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Le patrimoine ouvrier: entre affirmation et oubli, enjeux d'une reconnaissance


par Agnès GHONIM
Université Sorbonne-Nouvelle - Paris III - Master Musées et Nouveaux Médias 2020
  

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Conclusion

Nous avons tenté dans cet écrit de proposer une vision du patrimoine ouvrier. Les relations qui le sous-tendent avec d'autres sphères patrimoniales nous semblaient primordiales à aborder car constitutives d'un cadre théorique général. Le patrimoine ouvrier, s'il n'est pas nommé, pose question quant à son devenir propre. Au travers de plusieurs analyses nous avons constaté son absence autour de trois axes principaux :

. Le premier axe est que le patrimoine ouvrier, dans son appellation, relève d'attributs politiques. Cette politisation du terme entre en conflit avec la manière dont est compris et consacré le patrimoine. Il y a donc collision entre le patrimoine ouvrier et les prérequis à la qualification de patrimoine.

. Le deuxième axe repose sur des considérations historiques. Renvoyant à un échec industriel, la volonté des services d'autorités est de ne pas mettre en valeur ce qui est considéré comme un traumatisme sociétal. Aussi, détruire et ne pas nommer invite à l'oubli, ce qui est le maître mot pour beaucoup d'épisodes traumatiques. Affirmer le patrimoine ouvrier peut être considéré comme une acceptation générale de l'échec. A contrario le détruire ou ne pas le nommer ne fait surgir aucun débat dans la société.

. Le troisième axe repose sur la valeur monétaire que soulève les patrimonialisations. Le patrimoine ouvrier, s'il était affirmé, amènerait avec lui une série de changements. Les valeurs économiques et foncières que relève la patrimonialisation enlèveraient une manne financière extrêmement importante dû à la surface souvent gigantesque des anciens bâtis ou lieux de vie. Et, s'il était nommé, on donnerait la qualité de possédant à un groupe dont la construction sociale est faite sur l'absence de capital. Cela remettrait en cause les fondements

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de notre société contemporaine, consacrant certainement des conflits bien plus vastes.

Ces trois axes constituent les obstacles à la reconnaissance du patrimoine ouvrier. Pourtant, ce patrimoine est, comme nous avons tenté de le montrer, bien présent. Au travers du patrimoine industriel, urbain ou des sciences et techniques, il est utilisé et montré pour servir l'idée de ces patrimoines. La réappropriation du patrimoine ouvrier change les discours, jusqu'à présent existants au travers d'un patrimoine déjà reconnu et dont les spécificités sont elles aussi déjà consacrées. Il convient donc pour le patrimoine ouvrier d'être transformé afin de se fondre dans l'essence idéologiques (rareté, prestige) de ces différents patrimoines.

Partant du constat qu'il est de façon générale le support de la mémoire, il est la trace matérielle de ce qui est et de ce qui fut . Le patrimoine ouvrier relevant d'une histoire particulière, son support est absolument nécessaire, car comme montré précédemment, il a tendance à disparaître et à être oublié. L'histoire des ouvriers a besoin d'un support légitime qui la fasse exister. Pour citer Sartre : «On ne met pas son passé dans sa poche, il faut avoir une maison pour l'y ranger. Je ne possède que mon corps, un homme tout seul, avec son seul corps, ne peut pas

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arrêter les souvenirs ».

Les pouvoirs publics, quand il s'agit de faire renaître cette histoire sous le prisme du patrimoine urbain ou industriel, peuvent consacrer et défendre les bâtis qui apparaissent alors au travers de leurs qualités architecturales en particulier. Cela permet de les protéger. Pourtant, nous assistons dans ces réhabilitations à des changements de destination où seules les qualités esthétiques sont reconnues. Aussi, nous avons émis l'idée selon laquelle ces réhabilitations sont principalement pensées en fonction d'intérêts lucratifs ou politiques.

177 Jean Paul Sartre, p.21 J-P. Sartre, la nausée, Paris, Gallimard, (l938), 1979, p. 97.

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Nous sommes revenus sur les ressorts politiques que soulèvent une patrimonialisation. Pour cela, nous avons retracé l'histoire de l'inscription patrimoniale en France, et celui de l'UNESCO dont l'instance représente le patrimoine à l'échelle mondiale. Cela nous a permis des points de comparaisons qui ont fait émerger le marché économique qui se révèle d'une telle pratique.

Aussi, le processus de patrimonialisation, théorisé par Guy Di Méo, Nicolas Senil et Jean Davallon, notamment, nous a permis une approche théorique du schéma par lequel un objet se retrouve intégré à la hiérarchie des biens dits exceptionnels. De ce fait, nous avons appliqué les étapes constitutives d'une patrimonialisation élaborées par Jean Davallon à l'analyse du patrimoine ouvrier, et nous avons ainsi fait émerger les obstacles à sa reconnaissance pleine et entière.

De plus, cette attente du «beau» que soulève les biens culturels se révèle un obstacle pour le patrimoine ouvrier, car sa mémoire s'en retrouve disparu. Cela a pour conséquence une invisibilisation du patrimoine ouvrier. Cela explique l'utilisation politique de la mémoire et la volonté d'effacement appliquée à ce patrimoine.

Nous avons également remarqué l'utilisation du patrimoine dans les nouvelles dynamiques de développements territoriaux. Le patrimoine ouvrier y occupe une place de choix car il y est très présent. Cela nous a permis d'établir la difficulté de création de musée de patrimoine ouvrier car souvent vu par la population locale comme refuge de leur tristesse. Le musée, comme récepteur de mémoire douloureuse, nous a semblé être considéré insuffisant à la création de musée de patrimoine ouvrier.

Cette analyse nous permit de discuter des musées de patrimoine ouvrier plus généralement. Après avons établi la difficile présentation des collections, la question qui se pose est la suivante : Comment montrer sans être partisan ?

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D'après nous, la présentation du patrimoine ouvrier relève d'un véritable engagement politique, ce qui n'empêche pas une rigueur scientifique. Il s'agit d'une question finalement posée depuis longtemps en ce qui concerne les musées d'Histoire, néanmoins, cette question semble très importante concernant le patrimoine ouvrier, son objet relevant d'attribut politique. Quand on le dépolitise, les musées de patrimoine ouvrier se retrouvent à porter un modèle d'exposition centré sur la vie quotidienne. Cela nous amène à établir la non-présence d'un modèle arrêté en ce qui concerne le patrimoine ouvrier. Pour autant, deux schémas de musées de patrimoine ouvrier ont émergé, ils nous paraissent s'opposer :

1 ? L'affirmation de la teneur politique des musées de patrimoines ouvriers. Le regard porté sur les collections est alors beaucoup plus engagé.

2 ? L'affirmation d'une histoire quotidienne populaire et du travail

Les ouvriers y prennent place mais le regard politique porté sur les collections est bien plus diffus, la vie quotidienne prend le pas sur l'histoire politique que leurs sujets convoquent.

Nous avons également tenté d'établir un schéma de constitution d'étapes de création d'un musée de patrimoine ouvrier, constitué autour de cinq étapes : la volonté politique ; la recherche de légitimation ; la constitution d'une collection ; les premières exposition qui affirment le sujet du musée, et pour finir la légitimation du musée par les publics.

Cette analyse des musées de patrimoine ouvrier a permis de mettre en lumière leur inscription territoriale. De ce fait, nous avons étudié l'impact touristique du patrimoine ouvrier. Il est exploité de manière importante à travers l'utilisation commerciale du patrimoine. Nous l'avons établi autour de trois habitudes touristiques :

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Le Label d'entreprise du patrimoine vivant Consacre le patrimoine ouvrier encore en activité

Le tourisme industriel

Favorise la reconnaissance d'un tourisme dans lequel on développe les visites d'entreprises. Entreprises qui sont elles-mêmes distinguées des autres par le label des EPV

La visite d'entreprise

Censée consacrer la visite d'espace qui aurait une valeur patrimoniale, alors qu'il agit selon d'une volonté de consommation et non sur une idée historique ou politique. C'est une logique de profit de la part des dirigeants d'entreprise qui se dégage.

Néanmoins, nous remarquons que les Régions profitent de cette niche et cela permet de faire reconnaître des éléments du patrimoine ouvrier. Malgré tout, il résulte de nos analyses qu'une patrimonialisation dans le seul but économique ne fonctionne pas.

C'est au discours politique que revient le devoir de hisser le patrimoine ouvrier à la place éminente qui lui revient au centre des biens culturels de chaque nation.

Pour finir, nous nous permettons d'évoquer ce qui de notre avis peut relever de la véritable barrière à la reconnaissance du patrimoine ouvrier. Finalement, l'héritage des ouvriers qui constitue un patrimoine ne serait-il pas incarné par les acquis sociaux ?

Car, le patrimoine ouvrier lui, ne possède pas uniquement de dimension technique ou productive, ce n'est alors pas seulement l'importance historique qui est reconnu en affirmant un patrimoine dit ouvrier , mais bien tous les acquis sociaux qui découlent de la lutte inhérente à cette classe sociale, et qui s'incarne dans :

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les congés payés ; la sécurité sociale ; la création du code du travail ; la médecine du travail ; le droit syndical ou la réduction du temps de travail par exemple. Par conséquent, il ne s'agirait plus seulement de reconnaître une classe sociale, mais bien de porter ces acquis sociaux sur l'autel de l'exception et par cela de la protection nationale, entretenue et conservé pour les générations futures.

Ne pas aborder les acquis sociaux comme potentiel source de tension entre reconnaissance du patrimoine ouvrier et choix politique, serait se priver d'une possible explication des forts enjeux qui amènent à la narration aujourd'hui présente en ce qui concerne ce patrimoine, notamment dans les musées.

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