouvrier, nous développerons les deux types qui s'y opposent.

Ces musées s'inscrivent dans une volonté d'affirmation des territoires dans lesquels ils prennent place, nous exposerons donc pour finir, l'impact du tourisme qui traduit l'expression de l'utilisation économique du patrimoine ouvrier. Nous aborderons le tourisme comme ressource pour les territoires et l'exploitation du patrimoine ouvrier dans ce domaine, ce qui nous conduira à aborder l'utilisation du patrimoine dans un but commercial.

Qu'entend-t-on par patrimoine ouvrier ?

Le patrimoine ouvrier, si l'on s'en tient aux objets matériels, correspond aux biens ayant été détenus ou utilisés par les ouvriers. Nous pourrions y inclure les objets matériels dont ils ont eu l'usage, sans forcément la propriété, mais aussi les coutumes et l'art de vivre qui correspondent à cette classe sociale. Et pourquoi pas, l'objet fini, fruit d'un processus de production industrielle ayant été façonné et construit par des ouvriers. Nous pourrions également y faire figurer la littérature, les chants, les films, ayant pour sujet les ouvriers, sans qu'ils en soient les concepteurs ou créateurs. Nous proposons une liste, non exhaustive, des biens culturels que nous considérerons constitutifs du patrimoine ouvrier pour la poursuite de cet écrit.

Biens matériels et immatériels culturels du patrimoine ouvrier

-les outils intégrés dans le processus de production industrielle

-les lieux ayant trait à la vie ouvrière : usines, locaux syndicaux, habitats, jardins ouvriers, cités ouvrières, mines...

-les objets issus de la production culturelle ayant pour sujet le monde ouvrier : littérature, films, chants...

-les biens immatériels représentatifs du monde ouvrier : les mémoires ouvrières, les techniques de production, les luttes sociales, les habitudes alimentaires, les

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vêtements, les paysages culturels , les coutumes, les gestes, les savoirs-faire...

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Certes, nous n'avons pas pour but dans ce mémoire d'analyser les biens culturels matériels ou immatériels constitutifs du patrimoine ouvrier. Ce que nous abordons vise à analyser et comprendre les tensions qui accompagne la notion, et de ce fait, la narration du patrimoine ouvrier. Nous souhaitons, au travers de la relation politique-patrimoine, établir et présenter les obstacles à une reconnaissance pleine et entière du patrimoine ouvrier en France..

Dans cette continuité et considérant les critères que nous venons d'exposer, nous proposons de retenir la définition d'un musée de patrimoine ouvrier faite par l' International Association of Labour museums (Worklab), seule référence internationale en matière de musée ayant pour objet le patrimoine ouvrier, qui agit auprès d'institutions reconnues : Union-Européenne, ICOM, TICCIH notamment. Dans la démarche de pouvoir s'ouvrir et généraliser la place du patrimoine ouvrier et de l'histoire ouvrière dans le monde, l'International Association of Labour Museums (Worklab) essaient de regrouper tous les musées en lien avec le patrimoine ouvrier dans le but de construction d'un véritable réseau international. Ce réseau vise à créer une entraide sur les contenus, et souhaite impliquer les chercheurs en organisant un symposium par an. En plus d'être une journée spécifique de ce réseau, ce symposium agit comme lieu de rencontre annuelle des professionnels du patrimoine ouvrier. En intervenant auprès de différentes

13Le bassin minier du Nord-Pas-De-Calais a été classé patrimoine mondial de l'Unesco sur le critère de «paysage culturel évolutif vivant» : « Le Bassin minier est un paysage industriel témoignant de la façon dont l'homme a façonné son environnement en exploitant une ressource naturelle, le charbon. C'est en ce sens, qu'il est « culturel » selon la catégorie en vigueur au Comité du patrimoine mondial.» , site internet de l'Unesco,

http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/un-paysage-culturel-evolutif-et-vivant/ ,
[consulté le 16 mars 2020]

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instances reconnues du patrimoine, le Worklab constitue un lobby en faveur de la reconnaissance et de l'entretien du patrimoine ouvrier.

Le Worklab estime musée ouvrier , tout musée qui :

- adhère aux exigences de l'ICOM (International Council of Museums)

- est entièrement (ou possède au minimum) 1 département traitant de l'histoire ouvrière, du travail ou/et de l'histoire industrielle 14

Est donc patrimoine ouvrier ce qui englobe le patrimoine industriel et les mémoires ouvrières. Le patrimoine industriel s'attachant principalement au bâti décrit une architecture particulière et, dans une moindre mesure, aux outils qui y prennent place. Les mémoires ouvrières agissent, quant à elles, comme l'incarnation des objets, elles sont leur signifiant. Aussi, les mémoires ouvrières ne prennent pas uniquement place à l'intérieur de l'usine mais s'inscrivent dans la vie pleine et entière d'un ouvrier. En considérant tous ces éléments, tant dans leur diversité que dans leur complexité, nous sommes en présence de ce qu'incarne le patrimoine ouvrier.

14 The International Associations of Labour Museums (WorkLab), Statuts : « 1. meets the requirements of the International Council of Museums (ICOM) 1, and

2. is wholly or has at least one department devoted to one or more subjects in the fields of history of workers, labour and industrial work. , disponible en ligne : http://worklab.info/constitution/ , [consulté le 9 avril 2020]

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote