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Transition démocratique dans le monde arabo-musulman : le cas de la Tunisie

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par Mourad Ben Abdallah
Université de Genève - licence ès sciences politiques 2006
  

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5. Dimension économique

5.1. Clientélisme

En plus de la dimension culturelle, celle de l'économie jouerait également un rôle important dans les blocages de la démocratisation tunisienne. En effet, le poids important que possède l'État tunisien dans la vie économique, remplaçant celui joué par le protectorat français avant l'indépendance, s'est accru tout au long des années 1960, singulièrement dans le contexte de la politique socialisante menée par le ministre de l'économie Ahmed Ben Salah. Néanmoins, face aux échecs de celle-ci, elle fut abandonnée au profit d'une approche plus libérale dans les années 1970. Pourtant, le secteur public demeura dominant mais avec une dissociation progressive entre les secteurs ouverts à une dose de concurrence extérieure et ceux destinés au marché intérieur et qui bénéficiaient de rentes de situation. Cette situation permit le développement de la mobilité sociale de la jeunesse nouvellement instruite et la croissance des classes moyennes81(*). Lors de l'arrivée au pouvoir du président Ben Ali à la fin des années 1980, cette tutelle restait encore importante. Toutefois, le contexte de mondialisation s'accélérant et la dette publique, qui s'était régulièrement alourdie, grevant les finances publiques qui assuraient jusque-là les rentes, les privatisations se sont progressivement accélérées afin d'assurer la stabilité de l'État menacé d'asphyxie financière82(*). Pourtant, le régime réussit à conserver dans le même temps divers instruments lui permettant d'agir directement sur la situation micro-économique des classes moyennes, soit au travers des structures du Néo-Destour, rebaptisé Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD)83(*), soit au travers du Fonds de solidarité nationale. Fondé en 1992 et exclusivement financé par des dons, ce dernier dépend directement de la présidence de la république et bénéficie de ressources fiscales propres depuis 199684(*). Les diverses actions menées se font par le biais d'aides individuelles favorisant la consommation, tel que l'exonération fiscale pour l'achat de véhicules réservée à certaines catégories de revenus, ou d'investissements collectifs, principalement dans les régions défavorisées, tels que l'introduction de l'électricité ou de l'eau dans les villages. Ainsi, « le message [transmis à la population] est clair : c'est le président qui apporte aux villageois l'eau, l'électricité, la piste ou l'école qui leur faisaient défaut... »85(*). Pourtant, dans le cas du RCD, cette implication sociale fragilise la structure interne du parti en divisant celui-ci entre les militants de base confrontés aux inévitables critiques de certaines parties de la population quant à la politique de libéralisation économique et les cadres relayant les souhaits de continuité de la présidence86(*). Pourtant, plusieurs groupes, dont la classe moyenne87(*) qui est considérée comme la base sociale du régime, trouvent ainsi leur compte dans le maintien du système, soit par intérêts économiques, les autorités ayant « fait du crédit à la consommation l'un des outils de la paix sociale »88(*), soit par adhésion au projet politique porté par le président Ben Ali89(*), fondé notamment sur la lutte contre l'extrémisme islamiste.

Ainsi, le lien entre la population et le régime, structuré par l'histoire politique nationale et consolidé par la répression de l'islamisme, voit une certaine dose de clientélisme le soutenir et former des réseaux de dépendance. Car, selon Célia Delhomme, « les profits à entrer dans l'appareil [étatique] sont très importants autant du point de vue du prestige que des ressources économiques ou des relations »90(*). Pourtant, la marge de manoeuvre du régime pourrait être plus limitée qu'en apparence. Ainsi, à plusieurs reprises, celui-ci a tenté de remettre en cause les privilèges de certaines catégories de population mais a dû reculer, faisant face à une opposition franche et à des menaces de la part de ces dernières91(*). Ce dernier ne contrôle donc pas toute la société comme certains semblent le penser. L'allégeance est soumise à un équilibre fragile qui pourrait être rompu si l'État était contraint de faire évoluer sa politique dans un sens qui irait à l'encontre des intérêts de ses propres soutiens.

De plus, cette relation de dépendance découle également d'une faible imposition directe des personnes physiques qui est compensée par une imposition des personnes morales92(*). Cette structure fiscale réduit la volonté des individus de demander des comptes à l'État, celui-ci ne dépendant pas considérablement de ces derniers pour vivre. Car, les impôts indirects restent importants, notamment au travers de la TVA et, pour 1/5 des revenus étatiques, au travers des taxes douanières93(*). Or, la TVA tend à taxer l'ensemble des consommateurs, nonobstant leur niveau de revenu, ce qui tend à la rendre inégalitaire94(*) et pourrait peser sur les classes les plus fragiles. De plus, suite à un accord libre-échangiste d'association signé avec l'Union européenne (UE) le 17 juillet 1995 et entré en vigueur le 1er mars 1998, les barrières douanières tomberont progressivement d'ici à 2008. Il est donc inévitable que cette source de revenus disparaîtra, ce d'autant que l'UE représente le principal partenaire commercial du pays (80,7% des exportations). Cela représentera, selon la Banque centrale de Tunisie, une perte de l'ordre de 6% du PIB95(*). Cela contraint donc l'État à chercher de nouvelles rétributions, à restreindre les services offerts à la population96(*) ou à en privatiser certains. La première politique, par une extension de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, pourrait accroître les demandes populaires vis-à-vis de l'État et le contraindre à ouvrir le champ politique de façon plus importante97(*). La seconde pourrait accroître le mécontentement des couches les plus fragiles de la population qui verrait des prestations disparaître, entraînant de facto une baisse de leur niveau de vie98(*). La troisième briserait l'égalité des citoyens face à ces services, notamment en ce qui concerne l'augmentation éventuelle du coût d'accès à ceux-ci. Il semble difficile de déterminer quel chemin le gouvernement décidera de prendre. Toutefois, il pourrait s'adapter par une politique pragmatique qui emprunterait chacune de ces options en fonction du climat politique du moment.

* 81 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 58

* 82 ANDERSON, Lisa, « Prospects for Liberalism in North Africa. Identities and Interests in Predinustrial Welfare States », in ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 132-33

* 83 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 218

* 84 Ibid., p. 219-220

* 85 LAGARDE, Dominique, « Consomme et tais-toi », L'Express, 16 octobre 1997, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408876, consulté le 18 décembre 2005

* 86 CAMAU, Michel et GEISSER, Vincent, op. cit., p. 360-361

* 87 WATERBURY, John, op. cit., p. 100-101

* 88 LAGARDE, Dominique, « La fronde des jeunes », L'Express, 18 mai 2000, http://www.lexpressemploi.net/info/monde/dossier/tunisie/dossier.asp?ida=408871, consulté le 18 décembre 2005

* 89 HERMASSI, Abdelbaki, op. cit., p. 325

* 90 DELHOMME, Célia, op. cit., p. 41

* 91 MAYORAZ, Éric-Alain, op. cit., p. 85-86

* 92 LUCIANI, Giacomo, op. cit., p. 213

* 93 Ibid., p. 211

* 94 WATERBURY, John, « From Social Contracts to Extraction Contracts. The Political Economy of Authoritarianism and Democracy », in ENTELIS, John P. [édité par], Islam, Democracy, and the State in North Africa, éd. Indiana University Press, Bloomington, 1997, p. 150

* 95 CAVALLO, Delphine, op. cit., p. 72-73

* 96 LUCIANI, Giacomo, op. cit., p. 203-204

* 97 WATERBURY, John, op. cit., p. 166

* 98 Ibid., p. 167

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe